Effet positif du virus : Gene est revenu !

C’est une photo agrandie 157 fois, au moins. La pelloche qui ne provient pas d’un rouleau 24×36 semble issue d’un vieux Kodak à soufflet mais je ne peux pas croire une seconde que je me suis pointée à l’Olympia en 63, au fameux Milk Shake Show avec cette antiquité et que j’ai photographié Gene Vincent avec ça.
Je profite du confinement pour trier un carton plein de négatifs non identifiés, ça marche — mal mais ça marche — sur mon vieux scan, après tu agrandis, tu fais pomme i pour avoir le positif, tu vas à donf sur le contraste et les courbes de corrections et, miracle ou pas, une image se fait péniblement jour. Et ce petit truc grisâtre d’un cm sur ma plaque négative blanche devient le grand Gene, enfin, si on veut car à ce show, il était sacrément chargé !
Ce show, ode au lait, était gratuit pour les yéyés qui avaient collectionné assez de capsules de bouteilles de lait. J’avais. Et j’étais dans les tout premiers rangs. Il y avait nombre de groupes choupinets comme les Pirates avec le mignon Dany Logan qui chantait « je bois du lait ». Qui d’autre ? Je ne sais plus. Sauf, bien sûr, the big one, le créateur de Be Bop A Lula, Eugene Vincent Craddock (oui, c’est son vrai nom), rescapé d’un terrible accident de voiture où est mort le non moins pionnier du rock et meilleur ami, Eddie Cochran, et dont lui, Gene, gardera les profonds stigmates sur une jambe. Une jambe raide, donc, sous son fute de cuir dont il a piqué l’idée à Vince Taylor qui était dans la voiture de derrière…
La salle est électrique, le rideau de l’entracte tarde à se lever, le suspense est à son comble quand soudain, le velours rouge frémit. Les New Blue Caps, ses musiciens, sont sur scène, waouh !!! et entament avec force énergie Say Mama. L’idole du rock se pointe en titubant vaguement, en boitant forcément, le cheveux gramouillé comme ça se faisait, le cuir noir luisant, la face blanchâtre. Il s’accroche au pied de micro comme un coronavirus au pékin moyen, inspire, ouvre la bouche et lance :
« Hey mama, don’t you treat me wrong
Come and love your daddy all night long
All right now, hey hey, all right »
qui est, comme chacun sait, l’immense succès de Ray Charles. Ce n’est pas Say Mama, composé par Gene himself et qui dit :
« Say Mama can I go out tonight?
Say Mama would it be all right?
They got a record party down the street
Say Mama cant you hear that beat
Whoaaaaaa »
et dont la grille harmonique est violemment différente.
D’où une sacrée cacophonie.
D’où gêne non pas de Gene mais des musiciens qui ne comprennent pas ce que le retour leur renvoie.
D’où un jeune homme de bonne famille, petit neveu de Bruno Coquatrix, monté de Melun pour voir le monstre, vêtu d’un costume cravate acheté sur les Grands Boulevards et chaussé de … hum, je m’égare. Un jeune homme qui vient tendrement arracher le rocker complètement stone du pied de micro et l’embarque dans la coulisse. Roulement de batterie, accord en 7ème 9ème plus diminuée et shuntée.
Rideau.

Une voix nous demande de rester assis, nous présente des excuses, nous informe que Gene étant fatigué, il doit se rétablir backstage, nous invite à aller dans le hall où nous seront offerts des milk-shakes dans des petites bouteilles avec paille en papier avant que le concert reprenne dans un court instant.
Il reprend une éternité après. Say Mama, Crazy legs, Blue jean bop, Lotta lovin etc… et finit en apothéose avec Be Bop a Lula.
j’ai fait mes quatre photos foireuses pendant ce tour de chant, celle que je vous présente est la seule regardable mais je suis bien contente de l’avoir sortie de son oubli grâce à la trêve covidienne qui s’annonce.
Et j’en profite pour vous glisser celle où je pose, à la sortie, avec ses fameux Blue Caps, des gens charmants, sur le boulevard des Capucines. Bénéficiant d’une pure lumière extérieur/jour, elle est plutôt réussie.
Très aimé du public français, Gégène est mort en 71 à seulement 36 ans. J’ai encore mes albums et 45 tours qui moisissent dans un grenier.
Texte et photos © dominique cozette

 

Beaucoup de vies pour Vince

C’est pas que le bouquin de Fabrice Gaignault vies et mort de Vince Taylor soit de la pure littérature, c’est que le sujet méritait d’être fouillé pour le plus grand plaisir des vieux amateurs/trices de pur rock’n roll. L’auteur n’a pas l’âge d’avoir idolâtré l’archange du rock, trop jeune, d’ailleurs c’est pour ça qu’il se trompe parfois sur le nom des groupes yéyés. Mais peu importe, il retrace l’histoire improbable, pour une fois le mot convient, de ce beau garçon né d’un mineur anglais qui rêvait d’une seule chose : devenir pilote. Il se plante. Alors oui, il a fait du rock car il adorait Elvis, et puis faire ça ou autre chose. Il monte divers groupes, participe même à la dernière tournée en Grande Bretagne d’Eddie Cochran qui s’est crashé dans la voiture devant la sienne, où Gene Vincent a niqué sa jambe.
Comme il ne perçait pas, ni aux Etats-Unis ni en Angleterre, il a eu idée d’aller se produire en France où le rock était confié à des amateurs, Johnny entre autres. Mais c’était trop tôt pour ça. Eddie Barclay, qui lui fait enchaîner disques sur disques, le lâche car pas rentable. Et la presse s’enflamme car on casse tout sur son passage même si ce n’est pas lui qui en est la cause : délit de faciès, on dirait. N’empêche qu’en deux ans, et avec une seule compo de bonne mémoire, brand new Cadillac, il est devenu maudit donc culte.

Hélas, il s’est grillé les neurones avec une dope trop destructrice pour lui, résultat, HP et plusieurs électrochocs. Ça n’arrange rien. Toute sa vie sera une suite de retours flamboyants puis d’échecs, de naufrages dans les caniveaux de la musique et de la rue, de manigances ou de sincères envies de le faire ressusciter. Ça marchera rarement, de moins en moins. Au fil des temps, de ses tentations alcoolisées, de ses rédemptions, de ses visions qui lui font croire qu’il est le Christ ou Mathieu, il finit de brûler ce qui lui reste de ses ailes d’archange.
Mais à côté de cette calamiteuse malchance, il sera entré par la grande porte dans la légende du rock, le vrai, le fondateur, bougeant mieux qu’Elvis, déménageant sur scène comme un animal en rut, impressionnant, inoubliable pour ceux qui l’ont vu et suivi. C’est de lui que s’est inspiré Bowie pour créer son Ziggy Stardust, lui-même le chante. C’est lui qu’ont copié la kyrielle de rockers frenchy sans jamais y parvenir.

En plus d’être une vraie bête de scène, c’était aussi un accro aux femmes. Il les fascinait, a partagé la vie de Sophie Daumier, a eu des aventures avec BB, parmi les plus connues, et souvent, quand il était à terre, avec de simples nanas de banlieue. Elles l’amenaient chez leurs parents avec qui il était toujours délicat. Jusqu’à la prochaine tournée improvisée qui le parachutait ailleurs, longtemps à Mâcon où, amaigri, déjanté, il faisait plutôt pitié qu’autre chose, d’ailleurs, personne ne pouvait croire qu’il était Vince Taylor. Il perdait ses dents, psalmodiait, haranguait les gens avec des histoires métaphysiques ou absconses, bref, il était complètement à l’ouest.
Puis, à la fin d’un pauvre spectacle, il rencontra une Suissesse complètement toquée de lui. Elle l’embarqua au bord du Léman, il l’épousa, ça ne se passa pas toujours bien (il paraît qu’il frappait les femmes quand ça buggait dans son crâne). Puis, rongé par un cancer des os, il mourut à 52 ans.

Mais c’est pas fini. Bien après l’enterrement, sa veuve demanda à un Belge collectionneur de Vince, de l’aider à acheter un monument funéraire à sa gloire. Ce qui fut fait. Plus tard, l’auteur du livre, le Belge et d’autres, venus lui rendre un dernier hommage, découvrirent que le monument avait disparu, qu’il n’y avait même plus le nom du chanteur (son vrai nom Brian Maurice Holden 1939-1991, alias Vince Taylor) nulle part dans le cimetière. Interrogée, sa veuve n’a rien voulu dire, n’a plus voulu en entendre parler. Triste fin de vie, disparu des vivants et des morts.
J’ai été farfouiller sur le net pour en savoir plus car j’ai beaucoup aimé Vince à l’époque, j’avais même acheté deux ou trois quarante-cinq tours. Et j’ai trouvé un fil de discussions entre fans, des gens de Mâcon et de Paris chez qui il a vécu, un ex bassiste qui a tourné avec lui, et tous disent que c’était un être adorable, qu’il n’a juste pas eu de chance. Tous gardent un souvenir ému de ce rocker maudit aux allures fanées d’un Chet Baket ou d’Antonin Artaud.

Vies et mort de Vince Taylor par Fabrice Gaignault. Editions Fayard 2014. 228 pages, 18 euros.
(photo 2 avec Gene Vincent. Photo 3 avec Sophie Daumier)
Un docu de la BBC qui lui rend hommage car il a quand même marqué les esprits outre-manche : Ici
Une vidéo où Michel Vessot, son ami de Mâcon raconte sa vie là-bas et la vieille dame comment il faisait la vaisselle ! Ici

Texte © dominique cozette

Comment meurent nos idoles

Myself with the New Blue Caps, les musiciens de Gene Vincent (Olympia 63)

D’une façon assez rock pour certaines, trash pour d’autres ou juste connes. L’avion n’est pas si dangereux qu’on croit, l’auto non plus. Mais gaffes aux drugs at aux killers. Et electro-cardiogrammes en bon état, please, sinon, poum.

– Assassinées : Sam Cooke par le gérant d’un motel, King Curtis poignardé devant chez lui, John Lennon assassiné aussi devant son flat, guerre  de gansgta rap pour Notorious BIG et Tupac Shakur. Assassinés aussi : Don Myrick (Earth, W & F), Cornell Gunther (Coasters),Al Jackson (Booker T)

– Victimes d’excès : OD pour Tim Buckley, Jerry Garcia et Brent Mydland (Grateful Dead), idem Jimy Hendricks, Janis Joplin, Jim Morrison, Sid Vicious, Tommy Bolin (Deep Purple), Pete Farndone et Jim Honeyman Scott (Pretenders),  Gram Parsons (Byrds), David Ruffin (Temptations), Hillel Slovak (Red Hot), Grey Herbert (Blood S &T), abus de médocs pour Elvis et son gendre Michael Jackson, excès en tout genre pour Gene Vincent et Keith Moon des Who (qui a roulé sur son ami et garde du corps un jour), estouffade de vomi pour John Bonham (Led Zep), alcool pour Ron Scott (AC/DC) et Ron Pigpen Mc Kernan (Grateful dead). Liste non exhaustive.

– Suicide : Curt Cobain (jusqu’à preuve du contraire), Ian Curtis (Joey Division), Michael Hutchence (INXS), Richard Manual (The band), Del Shannon, Paul Williams (Temptations), Al Wilson (Canned Heat)

– Crash aérien : Buddy Holy, Richie Valens et JP Richardson dans le même avion, Otis Redding dans un autre, Ricky Nelson

– Accident de voiture : Pan dans un arbre pour Marc Bolan, sur la route de l’aéroport pour Eddie Cochran, Keith Godchaux (Grateful Dead), Clarence White (Byrds).

– Problèmes de santé  dont accident cardiaque pour Chas Chandley (Animals),  Gene Clark (Byrds), Bobby Darin, Tom Foggerty (Creedence), Billy Fury, Jerry Garcia (Grateful Dead), Bob Hite (Canned Heat), Roy Orbison, Joe Tex. Anorexie pour Karen Carpenter (Carpenters), sida pour Freddy Mercury, hémorragie cérébrale pour Nico , cancer pour Bob Marley et George Harrison.

– Accidents divers : Chet Baker s’est défenestré, Sonny Bono a croisé un arbre violent en skiant, Jeff Buckley a coulé dans le Mississipi, Mama Cass a avalé son sandwich jambon de travers, Brian Jones s’est endormi dans sa piscine, Kirsty Mac Koll s’est crashé en jet-ski, Dennis Wilson des Beach Boys s’est noyé ainsi que Johnny Burnett. Accident d’arme à feu pour Terry Kath (Chicago). Keith Relf (Yardbirds) et John Rostill (Shadows) se sont électrocutés, Steve Mariott (Small Faces) a été victime du feu, Wells Kelly (Meat Loaf) est mort étouffé et Pete de Freitas (Echo and the Bunnymen) est mort sur sa moto.

– Morts de vieillesse : Tout ceux qui sont encore debout.

texte © dominiquecozette. Photo DR.

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