Un homme, ça ne pleure pas ?

Ben non, le padre de l’héroïne de Faïza Guène le répète à l’envi : un homme, ça ne pleure pas. C’est le titre du livre. Il dit aussi : personne ne repart jamais de zéro, pas même les Arabes qui l’ont pourtant inventé. Ce sage algérien est venu à Nice avec sa smalah pour y exercer le beau métier de cordonnier. Il est illettré et, pour connaître ce qui est écrit, demande à son fils — Mourad, le narrateur — de lui lire  les textes « avec un accent de journaliste ». Il porte des lunettes au bout du nez et des Bic accrochés à la poche de sa chemise. Pour faire staïle. Sa femme, la mère, est la typique grosse mamma qui ne pense qu’à une chose : nourrir et nourrir et nourrir. Sinon, elle sait tout, elle a toujours raison et si on la contrarie, elle va mourir. Son chantage ordinaire.
La soeur aîné ne veut pas entrer dans ce jeu des traditions, de l’obéissance aveugle et du respect total. Ça la gave. Elle veut être sa copine de classe, s’appeler Christine, sortir et réussir. Elle claque la porte, se fâchant avec toute sa famille, monte à Paris et devient avocate. L’autre soeur est plus soumise. Elle se marie, fait ses enfants, voit sa mère tous les jours.
Quant à Mourad, c’est une sorte de loser introverti, peureux et puceau. Mais il réussit ses études et est envoyé dans un collège de Montreuil, Gustave Courbet (où, forcément, se substitue à l’enseigne l’image de l’Origine du Monde). A Paris, il loge chez un cousin gigolo d’une richissime bourge du seizième. Il tombe amoureux d’une prof mais rate la drague.
Le père, victime d’un AVC, hémiplégique, demande à revoir son aînée avant de mourir, disparue depuis dix ans. Mourad aura un choc en reprenant contact avec elle. C’est une vraie parisienne qui lui donne rencart au Flore (on pense forcément à R. Dati). Elle vient d’écrire un livre où elle se raconte et critique violemment les traditions familiales dont elle est issue. Elle devient la coqueluche médiatique, sa mère est au bord de l’apoplexie.
Ecrit avec beaucoup d’humour, ce livre nous embarque dans ces familles à demi-intégrées d’où les filles peinent à sortir la tête. Le poids de la domination masculine, intériorisée par la mamma, y est parfaitement décrite car même si l’auteure ne l’a pas subie, elle sait bien de quoi elle parle.
A savoir : elle a écrit kiffe kiffe demain en 2004 qui a fait un tabac.

Un homme, ça ne pleure pas, de Faïza Guène, chez Fayard, 2014. 316 pages, 18 €.

Texte © dominique cozette

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