La Péremption

Les pièges de ce livre de Nicolas Fargues, La Péremption :
– 40 ans. Nicolas Fargues n’a pas 40 ans comme il est exclamé sur le bandeau, mais ce sont les éditions P.O.L créées par feu l’incroyable Paul Otchakovsky-Laurens, mort lors d’un regrettable accident pendant ses vacances, qui les ont cette année. L’auteur, lui, a 51 ans, comme son héroïne Zélie.
Le Masque et la Plume ont encensé le bouquin dans un de leurs conseils.
– Le mec est un très bel homme après avoir été un très beau jeune auteur talentueux, donc oui, on aime lire du beau.
– le style est actuel, pour une vieille comme moi, il réfère beaucoup aux tics et éléments de langage qui habillent tous les billets et se déversent du bec de tous les sachants.
– C’est du P.O.L donc c’est du bon.
Et puis j’ai lu quelques-uns de ses titres de jeunesse où il se racontait avec aisance. Puis j’en ai lu un qui m’a déçu en mal. Donc je n’ai plus lu. Sauf que je m’y suis remise pour celui-ci, la preuve.
L’histoire n’est pas d’une grande originalité, c’est une femme sur le retour, comme on ne dit pas des hommes, donc fraîchement ménopausée, comme on ne dit pas des transgenres, qui prend une retraite précoce suite à un petit héritage et un désir de créer. Voilà-t-y pas qu’elle fait connaissance « par hasard » — comme on dit pompeusement trop souvent — lors d’une fête, un tout jeune homme issu de la diversité, très branché, « dreadlocks courtes aux pointes teintées de blond », qui se fait appelé Shock, Séraphin pour l’état civil, et se dit entrepreneur. Une histoire se noue, la vieille riche aisée et le jeune black en plein développement qui veut monter un élevage de je ne sais plus quoi dans son pays d’origine, la RC.
Ce livre est aussi agréable à lire qu’une satire de notre temps avec nos manies stupides, nos idées à la con, nos manières d’être ridicules, nos snobisme à la noix et nos références semi-culturelles vérifiées sur Wiki . Fargues s’amuse à les dézinguer avec grâce, il faut bien le reconnaître, et c’est très plaisant. Après ça, vous arrêterez peut-être de dire que vous êtes sur Paris.
Comme je suis d’humeur flemmarde, je te vous colle deux bonnes citations piquées dans Babelio :
« Une génération venue au monde avec une maîtrise innée du montage vidéo à coupe franche, de l’usage de la touche lecture rapide de la télécommande et des mots-consonnes de trois lettres. Hermétique aux temps morts, au silence, aux conjonctions de subordination et aux textes de plus de six lignes. […] Pour faire la conversation à Darel – et, par là, pour faire plaisir à Furio à qui je n’osais demander si lui et Darel étaient également amants, j’avais hasardé le nom d’Hervé Guibert. Darel m’avait toisée avec cette compassion amusée qu’on pouvait réserver, de mon temps, à un admirateur du violoniste André Rieu ou du saxophoniste Kenny G. J’avais pensé rectifier le tir en lançant celui de Guillaume Dustan moins consensuel. Lui, c’est vrai, on peut pas complètement nier qu’il a eu sa part dans le mouvement global, m’avait concédé Darel avec mansuétude. Mais je dirais qu’il reste quand même assez peu challengeant, vu l’importance du contexte, avait-il ajouté pour que je ne me fasse pas trop d’illusions non plus sur la pertinence de mes références archaïques. […] Avec Furio, ma règle était simple : ne pas aborder les sujets qui m’intéressaient. »
« Avec les réseaux sociaux qui, depuis quinze ans, avaient donné la parole au peuple dans son ensemble, les rapports de force étaient désormais inversés. le peuple et ses goûts pas toujours sélectifs, on n’entendait plus que lui. »
Comme quoi la forme peut aussi faire la rue, ça mange pas de pain si on manque de fond (vieilles expressions des musicos du milieu du XXème siècle).
Bref, la sémantique bien maniée peut amuser des esprits simples comme le mien à la mi-août.
J’oubliais : les prénoms aussi font la rue Michel : Elle c’est Zélie, son fils Furio, son ex Alessandro, Shock son amant alias Séraphin, Darel un pote etc.

La Péremption de Nicolas Fargues, 2023 aux éditions P.O.L. 190 pages, 19 €, ce qui nous fait la page à dix centimes exactement, et la couv en cadeau.

Texte © dominique cozette hors le passage Babelio.

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