Il faut faire confiance à la justice ah ah.

Un coup de gueule, ça faisait longtemps. Mais là, ça déborde. Oh c’est juste un tweet* scrollé par hasard, qui parle d’un père, un père magistrat, excusez du peu, pas un sans dents, un cassos, un Insoumis (ha ha), non, le vice-président du tribunal judiciare de Dijon, un type très honorable dans sa belle province — qui propose forcément à ses commensaux de se servir généreusement de moutarde — époux d’une magistrate avec qui il fréquente depuis des années des sites échangistes (chacun fait ce qu’il veut entre adultes consentants, ce n’est pas le propos) sur lesquels il a commis l’acte infâme. Qui concerne sa fille. Et figurez-vous que c’est un client du site échangiste, choqué vraisemblablement par la  proposition, qui l’a dénoncé ce chouette papa.

Bien sûr, il y a des dénonciations qui peuvent mettre mal à l’aise, pas toutes, je suis pour #metoo, mais laisser faire sans rien dire, je ne trouve pas que ce soit plus moral, en tout cas, fermer les yeux n’a jamais été efficace. A voir le nombre de personnes condamnées par rapport aux personnes agressées, violées ou tuées, aux enfants surtout qui n’ont pas les mots. A voir le chemin de croix dans lequel s’engagent les plaignant.e.s lorsqu’elles cherchent de l’aide, notamment celle de la police ou de la justice, à savoir que ces personnes sont souvent soupçonnées d’être (un peu ?) responsables de ce qui leur arrive, à avoir vu pleurer des hommes solides comme des rugbymen évoquant les violences d’entraîneurs ou de curés sur leur jeune corps…

à constater comment le silence fait la part belle à la culture du viol et de l’inceste. Le silence est la principale cause de la perdurance de ces crimes.

à entendre les voix adverses, principalement issues du patriarcat, ou de partis radicaux, ou du monde des puissants ou juste de petits phallocrates pas forcément violents qui ne savent peut-être même pas pourquoi on les ennuie avec ça,

à ne pas en croire mes oreilles lorsque Elisabeth Badinter elle-même s’est mise dans le camp des bien-pensants qui s’indignent qu’on se mêle des affaires privées et que, bon sang, les victimes n’ont qu’à « prendre leurs responsabilités », c’est à dire ne pas attendre que la prescription soit effective pour porter plainte. Merde (non elle n’a pas dit merde mais l’a pensé) « mais quand même, dix ans, ce n’est pas si mal ».

se dire que des gens d’importance dans la lutte contre les violences en sont encore à ignorer — alors que c’est dit, su, avéré, raconté, filmé — à ignorer donc le refoulement des événements traumatiques durant souvent plus de dix ans. Qui surgissent brusquement dans la vie brisée des victimes, leur permettant de comprendre pourquoi elles ont été aussi mal toute leur vie,

et de continuer à entendre cette phrase « il faut faire confiance à la justice », seule façon autorisée par ces honnêtes moralisateurs de régler le problème. C’est cela :  faire confiance à la machine judiciaire tellement dégradée qu’il faut attendre des mois, voire des années son jugement. Et encore à condition que l’accusé présumé innocent ne fasse pas appel, ce qui décale d’autant l’éventuelle condamnation, remet tout en cause, laisse le crime impuni pour encore combien de temps…

et puis savoir que si tu es plaignant.e, si le présumé innocent (quand je pense que PPDA, après 90 récits de viols à ce jour est malgré tout présumé innocent) a les moyens de démolir ta vie avec ses trois avocats stars, de mettre en pièce ton intimité comme ton corps l’a été, de faire douter la partie adverse sur ta moralité,

c’est la colère alors, la rage, l’indignation.

Tout ça parce que j’ai eu connaissance d’un fait qui montre bien comment marche « la justice de notre pays de droit » comme ils disent, à qui il faut faire confiance. Même si l’accusé est immonde. Voici le fait :

Un magistrat de Dijon, il s’appelle Olivier Bailly, offrait sa fille de 12 ans à qui voulait bien sur des sites coquins. En 2019 et 2020. En première instance, en mars 22 (donc deux ans après la dénonciation) il avait pris deux ans de prison, dont un ferme. Je le redis : pour avoir proposé à des hommes  d’avoir des relations sexuelles avec sa fille de 12 ans. Pas cher payé. Et  fin septembre, ce magistrat bon père de famille voit sa peine allégée par la cour d’appel de Besançon. Il ne fera finalement que du sursis.

Il y a très peu d’article, la presse n’en parle pas beaucoup. Vérifiez sur le net, vous verrez. Donc, mis en examen en 2020. Puis appel et hop, allègement  de la peine. Des juges très cléments pour leur pote car l’art. 227-2 du Code pénal prévoit que « Le fait de favoriser ou de tenter de favoriser la corruption d’un mineur est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »

Je relis l’article du Monde, car ce n’est pas tout : il a proposé sa fille de 12 ans sur des sites libertins pendant neuf mois. Pas une petite fois comme ça, en passant, pour être chouette avec un pote désireux de bouffer de la chair fraîche et à l’origine garantie. Oui mais c’était mon enfant, je suis son père, elle m’appartient, j’en fais ce que je veux, ça ne regarde personne. Mais il ne proposait pas que des rapports sexuels. Tant qu’à faire dans le trash, dans le monstrueux, on va pas se contenter de caresser son minou, ah non, il y a des truc plus marrants à faire, l’agresser par exemple, lui faire du mal comme vous voulez, comme vous le sentez, c’est vous le mec bon dieu ! Si vous trouvez que j’exagère, lisez ses verbatims ci-dessous qui sont à gerber, mais comment peut-on demander à des mecs de faire ça non seulement à son enfant, mais à n’importe quel enfant, à n’importe quelle personne. C’est tellement immonde.

Quelques verbatims :

«Tu vas la forcer» répétait le magistrat à ses interlocuteurs. Il leur suggérait qu’elle soit «humiliée», qu’ils urinent sur elle, qu’ils s’y prennent à «plusieurs», voire qu’ils la mettent dans un «réseau de pédo».* Dans ce dossier, Médiapart précise qu’aucun interlocuteur d’Olivier Bailly n’a été inquiété. Aucun de ces hommes ne sera mis en cause durant la procédure. «Une occasion manquée», regrette l’avocate de l’association Agir contre la prostitution des enfants. Il est vrai qu’il n’y a pas eu, heureusement, de passage à l’acte. Ça n’excuse rien.

Et sinon, heu… Ah si. Ce brave homme, bon époux, magistrat important, people respecté dans sa ville, a deux autres enfants, par contre, il n’a plus le droit d’exercer (ça c’était avant l’appel). Il ne doit plus approcher de mineurs pendant dix ans. Mais il habite toujours sa maison avec ses enfants !!! Oui, bon on ne va tout de même pas priver ce notable de son petit confort de vie. Et c’est-y pas drôle ça, qu’il ne soit même pas déchu de son autorité parentale ?

Sinon, comment vit la jeune fille ?  Oh, elle n’a pas à se plaindre, elle aurait dû recevoir 5000 balles de dommages et intérêts, en première instance, notez, mais peut-être qu’après l’appel, cette somme a été négociée à la baisse ou purement et simplement annulée. Et les deux autres enfants, et sa femme, et son entourage ? Il va encore acheter son journal sans se cacher ? On lui donne toujours du mon cher confrère s’il va jouer au golf ? Je m’interroge.

Ah j’oubliais son avocate, une femme donc, Pauline Neveu (est-elle maman ?) qui avait alors, en mars, plaidé sa relaxe. Vous me direz, c’est son boulot.

Alors oui, assaillants divers, harceleurs, violeurs, qu’avez vous à craindre de la justice de notre pays de droit, dont certains justiciables d’ailleurs se trouvent parmi les hautes instances de notre pays. Hé bien continuons à lui faire confiance.

* Tweet de Karl Zéro, Obs du 17/09/21.

Texte © dominique cozette

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