Oui, oui, oui ! pour Nein,nein,nein !

Complètement déjanté comme s’il écrivait sous acide avec un cerveau d’une souplesse tortueuse incroyable m’apparaît Jerry Stahl que je découvre à l’occasion de Nein, nein nein, sous-titré la dépression, les tourments de l’âme et la Shoah en autocar. Il ne se drogue plus car son foie est cartonné, fichu, bon à jeter vu qu’il a chopé l’hépatique C au bout d’une piquouze de saleté de shoot, il ne boit plus et suit une hygiène alimentaire exemplaire pour ne pas mourir. Donc végétarien. Il a écrit des livres, des films, a été marié plusieurs fois, et souffre de dépression chronique. C’est pour cette dernière raison qu’il décide de se rendre dans un voyage organisé autour des camps de concentration autrichiens et allemands en autocar. Drôle d’idée pour un asocial comme lui, mais après tout, il est juif (ils sont deux seulement dans le car ) et veut voir de près la tragédie de son peuple élu (ironique, ici).
Pour que vous ayez une idée du style de l’auteur, voici un extrait : Comme chez nombre de femmes quadra ou quinquagénaires que j’ai vues en Pologne, je constate chez les sœurs une ressemblance inquiétante avec Charles Bronson. (Etrangement, j’ai croisé pas mal de jeunes hommes qui pourraient servir de doublure joues à Mélania, bien que, contrairement à Bronson, qui était à moitié polonais, Mme Trump soit 100% slovène). Passé un certain âge, d’après mes observations empiriques menées depuis le trottoir, les Polaks des deux sexes subissent une transition pour se muer en Santa Klaus Kinski. Il y en a des centaines que je pourrais citer car c’est sa façon d’écrire, il n’arrête pas.
Sauf quand il se trouve dans les camps. Là, il devient grave, enfin il essaie mais ne peut éviter les quelques cons qui font leurs malins en disant des inepties. Dur. Ou en s’empiffrant de junk food aux cafeterias ou restos à l’intérieur des camps, comme si on était chez Disney. Et c’est carrément gerbant.
La fête de la bière à Münich, un cauchemar car il est au régime sec parmi les atroces odeurs des buveurs et de leur vomi, des mecs ivres… N’empêche qu’il nous en apprend pas mal en discutant avec Schlomo, son « copain » de car qui porte son pantalon sous les tétons (cf Chirac) avec qui il a des discussions sur pas mal de sujets, politique, religieux. Ils sont très au fait tous les deux de la questions juive et de ses extensions.
Evidemment, le ton change au fur et à mesure de ses haltes, de l’énumération des exactions, des tortures et autres infamies infligées aux condamnés.
C’est un livre qui peut déranger, ça dépend comment c’est pris. Mais je l’ai trouvé très brillant, hormis le fait que beaucoup de ses allusions à la culture américaine, entre autres, m’ont échappé.

Nein, nein nein, sous-titré la dépression, les tourments de l’âme et la Shoah en autocar, 2023 pour la traduction française de Morgane Saysana, aux éditions Rivages. 352 pages, 22 €.

Texte © dominique cozette

La dernière balade de Billy, par William Burroughs Junior (73)

Le fiston du big Bill eut une vie brève hélas :  il clamse à 33 ans, le foie explosé par l’alcool, en 81. En fait non. Il avait bénéficié d’une transplantation quelques temps avant mais comme il continuait à picoler et surtout, qu’il arrêta ses médocs anti-rejet, ce fut vite plié.

Il se raconte dans ce bouquin, avec un style cash, désabusé, loin des romans « ateliers d’écriture terriblement efficaces d’aujourd’hui », on dirait un vieux qui te met en joue avec ses vérités alors qu’il n’a que 28 ans. Je le laisse parler de la fameuse scène qu’on connaît bien :

« A propos, qui suis-je ? Certains aimeraient peut-être en savoir un peu plus sur moi-même et ma famille. On me permettra donc une petite digression.
Son, lumière et brouhaha. Comme je vous le dis, docteur. Né le 21 juillet 1947 à Conroe, au Texas, à 4 heures 10 minutes du matin, sans qu’on m’ait demandé mon avis.
Ma mère était sans doute une femme extraordinaire. Durant mon existence fœtale, la quantité de benzédrine qu’elle consommait tous les jours aurait suffi à tuer Lester Madox du premier coup, tandis que Big Bill, mon père, ne voulant pas être en reste, carburait dans son style contemplato-végétatif à trois piquouses d’héro par jour. […]
Un soir de fiesta, où tout le monde était rond ou défoncé, maman a voulu jouer les Guillaume Tell. Elle s’est posé sur le crâne une pomme, un abricot, une grappe de raisin ou peut-être son fils et a défié mon père de tirer. Bill, pourtant très bon tireur, a brillamment raté son coup. Homicide involontaire. »

Bill junior a été confié à ses grands-parents paternels, dans le Missouri puis à Palm Beach en Floride, tandis que le père écrivait et continuait de se dissoudre dans la dope avec ses potes au Maroc. A 14 ans, le petit les rejoint mais l’éducation qu’il y reçoit est d’un drôle de style. Le style Tanger, quoi. Bref, il va commencer très jeune à se défoncer. De retour aux Etats-Unis, il est menacé de prison et d’une forte amende que mamie ne peut pas payer. William débarque et fait l’énorme effort de présenter beau, cravate, propre, pas craignos. Le fils sera autorisé à se désintoxiquer dans le centre-prison créé pour les anormaux, tordus, déviants de l’US society. C’est là le gros morceau du bouquin. On y apprend des tas de choses sur la dope, mais on y voit aussi ce jeune homme faire de son mieux pour s’en tirer. Il ne se plaint jamais d’ailleurs. Après un passage dans le centre de Miami, il va se rééduquer en Alaska, à la pêche crabes, dans des conditions plutôt épouvantables. Le drôle est sa compassion pour les poissons coincés dans les mailles du filet et sa pitié pour des crabes. Good guy.
Puis il revient à la vie normale — après une nuit de murge sanglante — c’est à dire qu’il se met à écrire, il a une femme dont il parle au moins pendant cinq lignes et il compense la dope par l’alcool. Après « la balade », il fera un troisième livre qui restera inachevé.
La préface du livre est rédigée par son père qui se sait indigne mais parle de son fils avec tendresse. Et la postface, non moins percutante, par le junkie writer Jerry Stahl dont je n’ai pas (encore) lu les Mémoires des Ténèbres.
Pour les nostalgiques de la beat generation, les amoureux de la littérature américaine « d’avant ». Et autres curieux. En revanche, les fanas de la bite génération risquent une légère déception.

William Burroughs junior. La dernière balade de Billy. 1973 (13ème note éditions,  2010)
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