Big Brother est le dernier livre de Lionel Shriver qui m’avait épatée avec Il faut qu’on parle de Kevin (le livre, pas le film). Pandora et Edison sont les enfants d’un héros d’une série américaine hyper populaire dont ils tirent eux-mêmes une forme de célébrité. Ils ont la bonne quarantaine, Pandora est mariée avec un désigner maniaque de la nutrition, psychorigide, ils vivent dans un trou du cul des USA. Edison est un beau mec, gentil, tendre avec elle, qu’elle a toujours admiré, pianiste de jazz qui a joué avec les « plus grosses pointures », qui a réussi mais a semble-t-il, quelques soucis de fric. Il vit à New-York et demande à sa soeur de le dépanner en l’acceptant chez elle quelque’un temps, jusqu’à sa sa future tournée européenne. Tête du mari.
Quand elle va le chercher à l’aéroport, elle ne le reconnaît pas : une montagne de graisse qui peut à peine se mouvoir. Et le pire va arriver, deux mois de cauchemar parmi les sucres, les graisses, les saletés hypercaloriques de toutes sortes comme savent les inventer les Américains pour engrosser leurs pairs. De plus, il casse tout, les sièges, les WC, il ne peut rien faire que bouffer et faire les courses pour ses écoeurantes recettes.
Juste avant le départ de son frère, Pandora s’aperçoit que sa tournée s’appelle la rue. La solution serait qu’elle prenne le problème à bras le corps, qu’elle fasse maigrir son frère de cent kg, et elle de dix, bref qu’elle le coache à plein temps pendant un an. Pourra-t-elle choisir entre son mari et son frère car aucun des deux ne veut se la partager.
Très intéressant toujours les romans , les pavés, de Shriver mais cette fois, on a droit à une fin inattendue, moins bon esprit à l’américaine que ce à quoi on pouvait s’attendre.
Big Brother de Lionel Shriver aux éditions Belfond, 2014, traduit par Laurence Richard. 434 pages.
J’ai lu ce livre juste avant les sanglantes tueries de la semaine passée, je n’avais plus trop envie d’en parler. D’ailleurs, Houellebecq himself a arrêté sa promo et est allé se mettre au vert. Il a perdu un ami, l’économiste Bernard Maris, et semble être comme tous les Charlie, vidé.
A part ça, j’aime bien les bouquins de Houellebecq, il y a toujours du bon à prendre, malgré l’image navrante qu’il donne des femmes, uniquement dans un rôle sexuel si elles sont suffisamment jeunes et bandantes car la chair se fait vieille et le désir pendant.
Soumission n’est pas le roman sulfureux dont se repaissent les médias toujours à la recherche de scandale, de gerbe et de vomissures. Il n’ y a pas d’apologie de l’islam si ce n’est la commodité pour le narrateur (et l’auteur ?) de pouvoir pratiquer la polygamie, une jeune pour le sexe et une vieille (40 ans, âge canonique) pour la bouffe.
Ce monsieur, François, vit solitaire et désabusé dans sa tour du quartier chinois, prof de conf à la Sorbonne, sujet Huysmans dont les références abondent, n’oublions pas que Houellebecq est un intello. Le thème de l’accession au pouvoir de la Fraternité Musulmane n’apparaît qu’au deuxième tiers du bouquin. Sinon, les putes pour la galipette (triste en général), les plats à réchauffer et des petites élèves à sauter, l’ennui, la télé. La seule fille qu’il aimait, sa jeune élève juive, est partie avec ses parents en Israël et va certainement « rencontrer quelqu’un ».
Privé de travail, car non musulman, mais rémunéré — c’est le Qatar qui arrose — il s’enquiquine jusqu’à ce qu’une sorte de gourou lui vante les mérites de l’islam, le confort qu’il offre aux hommes notamment dans leur domination sur les femmes. S’il accepte de se convertir, le héros retrouve son poste, doublement payé, un bel appart de fonction et deux femmes, de fonction oserais-je. Voilà un pitch possible, le mien.
C’est sûr qu’après ce qu’il vient de se passer, après la fantastique marche citoyenne pour la défense de nos droits, cette preuve qu’un sursaut républicain est toujours possible, il est difficile de faire avaler la passivité de la population — à part les frontistes — lors de l’accession au pouvoir de la « fraternité musulmane », et notamment le retrait des femmes de la vie sociale qui ne mouftent pas.
Ce livre est en même temps que pathétique, assez amusant, j’aime bien l’écriture de Houellebecq, que voulez-vous. Je trouve cela distrayant. Pourtant, sa misogynie récurrente, tellement flagrante ici, devrait me le faire détester. En même temps, il est tellement désabusé, apathique, dépenaillé que ça m’enlève tout sens critique.
Soumission de Michel Houellebecq aux éditions Flammarion. 2015. 300 pages, 21 €.
Je n’ai pas tapé Sardou, je ne suis pas allée voir le film. Je parle de le tampographe, Sardon, un artiste qui m’a fait hurler de rire alors que j’étais à cheval sur deux années. Il se présente comme un ancien bédéiste défroqué qui a tout lâché pour faire des tampons. Et quels tampons ! Que du grinçant, du sardonique, du rigolo, du moqueur, du cynique, de l’ironique, du grotesque, du caustique, du goguenard, du désopilant, du pliant, du narquois, du sarcastique et du grivois. Mais pas du potache, ‘tention.
Il y a aussi des drôles de photos de cocos syndiqués à collier, bouc ou barbiche du premier mai, des modes d’usage avec tampons pour faire soi-même du Chaissac, du Dubuffet, du Klein ou du Warhol. Il y a aussi plein de tampons d’injures vulgaires en anglais, en québecquois, en japonais… et beaucoup d’autres, qu’on peut acheter. Oui, parce qu’on peut acheter des tampons et des coffrets, ça simplifie la vie quand on doit écrire hesso kandé shiné à son ennemi japonais, soit crève en mordant ton propre nombril.
Et puis Sardon nous raconte sa vie à Paris, pas à Paris, au cimetière du Père Lachaise où il demeure, ses problèmes d’atelier, de fabrication, ses dessins de presse pour des journaux qu’il finit pas conchier, enfin toutes sortes d’anecdotes à se tordre. Il fabrique aussi des gaufrettes à messages hilarants.
Si ça vous branche, googlez et vous trouverez site, blog, page fb … pour rire un peu chaque jour.
Pour le nouvel an, je vous offre une capture de quelques travaux :
Le Tampographe de Sardon est un gros beau livre édité par l’Association en 2013. 260 pages écroulantes pour un petit 39 € que vous ne regretterez pas si vous avez un tant soit peu d’humour.
Chiche ! Surtout quand c’est Bukowski qui nous y emmène ! Munissez-vous d’un tire-bouchon car parfois ça manque dans ce bouquin où l’alcool coule plus qu’à flot ! Buko narre avec brio et réalisme la naissance de Barfly dont il a écrit le scénario, avec difficulté, il n’aime pas l’exercice. Mais comme il aime beaucoup son ami Barbet Schroeder (le livre lui est dédié), il s’est laissé convaincre surtout après le récit de ses pérégrinations pour en boucler le budget préparatoire avant même de savoir si Buko serait d’accord pour l’écrire. Le scénar : Bukowski quand il était jeune et déjà poivrot.
Dans le livre, on trouve des personnes connues affublées de drôles de noms comme Jon-Luc Modard, Jon Pinchot alias Barbet Schroeder, François Racine alias Dutronc, qui vit avec Schroeder dans un dangereux guetto, fait des paris avec sa mini-roulette portable et s’occupe de ses poules, des gallinacées, non pas de filles. On y reconnaît Mickey Rourke et Faye Dunuway, avec leurs petits ou gros caprices. Et on découvre la jeune femme de l’écrivain, Sarah, qui prend si bien soin de lui, qui sait boire et jardiner. Une perle.
On y voit surtout les dessous calamiteux d’un montage de film avec ses producteurs véreux, ses avocats sans cœur, ses ego ridicules. Le tournage qui s’arrête parce que la prod a fait faillite, remplacée par une autre qui finit pareil, on enchaîne, puis l’acteur qui ne veut pas tourner telle scène, ou un petit producteur raté qui prétend posséder les droits du personnage.
Buko, bonne pâte, répond toujours présent aux sollicitations de Schroeder mais comme il est accro aux courses de chevaux, il n’est pas toujours là pour contrôler le réalisme de certaines scènes qui le défriseront un peu. Mais n’en fait pas un drame. Il s’en fout, en fait.
C’est très amusant en même temps qu’édifiant et, comme dans certains films tabagiques où on a envie de tousser, on risque la gueule de bois à chaque page. C’est Buko, quoi.
Hollywood, de Charles Bukowski, 1989. Cahiers Rouges Grasset en 91. Traduit par Michel Lederer. 290 p. 9,80 €.
J’approfondis ma découverte des romans d’Alessandro Baricco que j’ai découvert au théâtre du Rond-Point avec le superbe Novecento (info ici). Sans sang est un roman qui m’a scotchée, un tout petit roman lu en une heure, un matin au lit. Rien d’inutile mais des visions effrayantes, rapides comme des rafales de mitraillette, des coups de feu et puis des éclairs sur une suite qui finit par une rencontre improbable provoquée par la petite fille du début, qu’on a connue enfouie dans une cachette minuscule, en position fœtale, les jambes bien rangées, des genoux en équilibre l’un sur l’autre, les plis de la robe bien arrangés et les grands yeux bruns intensément fixés sur un jeune homme qui refermera sa planque.
Et dehors, dans la vieille ferme, son père et son frère. Une voiture. Des hommes pressés d’en finir. On ne peut rien dire de plus, l’histoire riche et courte est toujours inattendue et elle interroge intensément sur la folie des hommes malgré leur comportement normal, leur propension à tuer, parce que c’est la guerre, parce que la guerre finie, ils ont besoin de se venger, ou de réaliser l’idéal auquel ils croient et qu’un innocent ne doit pas les en empêcher. La fin est inattendue et ferme la boucle d’une façon très graphique.
J’ai adoré ce livre ! Difficile d’en dire plus, c’est tellement dense et pur.
(revoir ici ma fiche sur Mr Gwyn)
Sans sang d’Alessandro Baricco. 2002 en VO, 2003 chez Albin Michel. 116 p. 12 €.
C’est pas que le bouquin de Fabrice Gaignault vies et mort de Vince Taylor soit de la pure littérature, c’est que le sujet méritait d’être fouillé pour le plus grand plaisir des vieux amateurs/trices de pur rock’n roll. L’auteur n’a pas l’âge d’avoir idolâtré l’archange du rock, trop jeune, d’ailleurs c’est pour ça qu’il se trompe parfois sur le nom des groupes yéyés. Mais peu importe, il retrace l’histoire improbable, pour une fois le mot convient, de ce beau garçon né d’un mineur anglais qui rêvait d’une seule chose : devenir pilote. Il se plante. Alors oui, il a fait du rock car il adorait Elvis, et puis faire ça ou autre chose. Il monte divers groupes, participe même à la dernière tournée en Grande Bretagne d’Eddie Cochran qui s’est crashé dans la voiture devant la sienne, où Gene Vincent a niqué sa jambe.
Comme il ne perçait pas, ni aux Etats-Unis ni en Angleterre, il a eu idée d’aller se produire en France où le rock était confié à des amateurs, Johnny entre autres. Mais c’était trop tôt pour ça. Eddie Barclay, qui lui fait enchaîner disques sur disques, le lâche car pas rentable. Et la presse s’enflamme car on casse tout sur son passage même si ce n’est pas lui qui en est la cause : délit de faciès, on dirait. N’empêche qu’en deux ans, et avec une seule compo de bonne mémoire, brand new Cadillac, il est devenu maudit donc culte.
Hélas, il s’est grillé les neurones avec une dope trop destructrice pour lui, résultat, HP et plusieurs électrochocs. Ça n’arrange rien. Toute sa vie sera une suite de retours flamboyants puis d’échecs, de naufrages dans les caniveaux de la musique et de la rue, de manigances ou de sincères envies de le faire ressusciter. Ça marchera rarement, de moins en moins. Au fil des temps, de ses tentations alcoolisées, de ses rédemptions, de ses visions qui lui font croire qu’il est le Christ ou Mathieu, il finit de brûler ce qui lui reste de ses ailes d’archange.
Mais à côté de cette calamiteuse malchance, il sera entré par la grande porte dans la légende du rock, le vrai, le fondateur, bougeant mieux qu’Elvis, déménageant sur scène comme un animal en rut, impressionnant, inoubliable pour ceux qui l’ont vu et suivi. C’est de lui que s’est inspiré Bowie pour créer son Ziggy Stardust, lui-même le chante. C’est lui qu’ont copié la kyrielle de rockers frenchy sans jamais y parvenir.
En plus d’être une vraie bête de scène, c’était aussi un accro aux femmes. Il les fascinait, a partagé la vie de Sophie Daumier, a eu des aventures avec BB, parmi les plus connues, et souvent, quand il était à terre, avec de simples nanas de banlieue. Elles l’amenaient chez leurs parents avec qui il était toujours délicat. Jusqu’à la prochaine tournée improvisée qui le parachutait ailleurs, longtemps à Mâcon où, amaigri, déjanté, il faisait plutôt pitié qu’autre chose, d’ailleurs, personne ne pouvait croire qu’il était Vince Taylor. Il perdait ses dents, psalmodiait, haranguait les gens avec des histoires métaphysiques ou absconses, bref, il était complètement à l’ouest.
Puis, à la fin d’un pauvre spectacle, il rencontra une Suissesse complètement toquée de lui. Elle l’embarqua au bord du Léman, il l’épousa, ça ne se passa pas toujours bien (il paraît qu’il frappait les femmes quand ça buggait dans son crâne). Puis, rongé par un cancer des os, il mourut à 52 ans.
Mais c’est pas fini. Bien après l’enterrement, sa veuve demanda à un Belge collectionneur de Vince, de l’aider à acheter un monument funéraire à sa gloire. Ce qui fut fait. Plus tard, l’auteur du livre, le Belge et d’autres, venus lui rendre un dernier hommage, découvrirent que le monument avait disparu, qu’il n’y avait même plus le nom du chanteur (son vrai nom Brian Maurice Holden 1939-1991, alias Vince Taylor) nulle part dans le cimetière. Interrogée, sa veuve n’a rien voulu dire, n’a plus voulu en entendre parler. Triste fin de vie, disparu des vivants et des morts.
J’ai été farfouiller sur le net pour en savoir plus car j’ai beaucoup aimé Vince à l’époque, j’avais même acheté deux ou trois quarante-cinq tours. Et j’ai trouvé un fil de discussions entre fans, des gens de Mâcon et de Paris chez qui il a vécu, un ex bassiste qui a tourné avec lui, et tous disent que c’était un être adorable, qu’il n’a juste pas eu de chance. Tous gardent un souvenir ému de ce rocker maudit aux allures fanées d’un Chet Baket ou d’Antonin Artaud.
Vies et mort de Vince Taylor par Fabrice Gaignault. Editions Fayard 2014. 228 pages, 18 euros. (photo 2 avec Gene Vincent. Photo 3 avec Sophie Daumier) Un docu de la BBC qui lui rend hommage car il a quand même marqué les esprits outre-manche : Ici
Une vidéo où Michel Vessot, son ami de Mâcon raconte sa vie là-bas et la vieille dame comment il faisait la vaisselle ! Ici
La petite communiste qui ne souriait jamais est le dernier livre de Lola Lafon. Il raconte, de façon romancée, l’itinéraire de cette petite fée de 14 ans, Nadia Comaneci, qui fut, en 1976, la reine des JO avec son implacable réussite à toutes les épreuves de gym, barres, poutre, sol. Tellement forte que sa note, 10/10 ne put jamais s’inscrire, l’ordinateur n’étant pas programmé pour ce chiffre.
Ce livre est passionnant parce qu’il nous replace dans le contexte de ces années-là, la guerre froide, les légendes des pays de l’est fermés à toute visite, l’entraînement de ces enfants en dépit de toute humanité, la faim au ventre, la souffrance permanente frôlant la torture. Nadia ne souffre pas, n’écoute pas son corps ni son cœur, elle ne fait que s’affuter pour devenir une machine de guerre sans aucun défaut. Personne ne s’en remettra et surtout pas les Russes qui se font tondre par cette petiote à couettes. Cette petite qui a confié sa réussite à un gros bonhomme créateur d’une école de gym performante. Plus tard, il restera aux Etats-Unis.
Et elle ? Elle attrape la « maladie ». La maladie, c’est de devenir femme, d’avoir des règles et des seins, des hanches. De se perdre dans sa graisse. On racontera qu’elle a une idylle forcée avec le fils Ceausescu. Puis un jour, elle aussi fuit son pays, aidée par un aventurier en toc, profiteur. Mais c’est juste avant la révolution et l’exécution du vieux couple Ceausescu, ces horribles dictateurs qui laissaient leurs sujets mourir de froid, de faim, régulaient la sexualité des filles pour qu’elles fassent cinq enfants, contrôlaient les calories de chacun à absorber, leur faisant vivre un enfer : se lever la nuit pour cuisiner, ou aller faire la queue au magasin, dormir avec son manteau, ne rien pouvoir faire car les lampes autorisées n’étaient que de 15 W etc… Mais surtout, les surveillant partout jusque dans leur intimité, micros, délation, comme la Stasi, quoi. En revanche, théâtre et opéra gratuits.
L’auteure envoie à Nadia les brouillons des chapitres au fur et à mesure de son avancement. Nadia répond ou pas. Boude parfois. N’apprécie pas. Et surtout, n’admet pas que l’occident critique tellementce qui se passe chez eux car tout n’est pas si noir. D’ailleurs, quand elle est aux USA, elle voit bien que si les biens matériels foisonnent, les gens sont trop pauvres pour les acheter. Qu’avant, on n’avait pas le droit de quitter la Roumanie mais qu’aujourd’hui, on n’en a pas les moyens. Et fustige la façon dont sont traités les Roumains de nos jours. Elle évoque l’esclavage né du libélarisme, les gens qui travaillent comme des brutes pour pas grand chose. Et aussi, les sociétés minières étrangères qui vont détruire une partie des belles montagnes de son pays pour extraire le gaz de schiste !
Ce bouquin est vraiment passionnant et, bien que j’aie lu en exergue qu’il était romancé, je me suis laissé avoir, pensant que les échanges Nadia-Lola étaient eux bien réels. Bien non. Ceci posé, il est extrêmement documenté, les faits et les dates sont réels et il n’y a qu’à se laisser porter par cette haletante — oui, haletante — aventure peu banale et très bien écrite.
La petite communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon aux éditions Actes Sud. 2014. 318 pages. 21 €.
NB : Pour revoir ou voir sa prestation extraordinaire sur poutre en 1976, clic.
Aujourd’hui, Nadia est une belle femme de la cinquantaine qui mène une vie épanouie, mariée à un gymnaste champion US. Elle a eu son fils à 45 ans, et avec son mari, ils entraînent des petits sportifs et aident de jeunes handicapés. Voir google et leur site.
Il s’appelle Martin Page, il est écrivain, nom prédestiné. Mais là n’est pas le propos de son dernier opus, Manuel d’écriture et de survie, écrit sous forme de lettres envoyées à une jeune étudiante désireuse de publier. Elle a déjà commis une ou deux nouvelles intéressantes et demande conseil (enfin, on suppose puisqu’on n’a pas accès à sa correspondance) à un « jeune » écrivain chevronné. Intitulé manuel, ce livre est plein de sagesse et de conseils donnés à un auteur en herbe, un peu comme l’avait fait Rilke en son temps dans ses Lettres à un jeune poète. Ce qui est plaisant, ici, c’est le côté pragmatique de ce que Martin Page transmet à la jeune femme, comment travailler, que penser de l’avis des autres, à qui envoyer son manuscrit, comment transformer les refus en énergie positive, échapper à l’emprise de l’édition parisienne et ses petits barons, etc.
Il décrit également, dans le détail, la façon de vivre de l’écrivain. Lui-même a choisi de quitter Paris et de s’installer dans une ville agréable avec son amie musicienne pour se consacrer à son art. Il sort peu mais apprécie les échanges épistolaires, ou via le net où il tient un blog (nous sommes d’ailleurs « amis » sur fb mais je ne le connais pas plus que ça), les rencontres lors des déplacements littéraires et des signatures. Il évoque les différents façons de gagner sa vie quand les droits d’auteur ne suffisent pas : ateliers d’écriture, résidences, rédaction de textes… Lui-même écrit pour la jeunesse. Tout lui est bon pour écrire, d’où le titre de cet article.
J’ai bien aimé la sincérité de ce livre qui traite aussi de l’amitié, la jalousie, la bienveillance et … l’esprit français.
Manuel d’écriture et de survie de Martin Page aux editions du Seuil. 2014. 172 pages, 14 €.
J’ai eu le bonheur de voir Novecento au Rond-Point, mis en scène et raconté de façon formidable par l’immense André Dussolier, sur le texte de Baricco, très belle histoire d’un pianiste et d’un bateau. Ça m’a donné une envie furieuse de lire d’autres histoires de Baricco dont j’avais adoré Soie en son temps Mr Gwyn est sorti en français cette année et c’est une histoire bien étrange, bizarre, décalée, qui excite la curiosité : Saura-t-on ce qu’on brûle de découvrir à la fin du roman ? Mystère.
Mr Gwyn est un écrivain à la mode qui fait paraître un article dans The Guardian dans lequel il s’engage à ne plus faire 52 choses, dont certaines assez drôles comme se tenir le menton avec la main pour se faire photographier, être poli avec des collègues méprisants, écrire de nouveaux articles dans le Guardian. La plus importante étant : écrire des livres.
Son agent, se voyant mal privé de sa manne, lui objecte qu’aucun écrivain n’a réussi à s’empêcher d’écrire. Mais Mr Gwyn est têtu. Cependant, le temps passant, ça le travaille, il commence à ressentir le manque jusqu’à ce qu’un portrait dans une galerie lui donne une idée : devenir copiste. « Copier » les gens. Copier ? Oui, faire un portrait écrit mais surtout pas une description.
Pour exécuter cette tâche, il met en œuvre un rituel : il trouve un lieu joliment décati, le meuble très sommairement et surtout, fait fabriquer un certain nombres d’ampoules qui doivent créer un éclairage enfantin, puis s’éteindre presque ensemble au bout d’un mois. Le temps de réaliser le portrait.
La première personne qu’il prend comme modèle, contre rémunération, est une jeune employée de son agent, potelée, pas spécialement jolie. Il lui donne la clé de l’atelier et lui demande d’être là, nue, quatre heures par jour. Constatant qu’il a réussi cette gageure, il fera neuf portraits, chacun délivré aux commanditaires en un seul exemplaire, sous forme de grandes feuilles manuscrites, avec ordre de ne jamais en parler sous peine de poursuites importantes.
Ce livre est un régal car il fourmille de détails intrigants, saugrenus, bizarroïdes. Et on se demande comment se présentent réellement ces portraits, mais aussi ce qu’est devenu Mr Gwyn, ce que cherche également la jeune modèle dans ses pérégrinations londoniennes.
Mr Gwyn d’Alessandro Baricco, 2011. Traduit de l’italien par Lise Caillat aux éditions Gallimard Du monde entier, 2014. 184 p., 18,50 €.
Bad girl est le tout dernier livre de Nancy Huston. Je ne suis pas une grande fan de tous ses livres mais j’ai trouvé celui-ci impeccable, vraiment intéressant et original. La forme est aussi importante que le fond. Pas de fluidité ou de chapitres. Que des textes courts, d’une demie à deux pages maximum. C’est très ramassé, très dense et permet de sauter du coq à l’âne, d’en raconter plus sans se soucier du liant.
L’autre ingénieux truchement est de replacer l’héroïne dans le ventre de sa mère. Et de s’adresser à l’être en formation. Ces quelques mois permettent à la narratrice, l’adulte qu’elle est devenue, de revenir sur son passé familial mais aussi sur ce qui l’attend. Sorte de mise en abyme prospective.
Cette enfant n’est pas désirée, c’est une mauvaise nouvelle pour ses très jeunes parents qui n’ont pas que ça à faire : son père bosse par monts et par vaux, loin, et sa mère veut absolument faire carrière. Ils ont déjà un môme, ça va. Au fur et à mesure que l’embryon se développe, Dorrit (le nom donné au fœtus) apprend qu’elle avait un arrière grand-père fou à lier, une grand-mère féministe mariée à un gentil bon à rien, un père dépressif qui donnera congé à sa femme pour que sa maîtresse, allemande (ils vivent un temps à Berlin), s’occupe des trois enfants, car un autre est arrivé, semble-t-il. La marâtre en fait deux autres dans la foulée et la même année.
Cette autibio utérine s’accompagne de références pour expliquer les choses de la vie : l’avortement d’Annie Ernaux, d’autres histoires d’avortements interdits qui tuaient les femmes, la claustrophobie de Becket dans le ventre de sa mère, l’arrivée de l’incomplète libération de la femme « Hélas, tandis qu’on élevait les filles à la fois comme filles et garçons, on continuait d’élever les garçons comme des garçons ». Elle évoque Romain Gary et sa promesse de l’aube que toutes les petites et grandes misères du monde faisaient tellement souffrir.
Sa mère, très absorbée par sa réussite, la confiait parfois à des babas-cool mais comme ils passent les nuits à faire la bringue, ça se passe très mal. Puis, c’est la belle-mère qui prend le relais. Toute sa vie, Dorrit devra traîner un sentiment d’abandon et c’est la lecture et l’écriture qui la sauveront.
Au tout début de l’adolescence, elle apprend le rôle de la séduction chez la femme, qui s’accompagne toujours de culpabilité. Et la peur que les femmes suscitent chez l’homme à cause de leur insondable mystère, du secret de leur utérus.
Le père déprime. Sa mère ne la voit plus, lui écrit parfois. Désirée par personne, sans attachement sincère, elle s’installe ailleurs, change de langue. Elle a écrit ce livre en français.
A neuf mois, elle est prête à affronter ce monde pas très amical.
NB importante : Ce médiocre résumé est très loin de l’enthousiasme que ce livre m’a procuré !
Bad girl de Nancy Huston chez Actes Sud, octobre 2013. 260 pages, 20 euros.