Le chauffe-eau de Michel Houellebecq

« De fait, il tournait en rond, c’est le moins qu’on puisse dire. Il était tellement désoeuvré que, depuis quelques semaines, il s’était mis à parler à son chauffe-eau. Et le plus inquiétant — il en avait pris conscience l’avant-veille — était qu’il s’attendait maintenant à ce que le chauffe-eau lui réponde. L’appareil produisait il est vrai des bruits de plus en plus variés : gémissements, ronflements, claquements secs, sifflements de tonalité et de volume variées ; on pouvait s’attendre un jour ou l’autre à ce qu’il accède au langage articulé. Il était, en somme, son plus ancien compagnon. »

Cet extrait est au livre de Houellebecq ce que le corps de l’auteur au désir féminin, c’est à dire pas grand-chose. C’est juste que ce petit bout de l’excellent « la carte et le territoire » m’a interpellée alors que j’étais dans mon lit, me disant merde, il me reste tout au plus une trentaine de pages et je l’aurai bientôt fini, c’est inexorable, dans le même temps que mon époux ronronnait dans sa chaleur d’homme, que le voisin de couloir, celui qui descend et monte au rythme d’une toux catharreuse , kickait sur le bidule qui démarre — ou pas — son trois roues, ces nouveaux engins qui jouissent plutôt d’un démarreur à main en y réfléchissant bien, et que les jeunes enfants du fond de la résidence usinesque faisaient rouler leurs cartables dans un bruit de ferraillo-plastique insupportable pour la voisine du premier qui essayait de rendormir son bébé. Tout ça pour dire que ce bouquin est topissime et que je suis bien incapable d’en faire une critique …heu, bon, l’adjectif a foutu le camp, je ne le retrouverai pas. Alors je vous mets à la place un paragraphe de son interview dans les Inrocks :
« J’ai observé en France une chose très bizarre : on procède comme si on était de toute éternité, et en quelque sorte de droit divin, un pays riche. C’est faux et le capitalisme ne fonctionne pas ainsi. Les médias donnent une image fallacieuse de la Chine car ils s’intéressent à sa modernité, or la Chine actuelle ressemble à la France des trente glorieuses. Sa puissance économique n’en est qu’à ses débuts et il me paraît évident qu’ils vont gagner et que les emplois industriels vont disparaître en Europe. Il se rait temps qu’on se déprenne de l’idée qu’on est un pays riche, car cette notion va de moins en moins correspondre à la réalité. En France, à l’heure actuelle, il y a de plus en plus de touristes chinois. Le luxe, c’est de se marier dans un château de la Loire, et le top, c’est qu’Alain Delon vienne vous serrer la main. Car oui, il paraît qu’on peut louer Alain Delon… »
Personnellement, je loue Michel Houellebecq, ça ne me coûte pas un radis, et si je ne lui serre pas la main,  c’est la soupe que je lui sers avec grand plaisir.

la carte et le territoire de Michel Houellebecq

Texte additionnel © dominiquecozette – Photo Vincent Ferrané.

Retraites : salauds de soixante-huitards !

Dans un article des Inrocks, on m’a traitée de salope de soixante-huitarde.* Alors, usant de mon droit de réponse, j’ai envoyé ce mail :
Chère Anne Laffeter
C’est sympa, votre article sur les retraites et les “salauds de soixante-huitards”.
Vous avez raison, on est de vraies catastrophes ! On n’aurait jamais dû vous faire naître, comme ça, hop, pas vu pas pris !
On aurait vieilli entre nous, fumant des pétards, s’habillant de coton indien et s’ornant de fleurs fanées. On n’aurait pas dû aller bosser non plus parce que merde, ça fait chier, et puis filer toutes ces cotisations pour nos vieux à nous qui nous emmerdent encore, flûte. On n’aurait pas dû gâter-pourrir nos petits (vous), les emmener au Club, au ski, les inscrire à la danse, au dessin, au poney. On n’aurait pas dû flatter leurs penchants pour les dorothéades, les disneytudes et autres conneries clinquantes. On aurait dû être plus sévères, leur montrer que la vie c’est qu’une tartine de merde même si ça ressemble à du Nutella, leur interdire cette putain de télé qui bouffe le cerveau disponible. Leur filer des livres, plutôt, et leur faire la morale, comme jadis nos aïeux. On aurait dû mieux calculer l’avenir et les habituer aux frustrations.
Alors, pour nous faire pardonner, on va essayer de mourir vite, en clopant, bouffant des saletés, picolant, bravant des dangers, pratiquant le jeu du foulard, partant à la guerre, se proposant comme cobayes pour la science, se transformant en kamikazes pour faire sauter tout ce nid de  salauds qui profitent du système et  font raquer ces générations sacrifiées (scarifiées ?).
Tout pourra alors repartir à zéro, sainement, comme vous le déciderez. Mais bientôt, à l’aube de votre soixantaine, vous sentirez chez vos gosses comme une impatience. Celle de vous liquider. Y a pas de raison que leur génération se remette à payer pour les vieux que vous serez devenus.
Cordialement
Dominique cozette

* Pour voir l’article, tapez « retraites, salauds de soixante-huitards » sur Google (pas réussi à mettre le lien sans buguer).

C’est les vacances. Enfin au Grand Journal. Moi je fais pareil sauf que je n’arrête pas tout. Je continue à vous envoyer mes billets. Mais pas tous les jours. Mais je continue. Mais pas tous les jours…

Texte et dessin © dominiquecozette

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