Ce n’est pas une rigolade pondue en trois coups de cuillère à pot malgré ce que nous inspirerait la couverture rigolote proche de l’escapade de la famille Fenouillard. C’est ce que je croyais quand je l’ai vu sur une table de ma médiathèque. Je l’ouvre et tombe sur un Américain que je connais, Jim Haynes pour avoir fréquenté quelques sunday diners*, à poil couilles à l’air entre deux belles blondes dans le même état. Je rouvre ailleurs et tombe sur un autre que je connais aussi dans une sorte de fête du corps. Autrement dit un mélange sexuel comme on en faisait tant. Intriguée, je feuillette et m’aperçois que ce livre est un bouquin hénaurme et dense dans son grand format original de 1995, abondamment illustré — je ne sais pas ce que donne la version poche qu’on peut acheter en ligne— écrit par deux journalistes français, Jean-Pierre Bouyxou et Pierre Denanoy, deux jeunes zèbres à l’époque qui ont vécu une partie du mouvement et ont ramassé, depuis, une tonne de documents sur ces années bénies dont beaucoup ne connaissent que la partie cliché, la musique planante, les fleurs dans les cheveux longs, la libération sexuelle.
En fait, il s’agit d’une révolution née aux Etats Unis où l’on assiste, début des années soixante, à l’éclosion de nombreuses tribus, des jeunes qui veulent tuer le vieux système en créant une nouvelle façon de vivre, une vie en communauté où ne règneraient que l’entente, la paix, l’échange.
C’est aussi une réaction à la guerre du Viet-Nam où ces jeunes devraient partir maisprennent le maquis pour échapper à cette guerre vaine.
Avec ces nouvelles aspirations, la musique évolue, se cherchant d’autres voies que celles du rock, le cinéma s’y met avec une immense vague de films marginaux, expérimentaux. La contre-culture naît d’un fourmillement de créations underground que nos deux journalistes ont patiemment récoltées (et qui représente en fin d’ouvrage une annexe d’une vingtaine de grandes pages sur les bibliographie, films, discographie).
Tout ce que vous savez sur cette période du flower power n’est qu’une mini-parcelle de tout ce qu’on apprend ici, qui passe par Woodstock, la beat generation, les freaks, la route de Katmandou, Ibiza, la pop culture, les protest songs, avec en France, la naissance d’Actuel, Libé bonne époque et un renouveau du cinéma d’auteur. Il faut lire l’analyse de la société française de l’époque qui, malgré l’appellation de glorieuse, est moisie, policière et beauf.
Tout ce qu’il faut savoir sur les drogues consommées, le sexe libéré, les provocations, l’attitude des pouvoirs publics face à jeunes pacifistes sortis du système, l’aventure psychédélique, le féminisme en fleur, etc… est là, dans un foisonnement de documents qui semble ne rien laisser de côté.
Cette grosse dizaine d’années passées au scanner s’achève avec la crise économique. Le premier choc pétrolier de 73 a brisé le grand rêve capitaliste du tout avoir pour pas cher, le deuxième l’achèvera, qui survient en 77. En même temps, les jeunes ont vieilli, d’autres arrivent avec d’autres idées, les punks notamment (j’apprends que Sid Vicious a été élevé dans une communauté hippie !), le mouvement s’est vidé de sa substance dont il ne reste pour en témoigner que quelques babas déjantés, sales et marginaux qui ne font plus rêver personne. Les drogues dures remplacent les drogues douces. La gentillesse, l’amour et les valeurs de partage sont définitivement has been.
Alors, quand il faut passer à autre chose, on coupe ses cheveux, on se recase comme on peut. Les plus chanceux dans des carrières artistiques, la musique, le cinéma, mais aussi la pub, l’édition, le journalisme. Le fric donc, sur lequel on avait bien craché. Et pourquoi pas devenir yuppie ou politicien. Avec un pétard de temps en temps pour la rebellitude.
Une belle tranche d’histoire à feuilleter et à garder si vous trouvez le livre en édition originale.
L’aventure hippie de Jean-Pierre Bouyxou et Pierre Denanoy, aux éditions du Lézard, 1995, mais aussi en poche. 290 pages. 195 francs.
Texte © dominique cozette
*http://www.jim-haynes.com/