Mais que fait ce blouson sur le dos de ces deux filles qui ne se connaissent pas ? N’est-ce pas le blouson que Françoise Hardy arborait sur une célèbre couverture de Mademoiselle Age Tendre, MAT pour les connaisseuses, probablement photographiée par Jean-Marie Périer, alors compagnon de la chanteuse, ou pas car devenue celle de Dutronc mais restée une des meilleures amies du photographe ? On devait être en 65 ou 66, j’étais à la fac de droit, choix de mon paternel — qui peut imaginer une seconde que la fille que j’étais ait eu l’idée sotte et grenue d’entrer dans ce mouroir à créativité qu’était ce bâtiment d’une laideur absolue sis rue d’Assas ? — Là, étudiaient les jeunes minets costumés et cravatés, jetant les juteuses bases d’une carrière prometteuse, dans la politique ou les affaires, quelques futurs maîtres du barreau aussi, ainsi que des jeunes filles bien mises aux cheveux denses retenus par de fiers serre-tête en velours, fouillant de l’œil discrètement maquillé le grand amphi bourré jusqu’à l’estrade les jours où officiait l’icône de l’époque, Maître Maurice Duverger, dans l’espoir d’y repérer celui qui leur ferait plus tard de beaux enfants blonds comme sur les photos de Jours de France et les emmènerait à la Baule ou au Croisic manger des crêpes complètes. Je vous rassure, je n’y ai connu personne et le fait que je suis venue dans cette maudite fac en blouson clouté et jeans n’a rien changé.
Bon. Donc le blouson.
J’étais encore, malgré ma maturité de bachelière, assez souvent fourrée à MAT, j’aimais ces filles pétillantes, cette ambiance open-spacy rigolote de rédaction où s’accumulaient, fringues, pompes, books de mannequins, où passaient les photographes, où j’aidais parfois à trier des courriers, où je me projetais aussi comme potentielle future journaliste, où arrivaient plis et paquets livrés par un très jeune mec, Yves je crois, un titi parigot souriant, moustache naissante et gouaille d’un Jean-Pierre Léaud fin d’ado, le coursier de Salut les Copains et MAT. Un type adorable. Et c’était son perfecto. Il avait inscrit dessus Françoise Hardy, l’avait customisé, il était unique et avait tapé dans l’œil de je ne sais qui, qui eut l’idée d’une photo avec Françoise dedans. Oui, Yves avait bien entendu : Françoise porterait son blouson. La photo fut faite.
Et comme j’adorais les blousons noirs et les vêtements de cuir, je lui demandais s’il pouvait me le prêter aussi, à moi, pauvre inconnue sans aucune garantie de ne pas me voir disparaître avec. Et vous savez quoi ? Il me l’a prêté quelques jours, le temps de frimer à Assas, sauf que ça ne faisait pas de moi le genre de nana sur lesquels ces minets fantasmaient, et de demander à ma sister de me faire quelques photos avec. Je lui en fis aussi, d’ailleurs. Vous remarquerez que l’une fume et l’autre pas et c’est drôle de penser que nos principales chanteuses de l’époque yéyé étaient tellement sages. Aucune des icônes, Sylvie, Françoise, Sheila, France Gall plus tard, ne fumait, ne faisait de frasques, ne provoquait de mini-scandales mondains ou ne se dopait comme les petites Anglaises d’en face, comme le fera plus tard Jane, drogue exclue. Juste, elles portaient parfois un blouson noir.
Je n’ai pas pu résister à l’envie de le faire figurer sur la couverture de mon livre, recto-verso avec ça. Regardez bien, c’est écrit FIN, au dos, clouté à la main. La fin de quoi ? Sûrement pas la fin des haricots !
Texte © dominique cozette.