Immonde Khadafi

Annick Cojean, grand reporter au Monde, n’était pas venue à Tripoli pour entendre ça. Elle allait repartir à Paris, c’est juste après la mort de Khadafi piégé dans un égout, qu’elle a rencontré Soraya. Soraya qui a déroulé l’horrible vie à laquelle l’a condamnée le féministe Guide après l’avoir fait enlever de son école par ses sbires, comme il le faisait régulièrement. Il avait viscéralement besoin de chair fraîche, de vierges, de petites. Elle avait 14 ans, d’autres 12, 13, peu importe. Il les faisait capturer, enfermer dans le sous-sol de son palais où elles ne voyaient jamais le jour, et les faisaient chercher à n’importe quelle heure du jour ou la nuit. La petite, il l’a appelée tout de suite salope et l’a violée brutalement, sauvagement, en la rouant de coups. Il le faisait devant les autres, devant ses maîtresses devenues rabatteuses, devant des officiels qu’il récompensait en leur « filant » des filles. Des années. Vie fichue, déshonorée, ses parents qui la considèrent comme une pute, qui risquent leur vie si elle s’enfuit. Otage. Maltraitée. Puis soumise. Soraya, c’est la première partie du livre, les Proies, dans le harem de Khadafi.
Annick Cojean ne se contente pas de ce récit. Elle le recoupe, vérifie tout, cherche d’autres témoignages, fait son enquête. Et ce qu’elle découvre est ahurissant : Khadafi ne vivait et ne voyait que par le sexe. C’était son occupation, son arme de guerre, sa façon de soumettre tout le monde. Confit de drogue et de viagra, déflorant des milliers de filles, au moins quatre par jour, plus des garçons, imposant des relations sexuelles à certains ministres, hommes, ou autres personnels pour les humilier, traquant ses invitées, même mariées, même officielles, en leur offrant des valises pleines de dollars, des rivières de diamants, des cadeaux somptueux, faisant affréter un avion pour ramener des mannequins, leur offrant des vacances de rêves avec argent pour acheter des robes de luxe, les violant ou pas, il avait mis au point un réseau international avec de nombreuses complicités. Ou le silence de tous ceux qui savaient ou se doutaient. Car pétrole, pétrole ! Ne pas se fâcher avec lui.
A l’université, car il  se vantait de pousser les femmes aux études, il avait aussi son bordel avec chambres, jacuzzi et surtout un bloc gynéco avec tout ce qu’il faut pour les examens, les avortements. D’ailleurs, toutes les filles et tous les garçons qu’il pratiquait avaient d’abord une prise de sang faite par ses infirmières bulgares (les mêmes ? je ne sais pas) pour vérifier leur santé.
Ceux ou celles, parmi les gens ordinaires, qui avaient l’audace de vouloir se venger étaient tués, torturés, et filmées pour donner l’exemple.
Sa principale rabatteuse, qu’il craignait car elle pratiquait la magie noire, venait jusqu’à Paris, dans les palaces, pour y rencontrer des femmes importantes comme Dati, par exemple, à tout hasard. Il adorait, s’agissant des politiques Africains, passer un moment intime avec leurs femmes qui repartaient avec les fameuses valises et les couteux bijoux.
Il aimait aussi improviser une visite dans les mariages de ses employés, cousins, relations et là, il faisait son marché. Les jeunes filles disparaissaient de la fête. Il avait placé des personnes de confiance à des direction de télé ce qui leur permettait d’inviter de belles artistes du bassin méditerranéen, ou d’ailleurs, de les faire venir et d’en abuser contre cadeaux ou violence. Tous ceux qui pouvaient lui fournir des jeunes filles étaient grassement récompensés. Chaque voyage ou déplacement était prétexte à renouveler le cheptel même s’il embarquait sa marchandise avec lui, notamment ses amazones, les filles en treillis soi-disant entraînées mais en fait de pauvres  filles en otage obligées de paraître souriantes et efficaces. Les vrais gardes du corps étaient derrière.
Ce personnage désaxé, pervers, cruel, reçu comme un prince partout, dictant ses caprices, a rongé l’économie de son pays, corrompu tout ce qu’il a pu, humilié ses sujets, reste un demi-dieu pour beaucoup de Libyens. Certain(e)s voudraient que la vérité éclate, que son procès soit fait, que les victimes puissent enfin se laver. Mais c’est impossible, la honte de leurs familles, la honte du peuple est trop forte et ceux qui feraient leur coming out pourraient être tués, ou emprisonnés comme complices de ce traître, en tout cas déshonorés à jamais.
Livre dense, ahurissant, questionnant. Oui, de nos jours, on fait des courbettes à ces monstres, on les caresse dans le sens du poil, on est prié de bien les traiter.

Les Proies (dans le harem de Khadafi) d’Annick Cojean, chez Grasset en 2012 et dans le Livre de Poche. 300 pages, 6,90 €.

Texte © dominique cozette

Echapper, avec Duroy

C’est rare que je vous fasse part de mes lectures quand elles ne m’ont pas emballée. C’est vrai que ce bouquin ne m’a plus que dans sa seconde moitié. Lionel Duroy est un écrivain de l’intime dont j’attends fébrilement les nouveaux récits. Ses histoires d’amour ou de famille ou de séparation, ou même d’enfants (même si la démarche est contestable) subtilement autopsiées me passionnent.
Or, que me raconte-t-il dans Echapper dont la presse a d’ailleurs assez peu parlé ? Un voyage dans le nord de l’Allemagne pour retrouver le contenu d’un livre qui l’avait bouleversé : il y était question d’un peintre, Emil Nolde en fait mais sous un autre nom, interdit de peindre par les nazis qui trouvaient sa peinture « dégénérée ». Comment il s’en sort, comment il vit, comment il essaie de se remettre de la mort de sa femme adorée, comment une jeunette de 50 ans de moins tombe amoureuse de lui jusqu’à l’épouser. Tout ça dans un environnement de neige, de vent, de nature, de tempêtes dont Duroy veut absolument s’imprégner.
Donc pendant plus de la moitié du roman, je m’ennuie. Déçue, déçue je suis. Je peste !
Puis apparaît une jeune femme, une maison abandonnée et la possibilité d’une histoire. Puis l’histoire. Qui s’entremêle avec celle de Nolde car la jeune femme (mariée), en plus d’être peintre, garde le petit musée Nolde où l’écrivain va pouvoir s’abreuver des bribes de la vie de l’artiste mondialement reconnu. Et de bribes d’un amour impossible. Avec une fin totalement inattendue et franchement parfaite.

Echapper, de Lionel Duroy, aux éditions Julliard, 2014. 280 p. 18,50 €.

Texte © dominique cozette

20 ans après, 40 ans plus tard…

C’est un livre de Thierry Voeltzel, la transcription de longs entretiens qu’il avait donnés à Michel Foucault. Ce dernier l’avait pris en stop dans sa petite décapotable, était née une amitié et l’entrée du jeune homme dans le cercle des intellos de l’époque. C’était dans les années 70 et c’était assez … étonnant.
Les entretiens, enregistrés sur mini-cassettes, non censurés, se développent autour de plusieurs thèmes dont forcément la sexualité, la famille, la religion, le travail, la politique, la culture, la drogue etc…, tout ce qui fait une époque. Le jeune homme, ancien maoïste, militant au FHAR, est homo, ce qui n’est pas évident à cette époque « entre les fafs et les loulous qui cassent le gueule aux pédés » mais, détail hallucinant, sans réels tabous, comme l’hétérosexualité d’ailleurs. Il parle librement de son attirance pour ses frères, ses relations touche-pipi avec les enfants, les partouzes après les réunions politiques, les coucheries entre profs et élèves.
Il parle aussi de ses petits boulots car il refuse de faire des études et préfère ses expériences en usine, et à l’hôpital où il fait le grouillot, les tâches ingrates. Il dévoile ce qu’étaient les mises à mort du samedi, la piqûre létale ni vue ni connue pour les malades irrécupérables.
Ils s’entretiennent beaucoup sur la gauche, le communisme, Mao, Marx, le socialisme, et sur l’action syndicale. Il est à la CGT et possède une grande culture libertaire et révolutionnaire. La religion ne l’intéresse pas vraiment.
En fait, ce jeune homme est plein de désillusions, l’avenir ne lui sourit pas plus que ça, les luttes passées n’ont abouti à rien et, Foucault s’en étonne, c’est un nihiliste qui se construit sous ses yeux.
Une recherche rapide sur Google ne dit pas ce qu’est devenu ce jeune homme né en 1955.

Vingt ans et après, de Thierry Voeltzel, aux éditions Verticales, 2014 (première parution en 1978 sous anonymat pour Foucault). 215 p., 17,90 €.

Texte © dominique cozette

Vernon Subutex, drogue dure !

Formidable, ce livre de la Despentes, un bijou. Qui coupe, qui brûle, qui gratte, qui dérange. Mais un bijou de littérature. Vernon Subutex est le nom du héros mais aussi du livre (éponyme dirait-on) dont c’est le premier tome. Chouette, il y en aura deux autres tout bientôt.
Ah que la vie était belle quand était jeune, beau, crétin et musicos dans les 80’s ! Ah que l’avenir nous faisait du gringue comme une sale pute à dentier et faux seins. Car une fois à poil, devant toi, 25 ans après, l’avenir est un  vrai cauchemar qu’il faut te farcir. Comment Vernon, le fana du musique que tout les frappadingues venaient visiter dans son magasin de disques, comment  aurait-il pu imaginer que le disque se dématérialiserait et qu’il n’aurait plus que du vent dans ses bacs ? Alors, il ferme, pas de chômage à la clé, il vend ses précieuses galettes sur ebay, ses rarissimes affiches et réussit à tenir quelques temps.
Ses anciens potes — il a énormément d’amis, de fans et de copines — lui prêtent volontiers de la thune mais un jour ça s’arrête. Le proprio le vire sur le champ, sans même lui laisser un peu de temps pour trier ses trésors. Le seul ami devenu une icône vient de claquer d’une OD en lui ayant confié juste avant des enregistrements qu’il avait faits, des trucs qu’il racontait, mais personne ne sait quoi, même Vernon qui ne les pas écoutés et les a lui-même confiés à une nana.
Cette histoire fait le buzz dans le monde de la musique et de l’édition car tout le monde veut cette précieuse manne pour écrire THE livre sur Alex Bleach. Commence une vaste chasse à l’homme dont Vernon ne sait rien puisqu’il n’a plus accès à Internet.
Il est seul avec sa valoche, son charme et ses beaux yeux bleus, et est obligé de ruser pour squatter. Il invente, ment et parfois vole ce qui est totalement contraire à son éthique. Le plus fort du livre, c’est le portrait quasi sociologique, au scalpel, de  tous ces gens qu’il voit ou revoit, croquis de vies passionnants, et c’est un plaisir intense que d’entrer en relation avec ces quadras et quinquagénaires, leur parcours, leurs amertumes souvent, leurs penchants politiques variés, leurs dadas. Même ceux qui ont réussi, les bourges, les cinéastes, d’autres, ne sont pas enviables. Soit ils sont pourris à cause de leur réussite, soit ils ont mal vieilli, soit ils mènent une vie tragiquement banale. Et certains ont changé de sexe.
On se régale à toutes les pages. Despentes est un dico ambulant des musiques hyper pointues de l’époque. A part Chico Buarque et Edith Nylon, les centaines de noms droppés ne m’ont rien évoqué, je n’y connais rien de ces années. Mais on s’en fiche.
Et puis Paris est exploré dans les grandes largeurs, les lieux, les bistrots, les quartiers, et puis vu du sol vers la fin, quand notre malheureux héros se retrouve à terre, mendiant pour acheter sa bière dans le quartier Répu/Belleville.
J’ai adoré ce premier tome ultra noir, crade, désabusé. Pas d’eau de rose chez la Despentes (pas douce) !

Vernon Subutex tome 1 de Virginie Despentes aux éditions Grasset, 2015. 396 pages. 19,90 €.

Texte © dominique cozette

Big Brother, un gros morceau !

Big Brother est le dernier livre de Lionel Shriver qui m’avait épatée avec Il faut qu’on parle de Kevin (le livre, pas le film). Pandora et Edison sont les enfants d’un héros d’une série américaine hyper populaire dont ils tirent eux-mêmes une forme de célébrité. Ils ont la bonne quarantaine, Pandora est mariée avec un désigner maniaque de la nutrition, psychorigide, ils vivent dans un trou du cul des USA. Edison est un beau mec, gentil, tendre avec elle, qu’elle a toujours admiré, pianiste de jazz qui a joué avec les « plus grosses pointures », qui a réussi mais a semble-t-il, quelques soucis de fric. Il vit à New-York et demande à sa soeur de le dépanner en l’acceptant chez elle quelque’un temps, jusqu’à sa sa future tournée européenne. Tête du mari.
Quand elle va le chercher à l’aéroport, elle ne le reconnaît pas : une montagne de graisse qui peut à peine se mouvoir. Et le pire va arriver, deux mois de cauchemar parmi les sucres, les graisses, les saletés hypercaloriques de toutes sortes comme savent les inventer les Américains pour engrosser leurs pairs. De plus, il casse tout, les sièges, les WC, il ne peut rien faire que bouffer et faire les courses pour ses écoeurantes recettes.
Juste avant le départ de son frère, Pandora s’aperçoit que sa tournée s’appelle la rue. La solution serait qu’elle prenne le problème à bras le corps, qu’elle fasse maigrir son frère de cent kg, et elle de dix, bref qu’elle le coache à plein temps pendant un an. Pourra-t-elle  choisir entre son mari et son frère car aucun des deux ne veut se la partager.
Très intéressant toujours les romans , les pavés, de Shriver mais cette fois, on a droit à une fin inattendue, moins bon esprit à l’américaine que ce à quoi on pouvait s’attendre.

Big Brother de Lionel Shriver aux éditions Belfond, 2014, traduit par Laurence Richard. 434 pages.

Texte © dominique cozette

Soumission … ou pas !

J’ai lu ce livre juste avant les sanglantes tueries de la semaine passée, je n’avais plus trop envie d’en parler. D’ailleurs, Houellebecq himself a arrêté sa promo et est allé se mettre au vert. Il a perdu un ami, l’économiste Bernard Maris, et semble être comme tous les Charlie, vidé.
A part ça, j’aime bien les bouquins de Houellebecq, il y a toujours du bon à prendre, malgré l’image navrante qu’il donne des femmes, uniquement dans un rôle sexuel si elles sont suffisamment jeunes et bandantes car la chair se fait vieille et le désir pendant.
Soumission
n’est pas le roman sulfureux dont se repaissent les médias toujours à la recherche de scandale, de gerbe et de vomissures. Il n’ y a pas d’apologie de l’islam si ce n’est la commodité pour le narrateur (et l’auteur ?) de pouvoir pratiquer la polygamie, une jeune pour le sexe et une vieille (40 ans, âge canonique) pour la bouffe.
Ce monsieur, François, vit solitaire et désabusé dans sa tour du quartier chinois, prof de conf à la Sorbonne, sujet Huysmans dont les références abondent, n’oublions pas que Houellebecq est un intello. Le thème de l’accession au pouvoir de la Fraternité Musulmane n’apparaît qu’au deuxième tiers du bouquin. Sinon, les putes pour la galipette (triste en général), les plats à réchauffer et des petites élèves à sauter, l’ennui, la télé. La seule fille qu’il aimait, sa jeune élève juive, est partie avec ses parents en Israël et va certainement « rencontrer quelqu’un ».
Privé de travail, car non musulman, mais rémunéré — c’est le Qatar qui arrose — il s’enquiquine jusqu’à ce qu’une sorte de gourou lui vante les mérites de l’islam, le confort qu’il offre aux hommes notamment dans leur domination sur les femmes. S’il accepte de se convertir, le héros retrouve son poste, doublement payé, un bel appart de fonction et deux femmes, de fonction oserais-je. Voilà un pitch possible, le mien.
C’est sûr qu’après ce qu’il vient de se passer, après la fantastique marche citoyenne pour la défense de nos droits, cette preuve qu’un sursaut républicain est toujours possible, il est difficile de faire avaler la passivité de la population — à part les frontistes — lors de l’accession au pouvoir de la « fraternité musulmane », et notamment le retrait des femmes de la vie sociale qui ne mouftent pas.
Ce livre est en même temps que pathétique, assez amusant, j’aime bien l’écriture de Houellebecq, que voulez-vous. Je trouve cela distrayant. Pourtant, sa misogynie récurrente, tellement flagrante ici, devrait me le faire détester. En même temps, il est tellement désabusé, apathique, dépenaillé que ça m’enlève tout sens critique.

Soumission de Michel Houellebecq aux éditions Flammarion. 2015. 300 pages, 21 €.

Texte © dominique cozette

Grand éclat de rire avec Sardon le tampographe

Je n’ai pas tapé Sardou, je ne suis pas allée voir le film. Je parle de le tampographe, Sardon, un artiste qui m’a fait hurler de rire alors que j’étais à cheval sur deux années. Il se présente comme un ancien bédéiste défroqué qui a tout lâché pour faire des tampons. Et quels tampons ! Que du grinçant, du sardonique, du rigolo, du moqueur, du cynique, de l’ironique, du grotesque, du caustique, du goguenard, du désopilant, du pliant, du narquois, du sarcastique et du grivois. Mais pas du potache, ‘tention.
Il y a aussi des drôles de photos de cocos syndiqués à collier, bouc ou barbiche du premier mai, des modes d’usage avec tampons pour faire soi-même du Chaissac, du Dubuffet, du Klein ou du Warhol. Il y a aussi plein de tampons d’injures vulgaires en anglais, en québecquois, en japonais… et beaucoup d’autres, qu’on peut acheter. Oui, parce qu’on peut acheter des tampons et des coffrets, ça simplifie la vie quand on doit écrire hesso kandé shiné à son ennemi japonais, soit crève en mordant ton propre nombril.
Et puis Sardon nous raconte sa vie à Paris, pas à Paris, au cimetière du Père Lachaise où il demeure, ses problèmes d’atelier, de fabrication, ses dessins de presse pour des journaux qu’il finit pas conchier, enfin toutes sortes d’anecdotes à se tordre. Il fabrique aussi des gaufrettes à messages hilarants.
Si ça vous branche, googlez et vous trouverez site, blog, page fb … pour rire un peu chaque jour.
Pour le nouvel an, je vous offre une capture de quelques travaux :

 

Le Tampographe de Sardon est un gros beau livre édité par l’Association en 2013. 260 pages écroulantes pour un petit 39 € que vous ne regretterez pas si vous avez un tant soit peu d’humour.

Texte © dominique cozette

Un petit tour dans l’enfer de Hollywood ?

Chiche ! Surtout quand c’est Bukowski qui nous y emmène ! Munissez-vous d’un tire-bouchon car parfois ça manque dans ce bouquin où l’alcool coule plus qu’à flot ! Buko narre avec brio et réalisme la naissance de Barfly dont il a écrit le scénario, avec difficulté, il n’aime pas l’exercice. Mais comme il aime beaucoup son ami Barbet Schroeder (le livre lui est dédié), il s’est laissé convaincre surtout après le récit  de ses pérégrinations pour en boucler le budget préparatoire avant même de savoir si Buko serait d’accord pour l’écrire. Le scénar : Bukowski quand il était jeune et déjà poivrot.
Dans le livre, on trouve des personnes connues affublées de drôles de noms comme  Jon-Luc Modard, Jon Pinchot alias Barbet Schroeder, François Racine alias Dutronc, qui vit avec Schroeder dans un dangereux guetto, fait des paris avec sa mini-roulette portable et s’occupe de ses poules, des gallinacées, non pas de filles. On y reconnaît Mickey Rourke et Faye Dunuway, avec leurs petits ou gros caprices. Et on découvre la jeune femme de l’écrivain, Sarah, qui prend si bien soin de lui, qui sait boire et jardiner. Une perle.
On y voit surtout les dessous calamiteux d’un montage de film avec ses producteurs véreux, ses avocats sans cœur, ses ego ridicules. Le tournage qui s’arrête parce que la prod a fait faillite, remplacée par une autre qui finit pareil, on enchaîne, puis l’acteur qui ne veut pas tourner telle scène, ou un petit producteur raté qui prétend posséder les droits du personnage.
Buko, bonne pâte, répond toujours présent aux sollicitations de Schroeder mais comme il est accro aux courses de chevaux, il n’est pas toujours là pour contrôler le réalisme de certaines scènes qui le défriseront un peu. Mais n’en fait pas un drame. Il s’en fout, en fait.
C’est très amusant en même temps qu’édifiant et, comme dans certains films tabagiques où on a envie de tousser, on risque la gueule de bois à chaque page. C’est Buko, quoi.

Hollywood, de Charles Bukowski, 1989. Cahiers Rouges Grasset en 91. Traduit par Michel Lederer. 290 p. 9,80 €.

Texte © dominique cozette

Sans sang mais pas sans sentiments

J’approfondis ma découverte des romans d’Alessandro Baricco que j’ai découvert au théâtre du Rond-Point avec le superbe Novecento (info ici). Sans sang est un roman qui m’a scotchée, un tout petit roman lu en une heure, un matin au lit. Rien d’inutile mais des visions effrayantes, rapides comme des rafales de mitraillette, des coups de feu et puis des éclairs sur une suite qui finit par une rencontre improbable provoquée par la petite fille du début, qu’on a connue enfouie dans une cachette minuscule, en position fœtale, les jambes bien rangées, des genoux en équilibre l’un sur l’autre, les plis de la robe bien arrangés et les grands yeux bruns intensément fixés sur un jeune homme qui refermera sa planque.
Et dehors, dans la vieille ferme, son père et son frère. Une voiture. Des hommes pressés d’en finir. On ne peut rien dire de plus, l’histoire riche et courte est toujours inattendue et elle interroge intensément sur la folie des hommes malgré leur comportement normal, leur propension à tuer, parce que c’est la guerre, parce que la guerre finie, ils ont besoin de se venger, ou de réaliser l’idéal auquel ils croient et qu’un innocent ne doit pas les en empêcher. La fin est inattendue et ferme la boucle d’une façon très graphique.
J’ai adoré ce livre ! Difficile d’en dire plus, c’est tellement dense et pur.
(revoir ici ma fiche sur Mr Gwyn)

Sans sang d’Alessandro Baricco. 2002 en VO, 2003 chez Albin Michel. 116 p. 12 €.

Texte © dominique cozette

Beaucoup de vies pour Vince

C’est pas que le bouquin de Fabrice Gaignault vies et mort de Vince Taylor soit de la pure littérature, c’est que le sujet méritait d’être fouillé pour le plus grand plaisir des vieux amateurs/trices de pur rock’n roll. L’auteur n’a pas l’âge d’avoir idolâtré l’archange du rock, trop jeune, d’ailleurs c’est pour ça qu’il se trompe parfois sur le nom des groupes yéyés. Mais peu importe, il retrace l’histoire improbable, pour une fois le mot convient, de ce beau garçon né d’un mineur anglais qui rêvait d’une seule chose : devenir pilote. Il se plante. Alors oui, il a fait du rock car il adorait Elvis, et puis faire ça ou autre chose. Il monte divers groupes, participe même à la dernière tournée en Grande Bretagne d’Eddie Cochran qui s’est crashé dans la voiture devant la sienne, où Gene Vincent a niqué sa jambe.
Comme il ne perçait pas, ni aux Etats-Unis ni en Angleterre, il a eu idée d’aller se produire en France où le rock était confié à des amateurs, Johnny entre autres. Mais c’était trop tôt pour ça. Eddie Barclay, qui lui fait enchaîner disques sur disques, le lâche car pas rentable. Et la presse s’enflamme car on casse tout sur son passage même si ce n’est pas lui qui en est la cause : délit de faciès, on dirait. N’empêche qu’en deux ans, et avec une seule compo de bonne mémoire, brand new Cadillac, il est devenu maudit donc culte.

Hélas, il s’est grillé les neurones avec une dope trop destructrice pour lui, résultat, HP et plusieurs électrochocs. Ça n’arrange rien. Toute sa vie sera une suite de retours flamboyants puis d’échecs, de naufrages dans les caniveaux de la musique et de la rue, de manigances ou de sincères envies de le faire ressusciter. Ça marchera rarement, de moins en moins. Au fil des temps, de ses tentations alcoolisées, de ses rédemptions, de ses visions qui lui font croire qu’il est le Christ ou Mathieu, il finit de brûler ce qui lui reste de ses ailes d’archange.
Mais à côté de cette calamiteuse malchance, il sera entré par la grande porte dans la légende du rock, le vrai, le fondateur, bougeant mieux qu’Elvis, déménageant sur scène comme un animal en rut, impressionnant, inoubliable pour ceux qui l’ont vu et suivi. C’est de lui que s’est inspiré Bowie pour créer son Ziggy Stardust, lui-même le chante. C’est lui qu’ont copié la kyrielle de rockers frenchy sans jamais y parvenir.

En plus d’être une vraie bête de scène, c’était aussi un accro aux femmes. Il les fascinait, a partagé la vie de Sophie Daumier, a eu des aventures avec BB, parmi les plus connues, et souvent, quand il était à terre, avec de simples nanas de banlieue. Elles l’amenaient chez leurs parents avec qui il était toujours délicat. Jusqu’à la prochaine tournée improvisée qui le parachutait ailleurs, longtemps à Mâcon où, amaigri, déjanté, il faisait plutôt pitié qu’autre chose, d’ailleurs, personne ne pouvait croire qu’il était Vince Taylor. Il perdait ses dents, psalmodiait, haranguait les gens avec des histoires métaphysiques ou absconses, bref, il était complètement à l’ouest.
Puis, à la fin d’un pauvre spectacle, il rencontra une Suissesse complètement toquée de lui. Elle l’embarqua au bord du Léman, il l’épousa, ça ne se passa pas toujours bien (il paraît qu’il frappait les femmes quand ça buggait dans son crâne). Puis, rongé par un cancer des os, il mourut à 52 ans.

Mais c’est pas fini. Bien après l’enterrement, sa veuve demanda à un Belge collectionneur de Vince, de l’aider à acheter un monument funéraire à sa gloire. Ce qui fut fait. Plus tard, l’auteur du livre, le Belge et d’autres, venus lui rendre un dernier hommage, découvrirent que le monument avait disparu, qu’il n’y avait même plus le nom du chanteur (son vrai nom Brian Maurice Holden 1939-1991, alias Vince Taylor) nulle part dans le cimetière. Interrogée, sa veuve n’a rien voulu dire, n’a plus voulu en entendre parler. Triste fin de vie, disparu des vivants et des morts.
J’ai été farfouiller sur le net pour en savoir plus car j’ai beaucoup aimé Vince à l’époque, j’avais même acheté deux ou trois quarante-cinq tours. Et j’ai trouvé un fil de discussions entre fans, des gens de Mâcon et de Paris chez qui il a vécu, un ex bassiste qui a tourné avec lui, et tous disent que c’était un être adorable, qu’il n’a juste pas eu de chance. Tous gardent un souvenir ému de ce rocker maudit aux allures fanées d’un Chet Baket ou d’Antonin Artaud.

Vies et mort de Vince Taylor par Fabrice Gaignault. Editions Fayard 2014. 228 pages, 18 euros.
(photo 2 avec Gene Vincent. Photo 3 avec Sophie Daumier)
Un docu de la BBC qui lui rend hommage car il a quand même marqué les esprits outre-manche : Ici
Une vidéo où Michel Vessot, son ami de Mâcon raconte sa vie là-bas et la vieille dame comment il faisait la vaisselle ! Ici

Texte © dominique cozette

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