121 curriculum vitae…

… pour un tombeau.

C’est le titre du premier roman de Pierre Lamalattie qui a déjà peint de nombreux romans et curriculum vitae tant ses images sont loquaces. Allez voir son site ici, vous serez conquis si vous aimez les phrases fulgurantes. Rien que sa bio, ça vous donnera l’idée. D’ailleurs, il l’a reprise pour commencer le livre. D’une causticité réjouissante. Je vous la cite car elle incite : « J’ai 54 ans. J’ai connu moins de femmes qu’un animateur du Club Med. J’ai gagné moins d’argent que mon voisin orthodontiste. Je suis moins sportif que ma belle-soeur. J’habite toujours à 500 mètres de chez ma mère. Et bien sûr, je n’ai vécu aucune aventure de l’extrême. Je suis un type inoffensif, une sorte de raté irrémissible. » Bon, on prend un peu pitié, on se dit merde, c’est dommage quand même ! Puis on lit la suite : « J’aurais pourtant bien tort de me plaindre, car, au fond, je m’en fout complètement. » Ouf.
Je vous le dit tout net : ceci n’est pas une pipe. Je veux dire pas un roman conventionnel. C’est un prétexte à nous livrer les histoires que ce peintre pompier (dit-il de lui, mais on n’en croit pas une image) a accumulées dans sa carrière professionnelle d’agro, section ressources humaines. Pierre Lamalattie est aussi à l’aise pour réduire en quelques coups de pinceaux (mouais, c’est un peu plus compliqué que ça) une personnalité à un visage qu’à le décrire en quelques phrases choc. Il y en a 121 donc, et ça va de Hervé qui a rencontré la mère de ses enfants dans une association pour le renouveau de la bourrée à Laura avec laquelle il comprend que se poserait un problème : que faire durant la période réfractaire ?
Pierre Lamalattie est le seul écrivain qui parle, dans le même ouvrage, de période réfractaire, d’anachorète idiorythmique (un homme seul qui vit à sa façon) et de la conjecture de Birch et Swinnerton-Dyer (rassurez-vous, moi non plus !). C’est vous dire combien il est atypique. En même temps, quand il raconte le mariage participatif auquel il se rend dans le seul but de baiser une « nénette » et où il est affecté à l’atelier équeutage de haricots verts alors qu’elle se trouve dans celui des tartes salées, ça me fait vraiment rire : on se croirait dans un  film choral de mauvaise qualité avec des héros bien ringards dont l’honnête homme aime se moquer « au deuxième degré ».
Ce livre m’a appris où en était ma vie, selon la théorie de Schopenhauer : « il voit la vie un peu comme la digestion chez les vaches : en deux temps. Dans un premier temps, la vie se présente comme une succession d’actions. Mais on ne se rend pas compte de ce qu’on vit. Dans un deuxième temps, s’il y a deuxième temps, la vache arrête de s’agiter, elle s’allonge. On passe à la rumination. C’est là que se produit la véritable digestion, avant, ce n’était que du bourrage d’estomac. C’est dans la rumination des souvenirs, dans la représentation, dans l’art que la vie peut être appréciée, connue. La vraie vie est donc dans la rumination. » C’est là que j’en suis personnellement, depuis que j’ai un peu de temps pour réfléchir.
Une idée de description à la Lamalattie : « [elle] avait opté pour un look cool : jean partout, à l’exception de Converse vertes. Son visage, criblé de taches de rousseur, évoquait l’univers mental de l’érotisme breton. »
Sur l’art contemporain : « En France, intellectuel, on voit très bien de quoi il s’agit. Mais artiste, c’est indiscutablement moins clair. Je ne parle pas de pseudo-artistes qui gravitent autour du ministère de la Culture et des galeries à la mode. En réalité, la plupart du temps, il ne s’agit pas d’artistes, mais plutôt d’intellos bas de gamme. Toute leur habileté professionnelle consiste à faire des commentaires filandreux pour justifier leur « travail ». Non ! J’en reste à cette idée : on ne voit pas très bien en quoi ça consiste, un artiste. »

Sur la mort, ou le mort, enfin, après je vous laisse découvrir par vous-même le reste de cette somme : « Un vrai défunt se distingue d’un vivant par le fait qu’il incarne des valeurs. L’homme ordinaire est balloté dans la vie ordinaire, il doit faire ses courses, essuyer des scènes de ménage, payer des impôts, aller chez le dentiste, bosser, épargner. Le défunt, lui, s’est consacré uniquement à des valeurs, à énormément de valeurs. Parmi celles-ci, la plus large place doit revenir, bien évidemment, aux valeurs humaines. »

121 curriculum vitae pour un tombeau, Pierre Lamalattie. L’Editeur, 2011(vient de sortir), 448 pages.
Vous trouverez, à côté ou au rayon arts plastiques, le recueil des 121 portraits, dont le sien en couverture.

Texte © dominique cozette

Une enfance laconique

Quand j’ai entendu parler de cet homme, Santiago H. Amigorena et du titre de ses trois premiers romans autobiographiques  : une enfance laconique, une jeunesse aphone, une adolescence taciturne, je n’ai eu de cesse de le lire. Je l’ai cherché partout, j’ai fait le tour du monde, de Venise à Java, de Manille à Ankor, plus prosaïquement de Grignan à Arles, de Montélimar à Valence puis, ultime espoir estival, à Sète. Rien, pas la queue d’un reste de stock. Septembre, Paris, la FNAC affiche zéro et d’autres librairies bien fournies itou. Jusqu’à ce qu’un employé modèle de chez Virgin me le commande en m’assurant qu’il serait en ma possession en moins de dix jours.
Des livres espérés comme ça, on s’en fait une montagne, on imagine un récit tout en grisaille, une confession glauque ou sournoise, un compte rendu-rendu morne ou morose. On le tient, l’auteur, qui nous tiendra lui aussi dans sa saga talentueusement misérabiliste !
Hé bien non. Rien à voir. Pas du tout. Le premier, l’enfance, raconte avec un indescriptible brio littéraire, trop même, la riche et longue généalogie de cette famille d’émigrés d’ici et de là, principalement installée en Amérique du Sud, avec des ramages conquérants ou pas, des faits d’armes ou rien, des modesties, des exils ou des déménagements. Puis l’auteur nous approche tant bien que mal de son enfance dont on ne saura presque rien puisqu’il ne veut pas se souvenir, en parler ou la réinventer. Bref, on se heurte à un mur d’incompréhension racontée avec des phrases et des mots inusuels, des tournures de phrases inusités, des sensations unisées. Il écrit pour ne plus écrire. Il use le mot, la langue pour ne plus s’en servir. Il a d’ailleurs été muet, mutique ou quelque chose comme ça, comme le petit gamin rouquemoute à taches de rousseurs de la pub d’antan qui n’a parlé qu’à 8 ans pour dire que le roquefort, c’était bon. car avant ça, il n’avait rien trouvé d’intéressant à dire.
En fait, comme il est dit en quatrième de couv’, c’est la vie d’un écrivain qui ne voulut jamais écrire, de la première à la dernière syllabe.
Mais S. Amigorena écrit toujours. Il écrit des films, des scénars, excellents, avec ou pour Klapisch notamment, Brigitte Roüan, Marion vernoux et il a réalisé aussi.
J’ai son troisième livre, une adolescence taciturne, au pied de mon lit. On verra ça plus tard.
C’est de la très bonne littérature mais, comment dire, pas distrayante du tout. Mais à part, à côté de la plaque connue, en marge.  Le contraire de Foenkinos. Je ne peux pas vous le conseiller d’autant plus qu’il est introuvable.  Je trouve qu’il fallait juste en parler. Dont acte…  gratuit.
(Pour l’adolescence, je vous tiens au jus)

Santiago H. Amigorena. Une enfance laconique 98. P.O.L. 184 pages.

Texte et dessin © dominique cozette

 

Dubois dont on fait les meilleurs bouquins… bravo m’sieur Jean-Paul

Quelle toujours super bonne nouvelle la sortie d’un nouveau Dubois. Celui-ci, le cas Sneijder (vous jure, ce nom !) bat tous les records de mon admiration. C’est l’histoire d’un homme lâche, enfin ça ne saute pas aux yeux tout de suite, mais il est extraordinairement lâche, au point de sacrifier sa fille à ses deux exécrables jumeaux. Sa deuxième femme, une vraie pouffiasse, je veux dire une wonderwoman qui vit selon les codes actuels : efficacité, ambition, soin maniaque de son image n’a que  mépris pour tout le reste, pour les sentiments, la curiosité intellectuelle, le bonheur ou son semblant.
Monsieur S…machin a suivi sa mégère et ses « univitellins »  — car ils ne sont pas dizygotes —  au Canada où s’épanouit sa carrière (à elle). Lui fait ce qu’il peut jusqu’à ce dramatique accident d’ascenseur. Je n’en dirai pas plus. On s’en fout, vous le lirez vous-même. L’intérêt de ce bouquin, c’est que Dubois nous donne à considérer la vie, ou la société, ou le couple, enfin tout, avec un regard différent du nôtre. Il réussit à mettre des mots là où il n’y en avait pas. Chaque paragraphe est d’une précision d’entomologiste. Ça nous (quand je dis nous, j’attige car je parle pour moi) met en position de l’ignare, du sauvage, du mal éduqué, celui qui ne sait pas nommer ce qui titille et donc qu’il ne nomme pas, donc qu’il tait. Et ça n’existe pas. Avec Dubois, plein de choses se mettent à exister parce qu’il met le doigt dessus. Ce n’est pas le moindre de ses talents.
Car c’est toujours bien documenté, dans ses histoires. Monsieur S…bidule, après cet accident que personne ne peut expliquer parce qu’il ne peut pas se produire, se met à étudier tout ce qu’il trouve sur les ascenseurs du monde entier et nous en apprend de bien bonnes. Et nous montre comment notre société verticale s’articule autour de ce moyen de transport sans lequel rien ne serait possible ce qui fait notre présent. Il y a aussi un délire sur les nombres premiers qui deviennent des palindromes quand on les multiplie, et quelques anecdotes sur les promeneurs de chiens, dogwalkers.
C’est passionnant. C’est simple. C’est spirituel. C’est un super bon roman. Un seul défaut et il est de taille : p. 215, douzième ligne, trois mots sont mal imprimés, un peu bouffés. Franchement, l’Olivier… Bon, allez, ça ira pour cette fois.

Jean-Paul Dubois. Le cas Sneijder. L’olivier, 2011. 218 pages.

Texte et dessin © dominique cozette

Les souvenirs de David Foenkinos, rhôôôô, que ça agace certains !!! Pas moi…

Si je m’en réfère à Eric Chevillard, je viens de lire un bouquin inutile. Voir sa critique ici. Une littérature facile. Il n’a pas tord et, en refermant Les Souvenirs de David Foenkinos, je me demande encore si c’est de la bonne littérature. N’aurait-t-elle pas trop de sucres ajoutés, de graisses hydrogénées, d’émulsifiants, de colorants, d’exhausteurs  de goûts, de  conservateurs… ?
Bref, je me pose la question. Bref, qu’allez-vous pensez de moi ? Bref, allez-vous crier Mon Dieu !!! Elle apprécie DF !!! C’est pas possible, on va se désabonner, ignorer, boycotter… bref, vous allez me lâcher.
En même temps, je vous rétorque que David Foenkinos a fait partie des goncourables. Ce qui n’est pas une référence, m’assènerez-vous. Vous n’aurez pas tort : nos vieux jurés se sont probablement projetés dans les aïeuls de l’auteur, pour une fois qu’on les met en scène dans un récit touchant…
Toujours est-il que j’ai passé un bon moment avec le héros du livre — gardien de nuit dans un hôtel pour pouvoir écrire —  dont le grand-père adoré meurt sans qu’il lui ait dit je t’aime (l’angélisme de Foenkinos). Sa grand-mère, un jour, se casse la margoulette chez elle, alors ses trois fils la mettent dans une « maison », contre son gré. Notre héros, le petit-fils, lui rend visite et voit bien qu’elle n’a pas sa place ici, qu’elle n’est pas assez gâteuse. Même qu’elle lui demande pour son anniversaire de la conduire chez elle pour revoir son appartement, y prendre quelques affaires. Hélas, ses fils l’ont vendu sans le lui dire. Alors un jour, elle disparaît. Elle fugue. Elle veut vivre. Et elle vit de drôles de choses ainsi que son petit-fils. Des hasards, des déceptions, des rencontres qui se font et se défont…
Dans ce bouquin même pas indigeste, Foenkinos a aménagé des trous normands, en italiques, des souvenirs de personnes ayant un rapport plus ou moins lointains avec l’histoire, Gaudi, Wayne Shorter, son futur beau-père, un employé des pompes funèbres, un pompiste…
Et puis on apprend qu’il a été achevé d’imprimer sur Roto-Page par l’imprimerie Floch, en Mayenne, le 14 juin 2011 ! Incroyable.

Les souvenirs par David Foenkinos. Gallimard 2011

Absolument dé-bor-dée de café !

En sortant son smartphone de son duffle-coat juste pour vérifier qu’il n’y avait pas quelque chose de plus important que moi « à traiter » par mail ou SMS, Luka fit tomber « absolument débordée », cette critique acerbe des collectivités territoriales…
– Ah tiens, tu lis ce genre de bouquin, toi, m’exclamai-je en essuyant ma moustache de café. Tu t’intéresses à la vie publique  ?
– Je kiffe compètement ! Ce million et demi de fonctionnaires qui ne glandent rien et sont payés par nos impôts ! En fait, c’est un vrai pamphlet, elle l’a écrit sous pseudo.  Tu peux pas imaginer  le gâchis dans la fonction publique, cette  joyeuse bande de profiteurs …
– très souvent  incompétents, comme dans le privé, remarque…
– qui pratiquent le népotisme à grande échelle , la flagornerie éhontée, la réunionite sans objet , et utilisent toutes sortes de subterfuges pour remplir un emploi du temps vide de sens et de tâches.
– Et ils font quoi ? Des suduku (mon mot du jour) ? des séances de jambes en l’air ? questionnai-je en m’essuyant à nouveau la moustache de café (ces horribles cafés mousseux de ces horribles lieux post-modernes équipés de wi-fi, sombres et qui se la pètent en tuant tous nos petits bistrots Le Père Tranquille ou Le Bar des Amis où, certes, le patron est souvent patibulaire, mais les sandwiches patrimoniaux et l’ambiance audiardienne. Bref…
– Probablement tout ça, mais aussi des déplacements inutiles et coûteux, des séminaires de formation à rien d’utile, des pots pour toutes les circonstances de la vie privée et publique, des jeux sur internet etc… C’est une charge énorme contre le service public (tiens, je n’avais pas remarqué qu’il avait un oeil plus petit que l’autre)
– Le problème, c’est que ça donne du grain à moudre à l’actuel président ! Lui qui veut tout privatiser avec ses frères, non ?
– Peut-être. En même temps, c’est un livre drôle, caustique on va dire (mon pote Luka est adepte de l’expression on va dire), distrayant mais… très énervant pour ceux qui, comme moi, prônent la justice sociale comme valeur fondamentale à la démocratie.
– Ah, c’est nouveau ! Toi qui arnaques en toutes circonstances…
– Pas la justice sociale, Arlette ! Je te rappelle que je suis délégué syndical !
– Oh, pardon ! Donc, l’auteure ? demandai-je en essuyant derechef ma moustache cappucineuse…
– L’auteure, Aurélie Boullet de son vrai nom, essaie de déjouer sa démarche qu’elle dit mal interprétée par nous (tu iras voir sur Google ici y a plein d’articles sur elle). Elle dit que quand elle vu l’étendue de cette farce, elle a bien essayé d’attirer l’attention des responsables sur le gâchis en question
– Et alors ? intervins-je en ignorant ma nouvelle moustache
– ils n’en avaient rien à foutre, mais rien de rien !  alors, elle  s’est mise à écrire ce texte, le soir, chez elle,  pour se consoler de son immense désillusion face à la réalité de la mission qu’elle avait briguée avec passion.
– Tu causes bien, Luka…
– Merci, Arlette. Donc, après une suspension  de plusieurs mois sans solde, elle a été réintégrée à Bordeaux.  Alors qu’elle avait été acceptée en Picardie !
– pourquoi en Picardie ? C’est tristouille la Picardie…
–  C’était pour s’éloigner de ceux qu’elle avait stigmatisés. Et tu sais la plus belle ?
– Ben non, dis-je en sortant le paquet de préservatifs de mon sac pour lui signifier qu’il était temps de passer aux choses sérieuses
– Ils ont préféré la garder et lui donner un autre poste. Vous avez dit bizarre ?
– Heu.. non, mais j’aurais pu, ajoutai-je en ouvrant la boîte de Durex et comptant combien il restait de coups à tirer.
– Et tu sais quoi ? L’affaire n’est pas prête de se tasser
– n’est pas près de, Luka. pas près de se tasser. Tout le monde confond mais si tu veux, je peux te donner le truc pour t’en souvenir…
– Je m’en bats les couilles ! T’es contente ? T’es vraiment chiante par moment. Ça me fait débander ! Pffff
– Excuse-moi. Luka. Donc pas près de quoi ?
–  pas près de se tasser puisque les droits du bouquin ont été achetés pour le cinoche. Ils vont nous coller Ludivine Sagnier, Franck Dubosc et Antoine Duléry et ça va faire un tabac, cette histoire de planques en or que nous avons l’honneur de financer avec notre TVA et accessoirement nos impôts !!!
– Rassure-moi : il y en a quand même des bons, des fonctionnaires territoriaux, non ?
– J’ose l’espérer. Des mecs sérieux, attachés à bien faire et désireux de servir, on en trouve encore. On plie ?
Il a déjà décampé, me laissant régler le tip et  lâchant la porte sur ma pomme pour bien me prouver qu’il n’a pas l’hypocrisie de se montrer galant alors qu’on leur demande juste, à ces braves garçons, de nous faire passer un bon petit moment sexuel et sans conséquence.

Absolument dé-bor-dée ou le paradoxe du fonctionnaire, par Zoé Shepard, Albin Michel 2010 (déjà ou bientôt en poche, sûrement)

Texte et dessin © dominique cozette

Vie De Merde en Alaska

Le livre s’appelle Désolations, mais en anglais plus sobrement Caribou Island, c’est le deuxième d’un auteur talentueux, David Vann, dont le premier a reçu le Médicis étranger 2010.
Ça se passe dans le riant (!) Alaska où il fait moche, où les villages sont moches, où le temps n’est pas terrible et où l’ennui rôde avec les ours affamés. Je ne vais pas vous narrer le pitch mais sachez que j’ai trouvé l’aventure de ces quelques couples passionnante, qui interroge sur l’amour, le mariage, la (ou l’in) fidélité, la pertinence à rester coûte que coûte ensemble alors que chacun pourrait sauver sa peau loin de l’autre et que tout irait mieux, même pour les grands enfants. L’égoïsme pharamineux du mari qui, équipé d’oeillères et rétif à toute anticipation, décide d’aller construire une cabane pour y habiter avec sa pauvre femme affligée brusquement d’une migraine monstrueuse et insoignable. Le lieu : une île inhabitée, sans rien donc, ni électricité ni eau ni réseau. Ils y accèdent en barcasse, essuient des tempêtes, en attendant d’y être bloqués par les glaces.  Le premier problème : il ne sait pas comment ça se construit, une cabane. Il ne fait pas de plan, improvise, esclavagise sa femme malade, lui fait trimballer les rondins, les plaques de tôles. J’espère toujours qu’elle va le laisser à son destin,  dans sa hutte, et reviendra à une vie plus normée mais que voulez-vous, elle ne peut pas vivre sans lui. Un roman d’amour ? Euh, l’amour a un sale goût, je vous le dis tout net !
Ça fait sinistre, ça l’est, mais il y a les aventures parallèles de leurs enfants en couple, les pièges tendus, le suspense d’une trahison. Ça égaie vaguement  l’île perdue, le froid, la tempête, le conflit qui monte dans ces tentes glaciales où agonise le lien parental.
C’est écrit au cutter, c’est acide mais, avantage certain, ça fait apprécier la couette sous laquelle on est bien au chaud pendant que la glace commence à prendre dans les dernières pages de ce roman … sans issue ? J’ai adoré et vais me jeter sur le premier livre, Sukkwan Island de cet écrivain insulairophile.
Large extrait de l’Express ici. Ça donne une idée de l’ambiance.

Désolations de David Vann, 2011, chez Gallmeister.
Texte © dominique cozette

 

Ieggor Gran : touche pas à mon écolo !!!

L’écologie en bas de chez moi de Iegor Gran est réjouissant. Parce qu’il s’attaque à un tabou : la posture écologique. Oui, je sais, vous allez me dire, on a déjà eu  Allègre puis actuellement Bruckner qui tourne sur les plateaux et dont l’argumentation, ou la présentation, est plutôt agaçante. Gran, lui, commence avec un truc qui me plaît bien car il s’attaque, dans un courrier à Libé, au monument (de fallaciosité) qu’est Home d’Artus-Bertrand — que je peux me vanter de ne pas avoir vu — dont il a violemment critiqué la forme esthétisante qu’il a comparée aux films de Leni Riefenstahl défendant la cause d’un certain Adolf.
La critique porte aussi sur son caractère d’obligation à être vu : projection simultanée dans 130 pays, gratuite sur les Champs, Central Park, You Tube etc… comme un lavage de cerveau adressé à nous tous. Ayant reçu un flot de critiques, constatant comment les gens révèrent cette nouvelle religion qu’est l’écologisme, fustigeant cette cause de dissension violente avec ses amis et ses voisins, il décide d’écrire ce bouquin, très argumenté d’ailleurs, d’une plume incisive et extrêmement réjouissante. Non que je me réjouisse des saccages infligés à notre bonne vieille terre !  Mais comme il dit, ce n’est pas en triant nos ordures ou « en faisant un geste pour la planète » (la pub de Gaz de France et consorts), qu’on s’en sortira. Là- dessus, il n’a  pas forcément raison mais c’est bon que quelqu’un s’attaque à la bien-pensance de ceux qui font commerce (ô combien fructueux) de cette cause ! Et puis il aborde toutes sortes de domaines avec une mauvaise foi qui n’a d’égale que sa causticité.
Gérard Collard, le tintin des libraires, nous en touche un mot ici. Et vous pouvez lire cette critique des Inrocks qui en dit plus. Pour vous mettre en bouche, quelques impressions. Sur les voisins ;
« Les voisins, il faut les aimer. Les voisins sont toujours bienveillants, valeureux et civiques. Et je ne dis rien de leur beauté — cette force intérieure qui rayonne, ce sens du tact, cette poésie ! Mieux qu’une voyante, ils savent ce dont on a besoin. Mieux qu’un docteur, ils soignent nos égoïsmes. Il sont vigilance, ils sont probité. »
Sur l’autofiction : « A quoi sert-elle ? A protéger la planète. Car quand l’écrivain fabrique ses libres avec des bribes de sa vie insignifiante, il recycle […] Misérable est l’écrivain qui se sert de son imagination pour produire des textes nouveaux. Que d’énergie dépensée ! Gâchis de neurones et d’heures de sommeil ! Et dans quel but ? produire un texte qui ira gonfler la marée des écrits […] L’imagination  pousse à la surconsommation. A contrario, l’écrivain d’autofiction est un écrivain responsable. ll ne perd pas de temps à se documenter : il a tout sur place, au fond du nombril et dans son cul, il n’a qu’à se baisser pour cueillir l’inspiration. Il est auto-suffisant, comme ceux qui se lavent à l’eau de pluie et font du compost pour faire pousser leurs radis, leurs courgettes. »
Pour finir d’être complètement énervant, ce bouquin est bourré d’immenses notes de bas de pages en corps 6 dont la somme des signes est, je le parie, plus importante que celle du texte lui-même.

L’écologie en bas de chez moi. Iegor Gran. 2011. P.O.L Même pas 200 pages !
Texte © dominique cozette. Image trouvée sur le net.

Priez pour nous, monsieur Duroy !

Je viens de finir Priez pour nous de Lionel Duroy dont « le Chagrin », paru l’an dernier, m’avait bouleversée.
Si vous trouvez que votre enfance n’a pas été extrêmement épanouissante,  qu’elle fut même calamiteuse — il y a miteuse  dans calamiteuse — entrez dans celle de Duroy. Il a écrit ce bouquin en 1990 après, comme on dit, l’avoir porté longuement. Il faut dire que vivre chez les Duroy, c’est plus proche de l’enfer que du purgatoire. Une mère mégère qui vit plus haut que son cul, un père à la ramasse qui essaie de se démerder pour éviter les catastrophes, qui ment, échafaude des plans foireux, sacrifie la scolarité de ses aînés aux exigences hystériques de mon Minou, sa femme, celle qui crie, qui le tape, qui le griffe, qui fait la grève de tendresse sauf une fois par ci par lç et ça loupe pas, qui se retrouve enceinte à chaque coup de rein. Le père, Toto, qui appelle ses gosses « mon vieux », il en aura dix, plus un petit mort. Les aînés seront ses complices, traités comme des sbires. Les petits, on n’en parle pas, ils sont quelque part au fond d’un appartement agrippés aux basques de la mère mal-aimante ou de la bonne Thérèse, trop bonne celle-ci.
Le jour où tout bascule c’est quand ils sont expulsés manu militari et publiquement du bel appart de Neuilly. Puis recasés dans deux logements mitoyens d’une HLM dans une cité ouvrière. La mère ne vit plus, son standing est définitivement pulvérisé. Le père n’arrête pas de promettre que tout va s’arranger mais ils vont de Charybde en Scylla, plus de gaz, plus d’électricité, plus d’école privée — l’école laïque étant inenvisageable — plus de fric, rien à bouffer, plus de boutons aux manteaux. La mère devient folle, déprimée, on l’enferme plusieurs mois.
L’enfant Duroy se débat dans cette vie pourrie sans horizon, sans espoir, sans amour, si, celui de son père qui le traite comme un homme pour son plus grand malheur. Il faudra quitter ce merdier où rien n’est possible. Ce qu’il fera avec un aîné. Mais, peu armé, peu formé au bonheur dont il ne connaît pas le schéma, il a toutes les chances de reproduire cette situation invivable dès ses premières années de grand en mettant son amoureuse en cloque. A cette époque, c’est pas gagné !
Duroy s’est évidemment gravement brouillé avec tous les membres de sa familles en publiant son histoire. En grattant sous les croûtes, en fouillant dans les ordures, en exhibant leur misère. Mais il le fallait. Ce livre est formidable. C’est du Zola mais avec un zeste de Petit Gibus et du Truffaut des 400 coups.

Priez pour nous, par Lionel Duroy  chez J’ai lu. Le Chagrin est aussi en poche. Pour voir une vidéo ou l’auteur parle de ces livres : site ici

Texte © dominique cozette

La délicatesse du marshmallow, heu, de Foenkinos

Ce bouquin, c’est comme une friandise interdite par le Régime. On le pique en cachette et on fait comme si de rien n’était. C’est un livre aux phrases souriantes,  aux aphorismes délicieux, aux notules amusantes (il y est aussi question de rotules qui dansent, je ne sais plus) et aux apartés incongrus. Pour ce qui est de la forme, c’est parfait. Pour ce qui est du fond, c’est … plus classique. Comme on dit : « boy meets girl ». C’est une histoire d’amour, puis une histoire d’amour. DF, l’auteur, nous fait avaler les couleuvres de la deuxième histoire d’amour de l’héroïne. On n’y croit pas, on ne veut pas y croire, puis on se dit : au fond, si cet homme lui plaît. Bon, OK,OK. On se régale, toujours sur la forme, mais le fond remonte à la surface et lorsque le livre s’achève on se dit : « Est-ce que ce livre est bien ou pas ? Est-ce que je ne vais pas me faire tacler si j’en dis du bien autour de moi. » Et aussi : « Mais pourquoi me posé-je cette question ? » Hein ?

Parce que. Parce que ce livre est plein de bons sentiments,de  trop bons sentiments.  La fille est parfaite c’est à dire que même ses défauts sont parfaits et ses qualités nuancées. On la voit. On se dit : tiens, et ce serait qui, si on faisait un  film ? Ce serait sans hésiter Audrey Tautou. Non, pardon. Ça serait Amélie Poulain. Et voilà-t-il pas que j’apprends que DF vient de tourner cette histoire avec… Audrey Tautou. Finalement, ça devient un livre avec Tautou.

Je me dis alors : « Allez, quoi, ne sois pas snob, ce livre t’a procuré du plaisir, y a pas de quoi en faire un pâté ou te foutre la honte. ». Je me réponds : « tu as raison ».

C’est un livre de poche dont on parle beaucoup parce qu’il a reçu 10 prix, c’est louche, qu’il se vend comme des petits pains (c’est chelou) et que son auteur fait le tour des plateaux  (c’est lourd). J’espère (c’est idiot) qu’il ne va pas se retrouver dans le peloton des Gavalda, Olivier Adam et Moix et Moix et Moix, parce qu’il est bien sympa, ce David. Un précédent  livre « qui se souvient de David Foenkinos », regard acerbe sur le glorieux travail de l’écrivain, m’avait bien amusée. Mais il n’était pas aussi Marshmallow.

Bon, c’est tout, vous en faites ce que vous voulez…

Texte © dominique cozette

Marie-Blanche, noire saga haletante !

Jim Fergus, venu en France pour la promo de son succès Mille Femmes Blanches, y rencontra une dame qui avait connu sa mère. Marie-Blanche, d’origine française, fille de Renée, française, qui connut un destin bien tragique. Jim, qui en savait forcément long sur l’alcoolisme de sa mère, fit des recherches sur les deux femmes, retrouva le journal de sa mère et tricota ce que furent leurs deux vies, faites d’excès et d’incompréhension. Ce livre vient de sortir.

Comme dans un  montage cut, le récit alterne l’histoire de l’une et de l’autre, comme s’il fallait comparer la force de caractère de l’une à la dévalorisation de soi de l’autre. Née en France à la fin du XIXème, Renée fut donnée clandestinement à un couple d’aristos stérile. Joviale et futée, la petite observa la nature humaine de ses différentes cachettes et ne tarda pas à découvrir la turpitude de sa mère qui s’envoyait en l’air avec son beau frère, un homme capricieux, audacieux, brutal et priapique. Elle en fit son modèle de vie : savoir comment faire pour obtenir ce qu’elle voulait quels qu’en soient les moyens. Cet oncle deviendra son père adoptif à tendance pédophile, puis son amant et son mari. Riche producteur de coton sur la Nil, il forme la nièce à sa vie et, comme c’est raconté crument, à son vit à la taille impressionnante. Renée, bien que surveillée, n’en fera qu’à sa guise et se servira de cet homme  — qu’elle aima passionnément — pour assouvir ses désirs d’argent, de fête, de séduction. Un mariage forcé plus tard, elle décide d’avoir un enfant, puis un autre car le premier, Marie-Blanche, ne lui convient pas. Elle les abandonnera au père pour suivre un don Juan mais, chaque fois qu’elle verra cette enfant ratée, elle ne se privera pas de lui répéter comme elle est moche et bête.

Cette pauvre Marie-Blanche n’aura pas forcément une enfance malheureuse, et sera récupérée par un de ses beaux-pères, riche industriel américain (d’où la nationalité de l’écrivain). On réussit à la fiancer à un aristo de belle engeance mais le père de celui-ci veut lui faire goûter ses meilleurs vins. Elle finit fin saoule, se vomissant dessus et couchant avec le frère du fiancé. Fin des beaux projets. Un jour, secrètement, elle épouse un bel homme tendre « mais » sans fortune. Il l’emmène vivre dans un bled. Et malgré l’amour et la gentillesse, l’alcool va  ruiner sa vie. C’est la père (dont Jim Fergus ne parle pas) qui s’occupe des trois enfants dont l’un, le préféré forcément, est mort faute de surveillance à 7 ans. Drame, reproches, culpabilité…  Marie-Blanche fait cure sur cure mais elle replonge sans cesse dans l’alcool  jusqu’à se suicider. L’histoire ne dit rien de l’enfance forcément dramatique de l’écrivain.

Passionnant, très bien écrit, avec force descriptions, dialogues et traits d’humour, ce pavé nous embarque dans une extraordinaire épopée à cheval sur trois continents et plus d’un siècle, auprès de personnages forts en gueule, outranciers, sans gêne et vraiment infréquentables !

Texte © dominique cozette

Social media & sharing icons powered by UltimatelySocial
Twitter