Buk et la Beat

Le titre du libre est bizarrement Jean-François Duval et les Buk Beats, suivi d’un soir chez Buk. Pourquoi pas ne pas mettre son nom dans le titre. Il faut reconnaître à JFD l’énorme quantité de savoir qu’il possède et partage sur cette Amérique tant chérie par beaucoup d’entre nous qui aurions adoré connaître cette époque de folie, de permissivité sur les addictions de toutes sortes, alcool, drogues, sexe, vitesse, marginalité, liberté, quoi.  Les principaux héros traités, ou plutôt précisés, dans le livre sont Kerouac et son double, Cassady, et toute la bande, d’un côté, et de l’autre, Bukowski qui n’apprécie pas trop l’amalgame dont on l’affuble à propos de cette clique.
Le livre, une mine d’anecdotes, de dates, de verbatim, est une mise au point entre les intervenants qui ont fondé le concept de la Beat Generation. On y retrouve les poètes insolents que furent Ginsberg, Burroughs, Neal Cassady et leurs femmes, maîtresses, amants, dont beaucoup ont écrits des livres relatant leurs grandes aventures, peu traduites en français. On y voit la naissance du mouvement, les amitiés et amours multiples, les caractères tellement différents des uns et des autres, les dissensions et on s’aperçoit que  Bukowski (qui s’appelle en réalité Henry — d’où Hank — mais qui n’aimant pas son prénom, le change en Charles) ne fait résolument pas partie de la troupe, assez indépendant voire misanthrope, préférant se planquer. Ou provoquer vertement.
Il y a aussi des rencontres improbables et particulièrement ratées entre Buk et Godard, par deux fois, Godard qui inclura néanmoins le poète vinophile dans Sauve qui peut la vie, et aussi Jean-Paul Sartre.  On y découvre que Buk semble vaguement jaloux de la beauté ravageuse de Kerouac « La beauté, c’est un truc qui n’existe pas… Elle est l’effet d’un mirage de généralités »  confie-t-il à son ami Sean Penn. On y croise l’immense Crumb, ils ont réalisé trois recueils ensemble, qui dit de lui « Les deux fois où j’ai croisé Bukowski, il était joliment soûl. Je ne crois pas que c’était le meilleur type avec lequel socialiser. Il n’aimait pas tellement les gens de chair et d’os. Dire qu’il manquait de grâce sociale est un euphémisme. »
Il y est question, évidemment, du film que fit Barbet Schroeder d’après son scénar, et du livre Hollywood qu’il écrivit pour remettre les choses en place. Et de tellement d’autres choses.

Le livre est illustré de très nombreuses photos, notamment de personnages secondaires (le titre d’un livre écrit par Joyce Johnson, une compagne de Kerouac) et beaucoup de petit dessins simplistes du poète mais surtout, et pour finir en beauté, on est invité à assister à un soir chez Buk où s’est rendu JF Duval, et où Bukowski et sa femme, Linda, qui l’a accompagné jusqu’au bout, ont discutaillé de choses et d’autres, l’écrivain livrant malgré lui quelques faits d’armes ou petits secrets parfois retoqués par Linda, bien sûr en picolant. Où Buk dit qu’il n’écrit jamais sans boire (ah bon ?) mais qu’il a définitivement remplacé bière plus whisky par vin : ça dure plus longtemps, on peut écrire durant trois heures. Sa femme, Linda ne boit plus, par sagesse, elle était capable d’en absorber plus que son mari.
Et pour clore cet ouvrage dense, toute la production écrite, enregistrée et filmée des participants y est documentée, leur bio et leurs liens y sont résumés, ce qui fait une somme de docu dans laquelle plonger quand on a envie de revoir ses basiques.
Passionnant pour qui aime cette période mythique unique.

Jean-François Duval et les Buk Beats, suivi d’un soir chez Buk 2014 édition augmentée chez Michalon. 270 pages, 22 €.

Texte © dominique cozette

 

Un petit tour dans l’enfer de Hollywood ?

Chiche ! Surtout quand c’est Bukowski qui nous y emmène ! Munissez-vous d’un tire-bouchon car parfois ça manque dans ce bouquin où l’alcool coule plus qu’à flot ! Buko narre avec brio et réalisme la naissance de Barfly dont il a écrit le scénario, avec difficulté, il n’aime pas l’exercice. Mais comme il aime beaucoup son ami Barbet Schroeder (le livre lui est dédié), il s’est laissé convaincre surtout après le récit  de ses pérégrinations pour en boucler le budget préparatoire avant même de savoir si Buko serait d’accord pour l’écrire. Le scénar : Bukowski quand il était jeune et déjà poivrot.
Dans le livre, on trouve des personnes connues affublées de drôles de noms comme  Jon-Luc Modard, Jon Pinchot alias Barbet Schroeder, François Racine alias Dutronc, qui vit avec Schroeder dans un dangereux guetto, fait des paris avec sa mini-roulette portable et s’occupe de ses poules, des gallinacées, non pas de filles. On y reconnaît Mickey Rourke et Faye Dunuway, avec leurs petits ou gros caprices. Et on découvre la jeune femme de l’écrivain, Sarah, qui prend si bien soin de lui, qui sait boire et jardiner. Une perle.
On y voit surtout les dessous calamiteux d’un montage de film avec ses producteurs véreux, ses avocats sans cœur, ses ego ridicules. Le tournage qui s’arrête parce que la prod a fait faillite, remplacée par une autre qui finit pareil, on enchaîne, puis l’acteur qui ne veut pas tourner telle scène, ou un petit producteur raté qui prétend posséder les droits du personnage.
Buko, bonne pâte, répond toujours présent aux sollicitations de Schroeder mais comme il est accro aux courses de chevaux, il n’est pas toujours là pour contrôler le réalisme de certaines scènes qui le défriseront un peu. Mais n’en fait pas un drame. Il s’en fout, en fait.
C’est très amusant en même temps qu’édifiant et, comme dans certains films tabagiques où on a envie de tousser, on risque la gueule de bois à chaque page. C’est Buko, quoi.

Hollywood, de Charles Bukowski, 1989. Cahiers Rouges Grasset en 91. Traduit par Michel Lederer. 290 p. 9,80 €.

Texte © dominique cozette

Le vieux dégueu est de retour !

Il ne s’agit ni du vieux pervers de Reiser, ni de Gainsbarre, ni de Depardieu, ni de Michel Simon et encore moins de Bérurier. Je parle du grand poète pourri, Buko (1920-1994), le vraiment dégueulasse qui ne pense qu’à ça, les femmes, la clope, l’alcool. Accro aux belles jambes avec bas et porte-jaretelles, Budweiser, whisky et bon vins français, il nous déroule ses chroniques, histoires de losers pervers,obsédés, bourrés, crados et parfois violents, nous expose ses idées sur la vie qui sont aussi pertinentes qu’impertinentes, ses inextricables démêlées avec ses femmes et bien d’autres. Et des histoires vécues dont il dit que tout est inventé, lorsqu’il s’est fait jeter, bourré, d’Apostrophes (je l’ai vu en direct !), qu’il a passé quelques temps à Paris avec le réalisateur Barbet Schrœder, et un ami escroc, que ces deux-là l’ont retrouvé à Venice, Californie, pour des aventures aussi clinquantes que sordides.
Il joue aux courses pour acheter sa bibine, roule d’un motel à l’autre, drague à tout va et puis écrit, écrit. C’est pas triste !
Le Journal d’un vieux dégueulasse avait été publié en 69, ce qui l’avait lancé dans le milieu de l’underground et lui a fait rencontrer les personnages aussi importants que lui de la beat. Ce n’était qu’une quarantaine de chroniques, les autres figuraient dans les contes de la folie ordinaire et autres recueils. Ce nouveau livre, le retour du vieux dégueulasse réunit en un volume les chroniques tombées dans l’oubli. C’est édifiant, drôle, dur, alerte et naturaliste. On ne s’ennuie pas avec Buko et même si c’est pas mon type d’homme, j’aurais pas dédaigné m’envoyer quelques gorgeons avec lui !
Une postface bien drue nous remet les choses dans le contexte avec une bonne documentation.

Charles Bukowski, le retour du vieux dégueulasse aux éditions Grasset, 2001 pour la VO, 2014 pour la version française. Traduction : Alexandre et Gérard Guégan. 350 pages, 20,90 €

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