Bad girl in progress…

Bad girl est le tout dernier livre de Nancy Huston. Je ne suis pas une grande fan de tous ses livres mais j’ai trouvé celui-ci impeccable, vraiment intéressant et original. La forme est aussi importante que le fond. Pas de fluidité ou de chapitres. Que des textes courts, d’une demie à deux pages maximum. C’est très ramassé, très dense et  permet de sauter du coq à l’âne, d’en raconter plus sans se soucier du liant.
L’autre ingénieux truchement est de replacer l’héroïne dans le ventre de sa mère.  Et de s’adresser à l’être en formation. Ces quelques mois permettent à la narratrice, l’adulte qu’elle est devenue, de revenir sur son passé familial mais aussi sur ce qui l’attend. Sorte de mise en abyme prospective.
Cette enfant n’est pas désirée, c’est une mauvaise nouvelle pour ses très jeunes parents qui n’ont pas que ça à faire : son père bosse par monts et par vaux, loin,  et sa mère veut absolument faire carrière. Ils ont déjà un môme, ça va. Au fur et à mesure que l’embryon se développe, Dorrit (le nom donné au fœtus) apprend qu’elle avait un arrière grand-père fou à lier, une grand-mère féministe mariée à un gentil bon à rien, un père dépressif qui donnera congé à sa femme pour que sa maîtresse, allemande (ils vivent un temps à Berlin),  s’occupe des trois enfants, car un autre est arrivé, semble-t-il. La marâtre en fait deux autres dans la foulée et la même année.
Cette autibio utérine s’accompagne de références pour expliquer les choses de la vie : l’avortement d’Annie Ernaux, d’autres histoires d’avortements interdits qui tuaient les femmes, la claustrophobie de Becket dans le ventre de sa mère, l’arrivée de l’incomplète libération de la femme « Hélas, tandis qu’on élevait les filles à la fois comme filles et garçons, on continuait d’élever les garçons comme des garçons ». Elle évoque Romain Gary et sa promesse de l’aube que  toutes les petites et grandes misères du monde faisaient tellement souffrir.
Sa mère, très absorbée par sa réussite, la confiait parfois à des babas-cool mais comme ils passent les nuits à faire la bringue, ça se passe très mal. Puis, c’est la belle-mère qui prend le relais. Toute sa vie, Dorrit devra traîner un sentiment d’abandon et c’est la lecture et l’écriture qui la sauveront.
Au tout début de l’adolescence, elle apprend le rôle de la séduction chez la femme, qui s’accompagne toujours de culpabilité. Et la peur que les femmes suscitent chez l’homme à cause de leur insondable mystère, du secret de leur utérus.
Le père déprime. Sa mère ne la voit plus, lui écrit parfois. Désirée par personne, sans attachement sincère, elle s’installe ailleurs, change de langue. Elle a écrit ce livre en français.
A neuf mois, elle est prête à affronter ce monde pas très amical.
NB importante : Ce médiocre résumé est très loin de l’enthousiasme que ce livre m’a procuré !

Bad girl de Nancy Huston chez Actes Sud, octobre 2013. 260 pages, 20 euros.

Texte © dominique cozette

Social media & sharing icons powered by UltimatelySocial
Twitter