Au Rapport, Denis !

Les rapports humains est le titre du dernier livre, un « roman », écrit par Denis Robert. Je mets roman entre guillemets car il ne s’agit pas d’un roman au sens classique. Il s’agit d’un récit fait de phrases, de notes si on veut, de réflexions sur ce qu’il vit, ce qu’il pense, ce qu’il refuse, ce qu’il aime, ce qui le rend triste, ce qui le met en colère, ce qui l’attire, ce qui le fait rêver, ce qui le fait boire, ce qui le fait courir, ce qui le fait braire, ce qui l’émeut, ce qui l’use, ce qui le motive. Ce qui le fait écrire. Récupéré sur facebook, le post qui raconte comment est né ce livre :
« J’étais emmerdé parce que je n’avais pas été à la hauteur (de sa promesse d’écrire). J’avais passé mon été empêtré dans des problèmes de tondeuse à gazon en panne, de locations en Bretagne, de mère à l’hosto, d’enquêtes à finir, de fric qui ne rentrait pas, d’engueulades avec ma femme, de prises de tête avec mon fils, de sollicitations diverses et variées, de désengagement politique, de rapports humains, de fin du monde. Pas une ligne, donc. Et un peu de culpabilité à n’avoir pas su choisir entre l’écriture et la vie. Je lui ai donc envoyé (à son éditeur) un sms plein d’humour (car je suis un mec très drôle) pour lui raconter mon existence palpitante. SMS qui se terminait par ces mots : « Les rapports humains ». Je voulais signifier par cette chute que les rapports humains m’empêchaient d’écrire car ils occupaient mon temps et me pompaient une énergie de dingue. Bernard (l’éditeur), en adepte de Carver (Raymond, le minimaliste) a dû me répondre une phrase du genre : « Tu le tiens ». Et c’est parti. Sur les chapeaux de roue. Ce SMS allait sauver mon âme et mon été finissant. SMS. Save My Soul. D’août 2016 à avril 2017 (en plus de tout le reste) je n’ai fait qu’écrire jour et nuit, m’arrêtant le dimanche à 19h27 pour boire une bière fraîche à l’ombre du catalpa pour réattaquer le lundi à l’aube au saut du lit. J’ai suivi une horloge interne très particulière, mu par cette idée simplissime : « si je m’emmerde, le lecteur va roupiller ». Et ce projet politique d’une portée universelle : sortir du brouillard. »
Denis Robert entretient des rapports très affectifs avec ses éditeurs. Au début, c’était Jean-Marc Roberts, celui que tous ses écrivain(e)s n’ont cessé de pleurer quand le cancer le leur a arraché, puis maintenant, c’est Bernard (Barrault).
Donc voici un livre très original, comme écrit d’une traite, sans chapitres, avec un blanc entre chaque phrase, et quelques paragraphes. Il s’y étale, s’y rétame, se cherche et moi je me demande si ce qu’il raconte est véridique car il y parle de choses intimes comme de sa femme qui n’en peut plus et le quitte, la maîtresse qui lui colle aux basques, les tentations diverses. Il ne se gêne pas non plus pour cracher sur certaines institutions, des journalistes, des politiques… C’est cash. Il consacre un passage (un peu long pour moi) à la finance, son fond de commerce, et particulièrement au VIX, indice de volatilité des marchés financiers, ça ne m’a pas trop interpellée. Contrairement à d’autres de ses préoccupations comme l’intelligence artificielle ou les robots, plus abordables. Parfois, il va se servir un verre et, chaque fois, il termine la bouteille. Il picole sec. Alors il va courir pour éliminer. Et puis il raconte son pote Pacôme à tête d’Arabe — il l’est à demi — qui provoque inévitablement des contrôles policiers et maintes fouilles de voiture sur leurs trajets. Il parle aussi beaucoup de son fils, le petit dernier, et de foot dont ils sont fans. Impossible d’énumérer les sujets abordés dans ce livre mais si vous aimez le personnage, vous apprécierez. Sinon, je ne sais pas, c’est expérimental, nouveau, intéressant de toute façon. A voir.

Sur ce lien, Denis Robert parle de son livre.

Les rapports humains de Denis Robert, 2017 aux éditions Julliard. 278 pages, 19 €.

Texte © dominique Cozette

Un mauvais garçon que j’aime bien

Je parle de Nan Aurousseau, ex-voyou, ex-taulard et aujourd’hui écrivain. Son dernier livre La ballade du mauvais garçon est une sorte de biographie composée de brèves de vie car il saute allègrement du coq à l’âne sans que la lecture en soit gênée. Ça commence avec  l’anecdote de son premier livre écrit en six semaines, Bleu de chauffe, qu’il envoie, faute de thune, à un seul éditeur dont il avait appris qu’il lisait tous les manuscrits : Jean-Marc Roberts, chez Stock. Il oublie d’indiquer son adresse et un téléphone. Et quelques jours plus tard, il reçoit un télégramme de l’éditeur emballé qui l’a retrouvé grâce à une histoire compliquée de Minitel…
A partir de là, il déroule ses années de dèche, ses années de casse, ses dures années de taule où il a gâché sa jeunesse mais passé des diplômes pour alléger sa peine, ses amours qui se finissaient toutes par ses affaires jetées sur le trottoir. Ses triches pour faire semblant de bien vouloir travailler dans une boîte afin de profiter de la liberté conditionnelle puis, dès qu’il n’en avait plus l’utilité, sa reprise de la vie de bohème, de squatt. Mais aussi sa volonté tenace de ne plus retomber, résister aux vieux potes et leurs coups très sûrs, aux armes pour se venger des pourris. Sa force réside dans le fait qu’il se fout du confort, des valeurs bourgeoises, du fric et qu’il vit très sobrement, ni alcool, ni dope, ni clope. Ça aide. Et son énorme désir de réussir sa vie d’artiste, c’est à dire partager ses histoires sur écran ou dans des pages.
Il les raconte plutôt bien dans cet opus car c’est enlevé, féroce, drôle. Il nous fait revenir dans le vieux Paris de sa jeunesse qui était un Paris de petits quartiers où tout le monde se connaissait, où on se logeait pour des nèfles, où on pouvait entreposer des voitures volées au cas où, sans qu’elles disparaissent. Il nous emmène à Fleury-Mérogis puis dans un des centres de rétention les plus durs où il vivra d’âpres expériences avec des directeurs sadiques et, un peu plus tard dans le livre, on se trouvera à dîner chez Claude Berri avec Gainsbourg, discuter avec JM Roberts, avec la belle Tina Aumont dans l’équipe de La bande du Rex dont il a écrit le scenario, et toute sorte de personnages importants de cette fin de siècle. Néanmoins, il ne réussit jamais à sortir un grand film.

Nan Aurousseau. La ballade du mauvais garçon chez Stock. 2014. 334 pages, 20 €.

Texte © dominique cozette

Social media & sharing icons powered by UltimatelySocial
Twitter