Un truc très beau qui contient tout

Un truc très beau qui contient tout est le titre (magnifique) du premier tome de la correspondance de Neil Cassady  qui va de 1944 à 1950 et se termine par de très longues lettres,  dont celle connue sous le nom de lettre de Joan Anderson (voir article du Monde) qui rendit fou Kerouac tant il la trouvait extraordinaire et digne d’être publiée. Elle raconte dans un rythme de dingue, une brève liaison érotique entre Neal et Joan qui se termina mal par sa faute, comme tout le reste.
Au départ, cette correspondance, Cassady n’a que 18 ans, il écrit principalement à celui lui l’a repéré pour son intelligence. Puis il fait les fameuses rencontres avec ses futurs acolytes de la beat generation mais aussi avec la vie dissolue — qu’il a d’ailleurs déjà entreprise à la puberté.
On y retrouve ses obsessions principales, donc le sexe qui est réellement une addiction et pour lequel il convainc ses diverses régulières de le laisser libre sur ce sujet sans importance, les bagnoles qu’il adore et dézingue en conduisant à toute blinde (j’imagine que la vitesse est en miles, dans ces deux livres), la littérature avec de nombreuses références à Proust, Flaubert, Céline, Joyce, Schopenhauer, rien que ça, le jazz mais aussi la défonce. Il est presque toujours défoncé ou sous influence.
Il a des passages à vide où il songe au suicide, restant des heures le doigt sur la gâchette d’un pétard, ou conduisant comme un fou en brûlant tous les stops de la ville, ou demandant à sa femme de le tuer. Mais il a aussi ses périodes d’exaltation totale, s’enflammant pour des mots, des femmes, des ambiances. Aurait-il été bipolaire ?
Pour ses femmes, c’est pas joyeux. Il en a épousé trois mais lorsqu’il en épousait une, il filait revivre avec celle d’avant. La dernière, avec qui il a un énième enfant, il n’a pratiquement pas vécu avec elle malgré tout le foin qu’il a fait à celle d’avant pour divorcer et avec qui il est retourné illico. Ne comptons pas les aventures d’une soir, d’une heure, même. Des centaines.
Même s’il est sincère quand il énonce ses sentiments, il les oublie dans la minute, comme un chat qui s’excite pour un oiseau qui passe. L’instabilité, la bougeotte et une énergie hors normes le poussent à tout brûler, même quand il bosse aux trains.

Dans ce premier tome, son style se précise malgré des lettres extrêmement brouillonnes que j’ai trouvées un peu moins intéressantes que celles d’après (ici mon article sur le tome 2 de sa correspondance) , quand il est plus mûr. Poussé par Kerouac et soutenu par Ginsberg qui est dingue de lui, il apprend peu à peu à écrire mieux, même s’il trouve ses lettres nulles et égocentrées. L’ensemble des deux tomes constitue un document exceptionnel.

Un truc très beau qui contient tout, lettres 1944-1950 de Neil Cassady dans la superbe édition Finitude, superbement traduit par Fanny Wallendorf en 2014. 330 pages, 23 €

texte © dominique cozette

 

 

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