Marina Abramovic, Eric Fottorino et Covid 19

Eric Fottorino, écrivain, journaliste, ne connaissait pas Marina Abramovic* avant d’écrire ce livre, Marina A. C’est sa rencontre avec elle, virtuelle, dans une grande expo de Florence et sur des affiches partout dans la ville qu’il l’a rencontrée. Ce fut un choc terrible !
Dans ce livre à elle dédiée, il se glisse dans la peau d’un chirurgien orthopédiste, Paul Gachet (tiens donc) qui va passer quelques jours à Florence avec sa femme et sa fille ado. Après les visites convenues, il ne peut s’empêcher d’aller voir cette Marina qui le provoque de son regard presque insoutenable sur les affiches, les flancs de bus etc. L’artiste n’est pas là, mais il y a beaucoup de vidéos de ses performances ou des performances rejouées par des figurants, beaucoup de photos, documents… Son mode d’expression : le body art. Et c’est énorme ! Elle passe sont temps depuis les années 70 à triturer son corps, à le faire saigner, à l’affamer, à le frapper, à l’asphyxier, à le congeler, à le mutiler, très souvent nu. Rien de cela n’est gratuit. Une fois, elle s’est postée assise sur une table et a disposé 72 objets autour d’elle : les visiteurs devaient la considérer comme un objet et faire TOUT ce qu’ils voulaient avec ou sans les objets. Il y avait de jolies choses, fleurs, plumes, et des armes, objets tranchants et un pistolet chargé d’une balle. Timide au départ, le public a montré de plus en plus d’audace puis de cruauté. Ils l’ont déshabillée, maltraitée, blessée à plusieurs endroits (elle a beaucoup saigné), sans les femmes, ils l’auraient violée, voire tuée. Il y en eu beaucoup d’autres où elle ne devait pas bouger d’un centimètre des journées entières, des choses effrayantes et insupportables. Elle a rencontré un homme, qu’elle a chéri, avec lequel elle a réalisé d’autres performances très dangereuses, ou improbables.
Fottorino en cite de nombreuses. Le narrateur, tout comme l’auteur, a été terriblement déstabilisé par cette artiste, il en a fait des rêves ou des cauchemars, elle l’a proprement hantée. Alors que sa femme l’oubliait une fois revenue à la maison, il écumait secrètement Internet. Puis quelques temps après … le confinement. A ce moment-là, l’œuvre de Marina A. a pris un relief troublant, comme si elle avait été lanceuse d’alerte sur ce que nous vivions : l’enfermement, la douleur, l’impossibilité de se toucher et puis l’injonction fréquente de l’artiste à prendre soin de nous. Le héros se dessille : a-t-il pris soin de sa femme, de sa fille ? Non, pas vraiment, il a vécu machinalement, sans passer plus de temps que ça à partager de l’amour avec elles. Alors qu’il souffre d’un trouble de l’équilibre l’obligeant à rester allongé, sa femme s’occupe de lui, mais puisque c’est le confinement, chacun est dans sa bulle, les casques sur les oreilles, dans une solitude aveuglante. Il va comprendre ce que l’artiste lui a transmis, comment il fallait vivre sans se cacher de soi-même, prendre l’existence devenue incertaine comme une aventure et s’occuper mieux des autres.
Livre riche par les réflexions qu’il suscite et l’épaisseur du propos sur la puissance d’une artiste hors normes.

* Marina Abramovic a écrit sa bio, un livre impressionnant comme elle-même, a lire absolument, dont j’ai fait un billet plus qu’enthousiaste. Ici sur mon blog.

Marina A par Eric Fottorino, 2020 aux éditions Gallimard. 170 pages, 16 €.

Texte © dominique cozette

 

 

Maman, papa ou pas papa ?

NB 1/ Je retrouve cet article que j’ai oublié de publier il y a assez longtemps. Mais les bonnes histoires ne se démodent pas.
NB 2/J’ai écrit ce titre comme pense-bête,  mais le but n’est pas d’être drôle, et je le garde quand même car il est significatif de l’histoire.
Voilà :  je viens de finir le livre d’Eric Fottorino* — je reviendrai à ce nom après — intitulé « questions à mon père », non que ça soit un livre d’une écriture littéraire fracassante mais plutôt doté d’un intérêt humain hors norme.
Eric Fottorino, le journaliste bien connu et écrivain de même, a eu une grosse histoire de pères. Vous ne lirez sûrement pas le livre alors je vous raconte l’histoire au travers de ce qu’il m’en a laissé entrevoir.
Eric Fottorino au départ n’a pas de père. Sa mère est une jeune fille de 17 ans lorsqu’elle le met au monde. A l’époque, la majorité est à 21 ans. Elle est fille de Bordelais bien pensants, cathos et tout et malheur pour elle, elle a péché avec un juif. Un juif marocain. Misère, misère. Pas seulement péché puisque ces deux-là s’aiment et que s’il s’agit d’un accident, le jeune homme est tout prêt à réparer la faute. C’est que la mère de la jeune fille ne l’entend pas de cette oreille. Elle chasse le fautif et envoie sa fille dans un bled du midi, chez un cousin. Et puis l’enfant, lorsqu’il paraît, on le met en nourrice malgré les pleurs et les cris de sa jeune mère, on ramène celle-ci à la ville. Mais c’est vite insupportable. Alors elle va récupérer son fils, l’enfant de l’amour. Mais rien ne peut aboutir. Le père se manifeste ? On fait un chantage à la fille : c’est lui ou le bébé. Peur qu’il devienne juif, le petit, sûrement. Bref, tout est mis en oeuvre pour empêcher les amoureux de se revoir.
Le père, chassé, cravache pour réussir, fuit loin, et devient … père de tous les bébés qu’il met au monde avec amour et empathie. Accoucheur à la belle réputation, il s’installe au Maroc où les femmes ne veulent que lui.
Avant ça, la maman d’Eric est devenue majeure. Alors elle contacte son amour, car elle l’aime toujours. Mais lui, indésirable, évincé, sans nouvelles, s’est marié avec Paulette qui accouche d’un petit garçon juste à ce moment-là. Y a pas dilemme, le papa ne peut pas quitter sa femme mais il propose à la jeune mère de l’aider. Fin de non recevoir.
Parenthèse de l’histoire : savez-vous quel est le nom du papa biologique d’Eric Fottorino ? Maman. Maurice Maman. Allo Sigmund, c’est énorme ! Ça se prononce Mamane, mais ça s’écrit maman, et pour un accoucheur, avouez que…
Le petit Eric, né de père inconnu, se s’appellera Fottorino qu’après le mariage de sa mère avec Michel  Fottorino qui adopte l’enfant. Michel est aussi dans le milieu médical, il est kiné, Michel est aussi de l’autre rive de la Méditerranée, il est tunisien. C’est pour ça que le jeu de mot que j’ai envie de faire, Eric Fottorinolaryngologiste, n’est pas inapproprié.
L’histoire se poursuit. A 17 ans, Eric Fottorino, comme souvent les ados dans son cas, veut voir la gueule de son père : la rencontre lui suffit car il a décidé que ce père lâche n’a aucune légitimité. Il n’a jamais entendu sa mère parler de lui et croit qu’il n’est qu’un vil suborneur. Ce n’est que 17 ans plus tard qu’il tentera de faire un peu mieux sa connaissance, laissant passer des mois ou des années sans donner signe de vie, au grand dam de Maman. Eric avait simplement peur de trahir Michel qui l’aimait tant. C’est pour ça qu’un jour, Maurice écrit à Eric : comme on peut aimer deux enfants, on peut aimer deux père. Eric comprendra plus tard.
Et puis le temps passe, il a des demi-frères, puis des enfants et, drame, alors que personne ne s’y attend, Michel se suicide d’un coup de carabine.
Les rendez-vous avec son vrai père reprendront d’autant plus que celui-ci n’a pas beaucoup d’espérance de vie, victime d’une maladie orpheline (orpheline/orphelin, encore un mauvais jeu de mot). Alors il fait connaissance avec la femme de son père, ses enfants, le reste de la famille, la smalah quoi et apprend que lorsqu’il passait à la radio, il était solennellement écouté par ses grands parents inconnus, Mardochée et Fréha.
Drôle d’histoire, drôle de destin, amertume à fleur de récit sachant que sa mère et lui  sont passés à côté d’une si belle vie avec cet homme bon et généreux.

Questions à mon père, Eric Fottorino, chez Gallimard, 2010, 202 pages.

* E.F vient de lancer un journal, « le 1 ». Article le Monde ici.

Texte © dominique cozette

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