Devenir écrivain

Rentrée littéraire. Ce livre, Devenir écrivain d’Alexandre Lacroix, n’est pas un tuto pour ceux que la plume gratouille, c’est son histoire et comment il y est parvenu. C’est en l’entendant à France Inter dans l’émission de Charles Pépin, Sous le soleil de Platon, que j’ai eu envie de le lire. Chance, la personne par qui j’ai tous ces livres de la rentrée en avant première, l’avait reçu.
Notre héros, Alexandre puisque c’est lui, a toujours en envie de faire ce métier, il se serait damné pour ça. Il n’a pas de très grandes ambitions à part ça et pourtant, il est très doué pour les études. Néanmoins, il est très souvent seul, jamais sans ses lectures du genre costaudes et intello, ne fraye pas beaucoup avec les dames, ce n’est pas non plus son sport favori.
En fait il trimballe depuis ses onze ans, un paquet toxique, la mort de son père. Ou plutôt la pendaison de son père qu’il a découverte en rentrant de l’école. Vous parlez d’un souvenir. Mais avant de se décider à écrire sur ce douloureux problème, il procrastine, intelligemment, en absorbant le maximum de bouquins. On le trouve au quartier latin, dans quelques bistrots, parfois mal accompagné, mais aussi flanqué d’une maîtresse régulière avec qui ils ne font que l’amour, rien d’autre.
Quand il se décide à raconter et à montrer la première mouture de son texte qui commence par la pendaison, il se prend un gros vent. Puis il intéresse un jeune éditeur chez Grasset. Puis il aura son contrat mais le bouquin ne peut sortir que dans un an et demi. Il continuera ses études mollement, sa relation avec sa nouvelle fiancée, ses beuveries avec des potes de rencontre dans le bar d’en bas. Son bouquin va être de nouveau refusé malgré un travail de trois ans puis… surprise.
En fait c’est une histoire vraie, son livre qui s’appelle Premières volontés existe comme son tout premier livre et les anecdotes qui y sont narrées sont assez croustillantes. Moi qui ai été chez Calmann et Grasset, je peux confirmer que les personnages cités par leur vrai nom, existent bel et bien.
Et puis, bien d’autres ouvrages ont suivi, romans, essais, réflexions. Celui-ci sort le 21 août.

Devenir écrivain par Alexandre Lacroix, 2025 aux éditions Allary. 370 pages.

Texte © dominique cozette

Un gay chez les cathos

Rentrée littéraire. Formidable ce livre dont il est (encore) peu question dans le fatras de la fin d’été et qui sort le 3 septembre. Clandestin familial de Jean Desportes nous fait pénétrer dans le monde très fermé des grands bourgeois, capitaines d’industrie et autres top managers, grandes écoles,ultra-cathos, qui vivent en communauté, marient leurs filles avec leurs fils à la suite de rallyes, se rendent à la messe tous les dimanches, ont leurs bonnes œuvres, leurs Cercles, leurs country clubs, vivent dans les beaux quartier et sinon, Gstaag, Megève et autres destinations de choix. Personnel domestique of course et surtout, bien pensance et nobles valeurs.
Hubert Dubreuil dirige une grosse entreprise de parfums haut de gamme transmise par sa riche épouse qui lui laisse quartier libre. Elle a dû sacrifier un beau métier artistique pour élever ses quatre enfants dans la foi et la tradition.
Nous allons suivre l’aîné, Antoine, charmant garçonnet, gracieux, pas très meneur, qui n’aime pas les jeux violents. Dès son enfance, on pourra deviner qu’il n’est pas l’héritier que son père attendait pour lui succéder. Il se sent étranger un peu partout où il se trouve, école, famille. C’est un bon garçon, tranquille, conscient de l’importance de la famille dans la vie. Il ne veut pas déplaire, mais plus il grandit, plus son orientation sexuelle, qu’il étouffe, le fait se sentir honteux. Oh, bien sûr, il y a quelques tontons scandaleux dont on a tu les frasques. Lui est constamment en proie aux questionnements de cette nombreuse famille qui ne le voit jamais joliment accompagné, ce n’est pas ce qui manque, les beaux partis, et en plus il est séduisant.
Chacun de son côté, famille et lui, ménage les susceptibilités. Cependant, il faut bien s’arranger quand on veut l’embarquer à la manif pour tous derrière Boutin et Frigide Barjot.
Et quand il se sera libéré des chaînes familiales, il en fera des bringues de rattrapage dans son petit studio, il n’a que trop perdu de temps. Et puis un jour, le grand amour. Mais encore hélas, du point de vue de ses proches quand ils l’apprendront, il s’agit d’un transfuge de classe, fils d’immigré espagnol, parents pauvres etc…
C’est un roman très détaillé sur tout ce qu’il s’est passé ces dernières quarante années (Sida etc) au sujet des homosexuels. Le milieu que l’auteur décrit comporte certes pas mal de clichés mais c’est passionnant d’aller au cœur de leurs états d’âme et de leur bondieuserie. Il n’y a pas prétexte à ironie, c’est ainsi que ces gens vivent sans souhaiter de mal au pauvre pêcheur qui fait aussi ce qu’il peut pour ne pas choquer. Très instructif et même palpitant.

Clandestin familial de Jean Desportes, 2025, aux Editions du Rocher. 464 pages.

Texte © dominique cozette

Justine cherche sa mère désespérément

(Rentrée littéraire). Justine, vingt ans après la mort de sa mère, continue à souffrir de son absence. Dans Une drôle de peine, elle décortique ce qui lui reste de souvenirs (glauques) de sa petite enfance avec sa junkie de maman qui n’a pas su s’occuper de la fillette qui a fini chez son père. Oui, une enfance pourrie où sa maman, superbe mannequin, vivait sur un grand pied grâce au fric de son ex-mari, alcool, amants et amantes, vie à poil, sans morale mais avec des éclairs d’amour dont était dingue la fillette. Jusqu’à ce qu’on la retrouve toute petite endormie sur un palier. La mère volait beaucoup, elle est restée quelques mois À Fleury Merogis et a perdu la garde.
Révision : Justine est la fille de BHL, apparemment un bon père. Il est tombé raide dingue de la mère, une superbe mannequine mais l’a quittée à la naissance du bébé, tellement instable, tellement border line. Pour arranger le tout, Justine a vécu une tendre relation avec Raphaël Einthoven tandis que Carla B. qui roucoulait avec le père de Raph, a fait main basse sur le fils, a fait un gosse avec lui et une chanson sur lui tandis que Justine ne s’en remettait pas… C’est très endogamique tout ça. Aujourd’hui, elle est depuis vingt ans avec un acteur réal, ils ont deux enfants. Mais ça n’empêche : elle est restée bloquée à cette enfance tronquée, avale des tas de cachets, fait ch… tout le monde et décide de partir à la chasse aux souvenirs.
C’est comme du Closer, j’exagère à peine, mais ça m’a accrochée, ses rapports avec son père connu sont intéressants, les détails qu’elle déballe sur sa famille notamment les grands-parents maternels peuvent être gênants et l’évolution du cancer de sa mère sont parfois très crus. N’empêche, le chagrin semble énorme, poignant, inexorable et elle assume tout ce qu’elle même a de gênant pour son entourage.
La quatrième de couv annonce la couleur :  » Est-ce que tu me vois, maman ? J’ai deux crédits à la banque, deux enfants que j’étouffe, quatre chats dont deux débiles et une estropiée, des rides en pattes d’araignée autour des yeux et des oignons aux pieds, le même amoureux qui me supporte et tient bon depuis vingt ans, quelle dinguerie, je ne suis ni parfaitement féministe, ni tout à fait écologiste, ni vraiment révoltée, pas encore alcoolique, plus du tout droguée : je mets beaucoup d’énergie à essayer de ne pas te ressembler, maman, je n’ai pas pu être une enfant et je ne sais pas être adulte. « 
Il se dévore comme une assiette de tapas…

Une drôle de peine de Justine Lévy, 2025, aux éditions Stock. 190 pages

texte © dominique cozette

Sarah Gysler nous emmène

(Rentrée littéraire). J’ai loupé Petite, le premier livre de Sarah Gysler qui a fait un tabac. Mais ce deuxième, Emmenez-moi, est bien placé pour connaître le même sort. C’est un bouquin formidable, l’histoire de sa courte vie, elle est jeune, elle enchaîne les conneries que la pousse à faire le « pou », sale bestiole qui vit dans on cerveau, et la convainc d’acheter un rafiot, une vraie affaire pourrie. Sarah (c’est son histoire) vit en Suisse, plus ou mois chez son père, ça dépend de ses pérégrinations, un père férocement adorable, ouvert à tout notamment aux fêtes, aux amis de ses gosses à qui il offre toujours ses énormes raclettes et chez qui hurle toujours la musique, principalement les variétés que tout le monde peut entonner avec lui et particulièrement Renaud, son idole. Un mec formidable avec qui elle partage un amour inconditionnel. Donc elle fait des haltes chez lui mais cette fois, elle est partie pour Port St Louis dans le delta du Rhône pour naviguer jusqu’en Espagne avec trois potes sur cette ruine même pas aux normes. Elle passe sont temps à vomir puis est elle réellement malade. Halte à tout. Son rafiot sera sa ruine.
Retour au bercail mais ce qui l’attend n’est vraiment pas drôle : son père, la petite cinquantaine, est malade depuis des années et il a fini par se décider pour le suicide assisté, il n’en pleut plus. Pas de pathos du tout dans les semaines qui précèdent le grand départ, tout le monde participe, « la vieillerie » organise la fiesta et ça se passera comme il a dit.
C’est débridé, c’est joyeux, c’est triste aussi, c’est surtout que Sarah n’arrive pas à digérer cette mort. Elle va encore errer de conneries en absurdités, par exemple elle va se faire engager dans une boîte de funérailles pour maquiller les morts, ça n’aura qu’un temps, et tout à l’avenant. Elle vacille, elle va tomber puis se rattrape à un très vieux chat aveugle qui la colle, ça grince de partout, c’est vivifiant, c’est poignant et ça va s’arrêter au premier anniversaire du départ du père, fêté de ouf, encore une sacrée partie où tout est permis… (Emmenez-moi fait bien entendu référence à la chanson de Charles)
J’ai adoré et je cours acheter Petite pour ressentir les mêmes joies de lecture.

Emmenez-moi de Sarah Gysler, 2025 aux 2ditions Equateurs Roman, 190 pages, 19 €.

texte © dominique cozette

La Dame aux oiseaux

(Rentrée littéraire) La Dame aux oiseaux de François Garde nous mène dans un petit port perdu de Bretagne. Tom s’en est éloigné mais quand il apprend que sa mère est malade et y vit seule, il revient au pays et décide d’y rouvrir un bistrot car tous les bars ont fermé alentour et qu’il n’y a plus de vie sociale. Sa mère l’aidera parfois. Les journées sont longues et chargées, Tom n’a que le temps de bosser et de boire des coups avec ses vieux copains d’enfance. Un bonhomme taiseux s’y installe, c’est un passeur dit-il.

Et puis il y a la Dame aux oiseaux, une sexa qui vit à la pointe, seule, et ne vient jamais au village. Sa maison est une vieille bâtisse superbe, bien cachée et difficile d’accès. Et, alors qu’il lui répare quelques dommages, elle commence à lui raconter le grand amour qu’elle a connu avec son père, père qui s’est tué à moto quand il était bébé. La mère de Tom, qui en a souffert, voit cette nouvelle relation d’un très mauvais œil mais ne peut empêcher l’attraction de cette femme charmeuse, élégante sur son fils. Elle lui apprendra enfin tout ce que sa mère a dissimulé.
On l’appelle la Dame aux oiseaux car depuis des années, elle ramasse les oiseaux morts sur la plage et en fait des petits articles qu’elle poste. Ils ont intéressé des ornithologues dont un savant qui est venu travailler chez Tom.
Le mystère qui entoure la vie du père de Tom s’éclaircit peu à peu mais de sales événements vont en découler. Un petit polar sans prétention, parfois naïf, mais assez distrayant. Beaucoup de choses à apprendre sur les plantes et les oiseaux…

La Dame aux oiseaux de François Garde, 2025 aux Editions Grasset. 288 pages

Texte © dominique cozette

Les promesses orphelines

Les Promesses orphelines de Gilles Marchand, c’est l’histoire de Gino, fils d’immigré italien arrivé en France. Un baby boomer qui rêve, c’est l’époque : marcher sur la lune, les voitures qui volent etc.. Il rêve tellement qu’il en oublie de bien travailler à l’école et ça va lui jouer des tours car plus tard, il projette de participer aux nouvelles conquêtes du progrès, notamment l’Aérotrain, ce train suspendu, prouesse technique qu’il finit par aavoir dans la peau. Il veut lui aussi changer le monde. Hélas, ses niveaux d’études sont trop faibles, il participera, certes, mais comme simple ouvrier.
Il vit dans un bled près d’Orléans avec son frère et sa mère depuis que leur père est mort quand il avait huit ans. A l’école, Gino rencontre non seulement un garçon différent que tout le monde méprise mais surtout le grand amour de sa vie qui le restera jusqu’à sa mort. Cette magnifique personne a d’autres ambitions que de croupir ici et rien ne sera vraiment engagé entre eux.
Cette histoire nous ramène dans ces années conquérantes, les immenses idées pour reconstruire le pays. Mais on se situe aussi au ras de sa petite vie, les bals où il se rend régulièrement, puis les juke box, la mob etc…
Notre anti-héros est bien modeste, me direz-vous, c’est ce que j’ai pensé au début du livre et puis je m’y suis attachée, comme à l’écriture simpliste parfois un peu neuneu qui correspond bien au personnage. Et puis on se laisse entraîner par ses rêves, puis l’assomption de la réalité médiocre, sans acrimonie ni haine, c’est comme ça.
La fin nous accorde sa dose de romantisme dans l’univers implacable de la vie ordinaire et la difficulté de s’y réaliser pleinement.

Les Promesses orphelines de Gilles Marchand, livre de la rentrée 2025, Aux Forges de Vulcain. 288 pages, 20 €

Texte © dominique cozette

Perpétuité

(Rentrée Littéraire) Perpétuité de Guillaume Poix se joue à l’intérieur d’une prison du sud de la France. Tout s’y déroule en une seule nuit : unité de temps et de lieu, pour les surveillants, gardiens, et supérieurs d’astreinte. C’est étouffant, chacun d’eux a ses problèmes personnels très délicats à gérer de loin mais tous espèrent, vainement que la garde sera relativement tranquille. Oui, vainement quand on sait qu’ici comme partout dans notre beau pays, les incarcérés sont beaucoup plus nombreux que le nombre de places (matelas par terre…) et que beaucoup devraient être en hôpital psychiatrique.
Ce soir, pourtant, un grand événement est attendu : le transfert d’un monstre, célèbre et cruel serial killer, sous très grosse garde car son procès se fera dans le coin. Surveillance accrue, tension au max. Hélas, il y aura d’autres « incidents » graves, pétage de plomb avec agression, et suicide.
Il y a évidemment les rivalités, jalousies ou parfois épisodes sexuels, racisme, et sexisme car le personnel pénitentiaire est tenu de respecter la parité.Ça court dans tous les sens, les pompiers interviennent, les rapports doivent être faits dans l’instant et le dîner qu’ils se font la nuit à tour de rôle reste souvent en rade. Les dialogues sont excellents, les actions et manœuvres diverses (les portes, les œilletons, les fouilles…) y sont décrites avec une immense précision (longue liste de remerciements), on s’y voit, on les plaint, c’est des boulots de merde épuisants, stressants au maximum et ultra-dangereux car ils ne sont pas armés.
Chaque personnage est décortiqué, les épithètes et autres appositions font florès, c’est très riche et ça contribue à donner de la touffeur à ce récit sans concession, d’une noirceur, d’une violence et d’une brutalité impressionnantes. Je ne ‘ai pas lâché de la journée et d’une partie de la nuit.
Quelle écriture !

Perpétuité de Guillaume Poix, 2025 aux éditions Verticales. 334 pages, 22 €

Texte © dominique cozette

Une enfance adoptive pourrie

Je ne connaissais pas cette autrice anglaise célèbre, Jeanette Winterson, avant de lire Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? J’apprends qu’elle a déjà raconté une partie de sa vie calamiteuse dans Les oranges ne sont pas les seuls fruits, et ici, elle reparle beaucoup de ce qu’elle a déjà écrit.
C’est une petite fille adoptée à quelques mois par une marâtre qui ne pouvait pas avoir d’enfants (elle se refusait aux rapports avec son mari à elle soumis). Elle n’appelle jamais cette femme maman mais Mrs Winterson. Aucun amour ou sentiment maternel ou même humanité ne s’en dégage. Elle suit les préceptes d’un carcan religieux sévère, elle punit sa fille en l’enfermant la nuit dehors quel que soit le temps. Ils vivent dans un maison jamais chauffée, au diable un peu de confort, sans aucune culture sauf les préceptes pentecôtistes, c’est une enfance misérable, horrible qui font de la fillette quelqu’un d’ingérable à l’école comme ailleurs. Elle est violente, asociale, endurcie sous une carapace inattaquable. Ce qui la sauve : la lecture mais il faut ruser pour aller à la bibliothèque.
Outre la description détaillée de cette pauvre vie dans une petite cité minable, Winterson nous décrit avec une précision d’entomologiste tout tout tout ce qu’il s’y passe, dans ces années 50 et 60, les mœurs, la société, l’environnement etc… on s’y croit, c’est très intéressant tellement c’est dépeint et analysé.
Vers 15 ans, elle se fait une copine avec qui elle se révèlera lesbienne et quand sa mère le découvrira, elle aura droit à une séance très organisée d’exorcisme.
Elle se barrera très tôt, vivra dehors puis fera tout pour entrer à l’université, son désir absolu étant d’écrire.
Enfin viendra la quête de ses origines qui lui apportera enfin la réponse poignante à son profond questionnement. Superbe.

Pourquoi être heureux quand on peut être normal ? par Jeanette Winterson, 2011. Traduit par Céline Leroy. Aux éditions Points. 260 pages, prix poche.

Texte © dominique cozette

Toutes les vies de Rebeka Warrior

(Rentrée littéraire) Toutes les vies de Rebeka Warrior m’a proprement scotchée, je l’ai lu d’une traite. Rebeka est chanteuse, autrice, compositrice, et DJ. Et n’ peur de rien. Elle mixe un peu partout dans le monde et produit aussi. C’est son premier livre, c’est son histoire. Romancée dit-elle mais ça sent le vécu. D’ailleurs les intervenants ont ici leurs vrais noms.
Tout commence par un coup de foudre avec Pauline dans un boîte. Comme elles sont en couple toutes les deux (Pauline vit avec un mec), la fusion prend quelques temps se concrétiser. Puis ensuite, l’explosion, amour total, irrésistible, énorme, les voyages partout pour la musique, Rebeka est une baroudeuse, elle adore les endroits border-lines et mal famés. Mais un jour, boule dans le sein de Pau. Elles préfèrent continuer leur trip que de rentrer, elles sont jeunes, même pas peur. Mais c’est un cancer du sein plutô étendu. Alors, d’amante incandescente, Rebeka va devenir aidante infatigable, puis fatigable à mesure que la maladie s’étend, que son amoureuse se dégrade. Ça va être très long, très très long, avec le faux espoir d’une courte rémission. On sait qu’elle mourra. L’aidante elle-mêmene peut plus assurer, elle va même jusqu’à s’exploser ailleurs.
La suite c’est comment elle a réagi. Evidemment très mal, auto-destruction, démotivation, dépression et toutes sortes de substances. C’est la littérature qui l’a sauvée, philosophie beaucoup, et le bouddhisme et beaucoup de pratiques spirituelles et d’expériences limites voire très dangereuses. Après quelques années, elle a fini par reprendre goût à la vie, à la création, et à l’amour, même si Pau sera toujours en elle.
Un récit scotchant, tranchant, sec parfois mais aussi bourré de poésie, inégal collage de listes, un rythme particulier d’une écriture très personnelle, très saccadée.
Bouleversant.

Toutes les vies de Rebeka Warrior, 2025 aux éditions Stock. 280 pages. (Sortie le 20 août)

Texte © dominique cozette

Un perdant magnifique

Je ne connaissais pas Florence Seyvos, j’hésitais à acheter ce livre plutôt mince, j’en voulais pour mon argent… mais je n’ai pas regretté. Ce livre, Le perdant magnifique, est lui aussi magnifique.
C’est un portrait. Mais il y a portrait et portrait, celui-ci est fascinant, comme un Bacon, variable, mouvant, inclassable, impressionnant.
Il s’appelle Jacques, c’est le beau-père d’Anna, la narratrice, il n’arrête pas de monter des affaires qui se cassent la gueule, de promettre des monts et merveilles, de se ruiner, mais de vivre plus haut que son cul sans se soucier des ennuis qu’il procure à sa femme qui éponge tout derrière lui. Il est extravagant, fantasque, tyrannique, maniaque, ingérable. Il y a donc Anna, sa soeur très complice Irène et leur mère qui ne touche pas terre et l’excuse de tout sans amour excessif.
Ils vivent entre Abidjan où il fait ses affaires et au Havre où la mère a acheté une maison pour que ses filles puissent étudier en France. Parfois, les adultes sont à Abidjan ensemble, laissant les deux ados se débrouiller (faire des bêtises), parfois il ne donne plus signe de vie, ni d’argent (il emprunte des sommes folles) durant des semaines. Malgré tout, on l’aime d’une certaine façon, on ne lui souhaite pas de mal. (Lisez la toute première page en librairie pour avoir une idée)
Puis un jour, il revint amaigri, malade, à bout de forces. Il faut s’occuper de lui, il n’aime pas… Il mourra de tous ses excès.
Extrait qui donne le ton que ressentent ceux qui vivent avec lui : « Mais si jusqu’ici bien des catastrophes avaient été évitées, il n’y avait pas eu de coup de théâtre, seulement le sentiment épuisant de nager la tête à ras de l’eau, à la merci d’une série de vagues plus fortes que les précédentes. »
Quand je lis un tel portrait, je ne peux qu’admirer la force de création de l’autrice pour imaginer aussi riche personnage, débordant de folie et de savoir-vivre, de culot et d’attention aux autres, d’ambivalence et de gentillesse… C’est hallucinant, oui, je suis fascinée par cette inventivité et la façon de peindre… Elle est aussi scénariste.

Le perdant magnifique de Florence Seyvos, 2025. Editions de l’Olivier. 144 pages, 19,50 €

Texte © dominique cozette

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