Regardez danser Leila Slimani

La suite de Le Pays des autres, de Leila Slimani s’intitule Regardez-nous danser. Le premier tome de la trilogie nous emmenait au Maroc où vivait les grands-parents de l’autrice, Amine, paysan du cru, et Mathilde, alsacienne de caractère qui avait accepté d’aller vivre avec lui dans sa ferme. (voir ici mon article).
Dans ce tome 2, on s’intéresse encore à Mathilde et Amine dont l’exploitation est une réussite éclatante. Ils font maintenant partie des gens importants. Mathilde adore organiser des fêtes au bord de la piscine dont elle a arraché l’autorisation à son mari, peu enclin à apprécier ce qui n’est pas le travail. Leur domaine est réputé, c’est une entreprise qu’Amine gère de main de maître.
Mais ici, on s’intéresse de plus près à la génération de leurs enfants, aux années fin 60 et 70, mai 68 et les changements de mentalité pour certains. La fille du couple, Aïcha, est une potache qui veut faire des études. Et pour cela, elle ira dans le bercail maternel, en Alsace donc, faire ses études de médecine. Pour parler cru, elle bosse sans débander, ne sort pas, ne voit rien d’autre que ses livres et ses enseignants. Un jour, à vingt et quelques, elle vient passer ses vacances au bord de la mer chez sa cousine. Et là, elle ressent un truc extraordinaire, un coup de foudre irrépressible pour Mehdi, un beau garçon sérieux qui voulait devenir écrivain. Lui aussi est ébloui par cette femme frêle mais il se débrouille très mal avec l’amour. Et elle est une fille très sérieuse.
Le fils, donc le frère d’Aïcha, est bien moins déterminé. Il se cherche, dans ce pays qui se cherche encore depuis son indépendance. Grâce à Sélim, on ira à la rencontre des hippies, les tout premiers, qui vivent en communauté dans des villages où on les tolère et du côté de Mogador, devenue Essaouira. Les passages où on les voit vivre sont très plaisants.
La société toutefois évolue lentement. Certes, Barthes vient donner des cours aux étudiants mais Hassan II n’est pas très tolérant avec le bouillonnement de la jeunesse. La libération de la femme est un leurre et sa sexualité est carrément taboue. Les écarts entre les nouveaux riches et les pauvres se creusent, le roi échappe à des attentats, la corruption est loin de disparaître et certains, plus malins que la moyenne, pensent à des projets d’envergure pour faire du pays une autre Californie où l’Europe viendrait passer ses vacances. Mais les années de plomb, les compromissions, les rêves avortés font encore partie de cette longue période de fin du protectorat français dont le pays peine à s’exonérer.
Les portraits développés par Slimani sont attrayants, elle réussit à nous surprendre, à nous attacher à leur sort, et c’est un vrai plaisir de les voir évoluer année après année. Très bon livre.

Regardez-nous danser de Leïla Slimani, 2022 aux Editions Gallimard. 368 pages. 21 €

Texte © dominique cozette

Grand livre !

Je n’ai pas aimé la violence (gratuite ?) des romans précédents de Leïla Slimani, mais là je suis bluffée par son talent romanesque. Le Pays des autres est le premier tome de la trilogie  concernant son histoire familiale. Ce livre est superbement mené, il pétille de récits et d’anecdotes inattendues, les descriptions sont tout sauf banales, ça avance, ça bute, ça explose, ça repart, ça coule comme un torrent fougueux (excusez ce style pompier, c’est juste un essai).
L’histoire racontée ici est celle de ses grands-parents, un couple improbable composé d’une fougueuse et monumentale Alsacienne pure souche et d’un petit mais très beau Marocain engagé dans la guerre pour défendre notre pays. En 44, ils se trouvent et l’amour fait le reste. Elle accepte de le suivre dans son beau pays, le Maroc, où le père dAmine, paysan, a acquis des terres, espérance d’une vie fructueuse.
Mais déjà, le père meurt. Ils logent un certain temps chez la mère d’Amine, une Arabe pur jus, veuve, soumise à la tradition, qui élève deux plus jeunes enfants, Oscar, nationaliste qui va se heurter farouchement aux Français, et Selma, dont la beauté sera fatale.
Pendant les dix ans que durent le récit, de 45 jusqu’en 55, moment où le Maroc acquiert son indépendance, Mathilde va essayer de se faire à sa vie d’exil, le rêve effondré car la ferme est une baraque et la terre ingrate. Les femmes ont juste le droit d’obéir au mari, au grand fils, au frère. Le couple provoque de l’incompréhension, trahison d’un homme qui fraie avec l’ennemie. Mais elle s’accroche, elle ment dans ses lettres à sa sœur, enjolivant la ruine de ses espoirs. Elle aime malgré tout son mari qui travaille comme un bœuf pour améliorer les cultures mais ne comprend pas les caprices de sa femme qui aimerait tant sortir un peu de ce désert. Ils ont deux enfants dont une fillette toute menue, qui ne s’adaptera pas à l’école, tiraillée entre ses deux cultures, et sera rejetée par les autres enfants à cause de son extrême intelligence.
Ce livre va nous faire partager la vie d’un peuple rêvant d’émancipation, celle routinière des paysans, celle des jeunes filles frustrées de leurs désirs de libération, des colons ayant réussi, des jeunes filles mariées de force, de révolutionnaires… Une fresque très vivante, foisonnante même, montée cut comme un film exaltant avec ses caractères bien ciselés.

Le Pays des autres de Leïla Slimani. 2020 aux éditions Gallimard. 368 pages, 20€

Texte © dominique cozette

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