Encore un autre monde de Mayliss

Lire Un Monde à portée de main de Mayliss de Kerangal, c’est flotter sur un océan de poésie. Sa littérature est indicible de joliesse d’autant qu’ici elle nous inroduit dans le monde merveilleux de la matière brute que nous ne savons pas, ou peu, regarder, à savoir, le marbre, le bois, les pierres et bien d’autres qui font notre environnement naturel lors de nos sorties. Pourquoi ces descriptions ? Parce qu’elle nous embarque dans l’univers des copistes, des faussaires de la réalités, des peintres ou artisans qui créent trompe-l’œil, décors, reproductions de grottes… Elle nous y plonge littéralement et on sent la somme de temps passé auprès des étudiant.es moulu.es par les journées d’apprentissage et de pratique sans fin, sans pause, sans pitié dans cette grande école bruxelloise. On y fait connaissance avec les instruments utilisés, les techniques appliquées, les différentes familles de marbres ou autres matériaux plus ou moins nobles, on y découvre surtout un vocabulaire étrange, fleuri, boisé, parfumé ou très sec, rude et sauvage. Une merveille.
J’apprécie énormément cette plongée rare mais suis consciente que ça puisse en déconcerter certains, peut-être il faut aimer l’art dans toute sa nuance pour s’en délecter.
Les protagonistes de cette histoire sont principalement Paula, une jeune dilettante qui trouve subitement sa voie ici, par hasard presque, malgré le harcèlement que la discipline lui fait subir : fatigue musculaire, manque de sommeil, douleurs corporelles, insatisfaction permanente, isolement. Elle a presque tout coupé avec ses potes de bar et ses parents restés à Paris. Son coloc, un personnage celui-ci, n’est pas forcément le type idéal sauf qu’il n’est pas question de perdre du temps en coucheries. Mais peu à peu, ils se découvrent, s’apprécient, et forment un trio-cocon avec une autre étudiante.
Puis, séparation irrémédiable à la fin du cycle, chacun pour soi dans le vaste monde de la copie. Il va être question de recherche de contrats, de boulots à l’étranger, notamment à Cinecitta qui n’est plus la capitale du cinéma italien mais un agglomérat de studios de téléréalité et de séries B. N’empêche que son immersion dans cette cité où vivent les fantômes felliniens nous apprendra encore beaucoup de choses sur cet art décadent.
Puis ce sera un immense chantier pour créer la réplique parfaite, grandeur nature, de Lascaux, un travail de titan, de dingue qui nous en apprendra bien long sur les procédés et les artistes de la préhistoire.
Ce drôle de roman reste, pour moi, un documentaire pointu, extraordinaire sur le travail riche et pointilleux des « faussaires » qui, tout en nous montrant l’envers (l’enfer) du décor, nous entraînent dans une vaste réflexion sur le temps. Epoustouflant. Mais quelque peu ardu pour qui n’apprécie pas les  descriptions précises.
NB : Mayliss de Kerangal a écrit, entre autres très bons livres, Naissance d’un pont et Réparer les vivants, sur les greffes d’organes.

Un Monde à portée de main de Mayliss de Kerangal, 2018 aux éditions Verticales. 286 pages, 20 €

Texte © dominique cozette

Palpitant, le dernier Maylis de Kerangal !

Ça peut faire joke mais en fait non. C’est le bon mot, bien adapté à ce roman pulsant, puissant, qui traite du coeur, du palpitant. Réparer les vivants raconte une histoire d’une force étonnante, d’un suspens permanent bien que l’on sache à quoi s’attendre. M. de K, qui a déjà reçu deux prix pour ce livre admirable, est dotée d’une écriture qui sculpte avec force et sensibilité le réel.
Un surfeur, Simon, est victime d’un accident. A l’hôpital, bien que son cerveau soit en état de mort clinique, on le maintient en vie dans l’espoir de pouvoir disposer des organes. On va se pencher plus précisément sur le coeur. Le roman va nous raconter depuis la séance de surf dans un froid glacial et jusqu’à la transplantation finale, tout ce qui se passe autour de ce coeur. Les émotions, en premier. L’écriture est riche et nous plonge dans la mer, dans l’amour, dans la mère aussi. Entre les parents, la petite amie, mais surtout la chaîne médicale qui préside à toutes les étapes d’une greffe, les différents soignants, transporteurs, chirurgiens, on est en plein dedans. On voit tout, en sent tout, on entend tout. On accompagne une femme au bord de ses limites, celle qui va se réveiller avec ce coeur tout neuf dont elle ignorera l’origine, c’est la loi en France, et pour lequel elle ne pourra jamais dire merci.
Ce livre est d’une richesse absolue. On y apprend énormément. Sur les techniques chirurgicales mais aussi sur le surf,  les chardonnerets, le travail du responsable chargé de convaincre les parents, la personne qui restera près du corps jusqu’à la fin et transmettra ce qu’on lui a confié, les données sur les possibles receveurs par rapport à l’organe.  La course contre la montre joue aussi mais pas de façon cinématographique, juste pour insister sur l’extrême professionnalisme des équipes qui n’ont que très peu de temps pour réussir leur mission sans unité de lieu. En l’occurrence, les organes de Simon vont être livrés dans plusieurs villes, par avion spécial ou convoi rapide.
j’ai vibré tout au long de ce roman qui est plus un livre de la vie qu’un livre de la mort. J’avais adoré « Naissance d’un pont » (article ici) prix Médicis 2010. je vous recommande chaudement celui-ci, il est formidable !

Réparer les vivants de Maylis de Kerangal aux Editions Verticales. 2014. 280 pages. 18,90 €.

Texte © dominique cozette

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