Ah les mères toxiques !

Jeannette McCurdy raconte son histoire. Génial, ma mère est morte est ce qui lui est arrivé depuis qu’elle est petite fille et que sa mère a décidé d’en faire une vedette du petit écran. Leur vie, alors, est assez pourrie. Le père est d’un pénible épouvantable, les frères oui bof et la maison est carrément une déchetterie. Tout s’y empile, s’y entasse, les différentes pièces sont emplies jusqu’à la garde de saletés à tel point que les chambres d’enfants ne peuvent plus servir. Alors chaque soir, ils déplient des espèces de matelas, des futons peut-être, sur le parquet du « salon » (du salaud, oui). Horreur. Les factures ne sont jamais honorées, c’est l’enfer.
C’est là que la mère a une idée lumineuse. Puisque sa fille Jeannette, qu’elle adore et qui l’adore, est mignonne, pourquoi ne pas en faire une mini-vedette des séries enfantines ? Alors, la machine se met en route. De casting en casting (lever à cinq heure du matin) de cours de maintien en conseils de comportement pour se faire aimer des agents, la petite affronte le monde terrible du show-business sans aucun plaisir. Elle déteste. Mais elle aime tellement sa maman qu’elle lui obéira aveuglément pendant de nombreuses années (sa mère continuera à la doucher jusqu’à l’âge de seize ans. Pour mieux la contrôler, bien sûr).
Et ça marche, même si le vedettariat est un peu long à démarrer. Grâce à la petite qui commence à faire son trou, l’argent rentre chaque mois, c’est formidable.
Mais aïe, à onze ans, des petits seins pointent. Ah, non, pas de ça Jeannette ! Tu es une enfant vedette, tu dois rester une enfant. Le fait qu’elle soit un petit modèle arrange déjà bien les choses, mais il faut empêcher les hormones d’entreprendre leur travail de sape. Alors hop ! Régime draconien. Et quand je dis régime, je dis famine. L’anorexie s’annonce sans que la fillette s’en émeuve. Elle est contente de déguster sa feuille de salade puisque c’est sa mère qui le lui demande. Jusqu’au jour où elle découvrira que vomir, c’est aussi une bonne solution. Donc boulimie.
En même temps, sa mère souffre d’un cancer du sein, il ne s’agit pas de la mécontenter. L’amour de la gamine déborde de partout, pauvre gamine. Mais la mère ne meurt pas encore, elle s’en sort, s’y remet avec rage, elle tutoie tous les importants, les paparazzi sont ses potes, elle fait le buzz pour qu’on parle de sa fille et la gloire arrive suivie de toutes ses odeurs de rance.
C’est un livre extrêmement bien conçu car évidemment, on prend parti pour la môme qui raconte bien et qui se moque d’elle-même. C’est frais, désespérant et très drôle. Les courts chapitres traitent chacun d’un thème important au royaume des mini-stars et des bêtes d’Hollywood, on comprend comment les choses se trament, on y voit la douleur, les sacrifices, les désillusions et bien souvent les addictions avec tous les produits auxquels les victimes s’accrochent pour se consoler d’être autant exploitées. La déglingue, l’alcool, la dope, le sexe sont entrés dans la vie de la jeune star, qui dépérit de mal-être, de désespoir, de honte et de dégout d’elle-même, merci maman. Qui finira par mourir. Mais pour autant restera le grand amour de sa fille, même si elle apprend, par des cures, qu’elle a fait preuve d’une profonde maltraitance à l’égard de sa fille.
Ce n’est pas un livre glauque, la jeune femme a su faire de son histoire le fond de commerce hilarant de ses spectacles qui sont très appréciés.

Génial, ma mère est morte de Jeannette McCurdy (I’m glad my mum died, 2022), traduit par Corinne Daniello, livre dédié à ses trois frères cités. Edition JC Lattès, 2024. 396 pages, 22,50€.

Texte © dominique cozette


Hedy Lamarr trop belle pour être créditée, les cons !

Oui, les cons ! La marine US en pleine guerre, en 1941, avec son matos décadent, 60% des torpilles ne vont pas au but.  Une femme leur propose  une invention majeure et totalement nouvelle et ces imbéciles refusent, même si elle a été validée par le très sérieux Conseil National des Inventeurs qui le leur recommande. Déjà, parce que c’est compliqué à comprendre mais surtout — car elle va tenter d’aller en personne les convaincre — parce que c’est … une femme.
Cette invention sera prise au sérieux plus tard et sera utilisée par nos technologies actuelles : Wifi, téléphonie mobile, liaisons militaires, positionnement par satellite (GPS…) etc.
Mais revenons à l’histoire de cette femme géniale avec le livre La Femme qui en savait trop de Marie Benedict. C’est l’actrice Hedi Lamarr, son pseudo d’actrice. Elle est née en Autriche en 1914 dans une famille juive aisée et commence sa vie de comédienne adolescente. Elle tournera un film scandaleux (nudité et sexe) puis jouera Sissi au théâtre. Là, un homme très puissant la verra et tombera fou amoureux d’elle. C’est l’homme le plus riche d’Autriche, marchand d’armes d’extrême-droite, ami avec Mussolini, qui ensuite s’alliera à Hitler. Il a pris soin de la rendre catholique par leur mariage. Peu à peu, voyant qu’elle peut lui être utile car elle est très intelligente, il l’utilise pour sonder les invités politiques qu’il reçoit. Curieuse, elle lit tous les écrits sur les armes, assiste aux présentations de celles-ci, connaît leurs défauts.
Au péril de sa vie, elle va fuir cet homme terriblement possessif et jaloux ainsi que le régime nazi qui s’est immiscé en Autriche après l’annexion à l’Allemagne. C’est alors Hollywood, contrat avec la MGM, films, succès grâce à sa beauté et aussi à sa vie sulfureuse, nombreux mariages, aventures avec les plus grands. Ceci ne l’intéresse cependant pas. Culpabilisée d’avoir abandonné son pays, elle va mettre à profit tout ce qu’elle a appris avec son marchand d’armes, avec la complicité d’un musicien, Georges Antheil, qui a lui-même créé un programme pour faire jouer ensemble dix-huit pianos sans qu’on puisse décoder son système. Ensemble, ils vont inventer un système de communication cryptée pour les torpilles radio-guidées. Il s’agit d’un système d’étalement de spectre par saut de fréquence. Ils déposent un brevet libre de droits. Les imbéciles de la Navy ! Ils auraient pu épargner tant de vies s’ils l’avaient mis en œuvre.
J’ai axé mon article sur la prouesse inventive et particulièrement extraordinaire de Hedy Lamarr, qui fut d’ailleurs très vite oubliée comme le sont souvent les  femmes talentueuses. En réalité, ce livre romanesque place ce fait d’importance vers la fin du livre, détaillant plutôt toute la vie artistique, affective et sentimentale de la comédienne, qui ne manque pas de piquant. On révise de cette façon les grands événements de ces années de 1933 à 1942, la culture, la vie des nantis, la guerre de 40, les alliances entre puissances, les grandes peurs, la montée de l’antisémitisme. Puis on retrouve Hollywood tel qu’on l’imaginait, avant l’épisode Winstein et #metoo.
Un très bon « roman » pour l’été.

La Femme qui en savait trop de Marie Benedict (The only woman in the room, 2019), chez 10/18. 336 pages, 7,70 €

texte © dominique cozette

Un petit tour dans l’enfer de Hollywood ?

Chiche ! Surtout quand c’est Bukowski qui nous y emmène ! Munissez-vous d’un tire-bouchon car parfois ça manque dans ce bouquin où l’alcool coule plus qu’à flot ! Buko narre avec brio et réalisme la naissance de Barfly dont il a écrit le scénario, avec difficulté, il n’aime pas l’exercice. Mais comme il aime beaucoup son ami Barbet Schroeder (le livre lui est dédié), il s’est laissé convaincre surtout après le récit  de ses pérégrinations pour en boucler le budget préparatoire avant même de savoir si Buko serait d’accord pour l’écrire. Le scénar : Bukowski quand il était jeune et déjà poivrot.
Dans le livre, on trouve des personnes connues affublées de drôles de noms comme  Jon-Luc Modard, Jon Pinchot alias Barbet Schroeder, François Racine alias Dutronc, qui vit avec Schroeder dans un dangereux guetto, fait des paris avec sa mini-roulette portable et s’occupe de ses poules, des gallinacées, non pas de filles. On y reconnaît Mickey Rourke et Faye Dunuway, avec leurs petits ou gros caprices. Et on découvre la jeune femme de l’écrivain, Sarah, qui prend si bien soin de lui, qui sait boire et jardiner. Une perle.
On y voit surtout les dessous calamiteux d’un montage de film avec ses producteurs véreux, ses avocats sans cœur, ses ego ridicules. Le tournage qui s’arrête parce que la prod a fait faillite, remplacée par une autre qui finit pareil, on enchaîne, puis l’acteur qui ne veut pas tourner telle scène, ou un petit producteur raté qui prétend posséder les droits du personnage.
Buko, bonne pâte, répond toujours présent aux sollicitations de Schroeder mais comme il est accro aux courses de chevaux, il n’est pas toujours là pour contrôler le réalisme de certaines scènes qui le défriseront un peu. Mais n’en fait pas un drame. Il s’en fout, en fait.
C’est très amusant en même temps qu’édifiant et, comme dans certains films tabagiques où on a envie de tousser, on risque la gueule de bois à chaque page. C’est Buko, quoi.

Hollywood, de Charles Bukowski, 1989. Cahiers Rouges Grasset en 91. Traduit par Michel Lederer. 290 p. 9,80 €.

Texte © dominique cozette

Zéroville, passionnant.

Ça ne vient pas de sortir, personne ne m’en a parlé, je ne suis pas vraiment concernée par le sujet et pourtant, ce bouquin, Zéroville, m’a fascinée. De plus en plus. Il se passe dans les années 70 et le héros, Viktar, qui n’accepte aucun autre nom, ressemble à un freak avec son crâne rasé et entièrement tatoué alors que c’est la mode des cheveux longs. Le tatouage ? Elizabeth Taylor et Montgomery Clift à l’époque de Une place au soleil de George Stevens. Car Vik est un fondu de cinéma. Il connaît un nombre impressionnant de films, d’acteurs, de monteurs, de détails techniques, de répliques. C’est simple : sa vie tourne autour de ça et c’est pourquoi il débarque à Hollywood. Mais, dans le canyon où il crèche, la bande de Manson est activement recherchée pour les meurtres de Sharon Tate (la femme de Polanski, enceinte de 8 mois) et de ses amis. Malgré sa gueule inquiétante, il s’en sort et rencontre une superbe femme à la marge et une étonnante gamine de 3 ans, deux personnes qu’on retrouve au long du livre.
Pour son malheur, Vik se rend compte que le cinéma n’est plus un artisanat d’auteurs mais une industrie d’ignares. Ça ne l’empêche pas de suivre une idée fixe, déchiffrer une image qui le hante dans ses rêves après chaque projection.Ni de rencontrer d’authentiques acteurs au sens large des films qu’il vénère.
Des aventures, il va en vivre de drôles alors qu’il est plutôt autiste, s’enferme, refuse le téléphone. Néanmoins, on le retrouve au festival de Cannes pour sa prestation de monteur miraculeux sur un film qui n’avait plus de réal. Il déteste cette célébrité soudaine. Va-t-il s’en servir pour réaliser un fantasme impossible : porter à l’écran un livre français qu’il ne cesse de relire ? Pas forcément. Ses gains lui permettent d’acheter une maison pour stocker les copies 35 mm des films qu’il réussit à voler ou à négocier. Des centaines.
On le retrouve à Paris avec le patron de la cinémathèque car il recherche l’original du Jeanne d’Arc de Dreyer, qui a brûlé, mais qu’il trouve quand même dans un asile de fous en Suède.
L’action est plutôt une quête pour tenter de comprendre ce qui le hante, une quête mystérieuse et prenante, captivante. Et même si je ne connais pas tout des nombreuses références citées, j’y ai pris un plaisir rare.
A part ça, je ne suis pas sûre qu’un tel livre atypique, difficilement réductible à un pitch, peut plaire à tout le monde, je ne sais pas… Pour info, l’auteur du livre est, entre autres nombreuses activités, critique de cinéma.

Zéroville de Steve Erickson, 2007. Editions Actes Sud 2010. 366 Pages, 22,80 €/

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