Ce matin, pour aller faire mes courses, je traversais la place des Vosges. Sous les arcades, j’avise une femme de belle allure, svelte, vêtue d’une redingote cintrée et de leggins noirs, de grosses chaussures de sport, les chevilles nues grâce aux mini-soquettes. Elle a une belle chevelure très brune mi-longue tout en dreadlocks bien ordonnées autour d’un joli visage. Je sortais du soleil et, dans l’ombre des arcades, je n’avais pas remarqué un accessoire important près d’elle : une sorte de charrette faite d’un assemblage de trottinettes où étaient joliment amoncelés des pièces d’habillement de couleurs vives, plusieurs gourdes de métal et autres objets mal définis.
dans un élan d’empathie, je mets la main à mon sac et lui dis que je peux l’aider. Je comptais lui donner un billet.
– M’aider ?
– Oui, vous donner quelque chose car je donne plutôt aux femmes …
– (elle sourit) : Ah non, ce n’est pas la peine. Je n’ai besoin de rien.
Et là, je vois le désastre buccal : elle n’a plus que quelques dents espacées sur les mâchoires et c’est tellement dommage de voir les dégâts sur son beau physique. Je lui demande ce qui lui est arrivé, comment s »est-elle retrouvée dehors.
Elle me réponds, d’une jolie voix claire, avec les mots de quelqu’un de bonne culture, qu’elle vient de Bruxelles, qu’elle est médecin et qu’elle a décidé de s’intéresser aux personnes précaires.
– C’est courageux ! Et vous faites quoi ?
– Je regarde comment elles sont traitées. Les voitures qui n’y font pas attention, les gens aussi. Je suis avec elles, quoi.
– Mais vous faites quoi ? Vous écrivez ?
– Oui, j’ai des blogs.
– Ah, ça m’intéresse, je peux les consulter ?
– Vous savez, les blogs, ça tombe. Je suis médecin. Et si vous voulez savoir ce que j’écris, vous n’avez qu’à lire les articles de Michel Cymes. J’écris quelque chose et le lendemain, c’est Michel Cymes qui les met dans son journal.
– Vous voulez dire qu’il vous pille ?
– Oui, c’est ça, il me pille.
S’ensuivirent quelques propos dont je ne saisis pas bien le sens. Je lui ai ai souhaité une bonne journée tandis qu’elle choisissait quel foulard appliquer sur son visage.
Lorsque je suis revenue plus tard, elle avait tombé la redingote et portait un petit haut bien échancré qui mettait en valeur sa jolie silhouette…
Plus loin, un homme masqué s’efface pour me laisser entrer dans un passage. Je le remercie joyeusement et il me dit :
– C’est bizarre, quand même, ces façons de s’éviter, maintenant.
– Oui, drôle de mode, d’autant plus que je ne porte pas de masque puisqu’il n’y en a pas ! Je fais très attention !
Attendez, dit-il en ouvrant sa grande sacoche. J’y aperçois une grosse liasse de masques bleutés. Je commence par refuser, alors il me dit : je suis infirmier, ne vous inquiétez pas, ils sont propres et j’en ai beaucoup.
Merci l’infirmier. Me voici à la tête d’un deuxième masque à usage unique. Je n’oserai pas m’en servir…