Prêts pour un petit suicide en douceur ?


Oui, vous avez bien lu. A quatre-vingts ans, Kay et Cyril doivent prendre le fameux médoc qui vous emmène en douceur dans l’au-delà. Ils ont décidé ça à la cinquantaine, lorsque le père de Kay a fini par mourir suite à un interminable Alzheimer bien crade et bien repoussant. C’est le thème du nouveau roman de Lionel Shriver (c’est une écrivaine pour ceux qui l’ignorent qui a commis de nombreux et fort passionnants livres dont Il faut qu’on parle de Kevin). Je l’adore.
Celui s’intitule A prendre ou à laisser. Ils ont trois enfants dont une fille genre pénible, un premier de la classe genre mou-mou et un petit dernier genre glandeur-profiteur. Sinon lui est médecin, il connaît donc bien les médocs et elle infirmière, d’abord, puis a changé pour décoratrice. Chez l’autrice, les caractères et la psychologie sont terriblement fouillés. Pas de raccourcis, pas de travers laissés dans l’ombre. L’humain, elle s’y connaît jusqu’au moindre détail.
Alors donc les années s’écoulent, assez vite, jusqu’au fameux anniversaire des quatre-vingts ans de Cyril, Kay les a déjà eus, date butoir, on n’y coupe pas, alors qu’elle se demande si c’est bien raisonnable d’agir ainsi. Elle n’est pas très convaincue de la décision prise il y a si longtemps. Ils sont en forme même si lui fait semblant d’aller mal et de souffrir de divers troubles du vieillissement, et si elle a quelques trous de mémoire comme tout le monde. Mais les choses sont en route, ils ont dépensé leurs économies et même mis une hypothèque sur leur maison afin que profiter au maximum de leurs dernières décennies. Et ce fameux soir, on y est, ils ont ont mis les petits plats dans les grands, choisi un bon vin et mis de beaux habits.
Mais comme elle a peur de survivre à son mari, des fois qu’elle supporte mieux le médoc que lui, il lui propose de prendre la pilule la première tandis qu’il la tiendra dans ses bras. Et lorsqu’elle sera morte, ce sera à lui de partir.
Mais les choses ne se passent pas vraiment comme ça. D’ailleurs, les choses peuvent aussi arriver autrement, il y a des possibilités à envisager, une douzaine, et c’est ce que nous raconte l’autrice avec tout son talent de dramaturge mâtiné cocasse.

A prendre ou à laisser de Lionel Shriver, traduit par Catherine Gibert (Should we stay or should we go, 2021). 2023 aux Editions Belfond. 286 pages, 22 €.

Texte © dominique cozette

Quatre heures vingt-deux minutes et dix-huit secondes

Imaginez. Vous avez la belle soixantaine, vous êtes l’épouse d’un fringant retraité avec qui vous entretenez une enviable relation, vous avez toujours, chaque jour, et sans emmerder personne, couru et pédalé sur de longues distances, votre corps est magnifique, longiligne, vos jambes sont toujours splendides sauf que … aïe, votre genou droit affligé d’une terrible arthrose qui le fait enfler démesurément, cruellement, et vous interdit le sport tel que vous aimiez le pratiquer. Vous avez refusé de vous faire opérer car selon la légende urbaine, c’est extrêmement risqué.
Imaginez maintenant que votre cher époux, pour lequel jusqu’à maintenant faire du sport équivalait à lever le coude ou ouvrir la portière de sa voiture, vous annonce qu’il a décidé de courir le prochain marathon. Vous auriez tendance à rire et pourtant, il s’y met. Et très sérieusement. Et rien ne vous agace plus que ses fanfaronnades alors que vous auriez très bien le faire, vous aussi, les doigts dans le nez. Sauf que ni la compèt’ ni les records ne vous branchent. Lui si. Et en plus, il finit ce marathon. Pas très glorieusement, en vrac et bon dernier, mais il y arrive. Vous vous dites : bon, c’est fait, il va se calmer, maintenant. Hé bien pas du tout. Entraîné par une belle et impitoyable jeune coach, Bambi, il décide de faire le tri Mettleman, soit un triathlon infaisable quand on a un certain âge.
Et pour Serenata, la narratrice, tout bascule dans l’horreur . Ce tri, ce truc, c’est une vraie secte : on ne vit que pour ça, on ne parle que de ça, plus on souffre, mieux c’est et d’ailleurs, on ne soigne pas ses tendinites, on continue coûte que coûte. Son mari et elle ne font plus que cohabiter sauf que c’est elle qui reçoit, les soirs après l’entraînement, l’équipe des coureurs de l’écurie Bambi, la coach qui la méprise (c’est réciproque). C’est encore elle qui fait les courses et les dîners, qui s’emmerde comme pas possible, qui assure aussi le financement de ce sport excessivement coûteux. Et notre pauvre épouse ne peut pas se plaindre auprès de sa fille qui est dans une autre secte, la religion avec ses cinq enfants endoctrinés, ni auprès de son grand fils, une sorte de Tanguy qui « bricole » (entendez qui deale probablement) et qui se fout de tout et surtout de la gueule des sportifs pour ces souffrances infligées pour rien…
Quatre heures vingt-deux minutes et dix-huit secondes est le dernier opus de Lionel Shriver qui avait écrit le best-seller Il faut qu’on parle de Kevin. C’est aussi le temps moyen d’un marathon.
Au début, ça ne me plaisait pas trop, flûte, encore une histoire de couple vieillissant qui se délite mais Shriver est tellement habile pour vous entraîner dans son univers, qu’on veut tout savoir. S’y adjoint aussi une calamiteuse histoire, une sorte de procès où est jugé son mari parce qu’il s’est énervé contre sa jeune cheffe noire. Cause de son licenciement qu’il digère très mal. Ceci dit, la narratrice, Serenata, est elle aussi une plaie ambulante. Elle sait tout, fait tout mieux que tout le monde, ne possède aucune souplesse d’esprit et frise souvent l’intolérance. Bref, ici, tout le monde en prend pour son grade. A l’américaine of course !

Quatre heures vingt-deux minutes et dix-huit secondes par Lionel Shriver aux Editions Belfond, traduit par Catherine Gibert. 2020 pour l’original, The of the Body through Space. 384 pages, 22 €.

Texte © dominique cozette

 

Le nouveau Lionel Shriver nous embarque dans la chute des USA.

On est en 2029, c’est demain donc, et le nouveau président américain est un hispano. Sauve qui peut la vie pour les yankees ! Après une panne totale d’électricité et d’Internet qui a mis les Etats-Unis dans l’ombre et sans communication, l’état s’est effondré. Le dollar ne vaut plus une cacahuète, les Chinois et les Russes commercent avec une nouvelle monnaie internationale : le Bancor. Les valeurs, les bons du trésor, les réserves bancaires ne servent plus à rien, l’inflation galope, un chou coûte 30 $ et il n’y a plus de PQ. Les gens puent car l’eau est rare et chaque foyer doit en gérer quelques litres. On mange des glouches*, les licenciements sont violents, les diplômés sont déclassés, les vols, les attaques sont monnaie courante, un cauchemar.
Dans ce nouveau cloaque où un mur entre le Mexique et les USA est érigé par les latinos pour éviter que les yankees les envahissent (le livre a été publié avant l’avènement de Trump), on va suivre une saga familiale, celle des Mandible, très aisée, grâce notamment au patriarche nonagénaire dont la  grosse fortune, à  sa mort, mettra tout le clan en sécurité, même s’il l’est déjà avec des professions haut de gamme, professeur à l’université, écrivaine vivant en France, économiste distingué… Mais quand le président décrète que toutes les économies, les richesses et l’or vont être confisquées par l’état, on plonge dans l’enfer. Il est impossible de quitter le pays, d’importer des monnaies étrangères au dollar, de tricher. On ne peut plus payer ses crédits, les études des enfants, les maisons sont confisquées ou squattées par des bandes, ce qui fait que tout le monde va devoir se serrer dans la maison de Florence, la seule qui perçoit encore un petit salaire pour son aide aux  sans logis. Treize personnes qui vivent cet enfermement de très mauvaise grâce : aucune intimité, pas d’eau, pas de papier toilette, rien à manger. Un couple qui a planqué des économie se fait livrer des caisses de vin qu’ils dégustent en suisses, la deuxième femme du patriarche est devenue folle, elle casse tout, les enfants ne s’entendent pas, la jeune fille se prostitue. Jusqu’au jour où des voyous armés les virent de la maison avec pertes et fracas, en leur volant le peu de choses qu’ils ont sauvées. Ils vont devoir aller chez l’un des leur qui, sous leur quolibets, a créé une ferme à la campagne. Mais comme tout le reste, la ferme a été nationalisée.
Le temps passe, de mal en pis. Les citoyens sont pucés et tout passe par là, les échanges, les ventes, les déplacements : big brother, en quelque sorte. Le seul espoir quand on est courageux, c’est d’essayer de s’introduire au Nevada, un état indépendant mais coupé totalement du reste du pays, où il est impossible d’entrer sous peine de voir son cerveau brûlé par la puce.
C’est un livre costaud dont je ne dirai pas qu’il m’a plu à 100%, il y a beaucoup trop de longueurs sur le développement des questions monétaires, balances commerciales, dévaluation, bourse etc. C’est dommage car tout ce qui reste axé sur le quotidien de ces gens, les dialogues, les prises de tête, les difficultés est écrit au scalpel, un pur régal. Ceci dit, ces réserves tiennent à moi, c’est peut-être trop technique pour ma petite tête, ça peut sûrement en passionner d’autres. Ça reste une immense fresque, pas forcément crédible (pourquoi par exemple les vieux continuent-ils à toucher leur pension et à être bien traités ?) mais qui donne à réfléchir sur les forces du monde et notre rapport à une société assez creuse.

Les Mandible Une famille 2029-2047 de Lionel Shiver, 2016. Traduit de l’américain par Laurence Richard, aux éditions Belfond, 2017. 517 p. 22,50 €.

*Manger des glouches, ça veut dire des nèfles. J’adore cette expression qui me vient de mes grands-parents, forcément.

Texte © dominique cozette

Après avoir parlé de Kevin…

Si vous avez aimé Si on parlait de Kevin, le livre (qui était encore mieux que le film), ne vous privez pas du plaisir d’un autre livre de Lionel Shriver qui, comme son prénom ne l’indique pas, est une femme. Affublé d’un titre d’une banalité affligeante Tout ça pour quoi (titre anglais So much for that), il est tout aussi passionnant que Kevin tant les détails de la vie américaine foisonnent. On s’y croit, on y croit, c’est impressionnant. Ici, il s’agit de l’histoire assez dure de deux couples new-yorkais maltraités par la vie malgré leur niveau socio-culturel élevé.
Le mari du premier couple, Shep, avait créé une entreprise qu’il a revendue à un type horrible qui le harcèle, car il y est resté comme salarié. Il a un rêve qu’il s’apprête à réaliser, partir dans une île de rêve où les choses ont encore de la valeur, où on les répare, où la consommation est restée frugale. Mais le jour où il offre les billets allers simples à sa femme, une femme extraordinaire qu’il adore, celle-ci lui annonce qu’elle soufre d’un cancer très rare et non guérissable.
Interviennent à partir d’ici tous les détails de la vie en Amérique où les soins sont horriblement coûteux, où les assurances ne couvrent rien, où la scolarité des enfants est hors de prix, et à côté desquels je me dis très heureuse de vivre en France où on est très bien soigné en cas de coup dur. Donc, forcément, ses économies vont fondre pour une maladie qui ne se soigne pas. Son fils ado va disparaître la plupart du temps dans sa chambre, sa fille ne rend jamais visite pour ne pas voir la déchéance de sa mère, sa sœur, d’un égoïsme forcené,  l’oblige à tout payer pour elle et contraint leur père à aller en maison de retraite pour lui piquer sa maison…
Le second couple n’est pas mieux : ils ne s’entendent plus très bien et le mari, en cachette, décide d’augmenter son pénis. Mais l’opération foire et il en découle de terribles conséquences. Leur fille aînée, 16 ans, est atteinte d’une maladie dégénérative très vorace en soins divers et leur autre fille devient obèse par réaction.
C’est un gros pavé palpitant qui nous fait entrer dans les affres de ce fichu rêve américain qui relève plutôt du cauchemar et nous entraîne très loin dans la dissection d’une société où l’argent est la seule valeur. Combien vaut une vie, s’interroge le héros à longueur de temps.

Tout ça pour quoi de Lionel Shriver 2010. Traduit par Michèle Lévy-Bram pour les éditions Belfond, 2012. 530 pages. 23 €.

NB : J’avais aussi fortement aimé son autre roman de 2014 sur l’obésité : Big Brother (article ici)

Texte © dominique cozette

Big Brother, un gros morceau !

Big Brother est le dernier livre de Lionel Shriver qui m’avait épatée avec Il faut qu’on parle de Kevin (le livre, pas le film). Pandora et Edison sont les enfants d’un héros d’une série américaine hyper populaire dont ils tirent eux-mêmes une forme de célébrité. Ils ont la bonne quarantaine, Pandora est mariée avec un désigner maniaque de la nutrition, psychorigide, ils vivent dans un trou du cul des USA. Edison est un beau mec, gentil, tendre avec elle, qu’elle a toujours admiré, pianiste de jazz qui a joué avec les « plus grosses pointures », qui a réussi mais a semble-t-il, quelques soucis de fric. Il vit à New-York et demande à sa soeur de le dépanner en l’acceptant chez elle quelque’un temps, jusqu’à sa sa future tournée européenne. Tête du mari.
Quand elle va le chercher à l’aéroport, elle ne le reconnaît pas : une montagne de graisse qui peut à peine se mouvoir. Et le pire va arriver, deux mois de cauchemar parmi les sucres, les graisses, les saletés hypercaloriques de toutes sortes comme savent les inventer les Américains pour engrosser leurs pairs. De plus, il casse tout, les sièges, les WC, il ne peut rien faire que bouffer et faire les courses pour ses écoeurantes recettes.
Juste avant le départ de son frère, Pandora s’aperçoit que sa tournée s’appelle la rue. La solution serait qu’elle prenne le problème à bras le corps, qu’elle fasse maigrir son frère de cent kg, et elle de dix, bref qu’elle le coache à plein temps pendant un an. Pourra-t-elle  choisir entre son mari et son frère car aucun des deux ne veut se la partager.
Très intéressant toujours les romans , les pavés, de Shriver mais cette fois, on a droit à une fin inattendue, moins bon esprit à l’américaine que ce à quoi on pouvait s’attendre.

Big Brother de Lionel Shriver aux éditions Belfond, 2014, traduit par Laurence Richard. 434 pages.

Texte © dominique cozette

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