Je vous ai parlé tout récemment de réparer les vivants (lien ici), le formidable dernier livre de Maylis de Kerangal qui a remporté deux prix et se trouve premier dans la liste des ventes cette semaine, et j’en suis bien contente pour elle. Ce n’est pas une auteure qui raconte des historiettes à côté de sa porte Maylis voit large et loin. Après l’implantation des organes, notamment du coeur, dans réparer et la construction d’un pont dans le roman du même nom, elle nous entraîne, dans ce petit court de 2012, dans le Transsibérien pour une rencontre improbable et sobre mais acérée, entre une jeune Française, amoureuse d’un Russe qui aurait du rester en France, et un très jeune appelé qui refuse l’appel. Ce train, composé de trois classes et d’un vrai wagon-restaurant — il faut dire que le voyage dure des jours et des nuits et traverse plusieurs fuseaux horaires, trimballe un monde hétéroclite sous bonne garde. La police est là aussi.
Le jeune, encore enfant, imagine déjà la violence de son bizutage dans cette future caserne dont il ne connaît même pas l’implantation au nord tout là-haut. Il est encore puceau mais se voit violé, tabassé, contrait de lécher les latrines, tout ce qu’il a entendu dire de cet exercice gracieux. Déserter, c’est un énorme risque, énormissime. Pire, peut-être que le viol.
La jeune femme imagine, elle, cette vie en Russie auprès d’un mari riche, ambitieux, amoureux, certes. Mais non, elle ne s’y voit pas, et déserte elle aussi le nouveau foyer. Ces deux-là vont voyager ensemble, complices ou victimes l’un de l’autre, jusqu’au lac Baïkal, merveille des merveilles, ou au Pacifique, sans savoir vraiment où le destin les mènera.
Très beau petit livre riche en évocation de toutes sortes, puissant et concentré. Cette auteure est balèze !
Tangente vers l’est de Maylis de Kerangal, aux éditions Verticales. 2012. 128 pages, 11,50 €
Texte © dominique cozette