L’ami

L’Ami de Sigrid Nunez a reçu le National Book Award en 2018, c’est dire que c’est un très bon livre. Mais pas nécessairement d’accès facile, tout comme le précédent de cette autrice dont j’ai fait un article il y a peu. Sigrid Nunez est une femme qui digresse énormément, elle est extrêmement cultivée, on a l’impression que la littérature, américaine comme européenne n’a plus de secret. On peut aimer la suivre dans le dédale de ses pensées. On peut ne pas.
Ici, l’ami auquel elle s’adresse (elle lui dit tu ) est un homme qu’elle connaît depuis longtemps, qui l’a formée pour ainsi dire et qu’elle n’a jamais cessé de fréquenter malgré ses trois mariages. C’est sa troisième épouse qui contacte la narratrice pour lui confier le chien que l’ami, mort par suicide sans un mot ou une lettre, a laissé. Cette femme ne peut pas s’en occuper, alors la narratrice va recueillir cet énorme danois, plus tout jeune et grand comme un poney, dans son minuscule appartement new-yorkais où les chiens sont interdits. Au départ, il est passif, voire neutre, elle pense qu’il est affligé de ne plus voir non maître. Et il prend possession du lit, elle n’ose pas l’en déloger. Sinon il se promène dans la rue gentiment, sans aucun problème, sous l’admiration des badauds croisés.
Ce chien, qu’elle appelle Apollon, va devenir sa thérapie, il va l’aider à surmonter sa peine et même si certains de ses amis ne veulent plus la voir à cause de lui, elle continue à creuser le sillon de l’empathie avec cet animal. Peu à peu, ils vont finir par se comprendre, enfin plus ou moins pour ce qu’on peut savoir sur une telle cohabitation. Très beau passage où elle se rend compte qu’il adore l’écouter lorsqu’elle lit ses textes à haute voix. Et qu’il les réclame.
Ce livre explore de nombreuses questions, notamment sur les relations humains-animaux, leur compréhension réciproque, avec beaucoup d’exemples piochés dans la littérature et des anecdotes rapportées de loin. Questionnement aussi sur le suicide, sur l’écriture (son ami était comme elle prof de lettres et écrivain). L’amitié va aussi être un de ses sujets de prédilection, toujours à la recherche de comparaisons écrites par d’autres. Ce livre un peu complexe n’a rien à voir avec Mon chien stupide, par ailleurs très chouette bouquin de John Fante.
Vers la fin du livre, remarquons que le « tu » qu’elle adressait à son ami est dorénavant adressé au chien lui-même, glissement de l’amitié sûrement.

L’ami de Sigrid Nunez. ( The Friend 2018). Au Livre de Poche, traduit par Mathilde Bach. 236 pages, 7,90 €

Texte © dominique cozette

So cute so chic

Voici ce que je peux considérer comme un livre très snob bourré de private jokes, de références chiquissimes, de centaines d’aphorismes et de punch lines parfois vides de sens, hyper cool ou mystérieux ou drôles.
Le livre s’intitule Daimler s’en va, ça signifie qu’il meurt, il va se suicider très jeune parce que la vie n’en vaut pas la peine, il a tout essayé et la dernière aventure qui reste est bien la mort. Mais il ne le prévient pas quand il mettra son projet à exécution.
Une partie du maigre bouquin fait parler son pote qui tente de nous faire comprendre le personnage, car c’est un personnage et il ne nous livrera jamais ses secrets. Ce qui contribue au charme improbable du livre.
L’auteur, Frédéric Berthet, est une sorte de dandy hyper cultivé, ami des Hussards, et déviant par rapport à ce qu’il fallait apprécier dans son milieu intello bourge. Imaginez, il aimait Brautigan ! Il n’a écrit que cinq livres, plutôt des sortes de nouvelles ou compils de fragments de pensées et réflexions, dont ce seul romain composé lui aussi suite de fragments inégaux.
Ce qui est fort, c’est qu’on ne comprend rien ou pas grand chose, mais c’est très agréable quand on aime les mots et les phrases et comme le texte est très court et écrit gros, on n’a pas le temps de s’ennuyer. Donc Daimler se suicide vers la trentaine comme Berthet se suicidera ou se noiera dans l’alcool, c’est pareil, dans sa cinquantaine. Bref, c’est déconcertant, drôle et désespérant. En pas cher en poche…

Daimler s’en va de Frédéric Berthet, 1988, aux éditions de la Table Ronde, 122 pages, 6,10 €

Texte © dominique cozette

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