Un truc très beau qui contient tout

Un truc très beau qui contient tout est le titre (magnifique) du premier tome de la correspondance de Neil Cassady  qui va de 1944 à 1950 et se termine par de très longues lettres,  dont celle connue sous le nom de lettre de Joan Anderson (voir article du Monde) qui rendit fou Kerouac tant il la trouvait extraordinaire et digne d’être publiée. Elle raconte dans un rythme de dingue, une brève liaison érotique entre Neal et Joan qui se termina mal par sa faute, comme tout le reste.
Au départ, cette correspondance, Cassady n’a que 18 ans, il écrit principalement à celui lui l’a repéré pour son intelligence. Puis il fait les fameuses rencontres avec ses futurs acolytes de la beat generation mais aussi avec la vie dissolue — qu’il a d’ailleurs déjà entreprise à la puberté.
On y retrouve ses obsessions principales, donc le sexe qui est réellement une addiction et pour lequel il convainc ses diverses régulières de le laisser libre sur ce sujet sans importance, les bagnoles qu’il adore et dézingue en conduisant à toute blinde (j’imagine que la vitesse est en miles, dans ces deux livres), la littérature avec de nombreuses références à Proust, Flaubert, Céline, Joyce, Schopenhauer, rien que ça, le jazz mais aussi la défonce. Il est presque toujours défoncé ou sous influence.
Il a des passages à vide où il songe au suicide, restant des heures le doigt sur la gâchette d’un pétard, ou conduisant comme un fou en brûlant tous les stops de la ville, ou demandant à sa femme de le tuer. Mais il a aussi ses périodes d’exaltation totale, s’enflammant pour des mots, des femmes, des ambiances. Aurait-il été bipolaire ?
Pour ses femmes, c’est pas joyeux. Il en a épousé trois mais lorsqu’il en épousait une, il filait revivre avec celle d’avant. La dernière, avec qui il a un énième enfant, il n’a pratiquement pas vécu avec elle malgré tout le foin qu’il a fait à celle d’avant pour divorcer et avec qui il est retourné illico. Ne comptons pas les aventures d’une soir, d’une heure, même. Des centaines.
Même s’il est sincère quand il énonce ses sentiments, il les oublie dans la minute, comme un chat qui s’excite pour un oiseau qui passe. L’instabilité, la bougeotte et une énergie hors normes le poussent à tout brûler, même quand il bosse aux trains.

Dans ce premier tome, son style se précise malgré des lettres extrêmement brouillonnes que j’ai trouvées un peu moins intéressantes que celles d’après (ici mon article sur le tome 2 de sa correspondance) , quand il est plus mûr. Poussé par Kerouac et soutenu par Ginsberg qui est dingue de lui, il apprend peu à peu à écrire mieux, même s’il trouve ses lettres nulles et égocentrées. L’ensemble des deux tomes constitue un document exceptionnel.

Un truc très beau qui contient tout, lettres 1944-1950 de Neil Cassady dans la superbe édition Finitude, superbement traduit par Fanny Wallendorf en 2014. 330 pages, 23 €

texte © dominique cozette

 

 

Le voyage de cent pas. Un beau voyage en gastronomie…

Un ami m’a offert ce roman, Le voyage de cent pas de Richard C. Morais, dont je n’avais pas entendu parler, pas plus que du film qui en a été tiré. Eh bien, c’est un bouquin parfait pour l’été, qui vous fait voir du pays mais surtout de la nourriture. Et pas n’importe laquelle, les mets les plus fins cuisinés par les grands chefs étoilés. Un pur délice.
Ce livre raconte l’épopée d’un jeune indien de Bombay, Hassan, qui respirait déjà dans son berceau les odeurs de curry de poisson épicé du grand restaurant de son grand-père à l’étage au-dessous. Tout le monde s’affaire en cuisine et en salle avec succès puisque c’est le rendez-vous du tout Bombay. Jusqu’au jour où la malveillance ambiante finit par avoir raison d’eux, il faut dire que la mère du gamin en meurt.
Le père, un gros bonhomme jovial et gourmand embarque son petit monde à Londres, et là commence une nouvelle aventure d’ordre sexuelle pour le jeune homme. Le père décide alors que l’air n’est pas bon ici, et il part avec les siens faire le tour des coutumes culinaires d’Europe au grand dam des enfants qui aimeraient bien se poser. C’est la voiture qui le fait, suite à une panne, dans un petit village du Jura.
Conquis par l’air pur et le paysage, le père décide d’y remonter le même grand restaurant que celui de Bombay et tout le monde se met au travail. Mais juste en face se trouve un établissement des plus raffinés, couru par les riches notables de la région. Lorsque l’enseigne bling-bling et la tonitruante inauguration font leur apparition, c’est la guerre. Madame Mallory, la tenancière du 5 étoiles, puissante et crainte de tous ne va pas se laisser faire. Le tenancier du resto indien non plus. La guerre va aller très loin.
Cependant, Mallory, qui a détecté chez le jeune homme une sorte de « goût absolu », fera tout pour le former aux arts délicats et impitoyables du goût. A partir de là, nous allons suivre l’itinéraire de ce garçon sur la piste des étoiles du Michelin où rien ne lui sera épargné.
Palpitant en même temps que très instructif, le livre nous emmène dans les coulisses de la super bouffe où sont concoctés les plus salivantes recettes du monde. L’eau nous vient à la bouche à l’évocation des plats sophistiqués et des ingrédients de qualité servis aux grands de ce monde qui, finalement viennent souvent les consommer par snobisme, sans aucune notion sur leur goût subtil.
Je vous souhaite bon appétit avec ce livre que vous ne pourrez pas vous empêcher de dévorer plutôt que de le déguster.

Le voyage de cent pas de Richard C. Morais, chez Calmann Lévy en 2011. Traduit par Laure Joanin. 308 pages, 19,30 €.

Kerouac jusqu'au bout du rouleau…

Cassady et Kerouac

Car comme vous ne l’ignorez pas, Sur la route a été écrit sur un rouleau de papier de 50 mètres de long, confectionné par Jack lui-même, pour taper sans relâche et sans s’occuper des signaux cette énorme épopée de la route qu’il a taillée en long en large et en travers de son vaste pays.
Peu à voir avec le premier manuscrit édité de Sur la route, sorti en 1957, fait, refait, reconformé, censuré, coupé, collé, remâché, régurgité selon le bon gré des éditeurs qui aiment bien les normes. Et qui lui a apporté le succès que l’on sait.
Le livre que je viens de lire est en fait l’original. Il s’intitule Sur la route, le rouleau original. Il a été retrouvé par hasard 50 ans après sa rédaction. En 2001, donc. Un vrai miracle même si un chien a bouffé un morceau du monument. Cette version poche est flanquée  de quatre préfaces  de 150 pages assez ennuyeuses avant d’avoir lu le bouquin. Plus passionnantes après.
Le récit, lui, m’a chopée dès la première phrase. C’est le trip phénoménal, avec traduction récente exceptionnelle, d’un mec qui aurait pu être normal, aurait fait son voyage initiatique avec une relative sagesse (enfin, oui, peut-être) s’il ne s’était entiché de ce voyou charmeur et déjanté qu’est Neal Cassady, fan de vitesse, de bringues, de dope, de sexe, de folies. Personnage devenu culte à la sortie du premier livre. J’ajoute que la version de 57 l’avait affublé d’un pseudo, comme tous les autres, alors que cette versiosn leur rend leur patronyme. C’est pratique quand on y croise Burroughs ou Allen Ginsberg par exemple. Cassady dont j’ai parlé récemment ici et qui m’a fait acheter ce livre.

C’est un pavé haletant, fiévreux, « écrit dans l’urgence » en trois semaines, sans chapitres, paragraphes ou sauts à la ligne. Ne faites pas comme moi à me dire j’arrête au prochain chapitre, il n’y a pas d’arrêt. Le livre Deux enchaîne sur la dernière phrase du Un, après le point. Et ce n’est pas du tout fastidieux, c’est écrit comme il nous le raconterait, détaillant la conduite extravagante de Cassady jusqu’à l’effroi, les riffs sublimissimes des saxophonistes qu’ils se régalent à écouter lors de leurs folles soirées de débauches, la façon de vivre des Mexicains chez qui ils font leur dernière virée. Il sait transmettre le côté maniaque de Burroughs face à l’invasion de quatre énergumènes qui trashent son petit chez lui bien rangé avec sa femme chérie, ses deux kids et ses piquouses de morphine. Doté d’une mémoire fabuleuse, il retranscrit des discussions entières, des descriptions ultra-précises, des détails saugrenus, par exemple, il fustige avant l’heure l’obsolescence programmée dont le nom n’existe pas encore.
En dépit de la légende qui veut qu’il carbure à la benzédrine, il écrit à Cassidy « j’ai écrit ce livre sous l’emprise du CAFÉ, rappelle-toi mon principe : ni benzédrine, ni herbe, rien ne vaut le café pour doper le mental ».

Quant à Cassidy, c’est un sacré zèbre. Il épouse une première femme. Plus tard, une autre dont il a deux enfants mais il fait tout pour retrouver la première et d’ailleurs, fréquente les deux sans que l’officielle le sache. Puis les quitte et bim, tombe amoureux jusqu’à vouloir en épouser une autre. Mais divorcer lui prend un temps fou. Quand il y parvient, il débarque à NY avec le papier puis, lui demandant de ne pas s’inquiéter, repart aussi sec en Californie car il se meurt de la deuxième. Parmi la pléiade de femmes rencontrées.
Bref, ce sont quelques années de la vie de deux branques mais au talent certain qui continue de nous scier au hasard des rééditions ou des découvertes de divers documents comme les correspondances.

Jack Kerouac. Sur la route Le rouleau original. Excellemment traduit par Josée Kamoun. Gallimard, 2010. Edition de poche Foli, 2014.

Par curiosité, une interview filmée de Kerouac en français avec son accent canadien. Ici.

texte © dominique cozette

 

 

Elysée-moi… et vous verrez !

Bref, on l’a élu et on le voit dans son château. Hollande est donc à l’Elysée, un président sympa, normal, accorte, et il autorise Mathieu Sapin à y passer un an pour croquer les coulisses de ce que les usagers appellent le château. On ne peut pas dire que ça soit tellement palpitant et c’est normal : le dessinateur se dépeint comme un tout petit bonhomme un peu chauve et qui ne veut pas déranger — qui insiste juste un peu pour pouvoir monter dans l’avion présidentiel. Et il observe un autre petit bonhomme un peu chauve qui ne se la pète pas, le président, qui n’a aucun sens de la dramaturgie. Le troisième personnage étant l’ensemble des coulisses qui se laissent visiter, enfin pas tout, afin de montrer au petit peuple ce qu’on fait de son argent.
L’auteur n’est ni cruel ni indiscret, on sent bien que, devenu transparent aux yeux des autres et des journalistes attitrés, il a dû en voir et en entendre plus que ce qu’il nous montre. Aquilino Morelle, Valerie T. et bien d’autres dégagent pendant cette période, un nouveau gouvernement est formé, quelques voyages qui auraient pu être des curiosités se déroulent mais dans une routine assez déroutante. Le président normal montre bien qu’il l’est, d’humeur égale, poli, sans rien dévoiler de ses affects même auprès des proches.
Des pages ont été ajoutées après la fin programmée : celles des attentats de Charlie et de la marche du 11 janvier.
C’est assez sympa malgré tout de visiter le Château, ça nous évite de faire sept heures de queue lors des journées du patrimoine et nous permet de savoir ce qu’a mangé la reine d’Angleterre quand elle a été reçue… après six mois de préparation d’un côté comme de l’autre de la Manche. Tout ça pour ça ? Eh oui…

Le Château, une année dans les coulisses de l’Elysée, par Mathieu Sapin chez Dargaud 2015. 144 pages, 19,99 €.

Texte © dominique cozette

Vernon Subutex 2 : accro, oui.

Voici la suite attendue avec force trépignements comme un shoot bien chargé des (més)aventures du héros littéraire le plus en vogue : Vernon Subutex. Après le tome 1 dont je vous ai parlé (voir ici) avec un enthousiasme débordant, nous retrouvons Vernon se clodo-ifiant gaiment aux Buttes Chaumont. Son cerveau décolle parfois et même souvent, mais rien de grave, c’est ça le bonheur. On savait qu’il était recherché pour possession de documents explosifs, à savoir des confessions enregistrées que lui avait confiées son pote, l’icône du rock Alex Bleach juste avant de claquer d’OD. On ne sait toujours pas ce qu’elles révèlent au début du livre mais une journaliste, ou plutôt une pourrisseuse de réputation très active sur le Web, grassement payée pour ses talents et appelée la Hyène, a mis la main dessus, cachées sous le lit d’une copine de Vernon qui le recherche elle aussi pour trahison d’amitié.
Sans spoiler l’affaire, il se trouve que les enregistrements accusent un puissant d’avoir abusé puis achevé une femme. Une hardeuse junkie. Il se trouve aussi que la Hyène, au lieu de filer ces bandes à ce client, préfère réunir tous les intéressés par l’affaire. Dont Vernon. Il se trouve que la fille de la morte, élevée tendrement et librement par son père mais devenue pieuse sous foulard, poussée par d’autres vengeresses, décide de faire payer chèrement le bonhomme. Il se trouve tout un tas d’événements qui font qu’une bande improbable de personnages pas faits pour s’entendre a priori se regroupent autour de Vernon Subutex, au Rosa Bonheur où il se remet aux platines et réinvente des moments de grâce, planants, ensorcelants.
Il y aura la mort de l’un d’eux, facho sur les bords, assassiné par des brutes, pour redonner du lien et du sens à cette bande naissante, des buts de regroupement dans des endroits secrets, sans réseau et pleins d’empathie où chaque personnage trouve un rôle à sa mesure : trouver le lieu, organiser la fête, décorer l’endroit etc.
Le plaisir principal que je retire de ces livres réside dans la dissection de la vie des gens, ce qui s’est tramé dans leur tête, ce qui fait qu’ils s’acceptent ou se détruisent, ce qui les a modelés ou flingués. C’est l’immense talent de l’écrivaine qui sait créer des personnages sans une once de vide, des gens vrais, denses, dont les méandres psychologiques sont passés au crible de son humanisme et qui fourmillent page après page pour notre plus grande curiosité. Mais surtout qui reflètent l’instant T de notre société avec ses violences et ses frustrations. Cerise on the cake :  Virginie Despentes a pris soin d’inclure au tout début du livre un bref résumé des personnages pour éviter qu’on galère en se demandant mais qui c’est déjà celui-là. Grand merci Virginie.

Vernon Subutex 2 par Virginie Despentes, 2015 aux éditions Grasset. 384 pages, 19,90 €. Le mien est dédicacé pour le même prix !

Mon article sur Teen spirit
Texte © dominique cozette

Neal Cassady : dingue !

Avant, je disais Cassidy, je confondais Neal avec Butch. Mais Neal Cassady n’est pas Butch, c’est le pivot sur lequel s’est fixée la beat generation car il était intime avec Kerouac, et Kerouac l’a pris comme modèle pour en faire le héros de sur la route, sous le nom de Dean Moriarty (les vrais noms sont repris dans la nouvelle édition de Sur la route, le rouleau original).
Dingue de la vie & de toi & de tout est un recueil juste sorti du four qui réunit la correspondance de Neal de 1951 à 1968, année de sa mort. C’est le deuxième tome, je n’ai pas (encore) lu le premier. Ils s’écrivent tous, Kerouac, Ginsberg, Burrough etc à la machine avec épaisseurs de carbone, font circuler leurs écrits, se renseignent les uns les autres sur les uns les autres. Car ils sont éparpillés dans le vaste pays, jusqu’au Mexique quand ce n’est pas au Maroc. Souvent pour des raisons de justice.
Neal est serre-freins, c’est son boulot, un boulot très répandu à l’époque car il fallait bien que les trains s’arrêtassent avant l’invention des techniques hydrauliques. Ils devaient ralentir de très loin, et il est arrivé que Neal ait loupé quelques freinages pour raison d’imprégnation illicite. C’était un métier difficile qui recrutait beaucoup, je suppose qu’ils étaient nombreux par train, Neal ayant réussi à faire engager Kerouac quand il était fauché, mais qui disparut aussitôt avec sa paie pour aller aux putes et aux dealers. N’empêche, Neal bossait énormément, il avait trois enfants officiels, plus un, une maison et un amour irraisonné pour les voitures, les expériences planantes et le sexe. Il a d’ailleurs était l’amant de Ginsberg et d’innombrables femmes.
A cette époque, tout le monde couchait avec tout le monde, il n’en voulait pas à Kerouac et sa femme d’être amants, ni à sa petite amie de coucher avec tout le monde, même s’il aurait préféré qu’elle ne couchât pas avec tout le monde mais avec « presque » tout le monde. Donc il bossait 16 heures par jour, parfois loin de son domicile, il dormait souvent dans sa voiture mais c’était un coriace, il était capable de conduire non-stop de San-Francisco à NYC sauf pour faire le plein.

En fait, il était toujours sous l’emprise des drogues, dures, molles, qui s’avalent, se fument, avec ou sans alcool. Il adorait perdre la boule et n’arrêtait pas de tester de nouveaux mélanges. Il n’a apparemment jamais eu d’accident de voiture alors qu’il conduisait défoncé pied au plancher.
Il est devenu célèbre, non pas en écrivant, (il a juste écrit le début de sa bio sous forme de court roman), mais en étant le héros de sur la route. Il est devenu une icône et du coup, ses lettres sont devenues son œuvre. Et il y a de quoi ! On se régale en lisant sa façon d’exister, d’aimer ses amis, sa femme, ses enfants, de vivre d’une façon aussi dingue. C’était un clown, il amusait la galerie en scattant à une allure démente des tas de trucs rigolos, il séduisait toutes les femmes, il embobinait qui il voulait.
Il est mort connement, à la suite d’une soirée d’où, défoncé, il est reparti à pied pour rentrer chez lui, loin. Il est mort à moitié de froid, à moitié d’OD. Et il n’avait que 42 ans.
Ce livre est bien fichu parce qu’entre les lettres s’intercalent de nombreux éléments biographiques qui permettent de cerner le contexte. C’est passionnant. Du coup, j’ai acheté sur la route, l’original édité récemment d’après le rouleau. Et puis j’achèterai aussi le tome 1 de la correspondance  de Neal de 1944 à 1950, un truc très beau qui contient tout. Plaisir en perspective !

Dingue de la vie & de toi & de tout, lettres 1951-1968 par Neal Cassady chez Finitude, 2015. Traduit par Fanny Wallendorf. 254 pages, 22 €. Ce qui ne fait pas cher la lettre !

Texte © dominique cozette

L'aventure hippie, du costo !

Ce n’est pas une rigolade pondue en trois coups de cuillère à pot malgré ce que nous inspirerait la couverture rigolote proche de l’escapade de la famille Fenouillard. C’est ce que je croyais quand je l’ai vu sur une table de ma médiathèque. Je l’ouvre et tombe sur un Américain que je connais, Jim Haynes pour avoir fréquenté quelques sunday diners*, à poil couilles à l’air entre deux belles blondes dans le même état. Je rouvre ailleurs et tombe sur un autre que je connais aussi dans une sorte de fête du corps. Autrement dit un mélange sexuel comme on en faisait tant. Intriguée, je feuillette et m’aperçois que ce livre est un bouquin hénaurme et dense dans son grand format original de 1995, abondamment illustré —  je ne sais pas ce que donne la version poche qu’on peut acheter en ligne—  écrit par deux journalistes français, Jean-Pierre Bouyxou et Pierre Denanoy, deux jeunes zèbres à l’époque qui ont vécu une partie du mouvement et ont ramassé, depuis, une tonne de documents sur ces années bénies dont beaucoup ne connaissent que la partie cliché, la musique planante, les fleurs dans les cheveux longs, la libération sexuelle.
En fait,  il s’agit d’une révolution née aux Etats Unis où l’on assiste, début des années soixante, à l’éclosion de nombreuses tribus, des jeunes qui veulent tuer le vieux système en créant une nouvelle façon de vivre, une vie en communauté où ne règneraient que l’entente, la paix, l’échange.
C’est aussi une réaction à la guerre du Viet-Nam où ces jeunes devraient partir maisprennent le maquis pour échapper à cette guerre vaine.
Avec ces nouvelles aspirations, la musique évolue, se cherchant d’autres voies que celles du rock, le cinéma s’y met avec une immense vague de films marginaux, expérimentaux. La contre-culture naît d’un fourmillement de créations underground que nos deux journalistes ont patiemment récoltées  (et qui représente en fin d’ouvrage une annexe d’une vingtaine de grandes pages sur les bibliographie, films, discographie).
Tout ce que vous savez sur cette période du flower power n’est qu’une mini-parcelle de tout ce qu’on apprend ici,  qui passe par Woodstock, la beat generation, les freaks, la route de Katmandou, Ibiza, la pop culture, les protest songs, avec en France, la naissance d’Actuel, Libé bonne époque et un renouveau du cinéma d’auteur. Il faut lire l’analyse de la société française de l’époque qui, malgré l’appellation de glorieuse, est moisie, policière et beauf.
Tout ce qu’il faut savoir sur les drogues consommées, le sexe libéré, les provocations, l’attitude des pouvoirs publics face à jeunes pacifistes sortis du système, l’aventure psychédélique, le féminisme en fleur, etc… est là, dans un foisonnement de documents qui semble ne rien laisser de côté.
Cette grosse dizaine d’années passées au scanner s’achève avec la crise économique. Le premier choc pétrolier de 73 a brisé le grand rêve capitaliste du tout avoir pour pas cher, le deuxième l’achèvera, qui survient en 77. En même temps, les jeunes ont vieilli, d’autres arrivent avec d’autres idées, les punks notamment (j’apprends que Sid Vicious a été élevé dans une communauté hippie !), le mouvement s’est vidé de sa substance dont il ne reste pour en témoigner que quelques babas déjantés, sales et marginaux qui ne font plus rêver personne. Les drogues dures remplacent les drogues douces. La gentillesse, l’amour et les valeurs de partage sont définitivement has been.
Alors, quand il faut passer à autre chose, on coupe ses cheveux, on se recase comme on peut. Les plus chanceux dans des carrières artistiques, la musique, le cinéma, mais aussi la pub, l’édition, le journalisme. Le fric donc, sur lequel on avait bien craché. Et pourquoi pas devenir yuppie ou politicien. Avec un pétard de temps en temps pour la rebellitude.
Une belle tranche d’histoire à feuilleter et à garder si vous trouvez le livre en édition originale.

L’aventure hippie de Jean-Pierre Bouyxou et Pierre Denanoy, aux éditions du Lézard, 1995, mais aussi en poche. 290 pages. 195  francs.

Texte © dominique cozette

*http://www.jim-haynes.com/

Un livre pour l'été ? Le dernier Delacourt, forcément !

J’ai tendance à le renommer les quatre saisons de l’amour mais non, le titre est les quatre saisons de l’été. Indécrottable romantique, Grégoire Delacourt nous offre une ode à l’amour à travers les âges. Pas forcément joyeux, avec des renoncements, des larmes contenues, des projets contrariés, des absences, des non-dits. Tout ce qui fait que ça passe, ça casse ou ça lasse, mais ça embrasse et embrase aussi. Et trépasse peut-être.
C’est pendant la semaine du 14 juillet 1999 que se situent les histoires, dernière année de notre vie sur terre selon Nostradamus et Paco Rabanne réunis, avec l’énorme bug du millenium à son bout. C’est au Touquet, précisément, la plus grande plage du monde quand la mer se retire à des kilomètres — et dans d’autres endroits où sont advenus certains faits — mais où il pleut souvent. Chance : il fait beau. C’est un bel été de glaces et de gaufres, de sable et de serviettes de bain, de corps offerts au soleil et aux autres, de recherche d’aventure, d’envies de braise.
Quatre histoire se partagent le livre, quatre histoires indépendantes mais qui vont se croiser et s’infléchir, toutes avec un nom de fleur qui est parfois le nom de l’héroïne.
La première a 13 ans et son petit complice de jeux est fou amoureux d’elle, il n’y a qu’elle, c’est sa vie, elle est tout. Mais pour elle, il n’est rien de tout cela, elle voit plus loin, elle voit ailleurs, elle voit du côté de la femme qu’elle sera très vite, sans vergogne, séductrice avant l’âge légal.
La seconde a 35 ans, elle est seule avec son gamin de 9 ans, elle n’a pas de chance avec les hommes, ni avec son premier grand amour, ni avec son mari qui, un jour, part les mains dans les poches en disant c’est fini. Rien d’autre. Qui va t-elle rencontrer pendant cette fête des corps, va-t-elle pouvoir changer le regard qu’elle porte sur les hommes et l’amour ?
La troisième a 55 ans, c’est une belle femme fidèle, 35 ans de conjugo à son actif (et passif), trois garçons partis vivre leur vie, et des belles jambes. Puis d’un seul coup, son corps qui s’éveille, qui ressuscite, désirable, pétillant, magnifique comme son cœur, avide et affamé.
La quatrième, l’histoire particulièrement touchante d’un vieux couple qui s’est juré entre deux bombes, en 44, de rester et mourir ensemble. Un couple accroché par la main, provoquant l’attendrissement de ceux qu’il croise. Comment bien finir une belle histoire d’amour, joliment, modestement, tranquillement et passionnément ?
Un beau et bon livre, absolument pas gnan-gnan, au contraire, nerveux, fiévreux, douloureux parfois, qui rappelle notre vécu, dégage une belle ambiance et nous plante quelques chansons en tête. La plage à portée de main.

Les quatre saisons de l’été, de Grégoire Delacourt. Editions JCLattès, 2015. 270 pages, 18,50 €.

Qui connaît Sam Lipsyte ?

C’est un écrivain acide, acerbe et caustique comme je les aime. D’ailleurs, son excellente et  hyper graphique maison d’édition, Monsieur Toussaint Louverture (du nom d’un abolitionniste), ne publie que ce genre de romans. Souvenez-vous de Karoo et Price de Steve Tesich.

La dernière page de l’ouvrage déjà mérite le détour :

LA COUVERTURE
est en carton gris de 400 grammes imprimée
à plusieurs reprises en offset, puis gentiment
claquée pour la secouer un peu.

LE PAPIER INTÉRIEUR
est du Lac 2000 de 80 gr., mais de 1,3 ;
cependant, l’odeur si caractéristique qui
se dégage de ces pages n’est pas la sienne,
mais celle de l’encre et de la colle.

LES POLICES
utilisées sont de Linotype Adobe Garamond
(en majorité) et du Vendetta
(en minorité).

L’OUVRAGE
ne mesure que 144mm de largeur
sur 195 mm de hateur, et son dos, 23 mm.
Les désillusions qu’il renferme, elles,
sont innombrables.

La couverture est très belle et tout ce qui est noir ou rouge est en creux, en quatrième aussi. Le rose de la main est délicat, de la même valeur que le gris. J’adore. La libairie sétoise qui m’a conseillée (en plus de la note posée sur le livre)  est d’une grande fiabilité. Seule ombre au tableau : le titre demande, et tu recevras dont je ne me souviendrai plus à la fin de cet article.

Le héros, contre-héros, est un petit bonhomme fade, insignifiant, bedonnant, la quarantaine, une femme dominante, un fils de quatre ans également dominant qui ne se prive pas de le critiquer et de l’obliger à lui passer d’odieux caprices, ne mangeant que des wraps, un boulot de merde dans une université de merde qui lui demande (titre du livre) de trouver des mécènes pour renflouer quelques disciplines artistiques, plus une amertume légitime à avoir raté une brillante carrière de plasticien malgré un don prometteur. Il se fait virer du job où il passait son temps à s’imaginer éjaculer entre les deux gros seins de sa collègue Vagina, nom donné par ses parents alors sous crack. Puis on le récupère car son vieux copain, devenu richissime, réclame que ce soit lui qui s’occupe personnellement de son don à un possible département cinématographique de l’université. Pour cela, il faut lécher, bien lécher et se faire mettre aussi. Ce qu’il sait faire car il faut bien vivre. Du coup, il rencontre le fils caché du pote mécène, un tout jeune vétéran fielleux aux jambes métalliques suite à son service en Irak.
L’intéressant de ce livre est plus la façon acérée, désabusée, désespérante dont tout cela est raconté, les épisodes secondaires très hauts en couleurs et violemment crachés par l’auteur, et la moindre description souvent prétexte à dézinguer l’Amérique. Ça commence ainsi : « L’Amérique n’était plus qu’une vieille mère maquerelle en fin de vie. Qu’était donc devenue cette grande nation qui avait pris d’assaut les plages de Normandie, fait la nique aux Soviets et inondé les marchés émergents d’une génération pleine de promesse ? A présente cirrhotique et édentée, la grand-mère patrie sifflait sa pinte de Mad Dog seule au fond du bar, fixant le vide de ses yeux jaunâtres et humides — une proie facile pour les jeunes loups aux dents longues. »
C’est donc le roman d’un loser, encore un direz-vous, mais c’est vrai que les winners, c’est moins amusant.

Demande, et tu recevras de Sam Lipsyte, The Ask étant le titre original (2010). Traduit par Martine Céleste Desoille, illustré par Philippe Constantineto. Edition Monsieur Toussaint Louverture, 2015.  412 pages, 23 €.

Texte © dominique cozette

 

Le charme discret de l'intestin : Désopilant !

L’intestin, on commence à parler de lui comme le deuxième cerveau car on s’est aperçu qu’il régulait une bonne part de notre santé, de notre moral et de certaines maladies. La fille qui nous raconte son amour pour cet organe a 25 ans, elle est doctorante, passionnée de gastro-entérologie et a remporté le Prix de la Nuit des Sciences de Berlin où on donne 10 minutes aux étudiants pour présenter leur thèse de manière attractive.
Giulia Enders est donc une rigolote, jolie et très érudite. Tout ce qu’il faut savoir de la bouche au popo, mais aussi du système nerveux et de ce qu’on mange, elle nous le raconte comme dans un spectacle imagé où les bactéries s’invectivent, se griment, racontent des bobards, où les organes interpellent le cerveau de façon très cavalière etc. Mais on apprend un tas de choses dans ce bouquin, notamment l’importance de ce qu’on mange, pourquoi on grossit même en mangeant peu, comment se prémunir contre les dérangements quand la nourriture est mal lavée, ou mal élevée (d’où le bio à préférer largement notamment pour tout ce qui vient de l’animal) et quid des allergies et autres intolérances.
Bien sûr, elle nous fait une visite guidée de tout ce qui compose le tube digestif, nous briefe en passant sur les causes de certains troubles, pourquoi on vomit, on a mal au bide, et comment il faut faire gaffe aux excès d’antibiotiques. Elle ne passe pas sous silence tout le bazar qui concerne les wawas dans un petit cahier scato. Puis à la fin, elle délivre des conseils de toutes sortes.
C’est un livre scientifique et plein d’humour qui s’est quand même vendu à un million d’exemplaires en Allemagne. Il faut croire qu’on a tous un pet de travers et qu’on aimerait bien savoir pourquoi.
NB : le livre est agrémenté de plein d’illustrations naïves réalisées par sa sœur. Quant à la bibliographie citée en fin d’ouvrage, elle est suffisamment fournie pour donner tout le sérieux qu’il convient à ce document.

Le charme discret de l’intestin, de Giulia Enders, 2014. Sorti en 2015 chez Actes Sud. 352 pages, 21,80 €

Texte © dominique cozette

 

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