L’humanité disparaîtra, bon débarras !


C’est pas moi qui le dis, c’est Yves Paccalet dans un petit poche qui a obtenu le prix du pamphlet 2006 (oui, c’est déjà vieux, on n’y parle donc pas de Fukushima ou autres horreurs).
Ce monsieur, philosophe et naturaliste a partagé dès 72 l’Odyssée sous-marine de Cousteau. Question terre,  mers, peuplades, il en connaît un rayon. Pendant des décennies : espoir,  foi en l’homme, aveuglement, naïveté. Mais là, c’est trop. La coupe est pleine. Il est tellement désolé de constater les tortures que l’humanité s’inflige et qui la condamnent à court terme, tellement désespéré de lister la destruction de la nature qui signe la nôtre, qu’il a édité ce petit chef d’oeuvre d’humour noir, hélas véridique, pour stigmatiser tout, pratiquement, ce qu’on  fait de pire à la faune, la flore, et nous-mêmes.  Il fait l’inventaire de toutes les saloperies d’armes qu’on a inventées, de virus qu’on a propagés, de saletés de maladies qu’on a créées, de mille trucs qui tuent vite ou lentement, qui s’insinuent partout, qui détruisent tout.
Et pas que ça. Il fustige le succès grandissant des valeurs toxiques telles que la possession, la domination, la violence pour l’être et l’avoir, les utopies qui déraillent, les « sous-couvert » de science ou de démocratie, de bien-être et de bonheur, la course effrénée à la croissance avec l’épuisement des énergies fossiles, les voracités sur la nature, l’eau, les ressources. Et puis les intolérances de tout poil. Et encore la monstruosité de ce nombre d’habitants que la terre doit porter, qui ne cesse de croître. Bientôt 7 milliards. 8 milliards en 2025.
Comme il le dit : l’homme, animal à deux pieds sans plumes (Platon), est le cancer de la terre.
Il décrit, à la fin du livre, treize bonnes raisons de mourir : c’est pas joyeux.
Et il nous file un remède, pour que ralentisse ce gâchis : manger nos bébés. Ce qui était déjà « une modeste proposition… » de Jonathan Swift.
Pourquoi lire ça et s’infliger une telle misère, me demanderez-vous avec raison ? Pourquoi pas ? Tout est dit en concentré, c’est d’une érudition rare et sans baratin, c’est vif et acéré, c’est essoufflant, ça donne à réfléchir et ne prête pas à rire, pour paraphraser Miss Tic, ça ouvre les yeux pour mieux nous les fermer… Ça nous dit peut-être de devenir raisonnables,  d’essayer en tout cas. Ou sinon, de continuer à déconner, se gaver, s’en mettre jusque là et tant pis pour nos petits survivants qui se retrouveront un jour comme dans « la route », ce sombre roman d’errance apocalyptique… Vous ne direz pas que je ne vous ai pas prévenu(e) ?
Bon, allez, il nous reste quelques bonnes années, savourons ensemble une p’tite vodka Poutine avant que d’engloutir un sushi hallal radio-actif !

Yves Paccalet. L’humanité disparaîtra, bon débarras. 2006. Arthaud ou J’ai lu. 192 p. 4,80 €

Texte et peinture © dominique cozette.  (Vous pouvez partager, ça ne fait de mal à la planète, quoi qu’un clic, c’est beaucoup d’énergie, paraît-il)

Rupture à la gare du Nord

On sort du métro gare du Nord et on suit la masse direction grandes lignes.
Les yeux pleins de larmes, j’y fais : les gares, c’est bien l’endroit le plus triste du monde.
Lui, sans se laisser troubler : Est-ce que tu sais si, là tout de suite, on est dans un lieu RATP ou SNCF ?
Le rat ! Qu’est-ce que tu veux que ça me fasse ? Tu crois que ça va me consoler ?
Lui, calme : Non,  mais comme ça tu sauras : Pour savoir si c’est la RATP ou la SNCF, faut regarder le sol. Noir c’est la RATP, blanc la SNCF.
Tellement foutage de gueule que j’y dis : T’façon, dès que tu seras parti, je me jette sous le train.
Il se marre : Et comment qu’tu feras, grosse bête ? faudrait déjà qu’tu coures achement vite, et avec ces godasses !
Quoi, mes godasses ? Des compensées. Hautes. Très belles. En daim fauve.
Il ajoute : tu sais combien y a de gens qui se suicident sous les trains et les tromés, par an, en France ? 400 ! Dont 10% dans la zone nord.
Avec moi, ça fera 401, j’y rétorque. Et puis je me mouche. Je suis moche, j’ai le nez rouge, les doigts gluants, je rentre dans la catégorie des femmes plaquées, ça fait redoubler mes pleurs. Et je me mets à crier de désespoir. Il me plaque la main sur la bouche, je le mords, il me traite de chienne, se barre en courant. Je cherche un flic pour porter plainte, après tout ce mec me vole mon bonheur. Mais le planton me dit : Vot’ voleur, il a agi inside ou outside ?
J’y fais mais quoi, qu’est ce que ça change ? Ça va me le faire revenir ?
Y m’dit que ça change tout : inside, c’est les flics de la gare, et y en a pas bézef, 27 plus 5 gradés, et qu’avec le nombre d’incivilités…
De quoi ?
De crachats, si vous voulez, z’ont pas de temps avec ça. Mais si c’est outside, dans la cour, faut aller au commissariat du Xème. Feriez mieux de vous calmer.
On peut même pas s’assoir, dans vot’ gare…
Normal, on veut pas que les clodos prennent souche…
Mon mec est revenu, y me dit qu’y s’est trompé d’horaire, que du coup il reprendra le même TGV mais demain et est-ce qu’il peut rester dormir « avec moi » cette nuit.
J’y fais : y a pas que des TGV, dans cette gare. Y a aussi des TER, des Corail, des Transilien, le Thalys, l’Eurostar, et les Intercités.
Y me regarde d’un drôle d’air.
J’y dis : Le bordel pour gérer une  panne sur la voie ! Parce que tu sais quoi ? Y z’ont les mêmes droits, tous ces trains vu que les voies sont à tout monde !
Et ? (qu’y m’fait, en suspension dans la voix).
Rien, juste pour que tu saches que moi aussi, je l’ai lu, ce bouquin de Joy Sorman ! Et que figure-toi qu’il n’y a que deux agents pour patrouiller dans cette immensité  ! T’imagines ? 2 pékins !
Comme il a réponse à tout : Les suppressions de poste, je suppose. Alors ? Pour ce soir ? Tu me gardes ?
Je le reluque et d’un seul coup, il me paraît moche avec ses yeux de blaireau et ses crans dans les cheveux. J’y dis : ben non, c’est plus possible, j’ai fait valider ton départ, je devrais dire ta désertion, par mes services internes qui m’ont dit OK, on supprime son poste. Et basta. Voilà, désolée. Y a plus de triple A !  Casse-toi pauv’con !
Je vais quand même pas ruiner le reste de ma belle jeunesse pour un taré qui collectionne les Pif Gadget et les CD de  Doc Gynéco !

En résidence une semaine à la gare du Nord en mai 2011, Joy Sorman nous livre quelques secrets, infos et surprises découverts dans cet immense espace qu’est la gare du Nord. Petit bouquin (80 pages) sympa et instructif. « Paris Gare du Nord par Joy Sorman, à l’arbalète gallimard, 2011. Achevé d’imprimer à Mayenne… il n’est pas dit où il a été commencé d’imprimer. Va savoir, Edgar ! (Dunord !)

Texte et tableau © dominique cozette

Studieuse, l’année, Anne W ?

Je n’en crois pas un mot ! Tu la racontes toi-même, cette année-là, et franchement, tu la passes plus à tes cours d’éducation sexuelle que dans l’amphi de Nanterre. Et tu as bien raison ! A t’en croire, Jean-Luc G., cinéaste en plein boum, est un bon coup puisqu’il te fait oublier les petites coucheries de l’année Bresson où tu n’avais rien senti. Là, c’est du corporel et du sentimental, du charnel et du chaud. Tout pour te faire du bien.
Donc tu as bien raison parce que Jean-Luc G. comme premier mari (en as-tu épousé un autres ?), c’est trop classe ! Il te présente Truffaut, t’amène à la Garde-Freinet pour un séjour ultra-raffiné chez la Moreau, t’offre une Fiat toute neuve que tu n’utiliseras jamais, fais d’innombrables allers-retours dans le midi pour te voir une seconde, t’affrète un  avion, demande ta main à pépé le Mauriac, construit un film autour de toi et ta vie estudiantine, la Chinoise, puisque c’est la grande époque Mao. Ouh la la, quelle histoire !
Il faut dire que comme allumeuse, tu te poses là : quand on a 17 ans, qu’on a joué la nymphette dans un film-culte, qu’on porte encore des soquettes dans sa tête et qu’on envoie une lettre enflammée à un monsieur plus âgé, hé ben, hé ben, hé ben voilà ce qui arrive. Délurée, en fait. Bourgeoise, en plus, ce qui plaît toujours aux rebelles, et rouquine, pourquoi pas…
Mais alors, chère Anne, là où ça fait mal, c’est qu’on se sait pas comment se termine l’histoire. L’as-tu plaqué pour un autre, ce macho jaloux, exclusif et étouffant « parce qu’il t’aime » (tiens, ça me rappelle quelqu’un…) pour un juif errant, un pâtre turc, un pré-geek au torse creux ou un alcoolo couperosé ? Ou est-ce lui qui a fait un extra avec une figurante juste pubère, une boulangère virile, une écrivaine chauve ? On ne le saura pas.
Ce qu’on sait, c’est qu’il y a deux façons de raconter une histoire torride. Une façon torride. Et une façon classique, comme si tout était normal, le verbe juste et  la virgule précise. C’est pour ça qu’il a craqué, le « vieux ». Ton côté bien élevé, tombé dans la litt-bourge, les ongles nickel et le surmoi ferme. Pas une starlette, ni une blondasse qui rêve de faire du cinéma, ni une mauvais genre qui sait déjà tout sur l’anatomie masculine. Une petite presque oie blanche qui s’esclaffe avec ses copines, qui trimballe sa petite chienne, qui ne la ramène pas.
Ça m’a bien plu aussi, ton histoire. Juste une toute minuscule chose : tu dis quelque part « les croulants, pour parler comme dans Salut les Copains que je ne lis pas  » (approx), figure-toi que Salut les Copains était un magazine bien élevé qui parlait sobrement des idoles. C’était la génération de nos aînés qui utilisaient ce mot. Voilà. Tu vois, rien à dire, ma chère Anne… Jute bravo ! On attend la suite. La suite ! La suite ! La suite !!!

Une année studieuse. Anne Wiazemski, Gallimuche 2011, 264 pages super bien imprimées. 18 €

Texte © dominique cozette

Telle mère, pas telle fille… Dominique et Nikita

C’est la très belle idée d’une maman artiste qui, après avoir fait un portrait de sa fille, pensa qu’il serait intéressant de voir quel regard Nikita, 7 ans, pouvait poser sur elle. Le dessin fut fait. Elle décida de poursuivre cette expérience de portraits croisés durant 10 ans, chaque semaine, lors de leurs rencontres. (Je suppose que Nikita ne vivait pas chez Dominique).

La maman s’appelle Dominique Goblet, la fillette Nikita Fossoul. Le livre « chronographie ». Au pif, 3 à 400 pages non numérotées.

Un des premiers portraits de la fillette. Elle est blonde avec des cheveux mi-longs, les yeux légèrement écartés, l’air très doux.

Deux portraits enfantins de la maman. Elle est brune, a des sourcils et des cils bien noirs, des yeux bleus.

Les techniques sont très variées. La maman a utilisé ici des crayons de couleur, parfois, du bic, ou toutes sortes de peintures. Elle fait aussi des monotypes dont elle enseigne la technique à sa fille.

Pas d’explication de texte. Voulait-elle dire à l’envers ?

Notez bien que Nikita ne change pas beaucoup et pourtant, les années passent. Je vous expliquerai pourquoi noter cela.

Nikita fait de beau progrès, elle travaille le détail. Chaque changement de coiffure, voire de style de Dominique est validé par un dessin.

Petit air nostalgique de Nikita

La fillette ne se prive pas de commenter les états d’âme de sa mère tout au long du livre

En novembre 2006, Nikita a déjà 15 ans. Vous trouvez qu’elle a beaucoup changé ?

Quel beau portrait de sa mère !

La jeune fille, au trait, a gardé  sa bouche  et ses yeux enfantins.

Elle se pose des questions techniques. Sa mère a probablement une conjonctivite. Elle porte de superbe boucles d’oreilles.

La maman se transforme. De page en page, elle se fait moins farfelue, plus rangée.

Nikita reste égale à elle-même. Sur certains dessins, on devine des crises d’acné. Mais pas trop de folies adolescentes.

Un exercice de style comme Nikita en fera de nombreux.
Le commentaire à la fin du livre de Dominique est assez drôle car, au vu de ces centaines de dessins, elle estime que Nikita a énormément changé, s’est transformée, « ses traits sont passés de ceux d’une enfant à ceux du jeune femme ». Quant à elle, pas vraiment, croit-elle, « mon physique, en dix ans, n’a pas essentiellemet bougé ».
Or, il se trouve qu’elle dessine sa fille avec un regard de mère qui ne la voit pas grandir, elle la croque en petite fille la plupart du temps et on voit à peine les années passer. C’est assez drôle ce jugement pas du tout objectif.
Le grand intérêt du livre, pour elle, n’était pas de reproduire un visage de façon fidèle, mais de dévoiler le regard qu’elles se portent, sans obligation de  justesse ou de proportions. Dans cet exercice, je trouve que sa fille est beaucoup plus sensible que la mère, elle interprète beaucoup plus des états d’âme et des ambiances.
La mère, quant à elle, tente de percer le lien qui les unit car Dominique l’avoue : l’instinct maternel, elle ne le comprends pas vraiment, elle ne le ressent pas de façon animale comme ses amies, ça l’interroge. Ces dessins l’y aident.

Une interview d’elles récente qui confirment ce que j’ai ressenti en parcourant le livre : ce sont deux femmes totalement différentes dans le physique, l’allure, la façon de se vêtir… c’est ici, (à Angoulême, en fait)

Chronographie de Dominique Goblet et Nikita Fossoul. L’Association 2010.  Trois kilos environ.
texte © dominique cozette

Ourednik (tes lecteurs), tu vas te foutre longtemps de notre gueule ?

Une copine tchèque m’avait fait acheter le bouquin remarquable de Patrick Ourednik, Europeana, une brève histoire du XXème siècle, petit ouvrage impressionnant qui nous raconte tout ça en raccourcis hilarants. Là-dessus, je tombe sur « Classé sans suite » à l’Arbre à Lettres,  parmi les derniers bons ouvrages, la nana ne l’avait pas lu, j’achète, 9 € c’est pas non plus la fin du monde.
Premier chapitre, des chiffres et des lettres. Je suppose qu’on parle d’échecs.
deuxième chapitre : ça commence très fort dans la descriptions praguoise avec émanations de gaz carbonique, crotte de pigeon, écrasement de coléoptère, nana appétissante pour vieillard concupiscent. Au bout de quelques chapitres, malgré tout, ça se gâte, je ne sais pas trop où P.O. veut en venir, lui non plus puisqu’il m’interpelle : « Vous vous demandez comment cette histoire va tourner ? Voilà, cher lecteur, ce que nous ne pouvons vous dévoiler […] nous ignorons comment il finira, pourquoi même il finirait, nous en sommes au même point que vous, ou presque, puisqu’au moment où vous lisez ces lignes, notre tâche a pris fin, le livre a été publié; »
J’ai bien l’impression de me laisser mener en bateau mais tant pis, j’y reste. La prose est marrante, le narrateur parle de la société tchèque comme le modèle absolu de la connerie humaine bien cernée par lui et dont voici une des nombreuses citations « Najman était un spécimen si accompli de la connerie tchèque qu’on aurait pu l’exhiber dans les Expositions universelles : jovial, trivial, populaire, passablement inculte, imperturbable et agressif. […]  Nejman excellait dans les dicussions, argumentations et opinions, de sorte qu’il jouissait de l’estime et de la considération de ses concitoyens : arriver à exprimer son crétinisme avec toute l’autorité que cela suppose est pour les Tchèques l’ambition suprême, juste après la collaboration fructueuse avec  les puissances du moment et l’entretien des nains de jardin ».
Je pourrais vous citer la moitié du livre sur des phrases empreintes du style goguenard de l’auteur. Ce n’est pas non plus un gros livre et j’arrive sans peine à sa fin, avec le sentiment de m’être fait avoir comme une bleue. Arghhh.
Mais après la fin en queue de boudin, un commentaire érudit sobrement intitulé « libre suite ». C’est une explication de texte extrêmement, clairement et délicatement menée sur tous les chapitres du texte, avec notes et renvois (beurp) où il se fout encore plus de notre gueule de lecteur avide et inconséquent, avec brio, sadisme, talent et causticité. Exemple : « Le tour de force de Classé sans suite est de pousser jusqu’à l’extrême cette imposture en relançant constamment l’intérêt du lecteur par des artifices qui sont autant de promesses déçues « .  S’ensuit une liste de procédés et événements qu’il nous a infligés dans ce but. Plusieurs parties dans cette dizaine de pages avec les titres en latin pour conclure que, tout flaubertien qu’il est, il a juste écrit un texte sur le rien et termine par cette affirmation interrogative : »Après tout, Kant lui-même, n’avait-il pas orné sa célèbre Critique de la raison pure (AKA III, p.233) d’une très sérieuse et, cependant d’un irrésistible effet comique, « table de la division du concept de rien « ?  » Cette partie est signée d’un certain Jean Montenot qui, j’en suis sûre, n’existe même pas en rêve.
Bref, faut être tordu pour lire ce bouquin, sauf si on est dans le train avec rien d’autre qu’un vieille pie poilue en face de soi. Ou encore si on adore les exercices de style. Comme moi. Je vous aurai prévenu.

Patrick Ourednik. Classé sans suite, 2011, édition Allia. Imprimé dans l’union européenne. 176 p. 9 €

Texte © dominique cozette

Bretécher, une frustrée pas du tout fruste !

Il suffit de feuilleter ce superbe album très lourd pour s’en rendre compte : le talent de Claire Bretécher est extrêmement sophistiqué ! Ses BD en donnent un petit éventail. Mais qu’elle nous expose ses travaux personnels — des portraits —  et elle nous subjugue par sa technique et son regard.

Claire Bretécher peint, dessine, esquisse. Elle croque, elle saisit, elle peaufine. Elle fait de tout : crayon, encre, lavis, aquarelle, pastel, acrylique, huile, « gratouillis », monotype, tricot (trop fort), carrelage, fusain, bricolage, crayon de couleur. Et mix de tout ça. Et sur divers supports.

 

Ses modèles ? Son fils, ses nièces, des amies, des amis, sa grande copine Dominique Lavanant, les deux célèbres rousses, Régine Desforges et Sonia Rykiel. Et elle-même.


Des autoportraits où elle est loin de se mettre en valeur. Voilà d’ailleurs ce qu’elle dit de cette discipline : « On croit que l’autoportrait dénote un certain narcissisme. Faux. Ce serait plutôt la manifestation d’un ennui mortel. N’avoir que soi à se mettre sous le crayon est une punition. Imméritée en général. Heureusement, on constate souvent que le résultat n’est pas ressemblant, sauf accident. »

Dans un reportage passé à la télé il y a quelques années, on la voyait dans son atelier, une sorte de maison sur un toit plat à Place Blanche, havre de paix, en baver littéralement sur la confection de sa BD. Elle ne dessine absolument pas à main levée, elle peine, elle gomme, gomme gomme comme une forcenée, gratte, froisse, jette, recommence… Elle rame, donc, ce qu’on n’imagine pas venant d’une femme comme elle au style dilettante.

  Donc un très beau livre, surprenant car très varié comme j’essaie de vous le montrer dans ce blog. Les frustrés peuvent aller se rhabiller !

Il existe aussi un coffret collector numéroté avec une sérigraphie originale de l’artiste. J’ai raté la séance de signature, à l’automne, et tant mieux, j’ai horreur des séances de signature.

 

Claire Bretécher. Dessins et peintures. Editions le Chêne octobre 2011. 240 pages, 39,90 €. Imprimé en … Chine, pays de l’encre à dessiner…

Texte © dominique cozette

Ce livre était sur « la liste de mes envies ».

Et voilà, il est dévoré. Ce n’est pas faute d’avoir essayé de ralentir un peu, d’en garder la fin pour le lendemain, mais le lendemain devient vite la veille.
J’avais donc apprécié au-delà du raisonnable le premier opus de Grégoire Delacourt « l’écrivain de la famille » (mon article ici) paru l’an dernier, me disant qu’il allait falloir attendre un bail pour en savourer un autre — selon mon pessimisme optimiste — et toc ! me voilà avec le deuxième !
Ce qui est top, c’est que Grégoire Delacourt nous change de registre. Après avoir raconté son histoire de façon romancée, il fait dans la fiction totale en nous contant celle de Jocelyne, mercière à Arras, qui, poussée à jouer par des copines, gagne le gros lot. Puis décide de ne pas le claironner mais surtout de ne pas l’encaisser, de peur de perdre ses bonheurs tout simples. Je n’en dirai pas plus, l’auteur le raconte très bien.
Grégoire, que j’ai connu dans une autre vie, aime les gens de peu, les humbles, les simples et les gentils. Et puis le nord. Il nous introduit avec grâce dans la famille de Jocelyne, dans son couple, dans sa tête et ses rêves de jeunesse évaporés. Jocelyne qui, sans faire de philosophie, soupçonne qu’il y a plus à perdre qu’à gagner avec une telle somme. Jocelyne qui fait confiance aux autres, qui ne voit pas le mal, ou ne veut pas le voir, qui, sans être une sainte, aime bien rendre service. Elle tient d’ailleurs un blog sur les astuces, les trucs, les cent idées de la vie quotidienne via les travaux d’aiguilles. Elle pardonne assez facilement quand on lui fait des crasses mais attention, faut pas en remettre une couche ! C’est une pragmatique, pas une victime.
Bien sûr, c’est sentimental car Jocelyne est sentimentale. Elle lit et relit Belle du Seigneur tout en déplorant sa tragique issue. Et revient  sur le lieu d’un de ses bonheurs pour essayer, sans trop y croire mais on ne sait jamais, de le retrouver.
Et puis, grâce ou à cause de son gain, il y a la liste de ses envies, qu’elle refait de temps en temps, et qui nous met bien le nez dans l’incohérence de notre société bling-bling et autiste.
C’est un roman pas très épais, ça n’est pas une critique car tout est dit avec précision, acuité et sentiment.  C’est un roman suffisamment dense pour en faire un  film. Et pourquoi pas ?  Son premier livre a été couronné de plus d’une dizaine de prix. Et celui-ci « a déjà séduit les éditeurs du monde entier » comme c’est écrit sur le bandeau.
Bravo Grégoire ! Sans mettre la pression, j’attends le suivant…

Grégoire Delacourt « La liste de mes envies ». Editions JC Lattès. 2012. Imprimé développement durable. Presque 200 pages. 16 €.

Texte © dominique cozette

En toute pour le Goncourt !

C’est une BD très marrante et légèrement littéraire qui fera rire tous ceux qui se sont essayés un jour à la littérature. « En toute pour le Goncourt » est l’illustration de ce qu’il faut faire et surtout ne pas faire si on veut se retrouver un jour sur une table de la FNAC à côté de Jauffret et de Nothomb.
Les strips — deux par page —  sont tous un petit gag à eux seuls et nous montrent un héros avec un giga poil dans la main qui ne cesse de procrastiner, jusqu’à ce qu’il se contente d’un roman minusculissime. Prétentieux, en plus, et pénible car il ne cesse de solliciter son ami Mathieu qui lui donne les bon conseils — jamais suivis — il n’envisage de publication que chez Gallimard. Puis éventuellement Minuit. Il campera devant sa boîte aux lettres comme si ces éditeurs n’attendaient que lui, et avaient accepté sa courte prose dès réception.

Je voulais vous mettre plusieurs strips mais le format n’est pas lisible, alors tant pis. Vous auriez vu que le dessinateur ne s’est pas trop cassé le tronc non plus puisqu’il doit y avoir une dizaine d’images différentes – au bureau, au lit, dans la cuisine, à vélo, nuit/jour — avec juste la bouche qui change d’expression. N’empêche, ça reste très efficace.
Si vous ne  l’achetez pas, si votre bibliothèque municipale ne l’a pas, allez le lire dans votre librairie pour bien commencer la journée, ou la finir… ou lisez presque tout (mais pas la fin) sur le site du Figaro ici

En toute pour le Goncourt. Jean-François Kiezkowsi & Mathieu Ephrem. Editions Cornelius 2011.

Paul Auster m’a invitée à Sunset Park : Super !

J’avais abandonné Paul Auster ces dernières années, ça ne me disait plus rien. Et là, je viens de lire son dernier, « Sunset Park » et je le trouve formidable, d’une très belle écriture et d’une construction très simple et efficace. Les personnages y sont décrits avec une minutie qui, sans être aussi alambiquée que celles d’écrivains sortant d’ateliers d’écriture, nous les attache durablement car ils se mettent à exister dans notre esprit avec leur historique de souffrance, de petites victoires ou de tares mal assumées.
On y croise, croiser n’est pas le mot, on y rencontre d’abord le héros, Miles, anti-héros plutôt, mal dans sa vie depuis toujours, sa mère l’ayant laissée  à six mois à son père pour vivre sa vie de comédienne. Puis Pilar, la femme de sa vie, une jeune lycéenne mineure, orpheline dont il s’occupe comme un père puisqu’il est plus âgé. Puis son père, éditeur marié à sa belle-mère qui l’a élevé avec son demi-frère. Le problème de Miles, c’est qu’il se demande s’il a tué son demi-frère en le poussant sur la route. Avait-il vu la voiture qui l’a heurté avant de le pousser ?
Ne pouvant vivre avec cette horrible question sans réponse, il fuit ses parents, ne donne plus signe de vie et c’est en faisant des petits boulots qu’il rencontre Pilar. Mais une des sœurs de celle-ci veut le rançonner sinon elle le dénonce. Il retourne donc à New-York, dans un squatt où vit son meilleur ami et deux femmes au parcours pas facile non plus. En attendant la majorité de la jeune fille qu’il se prépare à épouser.
Après sept ans et demi, comment renouer avec son père, sa belle-mère et sa mère ? Comment se prouver qu’on a grandi, qu’on est apte à mener une vie probe et apaisée ? Mais est-ce qu’on est responsable de tout ce qui nous arrive ? Est-ce qu’il faut être conforme à ce que la société exige pour s’en sortir ?

A travers ses personnages touchants, Paul Auster nous donne une image de l’Amérique d’aujourd’hui qui commence à s’accommoder de la vie en marge. En même temps, elle reste très proche de celle plus bobo qu’il fréquente : le monde des artistes et de l’édition, du théâtre et de la culture. Et puis, il a vécu à Paris et ne l’oublie pas : c’est toujours agréable de retrouver notre modeste rayonnement dans une histoire made in loin d’ici.

Paul Auster. Sunset Park. 2011. Editions Actes Sud, 317 pages et pas une en trop.

Texte © dominique cozette

Diane Keaton, pas Buster, ni Closer…

Voici un livre de mémoires, c’est écrit dessus, il s’appelle « une fois encore » (genre de titre qui ne veut rien dire et dont on ne se souvient jamais) de Diane Keaton, actrice bien aimée de tous, enfin presque, car personne n’a de raison de ne pas l’aimer, un peu comme Edward Hopper. Donc je me suis ruée sur le livre où elle pose dans toute la splendeur de ses t’huit ans, grand feutre noir et pieds en l’air, pensant y partager ses souvenirs de Manhattan avec Woody qui n’est pas resté de bois (ha ha ha !) devant cette charmante créature à leur époque heureuse.
Hé bien balpeau. De Woody, il est question, forcément puisque c’est pour Annie Hall qu’elle a reçu l’Oscar. Or quand elle a reçu l’Oscar, elle n’était plus avec lui mais avec Warren. Warren Beatty, voyons. On apprend qu’elle aime toujours tendrement Woody, elle a d’ailleurs remplacé Mia Farrow au pied levé dans je ne sais plus quel film au moment où les époux Allen frayaient avec les mauvaises chroniques des faits divers.
Donc, nous ne saurons rien de rien de sa vie avec Woody Allen, sauf que c’était un gars un peu compliqué, merci du renseignement, pas plus qu’avec Warren sauf qu’il était considéré comme un coureur de jupons, merci encore, et encore moins avec Al Pacino, sauf qu’il avait un grand nez, qui l’eût cru ? Et quand elle dit nez, elle ne dit pas autre chose.
On apprend quand même qu’elle a été boulimique grave, elle apparaît comme pas très entreprenante,  un peu floue comme fille. Les choses lui tombent dessus, comme ça. On a l’impression de quelqu’un de velléitaire, de dilettante, d’assez fade finalement.
Alors quid de ce livre ? Ce livre est tout bonnement celui que sa mère voulait faire, sa mère chérie, morte d’Alzheimer dans ses bras, entourée des autres frère/soeurs de Diane, sa mère qui avait rempli des milliers de pages sur sa vie, ses enfants, ses désirs et fait des centaines de collages s’y rapportant, que Diane a retrouvés après. Qu’elle n’a pas eu le coeur de bazarder. Donc, dans ce livre, Diane nous conte son père, sa mère son frère et ses soeurs, tous très beaux à en croire les photos. Elle nous raconte aussi son parcours dans le théâtre et le cinéma et met en parallèle les écrits de sa mère à la même époque.
L’on peut dire que la mère a plus de talent littéraire que la fille car elle analyse, elle détaille, elle appuie où ça fait mal. Diane, pas vraiment. Elle manque de profondeur et de dramaturgie (ça se dit ?). C’est un peu plat, parfois charmeur si on aime se retrouver dans l’Amérique des sixties et d’après. Elle évoque plus longuement les deux petits qu’elle a adoptés après 50 ans pour être moins seule et compare sa vie de « jeune » mère à celle de sa mère qui, au même âge, n’avait plus ses enfants à la maison.
Un peu décevant malgré tout car on y cherchait du Woody Allen, de l’humour, de la dérision : il n’y  en a pas. C’est juste une nana comme vous et moi qui avait envie d’écrire sur ses liens familiaux. C’est déjà pas mal.

Diane Keaton, Une fois encore, Robert Laffont 2011, 314 pages 21 euros.

Texte © dominique cozette.

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