Vernon Subutex 2 : accro, oui.

Voici la suite attendue avec force trépignements comme un shoot bien chargé des (més)aventures du héros littéraire le plus en vogue : Vernon Subutex. Après le tome 1 dont je vous ai parlé (voir ici) avec un enthousiasme débordant, nous retrouvons Vernon se clodo-ifiant gaiment aux Buttes Chaumont. Son cerveau décolle parfois et même souvent, mais rien de grave, c’est ça le bonheur. On savait qu’il était recherché pour possession de documents explosifs, à savoir des confessions enregistrées que lui avait confiées son pote, l’icône du rock Alex Bleach juste avant de claquer d’OD. On ne sait toujours pas ce qu’elles révèlent au début du livre mais une journaliste, ou plutôt une pourrisseuse de réputation très active sur le Web, grassement payée pour ses talents et appelée la Hyène, a mis la main dessus, cachées sous le lit d’une copine de Vernon qui le recherche elle aussi pour trahison d’amitié.
Sans spoiler l’affaire, il se trouve que les enregistrements accusent un puissant d’avoir abusé puis achevé une femme. Une hardeuse junkie. Il se trouve aussi que la Hyène, au lieu de filer ces bandes à ce client, préfère réunir tous les intéressés par l’affaire. Dont Vernon. Il se trouve que la fille de la morte, élevée tendrement et librement par son père mais devenue pieuse sous foulard, poussée par d’autres vengeresses, décide de faire payer chèrement le bonhomme. Il se trouve tout un tas d’événements qui font qu’une bande improbable de personnages pas faits pour s’entendre a priori se regroupent autour de Vernon Subutex, au Rosa Bonheur où il se remet aux platines et réinvente des moments de grâce, planants, ensorcelants.
Il y aura la mort de l’un d’eux, facho sur les bords, assassiné par des brutes, pour redonner du lien et du sens à cette bande naissante, des buts de regroupement dans des endroits secrets, sans réseau et pleins d’empathie où chaque personnage trouve un rôle à sa mesure : trouver le lieu, organiser la fête, décorer l’endroit etc.
Le plaisir principal que je retire de ces livres réside dans la dissection de la vie des gens, ce qui s’est tramé dans leur tête, ce qui fait qu’ils s’acceptent ou se détruisent, ce qui les a modelés ou flingués. C’est l’immense talent de l’écrivaine qui sait créer des personnages sans une once de vide, des gens vrais, denses, dont les méandres psychologiques sont passés au crible de son humanisme et qui fourmillent page après page pour notre plus grande curiosité. Mais surtout qui reflètent l’instant T de notre société avec ses violences et ses frustrations. Cerise on the cake :  Virginie Despentes a pris soin d’inclure au tout début du livre un bref résumé des personnages pour éviter qu’on galère en se demandant mais qui c’est déjà celui-là. Grand merci Virginie.

Vernon Subutex 2 par Virginie Despentes, 2015 aux éditions Grasset. 384 pages, 19,90 €. Le mien est dédicacé pour le même prix !

Mon article sur Teen spirit
Texte © dominique cozette

Neal Cassady : dingue !

Avant, je disais Cassidy, je confondais Neal avec Butch. Mais Neal Cassady n’est pas Butch, c’est le pivot sur lequel s’est fixée la beat generation car il était intime avec Kerouac, et Kerouac l’a pris comme modèle pour en faire le héros de sur la route, sous le nom de Dean Moriarty (les vrais noms sont repris dans la nouvelle édition de Sur la route, le rouleau original).
Dingue de la vie & de toi & de tout est un recueil juste sorti du four qui réunit la correspondance de Neal de 1951 à 1968, année de sa mort. C’est le deuxième tome, je n’ai pas (encore) lu le premier. Ils s’écrivent tous, Kerouac, Ginsberg, Burrough etc à la machine avec épaisseurs de carbone, font circuler leurs écrits, se renseignent les uns les autres sur les uns les autres. Car ils sont éparpillés dans le vaste pays, jusqu’au Mexique quand ce n’est pas au Maroc. Souvent pour des raisons de justice.
Neal est serre-freins, c’est son boulot, un boulot très répandu à l’époque car il fallait bien que les trains s’arrêtassent avant l’invention des techniques hydrauliques. Ils devaient ralentir de très loin, et il est arrivé que Neal ait loupé quelques freinages pour raison d’imprégnation illicite. C’était un métier difficile qui recrutait beaucoup, je suppose qu’ils étaient nombreux par train, Neal ayant réussi à faire engager Kerouac quand il était fauché, mais qui disparut aussitôt avec sa paie pour aller aux putes et aux dealers. N’empêche, Neal bossait énormément, il avait trois enfants officiels, plus un, une maison et un amour irraisonné pour les voitures, les expériences planantes et le sexe. Il a d’ailleurs était l’amant de Ginsberg et d’innombrables femmes.
A cette époque, tout le monde couchait avec tout le monde, il n’en voulait pas à Kerouac et sa femme d’être amants, ni à sa petite amie de coucher avec tout le monde, même s’il aurait préféré qu’elle ne couchât pas avec tout le monde mais avec « presque » tout le monde. Donc il bossait 16 heures par jour, parfois loin de son domicile, il dormait souvent dans sa voiture mais c’était un coriace, il était capable de conduire non-stop de San-Francisco à NYC sauf pour faire le plein.

En fait, il était toujours sous l’emprise des drogues, dures, molles, qui s’avalent, se fument, avec ou sans alcool. Il adorait perdre la boule et n’arrêtait pas de tester de nouveaux mélanges. Il n’a apparemment jamais eu d’accident de voiture alors qu’il conduisait défoncé pied au plancher.
Il est devenu célèbre, non pas en écrivant, (il a juste écrit le début de sa bio sous forme de court roman), mais en étant le héros de sur la route. Il est devenu une icône et du coup, ses lettres sont devenues son œuvre. Et il y a de quoi ! On se régale en lisant sa façon d’exister, d’aimer ses amis, sa femme, ses enfants, de vivre d’une façon aussi dingue. C’était un clown, il amusait la galerie en scattant à une allure démente des tas de trucs rigolos, il séduisait toutes les femmes, il embobinait qui il voulait.
Il est mort connement, à la suite d’une soirée d’où, défoncé, il est reparti à pied pour rentrer chez lui, loin. Il est mort à moitié de froid, à moitié d’OD. Et il n’avait que 42 ans.
Ce livre est bien fichu parce qu’entre les lettres s’intercalent de nombreux éléments biographiques qui permettent de cerner le contexte. C’est passionnant. Du coup, j’ai acheté sur la route, l’original édité récemment d’après le rouleau. Et puis j’achèterai aussi le tome 1 de la correspondance  de Neal de 1944 à 1950, un truc très beau qui contient tout. Plaisir en perspective !

Dingue de la vie & de toi & de tout, lettres 1951-1968 par Neal Cassady chez Finitude, 2015. Traduit par Fanny Wallendorf. 254 pages, 22 €. Ce qui ne fait pas cher la lettre !

Texte © dominique cozette

L'aventure hippie, du costo !

Ce n’est pas une rigolade pondue en trois coups de cuillère à pot malgré ce que nous inspirerait la couverture rigolote proche de l’escapade de la famille Fenouillard. C’est ce que je croyais quand je l’ai vu sur une table de ma médiathèque. Je l’ouvre et tombe sur un Américain que je connais, Jim Haynes pour avoir fréquenté quelques sunday diners*, à poil couilles à l’air entre deux belles blondes dans le même état. Je rouvre ailleurs et tombe sur un autre que je connais aussi dans une sorte de fête du corps. Autrement dit un mélange sexuel comme on en faisait tant. Intriguée, je feuillette et m’aperçois que ce livre est un bouquin hénaurme et dense dans son grand format original de 1995, abondamment illustré —  je ne sais pas ce que donne la version poche qu’on peut acheter en ligne—  écrit par deux journalistes français, Jean-Pierre Bouyxou et Pierre Denanoy, deux jeunes zèbres à l’époque qui ont vécu une partie du mouvement et ont ramassé, depuis, une tonne de documents sur ces années bénies dont beaucoup ne connaissent que la partie cliché, la musique planante, les fleurs dans les cheveux longs, la libération sexuelle.
En fait,  il s’agit d’une révolution née aux Etats Unis où l’on assiste, début des années soixante, à l’éclosion de nombreuses tribus, des jeunes qui veulent tuer le vieux système en créant une nouvelle façon de vivre, une vie en communauté où ne règneraient que l’entente, la paix, l’échange.
C’est aussi une réaction à la guerre du Viet-Nam où ces jeunes devraient partir maisprennent le maquis pour échapper à cette guerre vaine.
Avec ces nouvelles aspirations, la musique évolue, se cherchant d’autres voies que celles du rock, le cinéma s’y met avec une immense vague de films marginaux, expérimentaux. La contre-culture naît d’un fourmillement de créations underground que nos deux journalistes ont patiemment récoltées  (et qui représente en fin d’ouvrage une annexe d’une vingtaine de grandes pages sur les bibliographie, films, discographie).
Tout ce que vous savez sur cette période du flower power n’est qu’une mini-parcelle de tout ce qu’on apprend ici,  qui passe par Woodstock, la beat generation, les freaks, la route de Katmandou, Ibiza, la pop culture, les protest songs, avec en France, la naissance d’Actuel, Libé bonne époque et un renouveau du cinéma d’auteur. Il faut lire l’analyse de la société française de l’époque qui, malgré l’appellation de glorieuse, est moisie, policière et beauf.
Tout ce qu’il faut savoir sur les drogues consommées, le sexe libéré, les provocations, l’attitude des pouvoirs publics face à jeunes pacifistes sortis du système, l’aventure psychédélique, le féminisme en fleur, etc… est là, dans un foisonnement de documents qui semble ne rien laisser de côté.
Cette grosse dizaine d’années passées au scanner s’achève avec la crise économique. Le premier choc pétrolier de 73 a brisé le grand rêve capitaliste du tout avoir pour pas cher, le deuxième l’achèvera, qui survient en 77. En même temps, les jeunes ont vieilli, d’autres arrivent avec d’autres idées, les punks notamment (j’apprends que Sid Vicious a été élevé dans une communauté hippie !), le mouvement s’est vidé de sa substance dont il ne reste pour en témoigner que quelques babas déjantés, sales et marginaux qui ne font plus rêver personne. Les drogues dures remplacent les drogues douces. La gentillesse, l’amour et les valeurs de partage sont définitivement has been.
Alors, quand il faut passer à autre chose, on coupe ses cheveux, on se recase comme on peut. Les plus chanceux dans des carrières artistiques, la musique, le cinéma, mais aussi la pub, l’édition, le journalisme. Le fric donc, sur lequel on avait bien craché. Et pourquoi pas devenir yuppie ou politicien. Avec un pétard de temps en temps pour la rebellitude.
Une belle tranche d’histoire à feuilleter et à garder si vous trouvez le livre en édition originale.

L’aventure hippie de Jean-Pierre Bouyxou et Pierre Denanoy, aux éditions du Lézard, 1995, mais aussi en poche. 290 pages. 195  francs.

Texte © dominique cozette

*http://www.jim-haynes.com/

Un livre pour l'été ? Le dernier Delacourt, forcément !

J’ai tendance à le renommer les quatre saisons de l’amour mais non, le titre est les quatre saisons de l’été. Indécrottable romantique, Grégoire Delacourt nous offre une ode à l’amour à travers les âges. Pas forcément joyeux, avec des renoncements, des larmes contenues, des projets contrariés, des absences, des non-dits. Tout ce qui fait que ça passe, ça casse ou ça lasse, mais ça embrasse et embrase aussi. Et trépasse peut-être.
C’est pendant la semaine du 14 juillet 1999 que se situent les histoires, dernière année de notre vie sur terre selon Nostradamus et Paco Rabanne réunis, avec l’énorme bug du millenium à son bout. C’est au Touquet, précisément, la plus grande plage du monde quand la mer se retire à des kilomètres — et dans d’autres endroits où sont advenus certains faits — mais où il pleut souvent. Chance : il fait beau. C’est un bel été de glaces et de gaufres, de sable et de serviettes de bain, de corps offerts au soleil et aux autres, de recherche d’aventure, d’envies de braise.
Quatre histoire se partagent le livre, quatre histoires indépendantes mais qui vont se croiser et s’infléchir, toutes avec un nom de fleur qui est parfois le nom de l’héroïne.
La première a 13 ans et son petit complice de jeux est fou amoureux d’elle, il n’y a qu’elle, c’est sa vie, elle est tout. Mais pour elle, il n’est rien de tout cela, elle voit plus loin, elle voit ailleurs, elle voit du côté de la femme qu’elle sera très vite, sans vergogne, séductrice avant l’âge légal.
La seconde a 35 ans, elle est seule avec son gamin de 9 ans, elle n’a pas de chance avec les hommes, ni avec son premier grand amour, ni avec son mari qui, un jour, part les mains dans les poches en disant c’est fini. Rien d’autre. Qui va t-elle rencontrer pendant cette fête des corps, va-t-elle pouvoir changer le regard qu’elle porte sur les hommes et l’amour ?
La troisième a 55 ans, c’est une belle femme fidèle, 35 ans de conjugo à son actif (et passif), trois garçons partis vivre leur vie, et des belles jambes. Puis d’un seul coup, son corps qui s’éveille, qui ressuscite, désirable, pétillant, magnifique comme son cœur, avide et affamé.
La quatrième, l’histoire particulièrement touchante d’un vieux couple qui s’est juré entre deux bombes, en 44, de rester et mourir ensemble. Un couple accroché par la main, provoquant l’attendrissement de ceux qu’il croise. Comment bien finir une belle histoire d’amour, joliment, modestement, tranquillement et passionnément ?
Un beau et bon livre, absolument pas gnan-gnan, au contraire, nerveux, fiévreux, douloureux parfois, qui rappelle notre vécu, dégage une belle ambiance et nous plante quelques chansons en tête. La plage à portée de main.

Les quatre saisons de l’été, de Grégoire Delacourt. Editions JCLattès, 2015. 270 pages, 18,50 €.

Qui connaît Sam Lipsyte ?

C’est un écrivain acide, acerbe et caustique comme je les aime. D’ailleurs, son excellente et  hyper graphique maison d’édition, Monsieur Toussaint Louverture (du nom d’un abolitionniste), ne publie que ce genre de romans. Souvenez-vous de Karoo et Price de Steve Tesich.

La dernière page de l’ouvrage déjà mérite le détour :

LA COUVERTURE
est en carton gris de 400 grammes imprimée
à plusieurs reprises en offset, puis gentiment
claquée pour la secouer un peu.

LE PAPIER INTÉRIEUR
est du Lac 2000 de 80 gr., mais de 1,3 ;
cependant, l’odeur si caractéristique qui
se dégage de ces pages n’est pas la sienne,
mais celle de l’encre et de la colle.

LES POLICES
utilisées sont de Linotype Adobe Garamond
(en majorité) et du Vendetta
(en minorité).

L’OUVRAGE
ne mesure que 144mm de largeur
sur 195 mm de hateur, et son dos, 23 mm.
Les désillusions qu’il renferme, elles,
sont innombrables.

La couverture est très belle et tout ce qui est noir ou rouge est en creux, en quatrième aussi. Le rose de la main est délicat, de la même valeur que le gris. J’adore. La libairie sétoise qui m’a conseillée (en plus de la note posée sur le livre)  est d’une grande fiabilité. Seule ombre au tableau : le titre demande, et tu recevras dont je ne me souviendrai plus à la fin de cet article.

Le héros, contre-héros, est un petit bonhomme fade, insignifiant, bedonnant, la quarantaine, une femme dominante, un fils de quatre ans également dominant qui ne se prive pas de le critiquer et de l’obliger à lui passer d’odieux caprices, ne mangeant que des wraps, un boulot de merde dans une université de merde qui lui demande (titre du livre) de trouver des mécènes pour renflouer quelques disciplines artistiques, plus une amertume légitime à avoir raté une brillante carrière de plasticien malgré un don prometteur. Il se fait virer du job où il passait son temps à s’imaginer éjaculer entre les deux gros seins de sa collègue Vagina, nom donné par ses parents alors sous crack. Puis on le récupère car son vieux copain, devenu richissime, réclame que ce soit lui qui s’occupe personnellement de son don à un possible département cinématographique de l’université. Pour cela, il faut lécher, bien lécher et se faire mettre aussi. Ce qu’il sait faire car il faut bien vivre. Du coup, il rencontre le fils caché du pote mécène, un tout jeune vétéran fielleux aux jambes métalliques suite à son service en Irak.
L’intéressant de ce livre est plus la façon acérée, désabusée, désespérante dont tout cela est raconté, les épisodes secondaires très hauts en couleurs et violemment crachés par l’auteur, et la moindre description souvent prétexte à dézinguer l’Amérique. Ça commence ainsi : « L’Amérique n’était plus qu’une vieille mère maquerelle en fin de vie. Qu’était donc devenue cette grande nation qui avait pris d’assaut les plages de Normandie, fait la nique aux Soviets et inondé les marchés émergents d’une génération pleine de promesse ? A présente cirrhotique et édentée, la grand-mère patrie sifflait sa pinte de Mad Dog seule au fond du bar, fixant le vide de ses yeux jaunâtres et humides — une proie facile pour les jeunes loups aux dents longues. »
C’est donc le roman d’un loser, encore un direz-vous, mais c’est vrai que les winners, c’est moins amusant.

Demande, et tu recevras de Sam Lipsyte, The Ask étant le titre original (2010). Traduit par Martine Céleste Desoille, illustré par Philippe Constantineto. Edition Monsieur Toussaint Louverture, 2015.  412 pages, 23 €.

Texte © dominique cozette

 

Le charme discret de l'intestin : Désopilant !

L’intestin, on commence à parler de lui comme le deuxième cerveau car on s’est aperçu qu’il régulait une bonne part de notre santé, de notre moral et de certaines maladies. La fille qui nous raconte son amour pour cet organe a 25 ans, elle est doctorante, passionnée de gastro-entérologie et a remporté le Prix de la Nuit des Sciences de Berlin où on donne 10 minutes aux étudiants pour présenter leur thèse de manière attractive.
Giulia Enders est donc une rigolote, jolie et très érudite. Tout ce qu’il faut savoir de la bouche au popo, mais aussi du système nerveux et de ce qu’on mange, elle nous le raconte comme dans un spectacle imagé où les bactéries s’invectivent, se griment, racontent des bobards, où les organes interpellent le cerveau de façon très cavalière etc. Mais on apprend un tas de choses dans ce bouquin, notamment l’importance de ce qu’on mange, pourquoi on grossit même en mangeant peu, comment se prémunir contre les dérangements quand la nourriture est mal lavée, ou mal élevée (d’où le bio à préférer largement notamment pour tout ce qui vient de l’animal) et quid des allergies et autres intolérances.
Bien sûr, elle nous fait une visite guidée de tout ce qui compose le tube digestif, nous briefe en passant sur les causes de certains troubles, pourquoi on vomit, on a mal au bide, et comment il faut faire gaffe aux excès d’antibiotiques. Elle ne passe pas sous silence tout le bazar qui concerne les wawas dans un petit cahier scato. Puis à la fin, elle délivre des conseils de toutes sortes.
C’est un livre scientifique et plein d’humour qui s’est quand même vendu à un million d’exemplaires en Allemagne. Il faut croire qu’on a tous un pet de travers et qu’on aimerait bien savoir pourquoi.
NB : le livre est agrémenté de plein d’illustrations naïves réalisées par sa sœur. Quant à la bibliographie citée en fin d’ouvrage, elle est suffisamment fournie pour donner tout le sérieux qu’il convient à ce document.

Le charme discret de l’intestin, de Giulia Enders, 2014. Sorti en 2015 chez Actes Sud. 352 pages, 21,80 €

Texte © dominique cozette

 

L'oural en plein coeur : amours, vodka et drôles de gens

L’Oural en plein coeur, sous-titré des steppes à la taïga sibérienne ne dit pas grand chose sur ce qu’on va trouver dans ce livre et c’est bien dommage. C’est une très belle histoire qu’Astrid Wendlandt a vécue là-bas, un premier amour puis un autre, vingt ans plus tard, dans des contrées dont personne ne nous parle.
Astrid, une femme accomplie, journaliste, ayant largement bourlingué en URSS et ailleurs (voir mon article sur son livre sur les Nenets, lien ici), décide de retourner à Tcheliabinsk, ville plutôt pourrie, où elle tomba raide dingue d’un rocker soviétique dans sa prime jeunesse, puis de parcourir l’Oural, à la recherche des dernières peuplades avant disparition programmée. Tout a changé, l’homme est resté volage. Les Russes ne sont plus ce qu’ils étaient, certains se sont outrageusement enrichis pendant le démembrement de la Russie, les autres se plaignent d’être encore plus précaires qu’au temps du communisme. La vie est rude, les caractères sont bien trempés.
Astrid, que rien ne rebute, décide d’aller à l’assaut de ces régions hostiles mais fascinantes, dans ces paysages dont elle n’est jamais repue, malgré les contes et superstitions qui devraient freiner son enthousiasme. Elle embarque avec un homme qui n’avait jamais quitté Tcheliabinsk, dans une voiture bancale, sans savoir si ce compagnon, avide de vodka comme tout le monde, taiseux, ne va pas profiter d’elle.
Ce qu’il y a de formidable dans ce livre, c’est tous ses à-côtés ethnographiques et historiques, dans une langue riche et imagée. On a l’impression de feuilleter un roman graphique où alternent environnements glauques, immensités inquiétantes, campements folkloriques, friches industrielles en déshérence. On y rencontre de tout, des communautés qui se créent telles de nouveaux hippies en autarcie, des personnages hors du commun, louches parfois, on y apprend des foules de choses sur ce pays, ses prédateurs, la fin d’une civilisation avec la ruée vers les pétroles de Sibérie où s’enlisent les derniers nomades.
L’amour va naître doucement entre ce moujik brut, simple, nature, qui n’a jamais vu que sa ville et ses alentours, et cette globe-trotteuse de l’infini, polyglotte, correspondante au Moscow Times, au Financial Times puis chez Reuters. La question est : allons-nous construire une maison en rondins dans la steppe, avec les marginaux de la civilisation ou l’emmènerai-je vivre à Paris, lui qui ne parle pas anglais, encore moins français ? Il faudra bien trouver le moyen de rester ensemble car une petite fille s’annonce.
Très joli récit qui  nous emmène dans un périple réellement dépaysant ! Vidéo d’Astrid nous parlant de son livre ici.

L’oural en plein cœur par Astrid Wendlandt aux éditions Albin Michel, 2014. 216 pages, 19,50 €

Texte © dominique cozette

Ma récré avec Frédo !

Un millefeuille, c’est exactement ça, le bouquin de Frédéric Mitterrand, plus de mille pages. On se dit qu’on a eu les yeux plus gros que le ventre et puis non, c’est une vraie gourmandise, on en reprend avec plaisir jusqu’aux dernières miettes, on en raconte les diverses sensations aux proches et lorsqu’il est fini, on dit : crotte.
« Récréation » en poche jouit d’une couverture en contre-sens puisqu’il montre un Frédo enfant. Or, il s’agit de son journal de ministre, lorsqu’il fut appelé à la culture — à sa grande surprise — par le président d’avant. Mes premières réactions furent celles d’une contribuable outrée par le grand train que mènent tous ces gens avec nos deniers. Passé ce moment d’indignation — Mitterrand lui-même ne s’exonère pas d’une certaine culpabilité illégitime à être là — on s’amuse des naïvetés du personnage, de ses bourdes, de son inaptitude à entrer dans le rang des formatés du pouvoir. On s’émerveille avec lui des visites culturelles où il nous invite, on se perd dans les arcanes des combines qui se trament autour de lui pour obtenir des sous, un poste, une direction de théâtre, une invitation.
Ce qu’il y a de bien, c’est que Fred Mit, c’est l’élégance personnifiée. Pas de règlement de comptes ou très peu mais des portraits rapidement brossés, des situations cocasses drôlement rapportées, des citations assez éclairantes sur certaines personnalités. On peut se laisser prendre au piège de l’empathie et trouver plutôt sympathique un détestable politique. Il côtoie un nombre pharamineux de gens, je passe sur ceux qui font partie du système culturel (Gallet avec qui il a bossé par exemple) et dont les noms ne m’évoquent rien, ce qui n’est pas important puisque ce ne sont que des anecdotes fermées, mais aussi tout un panorama de people avec leurs petits travers.
L’œil de Frédéric Mitterrand est puissamment sexué. Il mate, il mate, il mate. Les mecs, bien sûrs, qu’ils soient ministres hétéros ou gardes du corps, il ne peut s’empêcher de commenter ceux qu’il trouve beaux mecs. Rappelé à l’ordre par ses soutiens mais pouvant s’échapper pour filer rencart à un barman. C’est un mec comme les autres mais comme il n’y a pas de crainte qu’on crie au macho, il ne se gêne pas pour y aller de son commentaire sur les petits culs qu’il croise.
Pour ce qui est de la présidence et de sa politique, elle est juste présente quand il s’y soumet, lors des conseils des ministres, des voyages officiels et autres pince-fesses (hormis la sévère critique de l’extrême-droitisation finale). Jusqu’à la chute finale, auxquels tous  croyaient puisqu’ils déménageaient leurs affaires personnelles et qu’ils se recasaient vite dans le privé, FM n’a parlé que de ce qui se passait dans son ministère. Il fait l’impasse sur le travail de bureau, les dossiers ardus et techniques (que fait-il exactement ? Mystère et boule de suif), il ne raconte que ses rencontres, les soirées, les déplacements, les séances de décoration etc. Que du mondain. De l’aventure. De la récré.
C’est la triste vie de nos politiques vu de façon amusante par un infiltré. Moi, ça m’a bien plu, c’est tellement bien écrit. Ça peut lasser aussi. Ça peut se lire par petits bouts, s’abandonner un long moment, s’ouvrir par hasard. Par exemple, le 4 avril 2011 : « Remise de la Légion d’Honneur à Arnold Schwarzenegger au milieu d’un tumulte délirant de photographes et de caméras. Le temps où il posait en slip sur la plage du Carlton cornaqué par un essaim de folles surexcitées et où d’aventureuses jeunes filles rêvaient de s’endormir dans les bras de King-Kong est bien loin. Toujours sympa, mais momifié par les liftings et cuit aux anabolisants. » Sur Berlusconi : »on peut compter un à un les cheveux collés par la brillantine comme les derniers vaillants fantassins d’une armée en déroute sur le front de la calvitie ». Un petit mot de Roselyne durant le conseil, après un compliment de Sarkozy sur l’action de Fred : « Youki (c’est lui) est devenu le meilleur toutou du chenil. Attention, les roquets vont devenir jaloux ! ». Et, encore au hasard, ce paragraphe : « Colloque des agents de la diplomatie culturelle, “un atout pour la France dans un monde en mouvement”. Les trois B : baratin, bavardage, billevesées. Je fais le discours de clôture, très applaudi; je finirai conseiller à Pyongyang si je m’applique ».

La récréation par Frédéric Mitterrand. 2013 chez Laffont, 2015 chez Pocket. 1012 pages. 9,98 €.

En route pour Pattaya, la fleur du Capital !

C’est un monstre, ce premier livre, un monument, une montagne ! Un fabuleux labyrinthe aux boyaux serrés, un torrent permanent de descriptifs volatils et changeants au gré du personnage qui les énonce. Car ce roman de 770 pages écrites petit, denses, riches, est composé de cinq parties séparées par une page cartonnée noire, chacune dévolue à un personnage qui croise parfois la route des autres. Trois parmi eux m’ont vraiment intéressée – dont le seul qui soit thaïe, né homme et devenue femme sublime, qu’on appelle aussi ladygirl—. L’un d’eux le « scribe » m’ a carréement ennuyée. Je l’ai lu en diagonale sans que cela nuise au récit car ce n’est pas une histoire, c’est une chronique.
Mais d’abord, de quoi est-il question ici ? De Pattaya, le paradis du tourisme sexuel, l’endroit où tous les hommes, retraités ou non, et beaucoup de femmes, veulent s’arrimer car ils en ont assez de la France. A Pattaya, il y a tout. Et le pire. Et le meilleur. Beaucoup donc réalisent leurs actifs et, coupant les amarres, se retrouvent dans cet eden tentateur et tentaculaire, où l’on vit à toute heure, où le cul n’est pas le seul plaisir mais le seul but et où, je l’ignorais mais est-ce vrai ? les prostituées elles-mêmes dictent leurs lois aux gogos qui les fantasment pour pouvoir arriver à leurs fins : le mariage, la maison, les gosses, la richesse. La respectabilité.
Ce n’est pas un livre érotique. Quelques détails des passes, des caresses, des pratiques mais pas plus que ça. L’intérêt, c’est le ressort qui anime chaque personnage, ses motivations, les tribulations des uns, les rêves et décadences des autres, ce petit monde vu à la loupe d’un oeil extrêmement incisif et d’une analyse plus que brillante.
L’auteur a des lettres, du vocabulaire et de l’érudition. Un vrai plaisir. De nombreuses références stylistiques et aussi une connaissance vraisemblablement fouillée de la ville où il a vécu toute la durée de la rédaction du livre, ayant lâché ses autres occupations (culturelles). Ce qu’il raconte de façon aussi détaillée donne le vertige tellement c’est creusé, parfois trop. C’est un jeune auteur, c’est un premier livre, il faut prendre son temps en le lisant. C’est grandiose.

La Fleur du Capital de Jean-Noël Orengo aux Editions Grasset & Fasquelle. 2015. 768 pages, 24 €

Le dernier Vargas, d'urgence !

L’événement. Les fans de Fred Vargas le guettent et le fêtent, le dernier opus puisqu’il se retrouve toujours dans la liste des meilleures ventes. Et c’est mérité, c’est pas de la gnognotte, c’est toujours extrêmement original, minutieusement documenté, maladivement complexe.
Dans celui-ci, Temps glaciaires, des séries de meurtres lancent l’équipe d’Adamsberg sur deux pistes dont on se demande sans arrêt si elles ont réellement un tronc commun, à part les cadavres, ce qui n’est pas rien. Une dissension naît au sein de l’équipe, beaucoup reprochent à Adamsberg d’aller où ce n’est plus nécessaire, perte de temps, etc… alors que les morts s’accumulent sur l’autre piste.
La première, c’est l’Islande avec un énorme secret, un énorme danger, un énorme no man’s land qu’est une toute petite île assassine dont on ressort mal ou pas. La seconde, c’est la filière Robespierre, une asso qui fait revivre les assemblées révolutionnaires qui en conduiront beaucoup à l’échafaud.
Le truc très agaçant pour les enquêteurs, c’est qu’on ne sait pas les noms de tous gens qui ont participé au voyage islandais ni ceux des 700 membres du clan Robespierre. Il faudra « juste » trouver des liens.
Moi qui ne suis pas une passionnée d’histoire — c’était ma matière faible, j’en ai gardé une détestation des films en costume, c’est dire ! — je suis entrée dans cette lourde intrigue avec plaisir et curiosité. C’est vraiment extra !
Il n’y a pas plus à en dire, c’est un polar, ça démarre avec une petite vieille qui tombe dans une petite rue d’une petite ville.
(Evitez la critique de l’Express qui, connement et malgré un enthousiasme de bon aloi, dévoile un élément primordial qu’on n’apprend que vers la fin).

Temps glaciaires de Fred Vargas aux éditions Flammarion, 2015. 490 pages, 19,90 €.

Texte © dominique cozette

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