La petite communiste m’a bien eue !

La petite communiste qui ne souriait jamais est le dernier livre de Lola Lafon. Il raconte, de façon romancée, l’itinéraire de cette petite fée de 14 ans, Nadia Comaneci,  qui fut, en 1976, la reine des JO avec son implacable réussite à toutes les épreuves de gym, barres, poutre, sol. Tellement forte que sa note, 10/10 ne put jamais s’inscrire, l’ordinateur n’étant pas programmé pour ce chiffre.
Ce livre est passionnant parce qu’il nous replace dans le contexte de ces années-là, la guerre froide, les légendes des pays de l’est fermés à toute visite, l’entraînement de ces enfants en dépit de toute humanité, la faim au ventre, la souffrance permanente frôlant la torture. Nadia ne souffre pas, n’écoute pas son corps ni son cœur, elle ne fait que s’affuter pour devenir une machine de guerre sans aucun défaut. Personne ne s’en remettra et surtout pas les Russes qui se font tondre par cette petiote à couettes. Cette petite qui a confié sa réussite à un gros bonhomme créateur d’une école de gym performante. Plus tard, il restera aux Etats-Unis.
Et elle ? Elle attrape la « maladie ». La maladie, c’est de devenir femme, d’avoir des règles et des seins, des hanches. De se perdre dans sa graisse. On racontera qu’elle a une idylle forcée avec le fils Ceausescu. Puis un jour, elle aussi fuit son pays, aidée par un aventurier en toc, profiteur. Mais c’est juste avant la révolution et l’exécution du vieux couple Ceausescu, ces horribles dictateurs qui laissaient leurs sujets mourir de froid, de faim, régulaient la sexualité des filles pour qu’elles fassent cinq enfants, contrôlaient les calories de chacun à absorber, leur faisant vivre un enfer :  se lever la nuit pour cuisiner, ou aller faire la queue au magasin, dormir avec son manteau, ne rien pouvoir faire car les lampes autorisées n’étaient que de 15 W etc… Mais surtout, les surveillant partout jusque dans leur intimité, micros, délation, comme la Stasi, quoi. En revanche, théâtre et opéra gratuits.

L’auteure envoie à Nadia les brouillons des chapitres au fur et à mesure de son avancement. Nadia répond ou pas. Boude parfois. N’apprécie pas. Et surtout, n’admet pas que l’occident critique tellementce qui se passe chez eux car tout n’est pas si noir. D’ailleurs, quand elle est aux USA, elle voit bien que si les biens matériels foisonnent, les gens sont trop pauvres pour les acheter. Qu’avant, on n’avait pas le droit de quitter la Roumanie mais qu’aujourd’hui, on n’en a pas les moyens. Et fustige la façon dont sont traités les Roumains de nos jours. Elle évoque l’esclavage né du libélarisme, les gens qui travaillent comme des brutes pour pas grand chose. Et aussi, les sociétés minières étrangères qui vont détruire une partie des belles montagnes de son pays pour extraire le gaz de schiste !
Ce bouquin est vraiment passionnant et, bien que j’aie lu en exergue qu’il était romancé, je me suis laissé avoir, pensant que les échanges Nadia-Lola étaient eux bien réels. Bien non. Ceci posé, il est extrêmement documenté, les faits et les dates sont réels et il n’y a qu’à se laisser porter par cette haletante — oui, haletante — aventure peu banale et très bien écrite.

La petite communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon aux éditions Actes Sud. 2014. 318 pages. 21 €.

NB :  Pour revoir ou voir sa prestation extraordinaire sur poutre en 1976, clic.
Aujourd’hui, Nadia est une belle femme de la cinquantaine qui mène une vie épanouie, mariée à un gymnaste champion US. Elle a eu son fils à 45 ans, et avec son mari, ils entraînent des petits sportifs et aident de jeunes handicapés. Voir google et leur site.

Texte © dominique cozette

Pas d’écrits vains chez Martin Page

Il s’appelle Martin Page, il est écrivain, nom prédestiné. Mais là n’est pas le propos de son dernier opus, Manuel d’écriture et de survie, écrit sous forme de lettres envoyées à une jeune étudiante désireuse de publier. Elle a déjà commis une ou deux nouvelles intéressantes et demande conseil (enfin, on suppose puisqu’on n’a pas accès à sa correspondance) à un « jeune » écrivain chevronné. Intitulé manuel, ce livre est plein de sagesse et de conseils donnés à un auteur en herbe, un peu comme l’avait fait Rilke en son temps dans ses Lettres à un jeune poète. Ce qui est plaisant, ici, c’est le côté pragmatique de ce que Martin Page transmet à la jeune femme, comment travailler, que penser de l’avis des autres, à qui envoyer son manuscrit, comment transformer les refus en énergie positive, échapper à l’emprise de l’édition parisienne et ses petits barons, etc.
Il décrit également, dans le détail, la façon de vivre de l’écrivain. Lui-même a choisi de quitter Paris et de s’installer dans une ville agréable avec son amie musicienne pour se consacrer à son art. Il sort peu mais apprécie les échanges épistolaires, ou via le net où il tient un blog (nous sommes d’ailleurs « amis » sur fb mais je ne le connais pas plus que ça), les rencontres lors des déplacements littéraires et des signatures. Il évoque les différents façons de gagner sa vie quand les droits d’auteur ne suffisent pas : ateliers d’écriture, résidences, rédaction de textes… Lui-même écrit pour la jeunesse. Tout lui  est bon pour écrire, d’où le titre de cet article.
J’ai bien aimé la sincérité de ce livre qui traite aussi de l’amitié, la jalousie, la bienveillance et  … l’esprit français.

Manuel d’écriture et de survie de Martin Page
aux editions du Seuil. 2014. 172 pages, 14 €.

Texte © dominique cozette

Baricco m’emballe !

J’ai eu le bonheur de voir Novecento au Rond-Point, mis en scène et raconté de façon formidable par l’immense André Dussolier, sur le texte de Baricco, très belle histoire d’un pianiste et d’un bateau. Ça m’a donné une envie furieuse de lire d’autres histoires de Baricco dont j’avais adoré Soie en son temps
Mr Gwyn est sorti en français cette année et c’est une histoire bien étrange, bizarre, décalée, qui excite la curiosité :  Saura-t-on ce qu’on brûle de découvrir à la fin du roman ? Mystère.
Mr Gwyn est un écrivain à la mode qui fait paraître un article dans The Guardian dans lequel il s’engage à ne plus faire 52 choses, dont certaines assez drôles comme se tenir le menton avec la main pour se faire photographier, être poli avec des collègues méprisants, écrire de nouveaux articles dans le Guardian. La plus importante étant : écrire des livres.
Son agent, se voyant mal privé de sa manne, lui objecte qu’aucun écrivain n’a réussi à s’empêcher d’écrire. Mais Mr Gwyn est têtu. Cependant, le temps passant, ça le travaille, il commence à ressentir le manque jusqu’à ce qu’un portrait dans une galerie lui donne une idée : devenir copiste. « Copier » les gens. Copier ? Oui, faire un portrait écrit mais surtout pas une description.
Pour exécuter cette tâche, il met en œuvre un rituel : il trouve un lieu joliment décati, le meuble très sommairement et surtout, fait fabriquer un certain nombres d’ampoules qui doivent créer un éclairage enfantin, puis s’éteindre presque ensemble au bout d’un mois. Le temps de réaliser le portrait.
La première personne qu’il prend comme modèle, contre rémunération, est une jeune employée de son agent, potelée, pas spécialement jolie. Il lui donne la clé de l’atelier et lui demande d’être là, nue, quatre heures par jour. Constatant qu’il a réussi cette gageure, il fera neuf portraits, chacun délivré aux commanditaires en un seul exemplaire, sous forme de grandes feuilles manuscrites, avec ordre de ne jamais en parler sous peine de poursuites importantes.
Ce livre est un régal car il fourmille de détails intrigants, saugrenus, bizarroïdes. Et on se demande comment se présentent réellement ces portraits, mais aussi ce qu’est devenu Mr Gwyn, ce que cherche également la jeune modèle dans ses pérégrinations londoniennes.

Mr Gwyn d’Alessandro Baricco, 2011. Traduit de l’italien par Lise Caillat aux éditions Gallimard Du monde entier, 2014. 184 p., 18,50 €.

Texte © dominique cozette

Bad girl in progress…

Bad girl est le tout dernier livre de Nancy Huston. Je ne suis pas une grande fan de tous ses livres mais j’ai trouvé celui-ci impeccable, vraiment intéressant et original. La forme est aussi importante que le fond. Pas de fluidité ou de chapitres. Que des textes courts, d’une demie à deux pages maximum. C’est très ramassé, très dense et  permet de sauter du coq à l’âne, d’en raconter plus sans se soucier du liant.
L’autre ingénieux truchement est de replacer l’héroïne dans le ventre de sa mère.  Et de s’adresser à l’être en formation. Ces quelques mois permettent à la narratrice, l’adulte qu’elle est devenue, de revenir sur son passé familial mais aussi sur ce qui l’attend. Sorte de mise en abyme prospective.
Cette enfant n’est pas désirée, c’est une mauvaise nouvelle pour ses très jeunes parents qui n’ont pas que ça à faire : son père bosse par monts et par vaux, loin,  et sa mère veut absolument faire carrière. Ils ont déjà un môme, ça va. Au fur et à mesure que l’embryon se développe, Dorrit (le nom donné au fœtus) apprend qu’elle avait un arrière grand-père fou à lier, une grand-mère féministe mariée à un gentil bon à rien, un père dépressif qui donnera congé à sa femme pour que sa maîtresse, allemande (ils vivent un temps à Berlin),  s’occupe des trois enfants, car un autre est arrivé, semble-t-il. La marâtre en fait deux autres dans la foulée et la même année.
Cette autibio utérine s’accompagne de références pour expliquer les choses de la vie : l’avortement d’Annie Ernaux, d’autres histoires d’avortements interdits qui tuaient les femmes, la claustrophobie de Becket dans le ventre de sa mère, l’arrivée de l’incomplète libération de la femme « Hélas, tandis qu’on élevait les filles à la fois comme filles et garçons, on continuait d’élever les garçons comme des garçons ». Elle évoque Romain Gary et sa promesse de l’aube que  toutes les petites et grandes misères du monde faisaient tellement souffrir.
Sa mère, très absorbée par sa réussite, la confiait parfois à des babas-cool mais comme ils passent les nuits à faire la bringue, ça se passe très mal. Puis, c’est la belle-mère qui prend le relais. Toute sa vie, Dorrit devra traîner un sentiment d’abandon et c’est la lecture et l’écriture qui la sauveront.
Au tout début de l’adolescence, elle apprend le rôle de la séduction chez la femme, qui s’accompagne toujours de culpabilité. Et la peur que les femmes suscitent chez l’homme à cause de leur insondable mystère, du secret de leur utérus.
Le père déprime. Sa mère ne la voit plus, lui écrit parfois. Désirée par personne, sans attachement sincère, elle s’installe ailleurs, change de langue. Elle a écrit ce livre en français.
A neuf mois, elle est prête à affronter ce monde pas très amical.
NB importante : Ce médiocre résumé est très loin de l’enthousiasme que ce livre m’a procuré !

Bad girl de Nancy Huston chez Actes Sud, octobre 2013. 260 pages, 20 euros.

Texte © dominique cozette

Je refuse, titre le romancier Pettersen.

Il est l’un des auteurs norvégiens les plus lus dans le monde, il a eu plein de prix et ce roman, je refuse, vient de sortir en France. Je ne sais pas qui refuse quoi, d’ailleurs. C’est un livre polyphonique, c’est à dire à plusieurs narrateurs dont les deux principaux sont deux amis d’enfance qui vont suivre des voies totalement différentes.
Le premier, Tommy, est l’aîné d’une fratrie maltraitée par le père, éboueur. La mère les a abandonnés brusquement sans jamais donner de nouvelles et le père, violent, s’est acharné sur eux sans pitié, la soeur proche de Tommy et deux petites jumelles. Jusqu’à ce que Tommy décide que cela avait assez duré,  il aime tellement ses sœurs. Hélas, après leur placement dans différentes familles, il n’aura plus vraiment le droit de les visiter à cause de ce qu’il a fait au père. Mais ils vivent tous dans le même petit bled et personne ne l’empêchera de voir sa sœur quand ils en ont envie.
Tommy devient le voisin de Jim, de son âge, très beau garçon fragile, couvé par sa mère, à la santé vacillante, souvent à l’hôpital.
L’histoire de ce petit monde très lié, puis très délié, est raconté en chapitres datés, dans le désordre, de 1966 à 2006, date à laquelle Jim et Tommy essaieront de se retrouver. Jim a raté sa vie.  Pour Tommy, ce n’est pas terrible mais professionnellement, il a fait très fort. Et il semble repartir sur de nouvelles bases, des sentiments qu’il ne connaissait pas.
Quant au père et à la mère, leur destin est plutôt tragique.
Ce livre est émouvant, finement écrit. On s’attache tout de suite aux personnages car ils sont croqués de façon incisive et précise. Voilà.

Je refuse par Per Pettersen chez Gallimard, 2014 (2012 pour la VO). Traduit du norvégien par Terje Sinding. 270 pages, 19,50 €.

Texte © dominique cozette

Le vieux dégueu est de retour !

Il ne s’agit ni du vieux pervers de Reiser, ni de Gainsbarre, ni de Depardieu, ni de Michel Simon et encore moins de Bérurier. Je parle du grand poète pourri, Buko (1920-1994), le vraiment dégueulasse qui ne pense qu’à ça, les femmes, la clope, l’alcool. Accro aux belles jambes avec bas et porte-jaretelles, Budweiser, whisky et bon vins français, il nous déroule ses chroniques, histoires de losers pervers,obsédés, bourrés, crados et parfois violents, nous expose ses idées sur la vie qui sont aussi pertinentes qu’impertinentes, ses inextricables démêlées avec ses femmes et bien d’autres. Et des histoires vécues dont il dit que tout est inventé, lorsqu’il s’est fait jeter, bourré, d’Apostrophes (je l’ai vu en direct !), qu’il a passé quelques temps à Paris avec le réalisateur Barbet Schrœder, et un ami escroc, que ces deux-là l’ont retrouvé à Venice, Californie, pour des aventures aussi clinquantes que sordides.
Il joue aux courses pour acheter sa bibine, roule d’un motel à l’autre, drague à tout va et puis écrit, écrit. C’est pas triste !
Le Journal d’un vieux dégueulasse avait été publié en 69, ce qui l’avait lancé dans le milieu de l’underground et lui a fait rencontrer les personnages aussi importants que lui de la beat. Ce n’était qu’une quarantaine de chroniques, les autres figuraient dans les contes de la folie ordinaire et autres recueils. Ce nouveau livre, le retour du vieux dégueulasse réunit en un volume les chroniques tombées dans l’oubli. C’est édifiant, drôle, dur, alerte et naturaliste. On ne s’ennuie pas avec Buko et même si c’est pas mon type d’homme, j’aurais pas dédaigné m’envoyer quelques gorgeons avec lui !
Une postface bien drue nous remet les choses dans le contexte avec une bonne documentation.

Charles Bukowski, le retour du vieux dégueulasse aux éditions Grasset, 2001 pour la VO, 2014 pour la version française. Traduction : Alexandre et Gérard Guégan. 350 pages, 20,90 €

Price, une palpitante histoire de rien du tout

Price, c’est le premier roman de Steve Tesich, auteur du très palpitant Karoo qu’il faut absolument lire (mon article ici) !  Tesich est malheureusement (pour nous, lecteurs) mort, d’une crise cardiaque à 53 ans, et ce sont ses deux seuls romans (il a écrit de très bons scenarii, des essais et des pièces de théâtre).
Price est le nom de son jeune héros de 17/18 ans, Dany son prénom. Il vit dans la banlieue laborieuse de Chicago sous les fumées des usines et les flammes des raffineries de pétrole. Son père est petit, mutique et chiant : pas de télé, pas de téléphone, pas de voiture. Il fait les 3×8 à la raffinerie. Sa mère est une grande et belle femme venue du Montenegro, elle fait des ménages. Dany est souvent seul la nuit.
Il passe son diplôme de fin d’année, ne veut pas que ses parents viennent le voir avec sa toge et son truc (j’ai oublié le nom) sur la tête. D’ailleurs, ils s’en foutent. Il traîne avec ses deux copains, des glandeurs, comme lui. Il rencontre une nouvelle venue en ville, Rachel, très jolie fille. Il réussit à devenir son petit ami sans toutefois maîtriser la situation. Elle le mène en bateau, lui souffle le chaud et le froid, le voit quand ça l’arrange, le jette sans raison. Un truc de ouf qui l’énerve. Parallèlement, on diagnostique un cancer  à son père au stade final. Son père va alors retrouver sa langue et lui pourrir la vie, lui racontant ses déconvenues avec sa mère et les lui prédisant, car il voit bien que son fils s’en sort mal en amour.
C’est toute l’histoire de l’initiation à la vie, l’amour, la mort que raconte le livre. Le héros, on a parfois envie de le baffer, le réveiller, lui conseiller de se secouer car il est très passif, laisse couler la vie sur lui, ne fait rien pour que ça s’améliore, c’est un (cas) désespéré. Jusqu’à un certain jour où il a l’idée de se mettre dans la peau des autres pour mieux les appréhender.
Il va comprendre alors quels sont les vrais rapports entre Rachel et  son père, les motivations de ses deux copains, l’un qui commet un acte irréparable pour mieux disparaître, l’autre qui préfère se fondre dans cette vie médiocre, sans surprise avec sa grosse amie,  et aussi son père jqui finit par mourir, dont il découvre la souffrance.
Le talent de Tesich, c’est de réussir à mettre du suspense là il ne semble pas y en avoir. Après tout, c’est une histoire assez banale dans un trou avec des personnages sans relief. Et pourtant …

Price par Steve Tesich dans la très belle édition Monsieur Toussaint l’Ouverture. Ecrit en 1982, publié en France en 2014, traduit par Jeanine Hérisson. 540 pages, 21,90 €

Texte © dominique cozette

Les nuits de Gravier

Jean-Michel Gravier, journaliste, écrivain, auteur dramatique, chroniqueur TV et bien d’autres casquettes était avant tout noctambule. Il est devenu incontournable lorsqu’il a décroché sa chronique hebdomadaire au Matin de Paris, où il racontait tout, tout, tout sur ses déambulations parisiennes et cannoises. Je ne l’ai ni lu ni connu parce que je ne lisais pas le Matin, que je me fichais pas mal de ce qui se passait dans la nuit des autres, les miennes étant assez compliquées comme ça. C’était à la charnière des 80’s.
Donc encore un livre sur le passé, c’est pas que je recherche absolument ce flash-back, c’est qu’on m’a prêté ce recueil par ailleurs vanté dans une émission littéraire.
Donc on sort, on dîne, on dit des vacheries, on se fâche, on descend des lieux en flammes puis on les remonte, tout cela grouille d’infos complètement inutiles mais très amusantes. Ça nous replonge dans une époque où les seules façons de lancer quelque chose ou quelqu’un était le bouche à oreille, quelques médias et des locomotives. Ça s’appelait comme ça, les gens influents avec carnet d’adresse.
J’ai découvert une liberté de ton, un style parfois désuet, souvent vachard, mais toujours sincère et pétillant, j’ai retrouvé des marottes de l’époque, beaucoup de morts, d’endroits qui n’existent plus, d’indiscrétions (Mitterrand et Dalida !). Un homme qui ne cirait pas les pompes, en tout cas, qui ridiculisait le beauf du président, Hanin, Elkabach, Sinclair …
A la fin du livre, ses souvenir télé, où il devint esclave de Denisot, ses projections sur les décennies à venir, comment il imagine Vanessa Paradis trente ans plus tard (on y est, mais ce n’est pas du tout ça !), et une post-face sur une virée à Deauville, lorsqu’il bossait sur O’FM, en 92, deux ans avant sa mort. Distrayant.

Elle court, elle court, la nuit de Jean-Michel Gravier aux éditions Ecriture, 2014. 364 p. 23 €…

Texte © dominique cozette

Un mauvais garçon que j’aime bien

Je parle de Nan Aurousseau, ex-voyou, ex-taulard et aujourd’hui écrivain. Son dernier livre La ballade du mauvais garçon est une sorte de biographie composée de brèves de vie car il saute allègrement du coq à l’âne sans que la lecture en soit gênée. Ça commence avec  l’anecdote de son premier livre écrit en six semaines, Bleu de chauffe, qu’il envoie, faute de thune, à un seul éditeur dont il avait appris qu’il lisait tous les manuscrits : Jean-Marc Roberts, chez Stock. Il oublie d’indiquer son adresse et un téléphone. Et quelques jours plus tard, il reçoit un télégramme de l’éditeur emballé qui l’a retrouvé grâce à une histoire compliquée de Minitel…
A partir de là, il déroule ses années de dèche, ses années de casse, ses dures années de taule où il a gâché sa jeunesse mais passé des diplômes pour alléger sa peine, ses amours qui se finissaient toutes par ses affaires jetées sur le trottoir. Ses triches pour faire semblant de bien vouloir travailler dans une boîte afin de profiter de la liberté conditionnelle puis, dès qu’il n’en avait plus l’utilité, sa reprise de la vie de bohème, de squatt. Mais aussi sa volonté tenace de ne plus retomber, résister aux vieux potes et leurs coups très sûrs, aux armes pour se venger des pourris. Sa force réside dans le fait qu’il se fout du confort, des valeurs bourgeoises, du fric et qu’il vit très sobrement, ni alcool, ni dope, ni clope. Ça aide. Et son énorme désir de réussir sa vie d’artiste, c’est à dire partager ses histoires sur écran ou dans des pages.
Il les raconte plutôt bien dans cet opus car c’est enlevé, féroce, drôle. Il nous fait revenir dans le vieux Paris de sa jeunesse qui était un Paris de petits quartiers où tout le monde se connaissait, où on se logeait pour des nèfles, où on pouvait entreposer des voitures volées au cas où, sans qu’elles disparaissent. Il nous emmène à Fleury-Mérogis puis dans un des centres de rétention les plus durs où il vivra d’âpres expériences avec des directeurs sadiques et, un peu plus tard dans le livre, on se trouvera à dîner chez Claude Berri avec Gainsbourg, discuter avec JM Roberts, avec la belle Tina Aumont dans l’équipe de La bande du Rex dont il a écrit le scenario, et toute sorte de personnages importants de cette fin de siècle. Néanmoins, il ne réussit jamais à sortir un grand film.

Nan Aurousseau. La ballade du mauvais garçon chez Stock. 2014. 334 pages, 20 €.

Texte © dominique cozette

Malaval, très mal…

Robert Malaval, j’ai vu ses tableaux pailletés, glamrock en diable au Palais de Tokyo en 2006, sûre de faire plaisir à ma petite-fille parce que bien clinquants. Plus des éléments de mobilier vandalisés par sa nourriture blanche, sorte de matière expansive qu’il avait inventée avant César.
Franck Maubert, écrivain, a bien connu cet artiste jusqu’à sa mort, en 80. Franck, alias Mao-mao, avait 20 ans, Malaval 35. Ils se sont rencontrés aux Halles, QG de la branchitude à l’époque du trou des Halles, de la finition de Beaubourg et de l’embrasement d’une société qui explosait de partout avec les expérimentations artistiques de tout poil, les drogues, l’alcool, les années Palace, les provocs en tout genre, l’avènement de la culture punk.
Un monde complètement dingue auquel Malaval, qui créchait dans un bunker sans fenêtre, sans douche, toilettes dans la cour, rue du Pont Louis Philippe, ne souscrivait pas vraiment. C’était un artiste maudit qui jouait avec la mort, essayant toutes sortes de substances autant pour créer que pour se détruire.
Le livre,  un « roman » dit la couverture, visible la nuit, raconte comme Malaval, asocial, a quitté l’école très tôt, puis tenté diverses choses pour éviter de bosser comme un con. L’art lui a permis de s’exprimer, aussi bien la musique (mixages créatifs dans son home studio)  que les installations, la peinture. Les galeristes, pas fous, reconnaissaient son talent et achetaient ses œuvres pour thésauriser. Le problème est que Malaval était incontrôlable, capable du pire quand il était défoncé. De plus, bien que très appréciées, ses œuvres se vendaient mal.

Franck Maubert, très jeune et naïf, passe beaucoup de temps avec lui, ils sont très amis, et il est parfois missionné par un galeriste pour le garder présentable. Il sait que Malaval peut claquer d’un jour à l’autre, il estime à 35 ans qu’il a bien vécu. Entre autres, il a élevé des chèvres et des vers à soie dans le sud, il a eu deux enfants et vécu deux ou trois amours, les dernières plutôt platoniques. Tous deux ont rencontré toutes les personnes qui ont fait les nuits parisiennes de ces années-là. Un de leurs fidèles amis était Jean-Marc Roberts, dit Mouche, l’écrivain et éditeur.
Le dernier baroud de Malaval fut une commande de la Maison de la Culture de Créteil, un environnement de béton et de triste banlieue nouvelle, où, dans une fosse, il créait au vu des gens du coin. Les amis parisiens ne venaient pas (c’est plus facile d’aller à Marrakech que de passer le périphérique) mais il a tenu bon, réalisant une trentaine  de grands formats dans ce lieu hostile. Lire l’article de JF Bizot
Puis en août 80, on n’a pas su quel jour, il s’est tiré une balle de 22 long rifle dans la bouche. Personne n’en a rien su. Son corps sans tête est resté là plus d’une semaine.
Même s’ils ont fait des bringues monstrueuses dont beaucoup de livres témoignent aujourd’hui, l’impression que donne le livre est d’une tristesse sans fin. Malaval n’était pas du genre à croquer la vie. Plutôt à la défier, et ce n’était pas une posture. Un livre passionnant pour qui s’intéresse au sujet.

Visible la nuit de Franck Maubert, aux éditions Fayard, 2014. 208 pages, 17 €
Voir une video de Malaval ici.

Texte © dominique cozette

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