Superbe initiative de Points d’avoir sorti Le dernier des métiers, un ensemble d’interviews de Marguerite Duras écrits, passés à la télé et à la radio, présentés chronologiquement entre 62 et 92 où elle revient sur ses écrits, ses films et son théâtre. Ce sont des paroles cash, elle parle sans filtre et c’est un ravissement, lol, elle te balance des étincelles d’intelligence, de bon sens, d’humour et des petites rages aussi contre plein de choses, nous parle de ce qu’elle adore, les films de télé ringards qu’elle regarde la nuit car c’est le reflet de la vie. Ses saillies décoiffent, surprennent, posent question, sa pensée est fluide et tortueuse mais n’y passe aucune ironie. Elle semble toujours sincère car je crois qu’elle se fiche de ce qu’on pense de ce qu’elle dit, mais pas de ses écrits qu’il faut absolument aimer pour ne pas lui faire de peine. L’analyse, non, le ressenti de ses œuvres d’une interview à l’autre n’est jamais fixe, ça bouge, ça se reforme sans arrêt, son cerveau continue à tricoter, parfois elle lâche une maille et c’esr déstabilisant pour la pauvre béotienne que je suis. J’avoue que j’ai un peu molli sur son théâtre que je ne connais pas mais pas sur ses films. Elle y évoque aussi Yann Andrea, son alcoolisme… forcément. Ses prises de positions sur le colonialisme, son enfance très pauvre… Le chapitre qui m’a le plus amusée ou séduite est la transcription de la spéciale Pivot à elle consacrée. Pleine de charme, de tendresse, de piques, quelle intimité entre ces deux-là ! Ce livre permet aussi de se remémorer des détails de tout ce qu’elle a produit, c’est énorme, de saisir la vision de cette grande bonne femme pleine de réparties, et son regard affuté sur l’époque qu’elle vit. Irrésistible !
Le dernier des métiers Marguerite Duras, aux Points. 500 pages, 10,80 €
Manuel de chasse et pêche à l’usage des filles est un livre facile, idéal train, plage, voiture, piscine… et en format poche. Il est léger et rigolo et ça fait du bien aux zygomatiques des boyaux de la tête. Melissa Bank nous raconte l’histoire de Jane, une typique New-Yorkaise pas très décidée sur sa vie future, qui bosse dans l’édition. Comme beaucoup, elle aimerait tellement rencontrer celui qui fera son grand bonheur mais toujours elle se plante, oh comme c’est bizarre. Le livre est construit en chapitres assez longs styles nouvelles, qui se bouclent à chaque fin de romance. Ce n’est pas forcément dans l’ordre chronologique mais on s’en fiche. Les passages les plus humoristiques sont tout le début avec des répliques tranchantes et inattendues, puis une drôle d’histoire avec un hommes de plus de soixante-dix ans, ex-amant de sa vieille tante excentrique, qui a pour obsession de lui apprendre la vie et les bonnes manières, la féminité, le bon goût. Il est riche, ça aide. Et comme elle se plante et se replante, elle se décide enfin à acheter ce genre de livre à succès intitulé Comment rencontrer l’homme idéal et l’épouser. Car elle le sait, elle le sent, elle n’a pas la technique pour pécho. Là, il faut tout lui réapprendre, et la voix off des deux autrices de ce manuel n’arrêteront pas de l’empêcher de faire des conneries qui risquent d’éloigner définitivement le merveilleux homme avec qui elle a eu une touche au mariage de sa meilleure amie. Donc qui l’empêchent d’être drôle (ça fait peur aux hommes) d’être intelligente (idem), d’être spontanée, trop enthousiaste, à disposition quand il le demande etc… Ça lui fait bien du mal à cette pauvre Jane ce carcan d’interdits et rien ne dit que ça peut marcher. Ça marche ? Je ne le vous dirai pas…
Manuel de chasse et pêche à l’usage des filles de Melissa Bank (décédée en 2022), 1999 et ressorti en poche chez Rivages poche. Traduit par Françoise Cartano. 254 pages, 8,70€
L’invention de Tristan d’Adrien Bosc tente de retracer la courte de vie de Tristan Egolf dont certains parmi vous connaissent l’histoire qui commence comme un conte de fée. Quoiqu’une enfance un peu pénible gâche la sauce. Enfin, ce fou d’écriture, américain, débarque à Paris sans le sou fin du siècle dernier et pour vivre, fait la manche sur le pont des Arts. Il est aussi musicien. Une jeune fille de seize ans, touchée par ce grand jeune homme atypique, lui parle et ce n’est autre que la fille de Patrick Modiano, Marie. Ils finiront par vivre ensemble, à Paris, à Londres. L’écrivain l’aime beaucoup et un jour, il voit le manuscrit de son livre sur la table, et bien que ne parlant pas couramment anglais, a la profonde intuition que c’est un chef d’œuvre. A partir de là, il va tout faire pour l’éditer en français. Il faut savoir que tous les éditeurs et agents américains contactés par Egolf n’ont pas donné suite. Cela prend un certain temps. Puis le livre sort d’abord en France puis aux Etats Unis puis partout. Il s’appelle Le Seigneur des porcheries, livre plutôt trash, dur, épais, dense, un coup de massue. A ce moment-là, Egolf est reparti au pays, dans son bled. Il vit très mal ce succès d’autant plus que ses deux livres suivants passent inaperçus. Cet auteur est un écorché vif, doublé d’un junkie devenu alcoolique, il se détruit, il pense que sa carrière est foutue. Il souffre terriblement. Ce qui ne l’empêche pas de faire un enfant, une fillette dont il est fou. Mais hélas, la dépression prend le dessus et il se suicide à 30 ans. Des années plus tard, Adrien Bosc va tenter, sous le pseudonyme d’un journaliste américain (mauvaise idée, ça brouille la lecture) va enquêter en France comme aux Etats Unis sur la courte vie du jeune homme. Il ne rencontrera cependant pas les principales personnes de son entourage proche. C’est intéressant mais pas très bien mené (je trouve), il y a des redites et quelques longueurs et finalement on n’est pas très avancé à la fin de l’ouvrage. Néanmoins c’est agréable de se plonger dans cette histoire qui conte les affres de l’écriture pour certains auteurs perfectionnistes.
L’invention de Tristan d’Adrian Bosc, 2025 aux éditions Stock. 250 Pages, 20,50 €
Et je pèse mes mots : ce livre est une merveille. Au début j’ai pensé, bon une histoire d’enfance etc… mais je serais passée à côté de cette merveille. Le palmier de Valentine Goby nous emmène dans la nature, un très grand parc planté de mille espèces où adore se promener Vive, la fillette, avec Jujube son chien. Son père collecte les essence de parfums dans le monde entier et à chaque retour de voyage, en offre un échantillon à sa gamine qui développe un nez extraordinaire et une connaissance profonde des plantes, arbres ou autres éléments qui produisent ces odeurs. Rien que la façon dont le père raconte à la fillette les parfums et à celle qu’elle a de deviner et de lui répondre, c’est d’une grande délicatesse. La poésie est partout, j’avoue aussi que j’ai souvent regardé sur min Iphone les images correspondant à ce qu’il évoquait, c’est très enrichissant. Mais un jour, sale jour, on fait venir un élagueur pour ététer le majestueux palmier trônant au milieu de toute la verdure. Parce qu’il est mourant, infesté de charençons, des centaines de sales larves qui l’ont détruit. Il ne va rester que le tronc appelé le stipe (j’apprends que les palmiers ne sont pas des arbres mais des herbes géantes, donc pas de tronc), dressé insolemment devant les fenêtre. A partir de ce jour, la fillette ne peut plus dormir dans sa chambre, soit elle rejoint sa mère quand le père est parti, ou son frère ado, ou elle fait monter son chien, ce qui est interdit. Et son nouveau talisman est un tee shirt « d’artifice » avec son nom cloqué en brillant dessus, qu’elle récupère où qu’il soit, sinon elle ne peut pas affronter la journée. Il se passe beaucoup de choses familiales autour d’elle et puis des amitiés, des vacances, mais depuis qu’elle va mal, tout est sali. Jusqu’à ce que son père, excédé par ses « caprices » lui fasse rencontrer une psychologue-enquêtrice qui va l’aider, à force de ruse, de patience, d’aide avec les parfums, à défroisser les plis de sa mémoire pour y retrouver l’origine du traumatisme. NB : la fillette s’appelle Vive en référence à la chanson de Béart, l’Eau Vive créée pour le film éponyme de Jean Giono, une chanson menaçante et non une berceuse comme on peut le croire. Ce livre est une source d’apprentissage, on y apprend tout ce qu’il faut savoir sur le parfum, l’extraction des odeurs ou l’impossibilité de l’extraire et c’est tout le talent, la finesse d’écriture et la fraîcheur de la fillette qui fait qu’on est subjugué par ce monde particulier. Une fois n’est pas coutume, je vous livre un extrait : « Il dévisse le bouchon, sent le premier. C’est le moment qu’elle préfère. Il (…) approche directement le flacon de ses narines. L’ylang dégomme l’odeur d’usine. C’est l’odeur toute crue. Vive recule. Attends, dit le père. Il tâte ses poches, en sort une mouillette cornée, la trempe dans le flacon. Il agite la mouillette, laisse se disperser le parfum, tend la mouillette à Vive. Elle inspire et expire par à-coups, elle a appris à faire, vide ses narines et respire à nouveau, si tu ne modères pas tes inspirations l’odeur attaque et tu ne perçois rien que du fort et du plat. Une odeur se déplie, il faut du temps pour entrer à l’intérieur. On la fait d’abord voyager vers les poumons, vers le cerveau, Vive visualise le trajet à travers les tuyaux et les poches du corps. Elle te remplit et ensuite seulement elle t’enveloppe, tu entres dans l’odeur, tu découvres sa forme, ses strates. Vive éloigne, rapproche la mouillette molle, se concentre. En dessous, ça ressemble au chèvrefeuille ou au jasmin, elle pense, le chèvrefeuille et le jasmin elle connaît, il en pousse dans le jardin. Et puis le bonbon, décodent ses muqueuses olfactives. Ou plutôt, le sirop blanc qu’on boit chez Oscar, elle ose à voix haute, comment il s’appelle, déjà… Orgeat, dit le père. Le vernis à ongles de sa mère, aussi, elle dit. Ça y est, elle le tient : le mou du macaron elle annonce, triomphale, l’image est nette maintenant, au milieu du biscuit, où ça colle aux dents tu sais, le pas très cuit. Elle attend le verdict, en apnée. Il hoche la tête pas mal… » Ne passez pas à côté de ce livre de la rentrée, il est impressionnant et je reste encore tout étourdie par la beauté qu’il s’en dégage.
Le palmier de Valentine Goby, août 25, aux éditions Actes Sud. 330 pages, 22 €
Ne croyez pas que je suis un suppôt des maisons d’édition. Non, c’est une personne qui m’a permis de lire quelques livres de la rentrée pas encore dans le commerce. Et le nouveau de Fab Caro, pardon, Fabrice Caro, son nom de plume (l’autre est son nom de plomb ha ha ha) qui s’appelle Les deniers jours de l’apesanteur. C’est une aimable pochade, une sorte de teen book comme on dit teen movie, sur les mecs en terminales en section scientique dans les années 80. Le trio vedette rassemble trois bêtas pas très affranchis sur les choses du sexe, à mon avis ils sont encore puceaux, ça fantasme grave nichons, c’est à peu près à ça que servent leurs trois neurones et aussi à trouver des plans de drague soit pour récupérer leur flirt partie se faire peloter par un autre lycéen, soit pour entamer une nouvelle relation. La meilleure n’est-elle pas d’offrir à une jolie petite une mini K7 sur laquelle on a enregistré tout l’album de Supertramp ? Ben non puisqu’elle vous le rend peu après en disant « c’est pas trop mon style » car vous lui avez filé le best off de Sardou de votre maman. Et que des petites histoires de ce style. La drogue, c’est juste des pétards (ou des pétales de fleur, hum). Dessiner en cours la partie du vagin où se trouve le point G et devoir en rendre compte à la prof … bref plein de petites situations idiotes, gênantes, humiliantes et drôles, avec les noms bien choisis de ses collègues de classe : Cathy Mourier, Sandrine Moynot, Nicolas Morin, Béatrice Rigaux etc… pas très United Colors of B. Roman à l’humour saugrenu à embarquer sur la plage pour savoir à la fin si nos trois lascars ont obtenu leur bac.
Les deniers jours de l’apesanteur par Fabrice Caro, rentrée 2025 aux éditions Gallimard Sygne, 220 pages, 20 €
(Rentrée Littéraire) Son premier livre, La petite fille sur la banquise récit d’un viol subi enfant, était impressionnant d’enseignements dont on n’avait pas encore clairement parlé, et le livre n’a pas fait autant de bruit qu’il aurait dû car ce n’était pas qu’un récit mais une sorte de mode d’emploi des effets du viol sur un enfant que personne alors ne voulait voir. Celui-ci, Puisque l’eau monte, est son premier roman et il est d’une facture exceptionnelle. Il nous conte comment une femme bien dans sa peau, dans son job, avec son amant, se sent partir à la dérive lorsqu’elle se retrouve enceinte. Il faut lire comment se passe la scène abortive, ce qu’il advient de l’embryon, ce qui lui arrive alors, l’invasion de l’eau par l’intérieur. Et la colère de son amant, au courant de rien, et puis son refuge dans ses souvenirs d’amour avec Pépé qui l’emmenait dans le marais poitevin. Faire connaissance avec le père, taiseux bien sûr, et la mère qui a sombré dans la mélancolie. Il faut s’armer de patience pour savoir pourquoi les photos de sa naissance ont disparu, pourquoi on lui cache la mort de sa grand-mère, femme de Pépé disparue mystérieusement depuis longtemps.. Avec elle, on entre dans les mythes des marais, le rites et rituels, les histoires scabreuses qui déchirent les souvenirs, les secrets de famille et puis on découvre cette magnifique faune, notamment les oiseaux qui les peuplent. Le vocabulaire est magnifique, la poésie des lieux est là, la plume nous entraîne dans un voyage admirable… Je n’ai pas pu quitter ce livre avant de l’avoir fini tant il vous attire dans ses filets d’intérêt, d’interdits, de non-dits. Vous pensez parfois vous noyer avec elle mais on reprend pied à chaque chapitre. C’est superbe ! NB : Ce qui m’a fait rire dans la bio d’Adélaïde Bon, c’est qu’elle joue de la trompette dans la fanfare des Josette Noires (une fanfare à but militant).
Puisque l’eau monte d’Adélaïde Bon aux éditions Le Soir Venu, sortie août 2025. 192 p. , 16,95 €.
Ci-joint la fiche que j’ai écrite dans ce blog sur La Petite Fille sur la banquise. Vous pouvez aussi aller la voir dans l’émission La Grande Librairie, du temps de Busnel.
Et c’est moi qu’on enferme est le deuxième livre de Philippa Motte. C’est le récit glaçant de son internement sous contrainte, son troisième, suite à ses épisodes délirants de bipolarité. On a l’impression de lire d’horribles emprisonnements de personnes coupables des pires méfaitsau Moyen-Age tellement c’est dur, tellement les malades sont maltraités. Et inutile de se rebeller car plus tu te rebelles, plus tu es mise en salle d’isolement, bouclée nuit et jour dans une pièce aveugle, lumière permanente, avec juste un matelas par terre et basta. Ne parlons pas de la contrainte physique pratiquée par les infirmiers mahousses costauds. Les psychiatres, tu ne les rencontres jamais, ce sont eux qui viennent te visiter un beau jour avec leur cohorte d’internes et autres visiteurs de ces endroits de « soin », pas le droit non plus de révéler à ce beau monde quoi que ce soit sur les châtiments — oui ça peut être vu ainsi— que l’on t’inflige. Personne ne te considère comme quelqu’un, tu n’es jamais écoutée, on te demande juste d’être docile si tu veux être enfin autorisée à voir tes proches. Soumise, voilà ce que tu dois être, bouffant du médicament sans poser de question, sans les connaître, sans en savoir les effet. On t’annule, tout simplement. C’est extrêmement troublant de savoir que ces comportements cruels, dignes d’un goulag, sont infligés à de pauvres internés qu’il faudrait écouter, dont il faudrait adoucir la douleur, car ils souffrent terriblement tous ces malades mentaux, avoir un peu de compassion pour eux. Mais non, ça ne vaut rien d’être humain avec eux, ce sont … quoi, des déchets de la société, des criminels, des vauriens ? Non, juste des malades soi-disant soignés dans un hôpital en 2010. De nos jours. Terriblement bien écrit même si l’autrice s’excuse de ne pas toujours avoir les mots, effrayant…
Et c’est moi qu’on enferme de Philippa Motte, 2025 aux éditions Stock. 252 pages, 20,50 €
Yann dans la nuit, c’est Yann Andréa, le jeune homme épris de Marguerite Duras depuis toujours, qui se présente à elle à l’été 80, aux Roches Noires où elle demeure souvent, sur la plage de Trouville, après lui avoir écrit des dizaines et des dizaines de lettres restées sans réponses. Cette fois elle lui ouvre la porte et il restera avec elle jusqu’à sa mort dix-huit ans plus tard. C’est un amant, un secrétaire, un amuseur, un infirmier, un homme à tout faire, un compagnon de tous les instants. Mais ce qui intéresse l’autrice de Yann dans la nuit, Julie Brafman, c’est le Yann d’après, le Yann sans la Marguerite, qui se fond avec tous les décors, bars de St Germain ou des grands hôtels, bas fonds où il rencontre des hommes, jardins et ponts de Paris. Et le Trou. Le trou, c’est le 26 rue St Benoît, à vingt mètres du Flore, où vivait Duras, et lui aussi, et où il s’est abstrait de la vie durant des mois, voire des années, couché sans se laver, ne mangeant que ce qu’on lui montait, crasseux, ne descendant jamais les ordures… Et aussi les rencontres, ceux qui voulaient l’arracher à la peine, à la solitude et l’incitaient à écrire à nouveau, après le succès de Cet amour-là. C’est une enquête extrêmement poussée et poétique à souhait qu’a menée Julie Brafman, par ailleurs chroniqueuse judiciaire à Libé, habitué à fouiller les archives. Cette fois elle a rencontré tout le monde, elle a visité tous les lieux, elle a bien sûr tout réexaminé à l’aune de son romantisme pour écrire ce livre passionnant, impressionniste, tendre, émouvant, magnifique. Il faut aimer Duras bien sûr, pour apprécier pleinement l’exercice, il faut revoir les flashes, les images, les nuées de souvenirs qui nous reviennent, il faut s’insinuer dans la tête de cet homme toujours ado, singulier, qui ne fait rien, comme il dit, mais le fait si bien. Ce livre est une merveille.
Yann dans la nuit par Julie Brafman. 2025 aux Editions Flammarion. 330 pages. 21 €. (Rentrée littéraire)
J’ai horreur de cette expression pourtant elle veut bien dire que ce livre n’a pas que pour sujet l’amour. Aimer, de Sarah Chiche, est riche d’énormément de considérations sur le monde actuel, comment il se délite, comment les prédateurs sont de plus en plus violents, comment le désenchantement nous grignote insidieusement, comment la confiance en tout disparaît, comment l’appât du gain pourrit tout, comment la politique aggrave encore l’ambiance générale… et j’en passe.
Mais les sentiments existent toujours même si parfois on n’a plus envie de s’y soumettre pour vivre détaché de tout, sans affect ni émotions. C’est donc, entre autres histoires, celle de Margaux et d’Alexis. Un jour, la petite fille de neuf ans se jette dans un lac glacé, en Suisse où ils vivent, sous le regard du garçon. C’est le père de celui-ci qui la sauvera. Ils vont nouer une relation forte mais très brève puisque la fillette et sa famille disparaissent brusquement sans prévenir, sans laisser d’adresse. Le garçon sera marqué à jamais par cette absence. Chacun des deux, excellents en tout, vont mener des carrières brillantes et des vies de gens qui ont réussi. Cela ne les rendra pas heureux. Alexis, qui s’enrichit en développant, outre Atlantique, une molécule qui rend addict et tue finira par démissionner. Et Margaux renoncera aussi à une voie royale pour écrire ses livres. Ils ont tous deux des enfants qu’ils n’élèvent pas ou si peu et finissent par se replier sur une vie sans attrait, sans gloire et sans éclat. Jusqu’à ce qu’ils se croisent à la cinquantaine, dans un supermarché du quatorzième arrondissement. Et que leur cœur d’enfant se mette à faire des bonds. Mais est-ce vraiment ce qu’ils veulent ? Recommencer une vie amoureuse qui va forcément virer à la routine puis à la mort du couple ? Réussiront-ils à sauvegarder ce pur diamant qu’ils ont hébergé depuis l’enfance ? Suspense, suspense… Un livre haletant, parfois désespérant, pas franchement optimiste mais pas non plus à se flinguer, une superbe écriture. J’ai drôlement kiffé. (Ce livre sort en librairie le 21 août)
Aimer de Sarah Chiche, 2025 aux éditions Julliard. 380 pages.
J’avais beaucoup aimé Les os des filles, un de ses premiers livres. Les suivants un peu moins. mais celui-ci, Une vague, m’a captivée irrémédiablement. C’est un drame de l’amour, du deuil impossible, de la survie coûte que coûte, du respect de la mort, de la construction d’une vie sur mensonge…C’est fouillé, c’est passionnant. Ana, fille de boucher, et son mari, riche héritier d’une grosse boîte de luxe, sont en voyage de noce à Bali. L’amour est à son comble, d’autant plus qu’une petite Rita pousse dans le ventre. Le bonheur est total. Quand soudain, drame. Un tsunami se prépare. Tous deux sont sur la plage mais Auguste veut absolument remonter à l’hôtel chercher sa dernière toile, une superbe vague. Il demande à Ana de na pas bouger, mais la mer se retire tellement loin que c’est impossible. Elle va revenir et tout détruire. Lui, au dixième étage, peut être sauvé. Tous deux, loin l’un de l’autre, sont rescapés. Ana se retrouve dans un hôpital, elle a perdu le bébé. Auguste, lui, décide de changer de vie, de disparaître totalement, de recommencer à zéro et profite de la panique générale pour embarquer dans un avion qui va l’emmener à San Francisco. Il va effacer ses traces tandis qu’Ana, et la mère d’Auguste, remuent ciel et terre pour le retrouver mort ou vif. Deuil impossible pour l’une, redépart opiniâtre pour l’autre… Mais un jour, la toile réapparaît lors d’une vente de charité. La deuxième partie est passionnante où mille questions se posent de part et d’autre… C’est très intelligent, très bien senti, on est sans arrêt sur les braises, en attente d’un choc.
Une vague de Line Papin, 2025 aux éditions Stock. 380 pages, 21,90 €