C’est un premier livre dingue, explosant d’inventivité, de vie et de mort, de crade et de naïveté, d’amour et de rage. Il est signé Glenn Taylor. La ballade de gueule tranchée commence mal pour le héros qui porte ce nom — mais en portera plusieurs dans ses nombreuses vies — car sa mère le laisse tomber dans l’eau glacée d’une rivière à l’âge de deux mois. Il est recueilli par une drôle de bonne femme, veuve et stérile, qui a déjà ramassé une fillette. L’enfant souffre d’un mal horrible, épouvantable, invalidant : ses gencives sont niquées, purulentes et pestilentielles. Sa bouche est un capharnaüm de puanteur et il n’y a rien à faire à ça. Pas facile de vivre en fermant sa gueule ! Cette monstruosité alliée à une intelligence indépendante, une « vision élargie » et un don pour grimper et creuser, va entraîner notre héros dans 107 ans d’épopées picaresques qui oscillent de violences en ressaisissements, d’excès alcooliques en abstinence, de tout en son contraire.
Car déjà, sa mère adoptive découvre que seul l’alcool de contrebande, qu’elle fabrique et deale très cher, peut calmer ses douleurs buccales. A l’école, bien sûr, vous imaginez, c’est l’horreur. L’église, pareil. Il trouvera une religion parallèle où il peut, grâce à son infirmité, endormir les serpents. Sa soeur l’adore et c’est réciproque. Malheureusement, elle épousera un homme de pouvoir contre les idées de GT. Lors de ses multiples épisodes, il se verra obligé de tuer et cela le poursuivra tout au long de sa vie, aussi bien par la culpabilité qu’il ressent que par l’obligation de se planquer. Il vivra comme un sauvage durant 25 ans, sans voir personne, se nourrissant de nature, cueillette et chasse, soignant son adresse et sa force.
C’est un livre qui vous attrape dès le début. je ne l’ai plus lâché. Il comporte des univers tellement variés ! La découverte du cadavre de son père et de son harmonica dans la fosse des toilettes, son époque cunnilinguiste avec les bigotes du coin, son action syndicaliste avec les mineurs, sa longue retraite comme homme des bois, son retour à la vie sociale avec ses talents d’écriture, de reportage, sa rencontre avec Kennedy, sa période blues où il se défonce sur scène avec ses harmonicas, un passage à New-York etc. Ça n’en finit pas de rebondir et c’est vraiment un livre … réjouissif, énorme, formidable !
La ballade de gueule tranchée de Glenn Taylor, 2008, aux éditions Grasset. 346 pages, 20 €. Et en poche, Points.
Ça peut faire joke mais en fait non. C’est le bon mot, bien adapté à ce roman pulsant, puissant, qui traite du coeur, du palpitant. Réparer les vivants raconte une histoire d’une force étonnante, d’un suspens permanent bien que l’on sache à quoi s’attendre. M. de K, qui a déjà reçu deux prix pour ce livre admirable, est dotée d’une écriture qui sculpte avec force et sensibilité le réel.
Un surfeur, Simon, est victime d’un accident. A l’hôpital, bien que son cerveau soit en état de mort clinique, on le maintient en vie dans l’espoir de pouvoir disposer des organes. On va se pencher plus précisément sur le coeur. Le roman va nous raconter depuis la séance de surf dans un froid glacial et jusqu’à la transplantation finale, tout ce qui se passe autour de ce coeur. Les émotions, en premier. L’écriture est riche et nous plonge dans la mer, dans l’amour, dans la mère aussi. Entre les parents, la petite amie, mais surtout la chaîne médicale qui préside à toutes les étapes d’une greffe, les différents soignants, transporteurs, chirurgiens, on est en plein dedans. On voit tout, en sent tout, on entend tout. On accompagne une femme au bord de ses limites, celle qui va se réveiller avec ce coeur tout neuf dont elle ignorera l’origine, c’est la loi en France, et pour lequel elle ne pourra jamais dire merci.
Ce livre est d’une richesse absolue. On y apprend énormément. Sur les techniques chirurgicales mais aussi sur le surf, les chardonnerets, le travail du responsable chargé de convaincre les parents, la personne qui restera près du corps jusqu’à la fin et transmettra ce qu’on lui a confié, les données sur les possibles receveurs par rapport à l’organe. La course contre la montre joue aussi mais pas de façon cinématographique, juste pour insister sur l’extrême professionnalisme des équipes qui n’ont que très peu de temps pour réussir leur mission sans unité de lieu. En l’occurrence, les organes de Simon vont être livrés dans plusieurs villes, par avion spécial ou convoi rapide.
j’ai vibré tout au long de ce roman qui est plus un livre de la vie qu’un livre de la mort. J’avais adoré « Naissance d’un pont » (article ici) prix Médicis 2010. je vous recommande chaudement celui-ci, il est formidable !
Réparer les vivants de Maylis de Kerangal aux Editions Verticales. 2014. 280 pages. 18,90 €.
American desperado est un (enfer) pavé de mauvaises intentions de 700 pages de l’excellentissime édition 13E note, rien que ça. C’est l’histoire, même pas la confession tellement le repentir n’est pas dans la boîte à émotions, du truand trafiquant de drogue le plus célèbre des Etats Unis. Il ne s’y raconte pas à la façon des vantards mais plutôt de manière technique, comment les choses se sont tramées, les circuits se sont faites, les réseaux se sont construits. Sa vocation n’est pas venue par hasard. Jon Roberts, au vrai nom italien, est né d’un père mafioso, encadré de deux oncles de la même famille, qui délaisse sa fille — qui a bien viré — pour mieux s’occuper du moutard. Il emmène Jon partout avec lui pour régler ses affaires, la récup des rançons extorqué à ses protégés, en gros. La leçon du père : le mal est plus fort que le bien, à condition de ne pas se faire prendre, s’ancre définitivement dans la tête du mioche. Effectivement, les méfaits de son père restent impunis, même le meurtre de sang froid sur un type qui l’empêchait de franchir un pont, sous ses yeux et sans un mot d’explication. Il a 11 ans, ne moufte pas et penchera désormais pour la loi du plus fort.
Dans ce livre, ce qui est passionnant c’est qu’il donne des détails techniques pour des tas de choses : comment dresser un chien, faire couler un cadavre, trafiquer un avion ou une caisse pour que la tonne de dope qu’ils transportent soient indétectables. Jon raffole du pognon pour le pouvoir que ça donne, et il en a tellement, à un moment, qu’il l’enfouit dans des boîtes sous terre, qu’il monte des sociétés de locations de voitures ou d’autres pour le blanchir. Mais il aime encore plus être créatif dans son boulot. Trouver des solutions à tout.
Sa vie est insensée, il se tire de toutes les situations. Les plus périlleuses, même les contrats sur sa tête ne lui font pas peur. Très jeune, avec ses potes marginaux, il s’est entraîné à la douleur, à la bagarre, à l’insensibilité. Il n’aime personne et l’explique par le fait qu’il n’a jamais été aimé de son père. Mais il s’attachera à ses chiens, dont l’un d’eux, déchiqueté par un alligator, sera envoyé par hélico auprès du plus grand ponte qui le sauvera puis lui implantera des prothèses pour remplacer les crocs qu’il a perdus dans la bagarre. Il a aussi des sentiments pour ses chevaux de course, il a monté une écurie de cracks. Et il tombe même amoureux de trois ou quatre femmes, des fortes têtes dont il sent qu’elles le baiseront à mort. Car le sexe, surtout sous quaalude et coke, c’est son grand kif. Les fêtes, ce sont principalement des orgies avec du fric qui coule à flot, des putes et de la dope. En revanche, qu’un type, aussi puissant soit-il, soit pédophile, il ne le supporte pas. Une certaine morale, donc.
Son job au sein du cartel Medellin où il a beaucoup oeuvré, y est décrit avec force détails sur les façons de faire voyager des tonnes de dope, par air, terre et mer, en roulant « la concurrence ». La concurrence, c’est la police. Il est beaucoup plus malin qu’elle. Avec son acolyte Mickey, sorte de Macgyver qui apprend tout sur tout, qui sait tout construire, tout voir, tout savoir (à la longueur d’une antenne, il est capable de trouver les fréquences des garde-côtes, des flics), ils prévoient tout, le moindre problème. Ils ne cessent tous deux d’inventer des moyens imparables pour faire atterrir leurs avions (ils se servaient de bases aériennes de l’US armée), les décharger et refaire le plein en deux minutes, booster leurs performances etc. C’est passionnant. Il y raconte aussi aussi les accointances qu’il noue avec les pouvoirs aussi bien locaux que nationaux, jusqu’à la présidence.
Il se fera dénoncer par le bras droit d’Escobar, pour lequel il bosse, un gros mou peureux et ridicule mais intouchable, qui a lâché son nom pour alléger sa peine. Mais il est blindé, il a de très bons avocats, il a su fractionner ses unités de travail. Pour alléger sa peine de 300 ans de tôle, il promet de livrer Mickey. Ce qu’il ne fera pas. Il ne fait que trois ans, même lui trouve que c’est immoral. Et ces trois ans lui font découvrir le manque… pas de dope mais d’amour. Il aime sa dernière femme mais surtout son gamin dont il s’est beaucoup occupé seul, qui est devenu son objet d’amour et auquel il essaiera de donner une bonne éducation. Son fric s’est évaporé, il n’a plus rien mais le boulot ne lui fait pas peur, il tente de mener une vie normale.
Il a écrit ce bouquin avec un excellent journaliste. C’est très bien fait, sans pathos, avec une sorte d’humour noir et de détachement incongru qui fait que ce type — qui est quand même une ordure et ne s’en défend pas — montre des côtés plutôt sympathiques.
Il est mort juste après la sortie du livre, en 2011. Il avait 65 ans, ce qui n’est pas mal vu la vie qu’il a menée et surtout les kilos de dope et d’alcool qu’il a ingurgités. J’ai fait l’impasse sur l’enfer du Vietnam où il s’est engagé pour effacer son casier de jeune délinquant, les boîtes de nuit qu’il a « tenues » à Miami, les anecdotes sur les people, qu’il méprise totalement, ou les puissants. Beaucoup de films ont été inspirés par ses multiples aventures.
American Desperado de Jon Roberts et Evan Wright chez 13E note Editions en 2011, 2013 pour la France. 702 p. 25,95 €.
Ben non, le padre de l’héroïne de Faïza Guène le répète à l’envi : un homme, ça ne pleure pas. C’est le titre du livre. Il dit aussi : personne ne repart jamais de zéro, pas même les Arabes qui l’ont pourtant inventé. Ce sage algérien est venu à Nice avec sa smalah pour y exercer le beau métier de cordonnier. Il est illettré et, pour connaître ce qui est écrit, demande à son fils — Mourad, le narrateur — de lui lire les textes « avec un accent de journaliste ». Il porte des lunettes au bout du nez et des Bic accrochés à la poche de sa chemise. Pour faire staïle. Sa femme, la mère, est la typique grosse mamma qui ne pense qu’à une chose : nourrir et nourrir et nourrir. Sinon, elle sait tout, elle a toujours raison et si on la contrarie, elle va mourir. Son chantage ordinaire.
La soeur aîné ne veut pas entrer dans ce jeu des traditions, de l’obéissance aveugle et du respect total. Ça la gave. Elle veut être sa copine de classe, s’appeler Christine, sortir et réussir. Elle claque la porte, se fâchant avec toute sa famille, monte à Paris et devient avocate. L’autre soeur est plus soumise. Elle se marie, fait ses enfants, voit sa mère tous les jours.
Quant à Mourad, c’est une sorte de loser introverti, peureux et puceau. Mais il réussit ses études et est envoyé dans un collège de Montreuil, Gustave Courbet (où, forcément, se substitue à l’enseigne l’image de l’Origine du Monde). A Paris, il loge chez un cousin gigolo d’une richissime bourge du seizième. Il tombe amoureux d’une prof mais rate la drague.
Le père, victime d’un AVC, hémiplégique, demande à revoir son aînée avant de mourir, disparue depuis dix ans. Mourad aura un choc en reprenant contact avec elle. C’est une vraie parisienne qui lui donne rencart au Flore (on pense forcément à R. Dati). Elle vient d’écrire un livre où elle se raconte et critique violemment les traditions familiales dont elle est issue. Elle devient la coqueluche médiatique, sa mère est au bord de l’apoplexie.
Ecrit avec beaucoup d’humour, ce livre nous embarque dans ces familles à demi-intégrées d’où les filles peinent à sortir la tête. Le poids de la domination masculine, intériorisée par la mamma, y est parfaitement décrite car même si l’auteure ne l’a pas subie, elle sait bien de quoi elle parle.
A savoir : elle a écrit kiffe kiffe demain en 2004 qui a fait un tabac.
Un homme, ça ne pleure pas, de Faïza Guène, chez Fayard, 2014. 316 pages, 18 €.
Juli Zeh est une romancière allemande de très bonne qualité. Elle a connu un beau succès mérité avec La fille sans qualités en 2007 que j’avais adoré, formidable livre. En revanche, Corpus Delicti m’avait laissée de marbre (si tant que j’enfusse déjà, de marbre, ce qui reste à démontrer). Cette saison est sorti un pur thriller : Décompression. Une histoire de plongée sous-marine où l’on reste sous pression durant tout le livre. Pour ceux qui pratiquent, ils seront servis par de nombreux détails techniques, c’est du travail soigné.
L’histoire se situe sur l’île de Lanzarote, noir paysage volcanique, limite rebutant. L’homme qui nous intéresse, Sven a fui l’Allemagne intranquille pour vivre en couple ici, avec une jeune femme qu’il a connue enfant, une voisine, qui l’aime d’un amour sans conditions. Lui se contente de juste bien l’aimer, et d’apprécier sa compagnie nécessaire puisqu’il a monté un site de plongée et qu’elle s’occupe de tout ce qui n’est pas sous l’eau. Pour l’heure, il s’apprête à fêter ses 40 ans par 100 mètres de fond, où il a repéré une épave, lors une plongée minutieusement préparée.
Mais débarque alors un couple d’Allemands, une superbe femme, actrice ratée, qui vient se perfectionner pour incarner une célèbre plongeuse, dernière tentative pour exploser professionnellement, et un écrivain plus âgé. Et vont commencer une série d’actes, légers comme si c’était un effet de l’imagination ou du hasard, puis de plus en plus dérangeants qui vont mettre la vie de Sven en danger et bouleverser leur mode de vie. Quel est le plus pervers des deux ? est la question récurrente du roman.
Juli Zeh n’est pas la moitié d’une dilettante. La psychologie de ses personnages est d’une finesse remarquable et la montée de l’action fort bien maîtrisée. Je ne fais pas de plongée, ce serait même une forme de torture que de m’infliger une telle activité et malgré cela, j’ai été passionnée par cette histoire d’eau, glauque, claustrophobique, menée de main de maître(sse) par cette écrivaine hyper douée.
Juli Zeh. Décompression chez Actes Sud, 2013. 280 pages, 21,50 €.
C’est une BD totalement hilarante sur la joyeuse vie de bureau, comme on est nombreux à la pratiquer. Tous les philosophes connus y sont représentés, le coursier étant BHL, Guy Debord, responsable de l’événementiel, Manu Kant, responsable de gestion, Michel Foucault, chargé de la vidéosurveillance et de la sécurité etc. L’histoire, c’est un jeune blanc-bec stagiaire qui fait connaissance avec les dures lois de travail de Cogitop qui vont de la livraison du court sucré au pot de départ, en passant par l’open space, la présentation powerpoint, le friday wear et toutes ces choses.
A côté de la double page de BD, une page de texte qui nous fait réviser de façon rigolote les grands principes de chaque philosophe. Inutile de vous dire qu’il n’y a qu’une femme dans cette boîte, Ste Thérèse d’Avila, la secrétaire de Jean-Philippe Dieu. Car les femmes, si elles faisaient de la philo, ne feraient plus les gosses ni la vaisselle (c’est moi qui dis ça). Voila.
PLATON LA GAFFE. Survivre au travail avec les philosophes. Dargaud 2013. 19,99 €
Les auteurs : Jul et Charles Pépin. Pour en savoir plus sur eux : ici Dargaud.
C’est toi ma maman ? est un roman graphique, une autobiographie dessinée par Alison Bechdel. Alison Bechdel n’a pas eu une enfance très joyeuse. Les problèmes de genre lui ont un peu pourri la vie bien qu’elle n’en fût pas consciente. Son père était homo, sa mère en avait honte et en était très malheureuse. Il se trouve qu’Alison est aussi homosexuelle, elle s’en aperçut au grand dam de sa mère qui ne voulait pas en entendre parler. Sa mère, c’est pas qu’elle n’aimait pas sa fille mais elle ne le lui montrait jamais alors qu’elle aimait câliner ses petits frères. Elle arrêta tout baiser et tout contact charnel avec Alison lorsqu’elle eut 7 ans « trop grande pour ça ». Bref, c’était bien encombrant tout ce passé et la meilleure façon de mieux vivre avec, c’était de le raconter.
Alison a déjà écrit/dessiné un premier roman graphique sur son père, Fun home, (je ne l’ai pas encore lu) en 2006, qui fut un succès. Elle récidive donc à la grande inquiétude de sa mère qui a encore honte, cette fois qu’on les reconnaisse puisque Alison ne veut pas prendre de pseudo. Néanmoins, leurs rapports ne sont pas si mauvais, chacune faisant un gros effort pour tenter d’essayer d’arriver à comprendre l’autre. Hou ! Mais ce n’est pas simple.
La lecture de ce gros livre dessiné pas simple non plus car Alison y fait intervenir Winnicott, le célèbre pédiatre anglais qui décrivit l’objet transitionnel et inventa le self, cet autre moi qui pallie l’insuffisance de la mère suffisamment bonne. En gros.
Interviennent aussi Virginia Woolf et son journal, un peu de Proust, du Seuss et une pincée de Freud à la rescousse de cette artiste qui narre par le menu certains épisodes de ses séances de psychanalyse et de ses transferts un brin difficiles à assumer.
Néanmoins, on cerne le personnage qui nous apparaît comme tellement fragile et désireux de se comprendre qu’on ne peut pas ne pas être ému par son long parcours du combattant. C’est assez clair ? Mmmm…
C’est toi ma maman ? « un drame comique » d’Alison Bechdel. Editions Denoël Graphic. 2013 pour l’édition française. 310 p. 24 €
Sortie du beau livre, comme on dit dans l’édition, très beau livre comme je dis, qui nous ramène aux heureuses années soixante où les minettes en kilt et chaussettes chantaient « j’ai tant de peine » ou d’autres en bottes Courrèges « je n’ai que 15 ans », je ne parle pas du trio Françoise-Sylvie-Sheila, ou de France, Jane, ni de Zouzou ou Dany, elles sont toutes toutes toutes (même moi, c’est vous dire !) ici, réunies par la grâce, le talent et l’opiniâtreté de Jean-Emmanuel Deluxe, illuminé par cette époque qu’il n’a pas vécue (il vient de relancer en DVD un film étonnant avec Gainsbourg « Paris n’existe pas ») mais qu’il ressuscite avec brio. Photo, bio, discographie, filmographie, reprises, tout est consigné car P-E Deluxe a interviewé longuement intervenants et témoins de cette âge d’or. Vous souvenez-vous de Gillian Hills, Cléo, Cathy Line, Chantal Kelly, Christine Delaroche ? Elles remontent à la surface de notre mémoire où nous jaillissions de nos cours pour ne pas les louper dans l’émission de Daniel, SLC. Et dont nous copiions les tenues et le maquillage expliqués dans MAT…
Pour l’instant, le livre, lancé avec succès outre-Atlantique, n’existe qu’en version anglaise, bien que toutes les citations de chansons soient en français, et sort cette semaine, le 23 janvier, en France.
Pour tout savoir sur cette machine à nous donner un sacré plaisir régressif, rendez-vous sur la page facebook du livre ici, c’est plein d’images et de chansons de ces artistes naïves et précurseuses.
Yé-yé girls of ’60s french pop, par Jean-Emmanuel Deluxe chez Feral House. 260 p.
Avoir un corps, le dernier opus de Brigitte Giraud, est un livre charnel puisque c’est son corps qui écrit le récit de sa vie (ou de la vie de l’héroïne, plutôt) au travers de tout ce qu’il s’y produit. Cet angle décalé nous oblige à nous pencher sur nos sensations, nos douleurs, nos gênes, nos hontes, nos joies, nos plaisirs, tout ce qui façonne notre dehors, en fait.
Comme pas mal de filles, je suppose, la fille (elle s’appelle comme ça) commence sa carrière d’être humain sans vraiment penser à son genre sauf qu’elle aurait préféré être un garçon pour le côté force brute et pas gnangnan que cela induit. Et de moindres contraintes, c’est vrai, quoi, flûte ! toujours serrer ses jambes, être bien arrangée. Bon.
Puis le petit frère, le corps du petit frère, qui va grandir, apporter des jeux de garçons, couper des vers de terre, ce genre. Les règles, les seins, ces choses toujours encombrantes quand on ne les souhaite pas. Le premier baiser, les peaux qui se touchent, le premier sexe d’homme.
L’histoire existe, ce n’est pas qu’un roman biologique. Car le corps est assorti d’un esprit et habite dans un lieu. Rend visite à des parents vieillissants. S’abîme dans des boulots de merde. Puis trouve un certain équilibre avec le garçon. Mais se sent d’abord rétif à faire pousser un enfant, fabriquer des mains et des pieds inside. Mais s’y soumet et y trouve son compte. Et comment le corps de l’enfant se comporte… Jusqu’au coup fatal où le corps du garçon se disloque lors d’un accident. Et l’impossible deuil que tente le corps perdu de la fille, jusqu’à ce qu’il s’y infiltre une nouvelle sensation, une nouvelle envie.
Joliment écrit, avec quelques passages de nos enfances et adolescences partagées qui nous rendraient un rien nostalgiques…
A mettre en perspective avec journal d’un corps de Daniel Pennac, sorti en 2012 et absolument réjouissant, dont j’avais fait un article. Voir ici.
Je ne sais pas si Ito a un lien de parenté avec Yoko Ogawa, auteure culte nippone. En tout cas, le talent de cette nouvelle écrivaine est grandiose. Elle réussit à nous passionner pour sa petite cuisine aux senteurs exquises, aux parfums subtils, aux ingrédients de derrière les fagots puisque c’est souvent dans le bois voisin qu’elle les trouve. Le Restaurant de l’amour retrouvé est comme un conte. Il met du baume au coeur et l’eau à la bouche. C’est l’histoire d’une jeune femme juste plaquée sans raison par son grand amour indien. Il lui a tout pris, tout, même ses très précieux ustensiles de cuisine, ses préparations et autres produits séchés ou marinés. Obligée de retourner chez sa mère qu’elle n’aime pas, sa mère qui anime le café de l’Amour, consent à lui céder un local et c’est là que Rinco va monter son petit resto. Un resto d’une seule table qu’elle accorde à ceux qui sont venus lui parler d’eux-mêmes. Mais Rinco est actuellement muette, alors elle a toujours sur elle des petites fiches avec les phrases les plus courantes.
Dès l’ouverture, l’Escargot est un succès. Chose étonnante : Elle met tellement d’amour dans ses longues préparations que quelques jours après leur sortie, les convives retrouvent tous un bonheur perdu. !
Quant à sa mère ! C’est tout le contraire, elle est clinquante, elle adore se bourrer la tronche, boire du Cristal R. et rire. Elle a un amant, mais est vierge bien que mère (oui, ça s’explique). Elle élève une truie appelée Hermès que Rinco gâte affectueusement. Cette truie connaître un destin étonnant.
Tout est à découvrir dans ce premier roman original, lumineux, salivant. J’ai adoré. Je vous le recommande particulièrement, il se lit vite et donne la pêche !
Le restaurant de l’amour retrouvé d’Ito Ogawa aux éditions Philippe Piquier. 2008, sorti en France en 2013. 244 pages, 19 €.