Femme à la mobylette. Très dur…

J’ai hésité à vous conseiller ce roman très lourd, très dur, mais je vous préviens. Donc c’est vous qui décidez.
Jean-Luc Seigle m’avait bouleversée avec son livre précédent Je vous écris dans le noir (article ici) grand prix des lectrices de Elle, qui racontait la vie de Pauline Dubuisson, tragiquissime depuis son enfance, qui avait tué son amant et se retrouvait sous les traits de BB dans la Vérité. Film qui ne lui a rapporté que du malheur, en plus.
Celui-ci semble être une fiction quoique mâtinée d’éléments réels. C’est un portrait de femme, une femme acculée au désespoir qui, dans le premier chapitre, hébétée, se demande si elle a tué ses trois petits. Elle ne les entend plus à l’étage. Mais le couteau de cuisine est là, propre…
Finalement non. Mais que faire de sa vie, elle est au chômage, sa grand-mère adorée n’est plus, son mari l’a quittée pour une femme aux revenus confortables et fait tout pour lui enlever les petits. La maison ne ressemble plus à rien, le jardin à une décharge. Noir c’est noir. Mais miracle, en rangeant la ferraille, elle découvre une vieille mob qui marche ! Youpi, elle va pouvoir aller travailler chez le thanatopracteur, s’occuper des morts, elle aime les morts, les rendre jolis et même broder des petits tableaux de leur vie, des petits chefs-d’œuvre qui consolent les vivants. Elle fut couturière, mais ce métier a disparu, ça ne sert plus à rien.
Un jour, sa mob tombe en panne. Grâce à cela, elle fait la connaissance de Jorgen, camionneur batave, qui la lui répare. Coup de foudre réciproque, profond, irrépressible. Il la trouve magnifique. L’amour dans les yeux d’un homme, c’est tout ce qu’il fallait pour que la vie redevienne superbe… Mais un jour, les enfants ne sont plus là.
Ce livre est une ode à la vie, à l’amour, plein de poésie, de parfums, de petites choses qui rendent le quotidien supportable et les enfants joyeux. Mais ce livre est aussi un témoignage sur la pourriture, la cruauté, le malheur. S’il y a une balle dans le chargeur, il est pour elle, Reine.
Livre très dur, j’insiste. Et très beau.

Femme à la mobylette de Jean-Luc Seigle. 2017 aux éditions Flammarion. Suivi d’un récit de voyage A la recherche du sixième sens. 240 pages, 19 €.

La vérité sur la Vérité, ou une mise en abyme vertigineuse

On connaît tous le film de Clouzot avec BB dans le box des accusés. Mais qui connaît Pauline Dubuisson, la femme qui tua son amant, fut condamnée à perpète et inspira le film ? L’affaire fit grand bruit en son temps d’autant qu’en investiguant, les journalistes ont découvert un sombre passé que le livre raconte.
Je vous écris dans le noir est un livre d’une puissance phénoménale qui reprend l’histoire de Pauline, victime de la vie, de la guerre, puis du film et de la suite de sa vie. Qui raconte ? Un écrivain, Jean-Luc Seigle, entré avec brio dans la peau plus qu’inconfortable de l’héroïne. Sous la forme d’un roman, non d’une bio.
Donc, Pauline, d’une famille petite-bourgeoise ravagée par la mort de deux fils tués pendant la guerre, amoureuse de son père qui le lui rend mal, découvre le sexe à 13 ans, à Dunkerque où elle vit. Elle est très bonne élève et veut être médecin. Elle obtient son bac très tôt, mais pour la punir de ses frasques, son père l’empêche d’aller à la fac. Et la présente au colonel allemand responsable de l’hôpital et qui pourra lui apprendre des choses. Mais surtout, lui donner toutes les victuailles qu’il veut (c’est l’occupation, il n’y a plus rien à manger). Et, bien sûr, elle couche avec lui.
A la libération, heureuse de partir étudier, elle est arrêtée — elle n’a pas 16 ans — puis tondue (cheveux et pubis) en place publique, emmenée dans un abattoir, condamnée à mort par les « nouveaux » résistants.  Mais avant, les justiciers la violent, la frappent, la torturent, l’humilient. Son père, soldat respecté, réussit à la sauver. Ils partent loin de cet enfer. Elle commence médecine, ça la passionne, tombe amoureuse d’un étudiant, c’est réciproque, et un jour il la demande en mariage. Honnête, elle dévoile son passé honteux. Alors, il la plaque. Plus tard, elle le tue (il faut lire pourquoi) et tente de se suicider. Elle est de nouveau condamnée, mais ne fera « que » 9 ans pour bonne conduite.
Sa mère va alors s’occuper d’elle, tenter de la reconstruire. Hélas, le film sort et sa vie est de nouveau sous les projecteurs. Elle fuit alors au Maroc, à Essaouira. Ce pays, sa douceur, la réconcilie avec la vie. Et un homme formidable tombe amoureux d’elle, elle aussi. Il la demande en mariage. Cette fois encore, elle ne se sent pas le droit de lui cacher son passé trouble car de toute façon, son vrai nom apparaîtra sur les papiers.
Le livre est la très longue lettre qu’elle écrit à cet homme pour tenter de lui expliquer qui est elle, pourquoi elle a tué. C’est très fort, parfois insoutenable, c’est une très belle réhabilitation de cette femme que personne n’a su comprendre.

Je vous écris dans le noir par Jean-Luc Seigle aux éditions Flammarion, 2015. 236 pages, 18 euros.

Texte © dominique cozette

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