350 pages de sérotonine !

Sérotonine. C’est d’abord le nom d’un neuro-transmetteur qu’on appelle familièrement la vitamine du bonheur. C’est aussi depuis quelques jours, le titre d’un roman réjouissant. Plutôt que d’y voir un dépressif comme l’annoncent les critiques— d’abord, les dépressifs ça n’écrit pas de livres aussi  divertissants — j’y trouve un romancier ironique qui s’amuse de sa facilité à dépeindre la vilainie de notre civilisation et de tout ce qu’elle sécrète de ravages incontrôlables. Et à raconter des histoires. Il adore les histoires d’amour ratées, forcément, et dans ce livre, il évoque ses principales tranches de  vie passées avec les femmes qui ont compté pour lui. Sauf la première du livre, la châtain, rencontrée à une station service dont il regrettera longuement de l’avoir laissé partir. Il est en vacances en Espagne, attendant sa compagne Yuzu, une jeune Japonaise avec qui il ne partage plus rien. Elle-même est une sorte de pute de luxe dont il a découvert les vidéos en forçant son ordi, une nana adepte de pratiques sexuelles assez poussées, voire bestiales.
Il évoque une jeune femme, Claire, que par son éloignement professionnel, il doucement accéléré la fin de la liaison et qu’il a le tort de revoir des années plus tard. Et le tort d’accepter de coucher avec car il ne bande plus. D’abord parce qu’il ne la désire pas mais aussi parce qu’il prend des médocs contre la déprime justement.
Puis il revit le grand bonheur qu’il a connu avec Camille, une jeune stagiaire véto qu’il prend sous son aile alors qu’il vient de  s’installer en Normandie, il a fait Agro et peut prétendre à certains jobs intéressants n’importe où. Ce fut un bonheur parfait, elle avait tout mais au bout de cinq ans, il a commis un truc qui a tout cassé. Qu’il regrettera longtemps.
Actuellement, il ballote entre revoyures et atermoiements. On le voit chez le seul ami qu’il s’est fait en Agro, un aristo qui est retourné sur les terres ancestrales pour élever des vaches selon les strictes règles du bio. Il en crève, son mariage en a crevé. On ne donne pas cher de sa peau. Avec lui, il se rendra à une manif paysanne de quotas laitiers. Ça se passe très mal.
Intéressant aussi le médecin qu’il dégote pour lui fournir sa dope, la dopamine. Il a un discours totalement décomplexé sur la maladie, ses traitements possibles (des petites putes extras : allez-y de ma part), et une diatribe non convenue sur la vie, la mort etc. Très très drôle. La fin est assez inattendue, son plan pour se ré-approprier Camille est complètement barré…
Bien sûr il y a de la bite, de la chatte humide, de la pute, trilogie obligatoire dans un roman houellecquien. Mais pas de façon trop appuyée ni, pour une fois, trop machiste. De plus, Houellebecq se montre sous un jour moins cynique qu’avant. Il se fait écolo, éthique, contre la souffrance animale, compatissant.
On pourrait dire que l’homme s’assagit tandis que le style reste fluide et alerte, très agréable à lire.

Sérotonine de Michel Houellebecq, 2019 chez Flammarion. 350 pages. 22€

Texte © dominique cozette

Soumission … ou pas !

J’ai lu ce livre juste avant les sanglantes tueries de la semaine passée, je n’avais plus trop envie d’en parler. D’ailleurs, Houellebecq himself a arrêté sa promo et est allé se mettre au vert. Il a perdu un ami, l’économiste Bernard Maris, et semble être comme tous les Charlie, vidé.
A part ça, j’aime bien les bouquins de Houellebecq, il y a toujours du bon à prendre, malgré l’image navrante qu’il donne des femmes, uniquement dans un rôle sexuel si elles sont suffisamment jeunes et bandantes car la chair se fait vieille et le désir pendant.
Soumission
n’est pas le roman sulfureux dont se repaissent les médias toujours à la recherche de scandale, de gerbe et de vomissures. Il n’ y a pas d’apologie de l’islam si ce n’est la commodité pour le narrateur (et l’auteur ?) de pouvoir pratiquer la polygamie, une jeune pour le sexe et une vieille (40 ans, âge canonique) pour la bouffe.
Ce monsieur, François, vit solitaire et désabusé dans sa tour du quartier chinois, prof de conf à la Sorbonne, sujet Huysmans dont les références abondent, n’oublions pas que Houellebecq est un intello. Le thème de l’accession au pouvoir de la Fraternité Musulmane n’apparaît qu’au deuxième tiers du bouquin. Sinon, les putes pour la galipette (triste en général), les plats à réchauffer et des petites élèves à sauter, l’ennui, la télé. La seule fille qu’il aimait, sa jeune élève juive, est partie avec ses parents en Israël et va certainement « rencontrer quelqu’un ».
Privé de travail, car non musulman, mais rémunéré — c’est le Qatar qui arrose — il s’enquiquine jusqu’à ce qu’une sorte de gourou lui vante les mérites de l’islam, le confort qu’il offre aux hommes notamment dans leur domination sur les femmes. S’il accepte de se convertir, le héros retrouve son poste, doublement payé, un bel appart de fonction et deux femmes, de fonction oserais-je. Voilà un pitch possible, le mien.
C’est sûr qu’après ce qu’il vient de se passer, après la fantastique marche citoyenne pour la défense de nos droits, cette preuve qu’un sursaut républicain est toujours possible, il est difficile de faire avaler la passivité de la population — à part les frontistes — lors de l’accession au pouvoir de la « fraternité musulmane », et notamment le retrait des femmes de la vie sociale qui ne mouftent pas.
Ce livre est en même temps que pathétique, assez amusant, j’aime bien l’écriture de Houellebecq, que voulez-vous. Je trouve cela distrayant. Pourtant, sa misogynie récurrente, tellement flagrante ici, devrait me le faire détester. En même temps, il est tellement désabusé, apathique, dépenaillé que ça m’enlève tout sens critique.

Soumission de Michel Houellebecq aux éditions Flammarion. 2015. 300 pages, 21 €.

Texte © dominique cozette

Le chauffe-eau de Michel Houellebecq

« De fait, il tournait en rond, c’est le moins qu’on puisse dire. Il était tellement désoeuvré que, depuis quelques semaines, il s’était mis à parler à son chauffe-eau. Et le plus inquiétant — il en avait pris conscience l’avant-veille — était qu’il s’attendait maintenant à ce que le chauffe-eau lui réponde. L’appareil produisait il est vrai des bruits de plus en plus variés : gémissements, ronflements, claquements secs, sifflements de tonalité et de volume variées ; on pouvait s’attendre un jour ou l’autre à ce qu’il accède au langage articulé. Il était, en somme, son plus ancien compagnon. »

Cet extrait est au livre de Houellebecq ce que le corps de l’auteur au désir féminin, c’est à dire pas grand-chose. C’est juste que ce petit bout de l’excellent « la carte et le territoire » m’a interpellée alors que j’étais dans mon lit, me disant merde, il me reste tout au plus une trentaine de pages et je l’aurai bientôt fini, c’est inexorable, dans le même temps que mon époux ronronnait dans sa chaleur d’homme, que le voisin de couloir, celui qui descend et monte au rythme d’une toux catharreuse , kickait sur le bidule qui démarre — ou pas — son trois roues, ces nouveaux engins qui jouissent plutôt d’un démarreur à main en y réfléchissant bien, et que les jeunes enfants du fond de la résidence usinesque faisaient rouler leurs cartables dans un bruit de ferraillo-plastique insupportable pour la voisine du premier qui essayait de rendormir son bébé. Tout ça pour dire que ce bouquin est topissime et que je suis bien incapable d’en faire une critique …heu, bon, l’adjectif a foutu le camp, je ne le retrouverai pas. Alors je vous mets à la place un paragraphe de son interview dans les Inrocks :
« J’ai observé en France une chose très bizarre : on procède comme si on était de toute éternité, et en quelque sorte de droit divin, un pays riche. C’est faux et le capitalisme ne fonctionne pas ainsi. Les médias donnent une image fallacieuse de la Chine car ils s’intéressent à sa modernité, or la Chine actuelle ressemble à la France des trente glorieuses. Sa puissance économique n’en est qu’à ses débuts et il me paraît évident qu’ils vont gagner et que les emplois industriels vont disparaître en Europe. Il se rait temps qu’on se déprenne de l’idée qu’on est un pays riche, car cette notion va de moins en moins correspondre à la réalité. En France, à l’heure actuelle, il y a de plus en plus de touristes chinois. Le luxe, c’est de se marier dans un château de la Loire, et le top, c’est qu’Alain Delon vienne vous serrer la main. Car oui, il paraît qu’on peut louer Alain Delon… »
Personnellement, je loue Michel Houellebecq, ça ne me coûte pas un radis, et si je ne lui serre pas la main,  c’est la soupe que je lui sers avec grand plaisir.

la carte et le territoire de Michel Houellebecq

Texte additionnel © dominiquecozette – Photo Vincent Ferrané.

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