Le chardonneret, petit titre pour bouquin hénaurme !

Ça commence très mal pour Théo, le héros de Donna Tartt, paumé et dans un sacré sale état à Amsterdam. Il va nous expliquer pourquoi sur 800 pages, de façon sobre mais palpitante, oui, c’est possible, c’est une question de style et l’auteure n’en manque pas.
Je ne vous spoilerai pas l’histoire, voici juste ce que l’on apprend très vite dès le début : notre ado, 13 ans, qui vit avec sa mère à New York et dont le père s’est enfui lâchement sans  donner signe de vie, est convoqué avec sa mère au collège car il a fait une bêtise. Il se met à pleuvoir des seaux et ils se réfugient au musée, où ils vont souvent notamment pour se repaître de ce tout petit tableau très rare de 1654, le chardonneret. Dans la salle où il est accroché, Théo est vistime d’un coup de foudre pour une fillette accompagnée d’un vieillard, tandis que sa mère l’attend à la librairie. Mais une bombe explose. Un terrible attentat. Quand il reprend ses esprits parmi les ruines et les gravats, le vieux monsieur mourant lui donne sa bague, un bijou ancien, et lui demande d’emporter le tableau pour le mettre à l’abri. Nous savons que sa mère est morte, mais pas lui.  Il l’apprendra de longues heures après, chez lui, auprès du téléphone, avec le petit tableau. C’est déchirant.
Comment pourra-t-il se consoler de la mort de la personne qu’il aime le plus au monde ? Comment pourra-t-il retrouver une sorte de plaisir de vivre ? Que pourra-t-il attendre de l’avenir quand rien ne semble avoir de goût ou de sens ? Comment pourra t-il se (re)construire ?
On va voir ce garçon désespéré pousser comme une mauvaise herbe, sans aucun moment de répit par rapport à son chagrin, traverser de périlleuses situations, faire de drôles de rencontres, obsédé par l’image de sa mère et par le chardonneret. Puis, un jour, vers la trentaine, se retrouver coincé à Amsterdam, empêtré dans une très très sale histoire dont l’issue paraît tragique.
Ce pavé saignant, le chardonneret,  écrit par Donna Tartt —  un livre tous les dix ans dont le célèbre Maître des illusions —  a reçu le prix Pulitzer. Un best-seller. Un roman dingue, dense et fluide, extrêmement documenté sur les sujets narrés, peinture, restauration de meubles précieux, drogues, trafic divers… néanmoins jamais rasoir. Un plaisir intense qui illumine les nuits de ceux qui dorment peu ou les journées de qui veut se relaxer dans un hamac. Je vous le conseille très très fortement.

Le Chardonneret de Donna Tartt, aux éditions Feux Croisés. 2013 (2014 pour la France). 796 p. 23 €. C’est donné !

Texte © dominique cozette

Z’avez pas vu Tirza ?

Attirée par l’illustration de couverture, j’ai emprunté ce roman, Tirza, de Arnon Grunberg, écrivain néerlandais. C’est l’histoire d’un vieux père qui élève seul sa fille Tirza, abandonné par sa femme partie vivre ses amours tumultueuses ailleurs et plaqué par sa fille aînée, une sacrée baiseuse, mariée à un noir avec qui elle tient un gîte en France. Ils vivent dans les beaux quartiers d’Amsterdam, il adule son adolescente qu’il considère comme surdouée et fait tout pour qu’elle réussisse. Il la materne, lui enseigne la littérature, les arts, la musique, la nourrit sainement, rencontre ses professeurs. Au début du roman, il prépare avec soin une superbe fête pour la fin d’études de Tirza. Mais sa femme revient et ça complique les choses. Qu’importe, il fait avec, buvant un peu trop pour se donner du courage. Ce qui l’entraîne dans une action totalement inappropriée.
Ce soir-là, Tirza doit lui présenter son petit ami, avec lequel elle va faire un long voyage en Afrique. Le père déteste immédiatement le jeune Marocain, l’affuble du nom d’un terroriste. Il va quand même les accompagner en Allemagne d’où il vont prendre l’avion puis disparaître en Afrique. Sans nouvelles, il décide de partir à la recherche de Tirzia mais c’est une tout autre personne qu’il va rencontrer…
Sacrée histoire très détaillée, avec une telle maniaquerie sur les motivations du héros que j’ai eu un certain mal à poursuivre. Mais après, on a envie d’en savoir plus sur ce type bizarroïde, comment il digère sa mise au placard, comment il accepte que sa femme vienne à nouveau lui pourrir la vie, pourquoi il commet cet acte grave lors de la soirée de sa fille puis  comment il met de côté sa jalousie pour accepter l’ami de sa fille qu’il abhorre…
C’est que dans la tête de ce pervers même pas narcissique, il s’en passe de drôles ! Et même si on peine à s’attacher à lui,  les moment qu’il passe en Namibie avec sa rencontre  le rendent très touchant. La fin, totalement inattendue, très dure, incite à relire certains passages en fonction de la nouvelle donne. Très bon livre !

Tirza, d’Arnon Grunberg chez Actes Sud, 2006. 432 pages, 23,80 €.

Zéroville, passionnant.

Ça ne vient pas de sortir, personne ne m’en a parlé, je ne suis pas vraiment concernée par le sujet et pourtant, ce bouquin, Zéroville, m’a fascinée. De plus en plus. Il se passe dans les années 70 et le héros, Viktar, qui n’accepte aucun autre nom, ressemble à un freak avec son crâne rasé et entièrement tatoué alors que c’est la mode des cheveux longs. Le tatouage ? Elizabeth Taylor et Montgomery Clift à l’époque de Une place au soleil de George Stevens. Car Vik est un fondu de cinéma. Il connaît un nombre impressionnant de films, d’acteurs, de monteurs, de détails techniques, de répliques. C’est simple : sa vie tourne autour de ça et c’est pourquoi il débarque à Hollywood. Mais, dans le canyon où il crèche, la bande de Manson est activement recherchée pour les meurtres de Sharon Tate (la femme de Polanski, enceinte de 8 mois) et de ses amis. Malgré sa gueule inquiétante, il s’en sort et rencontre une superbe femme à la marge et une étonnante gamine de 3 ans, deux personnes qu’on retrouve au long du livre.
Pour son malheur, Vik se rend compte que le cinéma n’est plus un artisanat d’auteurs mais une industrie d’ignares. Ça ne l’empêche pas de suivre une idée fixe, déchiffrer une image qui le hante dans ses rêves après chaque projection.Ni de rencontrer d’authentiques acteurs au sens large des films qu’il vénère.
Des aventures, il va en vivre de drôles alors qu’il est plutôt autiste, s’enferme, refuse le téléphone. Néanmoins, on le retrouve au festival de Cannes pour sa prestation de monteur miraculeux sur un film qui n’avait plus de réal. Il déteste cette célébrité soudaine. Va-t-il s’en servir pour réaliser un fantasme impossible : porter à l’écran un livre français qu’il ne cesse de relire ? Pas forcément. Ses gains lui permettent d’acheter une maison pour stocker les copies 35 mm des films qu’il réussit à voler ou à négocier. Des centaines.
On le retrouve à Paris avec le patron de la cinémathèque car il recherche l’original du Jeanne d’Arc de Dreyer, qui a brûlé, mais qu’il trouve quand même dans un asile de fous en Suède.
L’action est plutôt une quête pour tenter de comprendre ce qui le hante, une quête mystérieuse et prenante, captivante. Et même si je ne connais pas tout des nombreuses références citées, j’y ai pris un plaisir rare.
A part ça, je ne suis pas sûre qu’un tel livre atypique, difficilement réductible à un pitch, peut plaire à tout le monde, je ne sais pas… Pour info, l’auteur du livre est, entre autres nombreuses activités, critique de cinéma.

Zéroville de Steve Erickson, 2007. Editions Actes Sud 2010. 366 Pages, 22,80 €/

Maman, papa ou pas papa ?

NB 1/ Je retrouve cet article que j’ai oublié de publier il y a assez longtemps. Mais les bonnes histoires ne se démodent pas.
NB 2/J’ai écrit ce titre comme pense-bête,  mais le but n’est pas d’être drôle, et je le garde quand même car il est significatif de l’histoire.
Voilà :  je viens de finir le livre d’Eric Fottorino* — je reviendrai à ce nom après — intitulé « questions à mon père », non que ça soit un livre d’une écriture littéraire fracassante mais plutôt doté d’un intérêt humain hors norme.
Eric Fottorino, le journaliste bien connu et écrivain de même, a eu une grosse histoire de pères. Vous ne lirez sûrement pas le livre alors je vous raconte l’histoire au travers de ce qu’il m’en a laissé entrevoir.
Eric Fottorino au départ n’a pas de père. Sa mère est une jeune fille de 17 ans lorsqu’elle le met au monde. A l’époque, la majorité est à 21 ans. Elle est fille de Bordelais bien pensants, cathos et tout et malheur pour elle, elle a péché avec un juif. Un juif marocain. Misère, misère. Pas seulement péché puisque ces deux-là s’aiment et que s’il s’agit d’un accident, le jeune homme est tout prêt à réparer la faute. C’est que la mère de la jeune fille ne l’entend pas de cette oreille. Elle chasse le fautif et envoie sa fille dans un bled du midi, chez un cousin. Et puis l’enfant, lorsqu’il paraît, on le met en nourrice malgré les pleurs et les cris de sa jeune mère, on ramène celle-ci à la ville. Mais c’est vite insupportable. Alors elle va récupérer son fils, l’enfant de l’amour. Mais rien ne peut aboutir. Le père se manifeste ? On fait un chantage à la fille : c’est lui ou le bébé. Peur qu’il devienne juif, le petit, sûrement. Bref, tout est mis en oeuvre pour empêcher les amoureux de se revoir.
Le père, chassé, cravache pour réussir, fuit loin, et devient … père de tous les bébés qu’il met au monde avec amour et empathie. Accoucheur à la belle réputation, il s’installe au Maroc où les femmes ne veulent que lui.
Avant ça, la maman d’Eric est devenue majeure. Alors elle contacte son amour, car elle l’aime toujours. Mais lui, indésirable, évincé, sans nouvelles, s’est marié avec Paulette qui accouche d’un petit garçon juste à ce moment-là. Y a pas dilemme, le papa ne peut pas quitter sa femme mais il propose à la jeune mère de l’aider. Fin de non recevoir.
Parenthèse de l’histoire : savez-vous quel est le nom du papa biologique d’Eric Fottorino ? Maman. Maurice Maman. Allo Sigmund, c’est énorme ! Ça se prononce Mamane, mais ça s’écrit maman, et pour un accoucheur, avouez que…
Le petit Eric, né de père inconnu, se s’appellera Fottorino qu’après le mariage de sa mère avec Michel  Fottorino qui adopte l’enfant. Michel est aussi dans le milieu médical, il est kiné, Michel est aussi de l’autre rive de la Méditerranée, il est tunisien. C’est pour ça que le jeu de mot que j’ai envie de faire, Eric Fottorinolaryngologiste, n’est pas inapproprié.
L’histoire se poursuit. A 17 ans, Eric Fottorino, comme souvent les ados dans son cas, veut voir la gueule de son père : la rencontre lui suffit car il a décidé que ce père lâche n’a aucune légitimité. Il n’a jamais entendu sa mère parler de lui et croit qu’il n’est qu’un vil suborneur. Ce n’est que 17 ans plus tard qu’il tentera de faire un peu mieux sa connaissance, laissant passer des mois ou des années sans donner signe de vie, au grand dam de Maman. Eric avait simplement peur de trahir Michel qui l’aimait tant. C’est pour ça qu’un jour, Maurice écrit à Eric : comme on peut aimer deux enfants, on peut aimer deux père. Eric comprendra plus tard.
Et puis le temps passe, il a des demi-frères, puis des enfants et, drame, alors que personne ne s’y attend, Michel se suicide d’un coup de carabine.
Les rendez-vous avec son vrai père reprendront d’autant plus que celui-ci n’a pas beaucoup d’espérance de vie, victime d’une maladie orpheline (orpheline/orphelin, encore un mauvais jeu de mot). Alors il fait connaissance avec la femme de son père, ses enfants, le reste de la famille, la smalah quoi et apprend que lorsqu’il passait à la radio, il était solennellement écouté par ses grands parents inconnus, Mardochée et Fréha.
Drôle d’histoire, drôle de destin, amertume à fleur de récit sachant que sa mère et lui  sont passés à côté d’une si belle vie avec cet homme bon et généreux.

Questions à mon père, Eric Fottorino, chez Gallimard, 2010, 202 pages.

* E.F vient de lancer un journal, « le 1 ». Article le Monde ici.

Texte © dominique cozette

Christophe Paviot déclare la guerre !

La guerre civile est déclarée de Christophe Paviot est un livre qui peut passer pour être rasoir, au départ. Car le héros, Arnaud, est non seulement fade, à part un oeil crevé, mais fait tout pour être transparent. Au yeux de tous, collègues, amis, amies, parents. Il joue les passe-muraille, reste sous contrôle, sauf une petite fois où il se permet une violente critique.
Il bosse dans une boîte du tertiaire, une plate-forme d’assurances où le stress est de rigueur, avec un patron pour le moins pesant et où l’absence de relief pour ne pas dire la routine y est minutieusement décrite.
Mais, rassurez-vous, tous les détails de la vie du héros qui pourraient paraître ennuyeux sont au contraire les éléments-clés qui nous expliquent pourquoi, et surtout comment, il va entrer en action, se rebeller contre cette société tyrannique et  imbécile, qui fait la part moche aux gens ordinaires. Ce qu’il souhaite, c’est que la peur distillée par les élites, les gradés, les bien placés, change de camp. Qu’elle s’inverse. Que ces nantis soient à leur tour effrayés par ce que peut faire un homme ordinaire, sans histoire, sans problème marquant, pour leur pourrir la vie. Et c’est extrêmement réussi. On le voit dans ses préparatifs pour déjouer les surveillances (Paviot s’est très bien documenté) et mettre en oeuvre ses attentats en prenant garde qu’aucune personne ne soit touchée. Même s’il réussit à semer l’angoisse dans la ville de Rennes, tout ne peut être maîtrisé au cm près.
C’est un univers de l’extrême solitude, de la marginalité recherchée, du lien coupé que CP nous  raconte et en même temps que le coeur palpite d’inquiétude, le fond reste extrêmement déprimant. Très bon livre.

La guerre civile est déclarée de Christiphe Paviot aux éditions dialogues. 2013. 254 p. 19,90 €.

Texte © dominique cozette

Encore Maylis ! Mais c’est tellement bien…

Je vous ai parlé tout récemment de réparer les vivants (lien ici), le formidable dernier livre de Maylis de Kerangal qui a remporté deux prix et se trouve premier dans la liste des ventes cette semaine, et j’en suis bien contente pour elle. Ce n’est pas une auteure qui raconte des historiettes à côté de sa porte Maylis voit large et loin. Après l’implantation des organes, notamment du coeur,  dans réparer et la construction d’un pont dans le roman du même nom, elle nous entraîne, dans ce petit court de 2012, dans le Transsibérien pour une rencontre improbable et sobre mais acérée, entre une jeune Française, amoureuse d’un Russe qui aurait du rester en France, et un très jeune appelé qui refuse l’appel. Ce train, composé de trois classes et d’un vrai wagon-restaurant — il faut dire que le voyage dure des jours et des nuits et traverse plusieurs fuseaux horaires, trimballe un monde hétéroclite sous bonne garde. La police est là aussi.
Le jeune, encore enfant, imagine déjà la violence de son bizutage dans cette future caserne dont il ne connaît même pas l’implantation au nord tout là-haut. Il est encore puceau mais se voit violé, tabassé, contrait de lécher les latrines, tout ce qu’il a entendu dire de cet exercice gracieux. Déserter, c’est un énorme risque, énormissime. Pire, peut-être que le viol.
La jeune femme imagine, elle, cette vie en Russie auprès d’un mari riche, ambitieux, amoureux, certes. Mais non, elle ne s’y voit pas, et déserte elle aussi le nouveau foyer. Ces deux-là vont voyager ensemble, complices ou victimes l’un de l’autre, jusqu’au  lac Baïkal, merveille des merveilles, ou au Pacifique, sans savoir vraiment où le destin les mènera.
Très beau petit livre riche en évocation de toutes sortes, puissant et concentré. Cette auteure est balèze !

Tangente vers l’est de Maylis de Kerangal, aux éditions Verticales. 2012. 128 pages, 11,50 €

Texte © dominique cozette

La ballade de gueule tranchée, tranchant !

C’est un premier livre dingue, explosant d’inventivité, de vie et de mort, de crade et de naïveté, d’amour et de rage. Il est signé Glenn Taylor. La ballade de gueule tranchée commence mal pour le héros qui porte ce nom — mais en portera plusieurs  dans ses nombreuses vies — car sa mère le laisse tomber dans l’eau glacée d’une rivière à l’âge de deux mois. Il est recueilli par une drôle de bonne femme, veuve et stérile, qui a déjà ramassé une fillette. L’enfant souffre d’un mal horrible, épouvantable, invalidant : ses gencives sont niquées, purulentes et pestilentielles. Sa bouche est un capharnaüm de puanteur et il n’y a rien à faire à ça. Pas facile de vivre en fermant sa gueule ! Cette monstruosité alliée à une intelligence indépendante, une « vision élargie » et un don pour grimper et creuser, va entraîner notre héros dans 107 ans d’épopées picaresques qui oscillent de violences en ressaisissements, d’excès alcooliques en abstinence, de tout en son contraire.
Car déjà, sa mère adoptive découvre que seul l’alcool de contrebande, qu’elle fabrique et deale très cher, peut calmer ses douleurs buccales. A l’école, bien sûr, vous imaginez, c’est l’horreur. L’église, pareil. Il trouvera une religion parallèle où il peut, grâce à son infirmité, endormir les serpents. Sa soeur l’adore et c’est réciproque. Malheureusement, elle épousera un homme de pouvoir contre les idées de GT. Lors de ses multiples épisodes, il se verra obligé de tuer et cela le poursuivra tout au long de sa vie, aussi bien par la culpabilité qu’il ressent que par l’obligation de se planquer. Il vivra comme un sauvage durant 25 ans, sans voir personne, se nourrissant de nature, cueillette et chasse, soignant son adresse et sa force.
C’est un livre qui vous attrape dès le début. je ne l’ai plus lâché. Il comporte des univers tellement variés ! La découverte du cadavre de son père et de son harmonica dans la fosse des toilettes, son époque cunnilinguiste avec les bigotes du coin, son action syndicaliste avec les mineurs, sa longue retraite  comme homme des bois, son retour à la vie sociale avec ses talents d’écriture, de reportage, sa rencontre avec Kennedy, sa période blues où il se défonce sur scène avec ses harmonicas, un passage à New-York etc. Ça n’en finit pas de rebondir et c’est vraiment un livre … réjouissif, énorme, formidable !

La ballade de gueule tranchée de Glenn Taylor, 2008, aux éditions Grasset. 346 pages, 20 €. Et en poche, Points.

Texte © dominique cozette

Palpitant, le dernier Maylis de Kerangal !

Ça peut faire joke mais en fait non. C’est le bon mot, bien adapté à ce roman pulsant, puissant, qui traite du coeur, du palpitant. Réparer les vivants raconte une histoire d’une force étonnante, d’un suspens permanent bien que l’on sache à quoi s’attendre. M. de K, qui a déjà reçu deux prix pour ce livre admirable, est dotée d’une écriture qui sculpte avec force et sensibilité le réel.
Un surfeur, Simon, est victime d’un accident. A l’hôpital, bien que son cerveau soit en état de mort clinique, on le maintient en vie dans l’espoir de pouvoir disposer des organes. On va se pencher plus précisément sur le coeur. Le roman va nous raconter depuis la séance de surf dans un froid glacial et jusqu’à la transplantation finale, tout ce qui se passe autour de ce coeur. Les émotions, en premier. L’écriture est riche et nous plonge dans la mer, dans l’amour, dans la mère aussi. Entre les parents, la petite amie, mais surtout la chaîne médicale qui préside à toutes les étapes d’une greffe, les différents soignants, transporteurs, chirurgiens, on est en plein dedans. On voit tout, en sent tout, on entend tout. On accompagne une femme au bord de ses limites, celle qui va se réveiller avec ce coeur tout neuf dont elle ignorera l’origine, c’est la loi en France, et pour lequel elle ne pourra jamais dire merci.
Ce livre est d’une richesse absolue. On y apprend énormément. Sur les techniques chirurgicales mais aussi sur le surf,  les chardonnerets, le travail du responsable chargé de convaincre les parents, la personne qui restera près du corps jusqu’à la fin et transmettra ce qu’on lui a confié, les données sur les possibles receveurs par rapport à l’organe.  La course contre la montre joue aussi mais pas de façon cinématographique, juste pour insister sur l’extrême professionnalisme des équipes qui n’ont que très peu de temps pour réussir leur mission sans unité de lieu. En l’occurrence, les organes de Simon vont être livrés dans plusieurs villes, par avion spécial ou convoi rapide.
j’ai vibré tout au long de ce roman qui est plus un livre de la vie qu’un livre de la mort. J’avais adoré « Naissance d’un pont » (article ici) prix Médicis 2010. je vous recommande chaudement celui-ci, il est formidable !

Réparer les vivants de Maylis de Kerangal aux Editions Verticales. 2014. 280 pages. 18,90 €.

Texte © dominique cozette

American (pas) desperado : du costo !

American desperado est un (enfer) pavé de mauvaises intentions de 700 pages de l’excellentissime édition 13E note, rien que ça. C’est l’histoire, même pas la confession tellement le repentir n’est pas dans la boîte à émotions, du truand trafiquant de drogue le plus célèbre des Etats Unis. Il ne s’y raconte pas  à la façon des vantards mais plutôt de manière technique, comment les choses se sont tramées, les circuits se sont faites, les réseaux se sont construits. Sa vocation n’est pas venue par hasard. Jon Roberts, au vrai nom italien, est né d’un père mafioso, encadré de deux oncles de la même famille, qui délaisse sa fille — qui a bien viré — pour mieux s’occuper du moutard. Il  emmène Jon partout avec lui pour régler ses affaires, la récup des rançons extorqué à ses protégés, en gros. La  leçon du père : le mal est plus fort que le bien, à condition de ne pas se faire prendre, s’ancre définitivement dans la tête du mioche. Effectivement, les méfaits de son père restent impunis, même le meurtre de sang froid sur un  type qui l’empêchait  de franchir un pont, sous ses yeux et sans un mot d’explication.  Il a 11 ans, ne moufte pas et penchera désormais pour la loi du plus fort.
Dans ce livre, ce qui est passionnant c’est qu’il donne des détails techniques pour des tas de choses : comment dresser un chien, faire couler un cadavre, trafiquer un avion ou une caisse pour que la tonne de dope qu’ils transportent soient indétectables. Jon raffole du pognon pour le pouvoir que ça donne, et il en a tellement, à un moment, qu’il l’enfouit dans des boîtes sous terre, qu’il monte des sociétés de locations de voitures ou d’autres  pour le blanchir. Mais il aime encore plus être créatif dans son boulot. Trouver des solutions à tout.
Sa vie est insensée, il se tire de toutes les situations. Les plus périlleuses, même les contrats sur sa tête ne lui font pas peur. Très jeune, avec ses potes marginaux, il s’est entraîné à la douleur, à la bagarre, à l’insensibilité.  Il n’aime personne et l’explique par le fait qu’il n’a jamais été aimé de son père. Mais il s’attachera à ses chiens, dont l’un d’eux, déchiqueté par un alligator, sera envoyé par hélico auprès du plus grand ponte qui le sauvera puis lui implantera des prothèses pour remplacer les crocs qu’il a perdus dans la bagarre. Il a aussi des sentiments pour ses chevaux de course, il a monté une écurie de cracks. Et il tombe même amoureux de trois ou quatre femmes, des fortes têtes dont il sent qu’elles le baiseront à mort. Car le sexe, surtout sous quaalude et coke, c’est son grand kif. Les fêtes, ce sont principalement des orgies avec du fric qui coule à flot, des putes et de la dope. En revanche, qu’un type, aussi puissant soit-il, soit pédophile, il ne le supporte pas. Une certaine morale, donc.
Son job au sein du cartel Medellin où il a beaucoup oeuvré, y est décrit avec force détails sur les façons de faire voyager des tonnes de dope, par air, terre et mer, en roulant « la concurrence ». La concurrence, c’est la police. Il est beaucoup plus malin qu’elle. Avec son acolyte Mickey, sorte de Macgyver qui apprend tout sur tout, qui sait tout construire, tout voir, tout savoir (à la longueur d’une antenne, il est capable de trouver les fréquences des garde-côtes, des flics), ils  prévoient tout, le moindre problème. Ils ne cessent tous deux d’inventer des moyens imparables pour faire atterrir leurs avions (ils se servaient de bases aériennes de l’US armée), les décharger et refaire le plein en deux minutes, booster leurs performances etc. C’est passionnant. Il y raconte aussi aussi les accointances qu’il noue avec les pouvoirs aussi bien locaux que nationaux, jusqu’à la présidence.
Il se fera dénoncer par le bras droit d’Escobar, pour lequel il bosse, un gros mou peureux et ridicule mais intouchable, qui a lâché son nom pour alléger sa peine. Mais il est blindé, il a de très bons avocats, il a su fractionner ses unités de travail. Pour alléger sa peine de 300 ans de tôle, il promet de livrer Mickey. Ce qu’il ne fera pas. Il ne fait que trois ans, même lui trouve que c’est immoral. Et ces trois ans lui font découvrir le manque… pas de dope mais d’amour. Il aime sa dernière femme mais surtout son gamin dont il s’est beaucoup occupé seul, qui est devenu son objet d’amour et auquel il essaiera de donner une bonne éducation. Son fric s’est évaporé, il n’a plus rien mais le boulot ne lui fait pas peur, il tente de mener une vie normale.
Il a écrit ce bouquin avec un excellent journaliste. C’est très bien fait, sans pathos, avec une sorte d’humour noir et de détachement incongru qui fait que ce type — qui est quand même une ordure et ne s’en défend pas — montre des côtés plutôt sympathiques.
Il est mort juste après la sortie du livre, en 2011. Il avait 65 ans, ce qui n’est pas mal vu la vie qu’il a menée et surtout les kilos de dope et d’alcool qu’il a ingurgités. J’ai fait l’impasse sur l’enfer du Vietnam où il s’est engagé pour effacer son casier de jeune délinquant, les boîtes de nuit qu’il a « tenues » à Miami, les anecdotes sur les people, qu’il méprise totalement, ou les puissants. Beaucoup de films ont été inspirés par ses multiples aventures.

American Desperado de Jon Roberts et Evan Wright chez 13E note Editions en 2011, 2013 pour la France. 702 p. 25,95 €.

Un homme, ça ne pleure pas ?

Ben non, le padre de l’héroïne de Faïza Guène le répète à l’envi : un homme, ça ne pleure pas. C’est le titre du livre. Il dit aussi : personne ne repart jamais de zéro, pas même les Arabes qui l’ont pourtant inventé. Ce sage algérien est venu à Nice avec sa smalah pour y exercer le beau métier de cordonnier. Il est illettré et, pour connaître ce qui est écrit, demande à son fils — Mourad, le narrateur — de lui lire  les textes « avec un accent de journaliste ». Il porte des lunettes au bout du nez et des Bic accrochés à la poche de sa chemise. Pour faire staïle. Sa femme, la mère, est la typique grosse mamma qui ne pense qu’à une chose : nourrir et nourrir et nourrir. Sinon, elle sait tout, elle a toujours raison et si on la contrarie, elle va mourir. Son chantage ordinaire.
La soeur aîné ne veut pas entrer dans ce jeu des traditions, de l’obéissance aveugle et du respect total. Ça la gave. Elle veut être sa copine de classe, s’appeler Christine, sortir et réussir. Elle claque la porte, se fâchant avec toute sa famille, monte à Paris et devient avocate. L’autre soeur est plus soumise. Elle se marie, fait ses enfants, voit sa mère tous les jours.
Quant à Mourad, c’est une sorte de loser introverti, peureux et puceau. Mais il réussit ses études et est envoyé dans un collège de Montreuil, Gustave Courbet (où, forcément, se substitue à l’enseigne l’image de l’Origine du Monde). A Paris, il loge chez un cousin gigolo d’une richissime bourge du seizième. Il tombe amoureux d’une prof mais rate la drague.
Le père, victime d’un AVC, hémiplégique, demande à revoir son aînée avant de mourir, disparue depuis dix ans. Mourad aura un choc en reprenant contact avec elle. C’est une vraie parisienne qui lui donne rencart au Flore (on pense forcément à R. Dati). Elle vient d’écrire un livre où elle se raconte et critique violemment les traditions familiales dont elle est issue. Elle devient la coqueluche médiatique, sa mère est au bord de l’apoplexie.
Ecrit avec beaucoup d’humour, ce livre nous embarque dans ces familles à demi-intégrées d’où les filles peinent à sortir la tête. Le poids de la domination masculine, intériorisée par la mamma, y est parfaitement décrite car même si l’auteure ne l’a pas subie, elle sait bien de quoi elle parle.
A savoir : elle a écrit kiffe kiffe demain en 2004 qui a fait un tabac.

Un homme, ça ne pleure pas, de Faïza Guène, chez Fayard, 2014. 316 pages, 18 €.

Texte © dominique cozette

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