Marceline Loridan-Ivens, poignante revenante

Et tu n’es pas revenu est un opus fin et ciselé comme un outil paléontologique, rongé jusqu’à l’os, sans un gramme de chair dit-on aujourd’hui et pour cause puisque là bas, dans les camps, on n’avait même plus de peau. En une petite centaine de pages, Marceline écrit une lettre à son père, capturé avec elle en 44, envoyé comme elle à Auschwitz-Birkenau. Ils se verront une fois dans le camp, il risquera sa vie pour la serrer dans ses bras, puis lui enverra un message sur un bout de papier dont elle ne se souvient que du début.
Marceline Rozenberg (son nom de naissance) fait de la phrase de son père «Toi, tu reviendras peut-être parce que tu es jeune, moi, je ne reviendrai pas.» une prophétie. Elle acquiert la certitude qu’elle ne le reverra plus et si elle s’efforce de rester debout, digne, si elle ne s’écroule pas, c’est pour lui, pour ne pas le faire mentir.
C’est fou tout ce qu’elle peut raconter en 108 pages, Marceline, c’est fou qu’elle ait réussi a concentré sa vie entière dans une si petite épaisseur. Mais rien n’a été oublié, la douleur, l’horreur, l’humiliation, l’incompréhension des autres après, longtemps après. L’indicible, toujours. La mère et le mur de mésentente qui les sépare, les amies, l’incapacité à désirer un enfant, le pessimisme renaissant à chaque manifestation d’anti-sémitisme, elle qui pensait que les camps auraient été une grande et ultime leçon.
Et puis ses mariages, le deuxième, flamboyant, avec Joris Ivens, leurs films, leurs engagements, leurs voyages. Et la mort de ce compagnon presque père.
L’émotion est partout, sobre et cinglante. Marceline, petite silhouette rousse et fragile en apparence, qu’on a vue et entendue il y a peu, lors de la célébration des 70 ans de la libération des camps, où elle a remis quelques journalistes à leur place, pas très tendrement. Il ne faut pas lui en remontrer, la vie est âpre, elle n’a pas envie de mettre des gants.
Ecrit avec Judith Perrignon, ce livre très court est un bijou, il mérite qu’on y entre. Il est formidable.

Et tu n’es pas revenu par Marceline Loridan-Ivens aux Editions Grasset, 2015. 108 pages, 12,90 €.

Texte © dominique cozette

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