Beaucoup de vies pour Vince

C’est pas que le bouquin de Fabrice Gaignault vies et mort de Vince Taylor soit de la pure littérature, c’est que le sujet méritait d’être fouillé pour le plus grand plaisir des vieux amateurs/trices de pur rock’n roll. L’auteur n’a pas l’âge d’avoir idolâtré l’archange du rock, trop jeune, d’ailleurs c’est pour ça qu’il se trompe parfois sur le nom des groupes yéyés. Mais peu importe, il retrace l’histoire improbable, pour une fois le mot convient, de ce beau garçon né d’un mineur anglais qui rêvait d’une seule chose : devenir pilote. Il se plante. Alors oui, il a fait du rock car il adorait Elvis, et puis faire ça ou autre chose. Il monte divers groupes, participe même à la dernière tournée en Grande Bretagne d’Eddie Cochran qui s’est crashé dans la voiture devant la sienne, où Gene Vincent a niqué sa jambe.
Comme il ne perçait pas, ni aux Etats-Unis ni en Angleterre, il a eu idée d’aller se produire en France où le rock était confié à des amateurs, Johnny entre autres. Mais c’était trop tôt pour ça. Eddie Barclay, qui lui fait enchaîner disques sur disques, le lâche car pas rentable. Et la presse s’enflamme car on casse tout sur son passage même si ce n’est pas lui qui en est la cause : délit de faciès, on dirait. N’empêche qu’en deux ans, et avec une seule compo de bonne mémoire, brand new Cadillac, il est devenu maudit donc culte.

Hélas, il s’est grillé les neurones avec une dope trop destructrice pour lui, résultat, HP et plusieurs électrochocs. Ça n’arrange rien. Toute sa vie sera une suite de retours flamboyants puis d’échecs, de naufrages dans les caniveaux de la musique et de la rue, de manigances ou de sincères envies de le faire ressusciter. Ça marchera rarement, de moins en moins. Au fil des temps, de ses tentations alcoolisées, de ses rédemptions, de ses visions qui lui font croire qu’il est le Christ ou Mathieu, il finit de brûler ce qui lui reste de ses ailes d’archange.
Mais à côté de cette calamiteuse malchance, il sera entré par la grande porte dans la légende du rock, le vrai, le fondateur, bougeant mieux qu’Elvis, déménageant sur scène comme un animal en rut, impressionnant, inoubliable pour ceux qui l’ont vu et suivi. C’est de lui que s’est inspiré Bowie pour créer son Ziggy Stardust, lui-même le chante. C’est lui qu’ont copié la kyrielle de rockers frenchy sans jamais y parvenir.

En plus d’être une vraie bête de scène, c’était aussi un accro aux femmes. Il les fascinait, a partagé la vie de Sophie Daumier, a eu des aventures avec BB, parmi les plus connues, et souvent, quand il était à terre, avec de simples nanas de banlieue. Elles l’amenaient chez leurs parents avec qui il était toujours délicat. Jusqu’à la prochaine tournée improvisée qui le parachutait ailleurs, longtemps à Mâcon où, amaigri, déjanté, il faisait plutôt pitié qu’autre chose, d’ailleurs, personne ne pouvait croire qu’il était Vince Taylor. Il perdait ses dents, psalmodiait, haranguait les gens avec des histoires métaphysiques ou absconses, bref, il était complètement à l’ouest.
Puis, à la fin d’un pauvre spectacle, il rencontra une Suissesse complètement toquée de lui. Elle l’embarqua au bord du Léman, il l’épousa, ça ne se passa pas toujours bien (il paraît qu’il frappait les femmes quand ça buggait dans son crâne). Puis, rongé par un cancer des os, il mourut à 52 ans.

Mais c’est pas fini. Bien après l’enterrement, sa veuve demanda à un Belge collectionneur de Vince, de l’aider à acheter un monument funéraire à sa gloire. Ce qui fut fait. Plus tard, l’auteur du livre, le Belge et d’autres, venus lui rendre un dernier hommage, découvrirent que le monument avait disparu, qu’il n’y avait même plus le nom du chanteur (son vrai nom Brian Maurice Holden 1939-1991, alias Vince Taylor) nulle part dans le cimetière. Interrogée, sa veuve n’a rien voulu dire, n’a plus voulu en entendre parler. Triste fin de vie, disparu des vivants et des morts.
J’ai été farfouiller sur le net pour en savoir plus car j’ai beaucoup aimé Vince à l’époque, j’avais même acheté deux ou trois quarante-cinq tours. Et j’ai trouvé un fil de discussions entre fans, des gens de Mâcon et de Paris chez qui il a vécu, un ex bassiste qui a tourné avec lui, et tous disent que c’était un être adorable, qu’il n’a juste pas eu de chance. Tous gardent un souvenir ému de ce rocker maudit aux allures fanées d’un Chet Baket ou d’Antonin Artaud.

Vies et mort de Vince Taylor par Fabrice Gaignault. Editions Fayard 2014. 228 pages, 18 euros.
(photo 2 avec Gene Vincent. Photo 3 avec Sophie Daumier)
Un docu de la BBC qui lui rend hommage car il a quand même marqué les esprits outre-manche : Ici
Une vidéo où Michel Vessot, son ami de Mâcon raconte sa vie là-bas et la vieille dame comment il faisait la vaisselle ! Ici

Texte © dominique cozette

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