Dans les profondeurs la pénétration

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« Si la sexualité était une question de plaisir, les femmes seraient moins pénétrées et les hommes le seraient davantage ». Ne croyez pas, chères mauvaises langues (hé hé) que ces propos sont tenus par une camionneuse moche et mal baisée, voire moustachue à tendance goudou excusez-moi mes amies homos, c’est juste pour caricaturer quelques possibles a priori). Pas du tout, vous n’y êtes pas. Ces propos sont ceux d’un homme, un vrai (je suppose), vivant en couple avec une femme et leur enfant, écrivain, végétarien et bon esprit. Martin Page. Alors, quoi ? Explique-nous ! C’est quand même fait pour ça, ces choses, y a un pénis d’un côté, un vagin de l’autre, et tout ça qui s’emboîte on ne peut plus parfaitement lorsque le mode d’emploi est bien suivi et que tout s’oint bien. Hé bien, croyez-le ou pas, cette idée qu’une séance de sexe — faire l’amour ou baiser si tu préfères — doit se conclure par papa dans maman — qui est la norme universelle de notre culture — c’est juste une construction politique. Car Martin Page qui a commis cet hyper intéressant opus, a interrogé nombre de femmes et d’hommes et s’est documenté livresquement. Hé bien les femmes sont nombreuses à pouvoir se passer de la pénétration et beaucoup d’hommes sont mal à l’aise avec ce projet que sous-tend l’idée de conquête, de domination : pénétrer une femme, c’est l’avoir. Elle devient une possession, un trophée, une chasse gardée. (Il est question aussi ici de la pénétration anale car beaucoup de femmes l’acceptent, avec joie ou pas, mais c’est tendance). (Il est aussi question de fellation).
(Note : Quand je parle des hommes ou des femmes, ce ne sont pas TOUS les hommes, TOUTES les femmes. Les attitudes sont infinies..). Ce que cherche à déconstruire l’auteur, c’est que sous prétexte que cette action (de pénétrer) soit très codée, on en oublie toutes les autres pratiques sexuelles que peuvent s’offrir les corps sans être obligés de se finir par l’éjaculation dans un orifice.
Martin Page a connu beaucoup de réactions curieuses quand il en parlait à ses amis, parfois une forme de condescendance (le pauvre, il n’a rien compris au sexe), parfois un truc drôle, ex : « j’ai demandé à un ami, hétérosexuel, s’il aimait la pénétration. Il m’a répondu tout de suite : « Ah ah, oui bien sûr ! Bah oui ! ». Alors j’ai précisé ma question : « Et comment aimes-tu être pénétré ? Avec un doigt ? Avec un gode ou un masseur prostatique bien lubrifié ? ». Il s’est crispé. Il n’avait pas imaginé que je parlais de lui pénétré. Jamais. Jamais jamais. » Pour beaucoup d’hommes, il n’en est absolument pas question, ils perdraient leur position de dominants, voire seraient humiliés. Et pourtant, beaucoup aime le massage prostatique durant l’acte. Mais bon. C’est plutôt le rôle de la femme d’être « passive ».
Un livre comme ça ne se résume pas, disons qu’il ouvre l’esprit par une belle somme de réflexions mais aussi de témoignages très divers et pourrait se conclure par le fait que ça serait tout bénéfice pour tout le monde qu’on essaie, ensemble, d’appréhender l’amour physique autrement que par une préparation à l’éjaculation terminale. Martin Page explique enfin que tout est lié : « la question de la pénétration, du clitoris, des hommes hétérosexuels, comme celle du temps de travail qui empiète sur nos vies affectives, des salaires moins élevés des femmes, de leur plus grande précarité, de nos difficultés d’existence matérielle, du congé paternité encore bien maigre et facultatif, des réunions organisées le soir, du capitalisme, du réchauffement climatique et du règne de la compétition et de la comparaison. » Disons que c’est la mâle attitude qui organise tout ça pour préserver ses privilèges bien souvent issus de l’éducation « virile » consistant à gommer tout ce qu’il y a de sensible chez le garçon dans le but de ne pas ressembler (quelle horreur !) à une fille.
C’est mieux dit, mieux écrit, mieux analysé, heureusement.
Par ailleurs, au printemps dernier, Martin a traité cette question dans l’excellentissime podcast « Les Couilles sur la table », pénétrer#39, ici/

Initialement auto-édité, ce livre est repris par une nouvelle édition, à sortir le 10 janvier.

Au delà de la pénétration par Martin Page. 2020 aux éditions Le Nouvel Attila. 160 pages, 10 €. Et une couverture très douce.

Texte © dominique cozette

Les couilles sur la table

C’est le nom d’un formidable podcast créé par Victoire Tuaillon qui développe, au fil de ses rencontres avec des chercheurs/euses, la formation de la masculinité. Car on ne naît pas homme, on le devient. Et c’est palpitant de voir comme toute notre culture est empreinte de petites choses qui semblent sans importance mais forment ensemble un système qui pèse sur tout le social, l’intime, le politique, l’humain. Si vous n’avez pas (eu) le temps d’en écouter les presque 50 épisodes, je vous conseille fortement le livre qui vient de sortir : il réunit, résume, synthétise ou reproduit les idées fortes des épisodes de son podcast.
Les Couilles sur la table est passionnant, ses sujets éclairants. On y apprend l’éducation virile pratiquée dans diverses cultures (et souvent il y a longtemps). Comment tout ce qui se fabrique ou se construit est calculé d’après l’homme qui est la mesure-étalon de tout : la main de l’homme pour les écrans des mobiles, l’usage de l’homme (les pipi-rooms où les femmes font toujours la queue), la conduite de l’homme : les accidents moins nombreux mais plus graves pour les femmes parce que les mannequins des crash-tests sont masculins, la santé de l’homme car les médicaments sont créés et testés en fonction du métabolismede  l’homme. Puis on comprend comment l’espace public est masculin, les noms des rues masculins, les coins mal éclairés, les endroits peu accessibles, pourquoi toujours les grands hommes statufiés sont en majesté, vêtus et que les femmes sont en général nues.
On y recense aussi, on connaît un tout petit peu, les privilèges de l’homme au travail, comment tout est fait pour que la femme s’occupe de l’intendance. On réfléchit sur le sujet du viol et des violences que beaucoup d’hommes dénient pour eux-mêmes. L’affaire Weinstein et la domination des puissants. Comment l’homme exploite la femme à la maison, la charge mentale portée par la femme. La culture du viol dont on commence vaguement à parler (le temps de « la soubrette qu’on trousse » lors de l’affaire DSK est passé) et les stéréotypes de la virilité dans la littérature, le cinéma, la poésie.
On y découvre la hiérarchie masculine et ses rivalités pour devenir le plus viril au détriment de la femme et de beaucoup d’hommes qui ne sont pas au sommet. On y donne aussi des idées de solutions pour que les inégalités entre hommes et femmes se réduisent, pour que l’homme considère enfin que la femme ne lui est pas inférieure….
Ce livre foisonne d’enseignements souvent étonnants, on peut même dire qu’il nous dessille tellement nous avons tendance à intérioriser la suprématie de l’homme blanc dominant. Comment résumer une telle somme ? Impossible.
A la fin, Victoire Tuaillon cite les ouvrages les plus importants, ceux qui ont servi pour les rencontres ou qui ont été cités, essais, thèses et fiction. Puis elle énumère, avec pitch, les épisodes du podcast jusqu’au 46ème. Il manque donc les quatre consacrés à une discussion avec Virginie Despentes dont je ne cesse de vous encourager à les écouter.
Je ne peux que vous conseiller ardemment la lecture de ce livre, que vous soyez fille ou gars. Il y a de très jolies illustrations, des couleurs de textes, c’est ludique et très agréable…(je ne répèterai pas que c’est passionnant. Ah si, je l’ai fait ! Au temps pour moi !)

Les Couilles sur la table de Victoire Tuaillon, 2019 chez Binge auto.éditions, dans toutes les librairies. 256 pages, 18 euros.
Pour écouter le podcast c’est ici

Texte © dominique cozette

Relire la King Kong Despentes

J’avais lu King Kong Théorie de Virginie Despentes au moment de sa sortie, un coup de poing dans la tronche, un coup de pied dans la fourmilière. Un bouquin d’où fusaient toutes les questions, voire toutes les colères concernant la féminité et par là-même, la masculinité.
Relire aujourd’hui ce livre écrit bien avant l’affaire Weinstein, c’est s’apercevoir que Virginie Despentes avait compris ce que d’autres ne voulaient pas voir, à savoir : on ne naît pas fille, on se modèle. C’est pratique, une fille, pour les dominants (un garçon ne naît pas plus dominant), c’est joli, obéissant, aux ordres, bandant, s’intéressant aux autres, aux petits soins… Attention, Virginie Despentes dit aussi que c’est dur d’être un homme, on lui demande tellement de choses compliquées qu’il n’est pas formé à être ou à faire : dominer, être agressif, brutal, aimer la compétition, avoir la plus grosse, bander, faire jouir les filles, ne pas jouer à des jeux gentils, ne pas pleurer, taire sa sensibilité etc. Tout ça pour dire que Virginie Despentes n’est pas ce qu’on appelle une féministe castratrice. Elle veut juste qu’on arrête de faire chier avec ça : se faire belle, parler doucement, prendre l’habitude de se comporter en inférieure, « ne pas s’exprimer sur un ton catégorique, ne pas s’asseoir en écartant les jambes, pour être bien assise. Ne pas s’exprimer sur un ton autoritaire. Ne pas parler d’argent. Ne pas vouloir prendre le pouvoir. Ne pas vouloir occuper un poste d’autorité. Ne pas chercher le prestige. Ne pas rire trop fort. Ne pas être soi-même trop marrante. Plaire aux hommes est un art compliqué, qui demande qu’on gomme tout ce qui relève du domaine de la puissance ». Elle décortique les petites et grandes choses que nous n’avons pas toujours conscience d’exécuter pour être dans les normes, comme demandé par la société, alors qu’un homme, lui, peut être moche, gros, mal fringué etc… mais toujours légitime à critiquer une femme qui ne respecte pas les canons. Je schématise, forcément, comment faire autrement ? *
Virginie Despentes parle en termes crus, elle dit baiser, enculer, pute, tapin pour analyser ce qu’elle a vécu, un viol à 17 ans, se demander pourquoi on suspecte toujours une nana d’avoir été violée. Impressionnant. Ce qu’elle connaît oui, elle l’épluche formidablement : la prostitution, qu’elle a pratiquée, la précarité qu’elle vécue, puis la célébrité (parfois encombrante) après Baise-moi, elle parle aussi des relations hétéro et homo, elle connaît tout ça. Mais elle ne s’érige pas en moraliste, en théoricienne pure et dure, elle ajoute souvent « c’est ce que je pense » ou « selon moi ». En tout cas, on ressort de cette lecture un peu plus conscient.e de notre malléabilité, un peu plus confirmé.e par ce qu’il faut changer pour qu’on en finisse avec cette soumission qui touche aussi la condition masculine.

Je vous conseille fortement d’écouter les quatre entretiens réalisés récemment sur le podcast de Victoire Tuaillon, Les couilles sur la table, le lien ici.

King Kong Théorie de Virginie Despentes 2006. Aux éditions Grasset puis au Livre de Poche. 150 pages, 6,10 €

*Je suis consciente que parler de ce livre foisonnant, c’est caricaturer le texte qui, bien que brutal et bouillonnant, est d’une grande profondeur teintée de subtiles nuances…

Texte © dominique cozette

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