Eloge de la plage

Le livre de Grégory Le Floch, Eloge de la plage, nous embarque dans un lieu que nous connaissons tous, dont nous rêvons tous, lieu magique où nous aimerions nous téléporter quand nous n’y sommes pas : la plage. Et pourtant, il y a très peu de temps que l’humain jouit de ce splendide bord de mer. Jadis, au contraire, il était craint ou ignoré. Les villages se construisaient loin des plages, ou dos à elles, sauf les ports, et seuls les fous et les malades y étaient emmenés pour soins. « Les premiers à fréquenter les plages sont les fous et les névrosés. Cela peut paraître étrange mais je ne suis pas surpris. Les fous ouvrent vraiment la voie. Ce sont eux qui débusquent la beauté, traquent les visions, malaxent et triturent la vie au péril de la leur jusqu’à ce que nous y percevions, nous autres, une petite trace de lumière. »
Que l’on se rassure, il ne s’agit pas d’un historique mais bien d’un ensemble de réflexions, de souvenirs et de références qu’a inspirés ce lieu. L’auteur cite nombre d’écrivains et d’artistes qui s’y sont illustrés comme Paul Morand, Eric Rohmer, Marcel Proust, Eugène Boudin le peintre, Brigitte Bardot, la liste est longue et savoureuse. Il se plaît à nous raconter les plages du monde qu’il a sillonnées ou adoptées avec son compagnon, celles qui disparaissent ou qui réapparaissent sous la furie des vagues ou par la bêtise des hommes.
Peuvent-ils le croire, les jeunes gens, que les hippies suivaient un circuit des plages pour aller jusqu’à Katmandou : on passait par Ibiza, Matala en Crète, Goa etc. Infaisable, bien sûr, de nos jours.
Il nous emmène dans des petites criques grecques, ou sur la plage que Jane Campion a choisie pour La Leçon de piano. Puis sur l’île d’Elbe, en Calabre. Il nous fait rencontrer Hermann Hesse adepte du nudisme. Et nous fait revivre quelques épisodes du débarquement.
Mais, car il y a toujours un mais, il nous attriste avec ce que nous faisons de ces lieux idylliques, les pollution de toutes sortes, les saletés que nous laissons traîner, les mines dont les truffent les guerres et surtout, surtout, l’énorme trafic mondial de sable : car le sable nous est indispensable pour fabriquer le ciment, le verre, l’asphalte, les routes etc. Les mégapoles qui se construisent en plein désert en sont avides car hélas, le sable du désert, trop rond, est inutilisable. Alors on pioche dans le patrimoine mondial, mers et rivières, on bouscule la diversité, on détruit, on vole, on fait des trous tellement énormes dans la mer que les plages finissent pas y disparaître. Sans parler de l’érosion, la bétonisation, la montée des océans… Des milliers de kilomètres de plages sont en train de disparaître irrémédiablement. D’autres sont devenues de vrais cimetières pour migrants. Le rêve devient cauchemar.
Puis la mer efface tout, la plage redevient vierge. Ce que nous souffle l’auteur : profitons encore des moments si beaux passés dans ces magnifiques endroits, ça nous rendra un bel éclat de vie.

Eloge de la plage de Grégory Le Floch, 2023 aux éditions Payot&Rivages, 236 pages, 19 €.

Texte © dominique cozette

Regardez danser Leila Slimani

La suite de Le Pays des autres, de Leila Slimani s’intitule Regardez-nous danser. Le premier tome de la trilogie nous emmenait au Maroc où vivait les grands-parents de l’autrice, Amine, paysan du cru, et Mathilde, alsacienne de caractère qui avait accepté d’aller vivre avec lui dans sa ferme. (voir ici mon article).
Dans ce tome 2, on s’intéresse encore à Mathilde et Amine dont l’exploitation est une réussite éclatante. Ils font maintenant partie des gens importants. Mathilde adore organiser des fêtes au bord de la piscine dont elle a arraché l’autorisation à son mari, peu enclin à apprécier ce qui n’est pas le travail. Leur domaine est réputé, c’est une entreprise qu’Amine gère de main de maître.
Mais ici, on s’intéresse de plus près à la génération de leurs enfants, aux années fin 60 et 70, mai 68 et les changements de mentalité pour certains. La fille du couple, Aïcha, est une potache qui veut faire des études. Et pour cela, elle ira dans le bercail maternel, en Alsace donc, faire ses études de médecine. Pour parler cru, elle bosse sans débander, ne sort pas, ne voit rien d’autre que ses livres et ses enseignants. Un jour, à vingt et quelques, elle vient passer ses vacances au bord de la mer chez sa cousine. Et là, elle ressent un truc extraordinaire, un coup de foudre irrépressible pour Mehdi, un beau garçon sérieux qui voulait devenir écrivain. Lui aussi est ébloui par cette femme frêle mais il se débrouille très mal avec l’amour. Et elle est une fille très sérieuse.
Le fils, donc le frère d’Aïcha, est bien moins déterminé. Il se cherche, dans ce pays qui se cherche encore depuis son indépendance. Grâce à Sélim, on ira à la rencontre des hippies, les tout premiers, qui vivent en communauté dans des villages où on les tolère et du côté de Mogador, devenue Essaouira. Les passages où on les voit vivre sont très plaisants.
La société toutefois évolue lentement. Certes, Barthes vient donner des cours aux étudiants mais Hassan II n’est pas très tolérant avec le bouillonnement de la jeunesse. La libération de la femme est un leurre et sa sexualité est carrément taboue. Les écarts entre les nouveaux riches et les pauvres se creusent, le roi échappe à des attentats, la corruption est loin de disparaître et certains, plus malins que la moyenne, pensent à des projets d’envergure pour faire du pays une autre Californie où l’Europe viendrait passer ses vacances. Mais les années de plomb, les compromissions, les rêves avortés font encore partie de cette longue période de fin du protectorat français dont le pays peine à s’exonérer.
Les portraits développés par Slimani sont attrayants, elle réussit à nous surprendre, à nous attacher à leur sort, et c’est un vrai plaisir de les voir évoluer année après année. Très bon livre.

Regardez-nous danser de Leïla Slimani, 2022 aux Editions Gallimard. 368 pages. 21 €

Texte © dominique cozette

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