C’est un monstre, ce premier livre, un monument, une montagne ! Un fabuleux labyrinthe aux boyaux serrés, un torrent permanent de descriptifs volatils et changeants au gré du personnage qui les énonce. Car ce roman de 770 pages écrites petit, denses, riches, est composé de cinq parties séparées par une page cartonnée noire, chacune dévolue à un personnage qui croise parfois la route des autres. Trois parmi eux m’ont vraiment intéressée – dont le seul qui soit thaïe, né homme et devenue femme sublime, qu’on appelle aussi ladygirl—. L’un d’eux le « scribe » m’ a carréement ennuyée. Je l’ai lu en diagonale sans que cela nuise au récit car ce n’est pas une histoire, c’est une chronique.
Mais d’abord, de quoi est-il question ici ? De Pattaya, le paradis du tourisme sexuel, l’endroit où tous les hommes, retraités ou non, et beaucoup de femmes, veulent s’arrimer car ils en ont assez de la France. A Pattaya, il y a tout. Et le pire. Et le meilleur. Beaucoup donc réalisent leurs actifs et, coupant les amarres, se retrouvent dans cet eden tentateur et tentaculaire, où l’on vit à toute heure, où le cul n’est pas le seul plaisir mais le seul but et où, je l’ignorais mais est-ce vrai ? les prostituées elles-mêmes dictent leurs lois aux gogos qui les fantasment pour pouvoir arriver à leurs fins : le mariage, la maison, les gosses, la richesse. La respectabilité.
Ce n’est pas un livre érotique. Quelques détails des passes, des caresses, des pratiques mais pas plus que ça. L’intérêt, c’est le ressort qui anime chaque personnage, ses motivations, les tribulations des uns, les rêves et décadences des autres, ce petit monde vu à la loupe d’un oeil extrêmement incisif et d’une analyse plus que brillante.
L’auteur a des lettres, du vocabulaire et de l’érudition. Un vrai plaisir. De nombreuses références stylistiques et aussi une connaissance vraisemblablement fouillée de la ville où il a vécu toute la durée de la rédaction du livre, ayant lâché ses autres occupations (culturelles). Ce qu’il raconte de façon aussi détaillée donne le vertige tellement c’est creusé, parfois trop. C’est un jeune auteur, c’est un premier livre, il faut prendre son temps en le lisant. C’est grandiose.
La Fleur du Capital de Jean-Noël Orengo aux Editions Grasset & Fasquelle. 2015. 768 pages, 24 €