Sugar Man, l’histoire extraordinaire d’un artiste qui se découvre star dans un autre monde

Oscar 2013 du meilleur documentaire, Sugar Man est un film poignant. Sixto Rodriguez, auteur compositeur et guitariste, a enregistré 2 albums formidables dans les 70’s, avec des paroles engagées. Vraiment super. Personne ne peut dire pourquoi il n’en a vendu que 6 aux USA. Un échec incompréhensible par les gens du métier qui le découvrent aujourd’hui.

Sauf qu’il est devenu un mythe énorme en Afrique du Sud, à la hauteur des Beatles. Une légende. D’autant plus qu’on le croyait mort. Ce film est la quête de sa vérité par un de ses fans. Il le retrouvera à grand peine : il est maçon (et philosophe) à Détroit. Il vit humblement dans un quartier mochard. Ses droits ont été piratés, il n’a jamais rien su de cette gloire. Et quand il arrive au Cap, des centaines de milliers de fans, dont énormément de jeunes, l’acclament. C’est comme si Elvis ressuscitait devant un public médusé. La bande-son est superbe (ses chansons). C’est extraordinaire, fascinant.

Outre que le personnage est très attachant, extrêmement talentueux, son histoire est  rarissime. Ses deux vies se sont déroulées  dans deux dimensions parallèles. Ça ferait un thème fictionnel passionnant et jamais vérifiable dans la vraie vie du style : comment Untel aurait-il vécu s’il n’avait pas été célèbre, ou le contraire ?
Un peu comme dans le film « Jean-Philippe » où Poolvoerde retrouve Hallyday, inconnu dans un monde parallèle, complètement sceptique sur le fait qu’il  est une star ailleurs. (Il y a peu-être un meilleur exemple, je ne trouve pas).
Sugar Man n’est pas une fiction : le héros de l’aventure est effectivement une superstar depuis 30 ans dans un pays boycotté par la communauté internationale pour cause d’apartheid. Ce qui explique que l’information n’ait pas circulé. Et que la maison de disque se soit bien servie de ce mur virtuel pour s’en mettre plein les poches sans risque d’être prise la main dans le sac.
Et dans son autre vie, la réelle, il a juste fait ces deux disques, il joue un peu dans les bars, il a passé des diplômes de philosophie et élevé dignement ses trois filles. Il semble qu’il soit veuf. Mais il n’est qu’un modeste maçon qui accepte de faire les tâches dont personne ne veut : nettoyer les endroits les plus crades, déménager les trucs les plus lourds…
C’est un sage, pas d’amertume, il vit avec le minimum parce que c’est son hygiène mentale. Même depuis sa reconnaissance.
Le moment le plus fort du film, c’est la confrontation de cet homme simple, droit, zen, avec le mythe qu’il est devenu dans un autre monde, une véritable idole, un chanteur culte qui fait pleurer les gens, le truc énorme. On ne pourrait pas inventer une telle histoire.
Il fait désormais des tournées dans le monde, il n’y a plus de places libres à Paris en juin pour le voir. Mais il reste simple et vit toujours dans son immeuble sinistre de Détroit.

Formidable !

Ici une interview de l’express
et ici un résumé en images du film.

Texte © dominique cozette

Tout est bon à peindre : Thomas Levy-Lasne et Philippe Cognée

Hasard de ma tournée d’expos d’hier : je me suis emballée pour deux peintres qui n’ont pas grand chose en commun apparemment mais qui procèdent d’une démarche similaire : celle de représenter en peinture des choses « pas intéressantes ». Est-ce que tout se peint ? Oui, répondent l’un et l’autre.
Commençons par Thomas Lévy-Lasnes, jeune homme d’une petite trentaine qui peint comme il respire. Et il respire l’air du temps, Paris, les fêtes, les gens qui dansent, les filles qui ont les pieds sales, qui tapent sur un ordi, les mecs qui mettent leur pouce dans la bouche des filles, les carrefours parisiens sans grâce, les tables sales pleines de cadavres de bouteilles et de cendriers pleins. Tout est bon à peindre, il n’y a rien à jeter. Ses peintures sont figuratives et sidérantes de réalisme, sans souci de cadrage, de lumière donc d’esthétique. On dirait des polas, froides comme des dépositions. Mais combien attirantes, justement.
Les deux premières font partie des huiles grand format, la troisième des aquarelles tirées de ses photos de fêtes, et la dernière, mine sur papier, est tirée d’un site webcam.

 

Thomas Lévy-Lasne est à la galerie Isabelle Gounod jusqu’au 23 janvier. C’est dans le marais. Une vidéo est mise en ligne ici où il explique son travail (On peut passer les 5’30 sur les papillons). Thomas est sur facebook.

Philippe Cognée qui est déjà plus installé dans la notoriété, expose dans les deux parties de la galerie Templon, dans le marais itou, jusqu’au 23 février. Dans la première salle, une superbe exposition de petites constructions défaites, rapiécées, branlantes, peintes à la cire et repassées pour donner cet effet de flou à certains endroits. Ce sont des grands formats de toute beauté d’où le souci de recherche esthétique n’est pas absent contrairement à Thomas LL.
Dans l’autre salle, une installation qui figure une ville, en blocs de marbre, et de très grands portraits d’architectes, selon la technique de l’artiste. Pour en savoir plus sur son art, une vidéo.

Ces deux expos s’arrêtent très bientôt, elles méritent votre détour, si je puis dire. Celle de Thomas LL. s’intitule visiblement et celle de Philippe C., les architectes.

Texte © dominique cozette. Images © les galeries et artistes.

Sauras-tu trouver la personne qui se cache dans cette image ?

La personne qui se cache dans toutes ces images est chinoise. C’est un artiste, Liu Bolin, connu comme le loup blanc dans la neige et je vous jure que c’est mérité. Chacune de ses oeuvres est bluffante. Scotchante. Impressionnante. D’autant que ce n’est pas gratuit, de se planquer comme ça. C’est venu à la suite d’une immense frustration, d’un terrible événement subi par lui à cause des jeux olympiques.


Comme partout, ces jeux que les pays s’arrachent ont une face cachée plus ou moins pourrie dont on entend parler de plus en plus. Expropriation sordides, sans compensations ou très peu, démantèlements de quartiers, destructions faites sauvagement et mises à la rue de populations sans importances, voilà de quoi a été victime ce peintre qui a lutté pour la sauvegarde d’une magnifique architecture qui abritait les ateliers d’artistes.
Un matin, il a retrouvé le sien, comme les autres, détruit. Un tas de gravats fumait encore en lieu et place de son cher atelier. Il a compris qu’il faisait désormais partie des invisibles, des disparus sans importance. Et en a fait la première oeuvre de la série, avec son corps repeint exactement comme les pierres du décor, et devenu invisible.
Depuis, il continue. Chaque oeuvre regroupe performance, peinture et  photo. C’est joyeux et très amusant de le repérer dans le décor. En grand tirage, c’est superbe, aucune retouche, bien sûr. A vous  de vous émerveiller !

Cette superbe expo se trouve dans le haut marais, galerie Paris-Beijing, 54 rue du Vertbois 75003. Cliquez sur le site où vous pourrez voir de très nombreuses autres photos de Liu Bolin.  L’expo, c’est jusqu’au 9 mars.

Texte © dominique cozette

Linder, elle en a la nana !

C’est sa première rétrospective, elle en est tout émue ! Paris, en plus, la ville qui a le mieux compris son travail depuis toujours, alors qu’en Angleterre, elle est restée longtemps marginale, vue comme une artiste post-punk, et alors ? Alors elle est bien plus que ça, la belle Linder.

Née en 54 à Liverpool, grandi à Manchester,  ces petites villes ouvrières où l’industrie textile s’écroulait, la petite Linda Mulvey veut d’abord faire de la danse. Ses parents savent à peine que ça existe, les cours de danse. C’est no. Pour se venger, elle fera moult collages de danseurs/seuses affligées, à la place de la tête, d’ énormes gâteaux à la crème, référence à la cakewalk, danse des Noirs se foutant de la façon dont se trémoussaient les Blancs.
Donc, au début, ce furent des collages. Dégoûtée par la représentation de la femme dans les magazines, elle se met à en collectionner des palanquées, des féminins et des masculins, donc des pornos. Et faire des montages soulignant le côté obscène de la pub par rapport à la femme.

Les collages sont un excellent moyen de déconstruire la manière dont d’autres nous imposent leur vision du monde. Et c’est une femme nue avec une tête de friteuse, de fer à repasser, ou un buste aspirateur qu’elle commence à créer. Et beaucoup de porno ou les sexes sont remplacés par ce genre d’ustensiles. Ses travaux sont diffusés dès 78 dans le fanzine The Secret Public.

Ça paraît kitsch aujourd’hui, ça l’est, mais le discours n’est pas démodé. Son travail de collage se poursuit longtemps, s’esthétise, s’artise. Elle réalise beaucoup de portraits où les personnes sont associées, par de soigneux collages, à des fleurs magnifiques.


Devenue Linder Sterling ou Linder, elle se singularise par ses divers talents : elle est photographe et réalise de nombreuses pochettes de disques. Elle se lie avec  Morrissey, le suit fréquemment et publie Morrissey Shots en 92. Mais ses débuts sont marqués d’abord par des performances et de la provoc. Elle utilise beaucoup  son corps, qu’elle découpe, recouvre, dénude, exhibe.

Fin des 70’s, elle fonde, avec Ian Devine, le groupe punk rock Ludus. Lors d’un concert en 82, elle qui est végétarienne s’est parée d’une tunique de viande avec pattes, têtes et abats de poulets récupérés dans les poubelles d’un resto chinois du quartier. Puis, lorsque la poursuite s’allume, elle ôte sa robe-tutu qui dévoile … un fier godemiché noir qu’elle exhibe en hurlant au son des guitares « women wake-up », avec une belle puissance de voix.

A propos de la pornographie dont elle a fait un de ses thèmes de prédilections, Linder raconte comment elle passait pour une détraquée lorsqu’elle allait dans la petite boutique de sa ville quémander les quelques revues de cul au fur et à mesure qu’elles sortaient. Elle était sidérée de voir qu’en France, elles étaient en vue et qu’on pouvait se servir. La différence entre le porno d’hier et d’aujourd’hui, c’est qu’hier il fallait raconter une histoire pour arriver à la séquence où la femme consentait à se mettre nue. L’autre grosse différence, à part une certaine violence de l’acte et le fait que les revues se font rares, c’est que le corps actuel ne présente plus de pilosité.

Sur cette image, on pourrait croire que Linder parle de la taille d’un sexe ou d’un poisson. Mais non.
Cette rétrospective est très riche et polymorphe. On y découvre  ses premiers travaux plutôt gonflés : elle fut la seule à prendre des photos dans une boîte de la ville où les hommes arrivaient en hommes, normal, quoi, petit attaché-case, cravate. Puis allaient se changer et se maquiller aux WC avec les vêtements et les produits de leurs mères, pour passer une nuit sympa.
Linder a aussi fabriqué des masques, obscurs objets de plaisir .

Si vous allez voir cette expo, vous serez entouré de lèvres. Linder colle des lèvres partout et l’affirme : les femmes possèdent plus d’une paire de lèvres. L’affiche de l’expo a choisi ce collage très représentatif du travail de l’artiste.

Pour finir en beauté, Linder a choisi la forme du fanzine pour le catalogue de l’expo, un cahier comme photocopié et agrafé. Très bien.

Et vous découvrirez aussi sa patte de dessinatrice sur quelques petits érotiques, parmi les 200 oeuvres exposées.

LINDER FEMME/OBJET.
Au Musée d’Art Moderne  de la Ville de Paris.
Jusqu’au 21 avril.

Lien ici

Texte © dominique cozette

Jonas Mekas, mine de films

Je ne le connaissais pas il y a encore un mois et d’un coup, je vois fleurir du Mékas partout : à Beaubourg en cinéaste avant-gardiste, à la galerie du jour qui expose ses récents travaux — agnès b est une amie de longue date de l’artiste — dans des librairies pointues où sont affichés ses bouquins, et des boutiques de ciné non moins acérées telles Potemkine qui a édité ses vidéos, journaux filmés, regroupés ou non. Mais qui est donc ce monsieur qu’on ne m’a jamais présenté ? me demandé-je.
Hé bien ce monsieur est lituanien, il aura 90 ans le soir de noël et il est, de tout temps, un esprit libre. Accompagné de son frère Adolfas, il fuit la guerre car il ne se sent pas de taille à la pratiquer, il est poète et fluet, mais se fait interner dans des camps de travail en 44. Il souffre de la faim, du froid, du manque de tout, mais surtout de son pays dont il pressent qu’il n’y a rien à en espérer. Il galère avec son frère et quelques autres, erre de pays en pays au Nord de l’Europe, refuse une première fois d’émigrer aux USA. Fait des boulots de merde, mange n’importe quoi (et pendant des années, il bouffera vraiment n’importe comment mais il est toujours debout!).
Enfin quand même il se résout à faire partie de boat-people migrant pour faire petite main à Chicago. Arrivé à New-York, émerveillé par la vision grandiose, il décide d’y rester : l’Amérique, c’est ça, pas autre chose. Las, le rêve américain tourne au cauchemar car tout y est triste et dur, sale, gris et sans âme. Avec son frère toujours, il traîne de squatt en squatt, bosse dans des usines, des ateliers pourris, ne mange que du pain et du lait des mois durant mais il sort beaucoup : il claque tout au cinoche, au musée et quand il le peut, dans les livres. Affamé de culture mais misérable et malheureux, sans chaleur humaine, sans amour, sans nana pour lui chauffer une gamelle ou caresser son petit corps maigrelet, il fait peine à voir.
Déraciné jusqu’à l’os, il se réfugie dans la communauté de personnes déplacés, ils ne sont pas si drôles, mais on s’en sort un peu mieux à plusieurs. Il refuse jusqu’au bout de travailler dans un bureau, pour lui, c’est un travail de robot, de singe, ce n’est rien. Mais il écrit, il prend des notes, il essaie de percer.
Le livre où il se raconte de façon simple et imagée, troublante car on dirait qu’il parle de l’époque de crise actuelle, va de 44 à 55, année de l’achat de sa première caméra qui va le propulser dans le monde de l’image. Ce livre  — je n’avais nulle part où aller — renferme d’ailleurs de nombreuses photos de lui petit avec ses parents, puis jeune en Europe à New-York.

Ce journal d’un loser est réconfortant dans le sens où l’on sait que, plus tard, il s’en sort et même plutôt bien puisqu’il a créé la première coopérative indépendante de distribution, qu’il a réalisé bon nombre de films, qu’il côtoiera le gotha artistique de la Pomme et  devient une sorte d’icône.
Un docu  sur lui sur Wiki.

Je n’avais nulle part où aller  1991. 2004 pour la traduction française chez P.O.L

Texte © dominique cozette

Un peu de Duchamp dans ce monde d’art brut

C’est un livre de Serge Bramly qui raconte un épisode de la vie de Marcel, à partir de 1942, lorsqu’il s’évade du pays en guerre pour se poser un moment à Casablanca avant de se fixer aux Etats-Unis où ses oeuvres ont connu un vif succès. Le livre n’est pas un fragment de biographie, c’est biaisé.
Alors je recommence. C’est l’histoire d’un monsieur qui tient un bar au Maroc où ses amis, juifs marocains, jouent aux cartes tous les jours. Cet homme affable et élégant accueille Duchamp dont il ne connaît pas la réputation d’artiste, dans une grande salle de bain inoccupée où Marcel va entasser des choses dans la baignoire pour y dormir. En même temps,  ce lieu est un QG de résistance où se trament quelques actions secrètes que personne ne doit connaître. Ce sera l’occasion pour Duchamp d’aller voir ailleurs s’il y est, notamment au bordel d’où il tirera de nouvelles inspiration. Le jeune homme qui l’y emmène est le fils du propriétaire du café.
Mais un tiroir s’ouvre dans le livre. C’est encore une autre histoire : celle de la petite-fille du jeune-homme devenu vieux, auquel un biographe de Duchamp essaie de tirer les souvenirs de ses trois semaines marocaines. Et voilà-t-il pas que la petite-fille, une jeune femme, que cette histoire n’intéressait pas, apprend que son grand-père possède quelque chose de Duchamp. De plus, elle s’éprend du biographe et sait qu’ils auront une belle histoire ensemble.
C’est un roman très alerte, original, dépaysant, on apprend pas mal de choses sur l’artiste lui-même et on voit du pays. Quoi de plus pour passe un excellent moment?

Orchidée fixe de Serge Bramly chez JC Lattès, 2012, 286 pages.

Texte © dominique cozette

 

Bouffée d’art frais sur Paris : c’est le Mac Paris 2012

Mac Paris édition 2012 est une réussite : 125 artistes dont beaucoup de nouveaux nous présentent ce qu’ils ont de plus intéressant : leur imaginaire. Et c’est passionnant ! A côté de disciplines plus ou moins classiques, vous pourrez vous instruire sur le magnétisme avec des bidules attirés/repoussés les uns par les autres, vous laisser séduire par l’axe fumeux du désir où l’homme de Vitruve se lacanise à travers un trou de serrure, réviser vos cinq sens avec Lavinia Aubry et ses balances, cabinet secret, vidéo kissante, vous projeter dans des sculptures d’écorchés, de peluches zarbis ou de bonnes femmes doudouces, vous émerveiller devant l’incroyable pointillisme de Christophe Mindar*, vous perdre en conjectures au vu d’oeuvres clinquantes ou complexes ou animées ou sonores ou saignantes avec os (Djan Silveberg) mais en aucun cas vous ennuyer. Les artistes sont là, disponibles et il faut leur poser des questions car on en apprend parfois de bien bonnes !
Cette expo hors normes dure jusqu’à dimanche, les enfants adorent, ça ouvre l’esprit, les vieux adorent car ça aère les neurones, et les entre deux-âges itou car ça les détend. La curiosité, c’est le jardin du cerveau et c’est là que ça pousse. Hum… bon. Voici une petite sélection sans a priori.

La première collaboration de Caro Worboys, pour le textile, et Thierry Corrieras, pour la poterie. Le stand est splendide !


Anna Boille utilise la technique du fixé sous verre, sur plexi. Une peinture qui se fait à l’envers. Du métier !


L’univers très particulier d’Hubert Tricot où il mixe peau de vache véritable et peinture, d’un côté, et des mains, des mains et des mains de l’autre.


Keroas et sa belle ambiance exotique…


Kristof et son univers émotif vaguement chelou…

Le Joubioux, non sponsoré par Spontex, qui réalise des éponges en terre, en laiton, en bronze mais aussi en 2D qu’il a modélisées avec un talent sûr.


Marie-Hélène Bourdoux, elle, brode, coud, modèle de belles matières textiles pour des oeuvres lumineuses


Myriam Paoli poursuit son travail en finesse sur fil de fer et nous offre une approche très géométrique de son savoir-faire


Matrick Guidot m’a enchantée avec ses baigneurs à la présence délicieuse


Peggy Viallat-Langlois a choisi de s’auto-portraituré et elle a bien raison car le résultat est d’une grande force


Rach’Mell connaît bien l’usage du crayon mais il en invente un autre : le planter de crayon. Avouez que le résultat est sidérant !


Des épines de porcelaine, c’est un des supports de l’art de Samuel Yal, avouez que cette technique a du piquant !


Et les tableaux mêlant (j’allais écrire bêlant) encres, photos anciennes et surtout broderie d’Elisabeth Baillon…

A vous de découvrir tous ces artistes, 125 en tout.  Le site Mac Paris est ici. Vous saurez tout et une invitation téléchargeable vous est offerte.

* Christophe Mindar m’a envoyé une photo pour illustrer mon propos. Ainsi que les coordonnés de son site.

Texte © dominique cozette

 

Jean Feldman et son petit peuple

Jean Feldman, le F de FCA, cette superbe agence de publicité où j’ai eu l’heur de travailler, continue de créer. Comme les grands artistes, il n’en a jamais fini avec une  imagination qui  le taraude. Pourtant, il n’a plus rien à prouver. Il fait partie des plus grands publicitaires français, ses campagnes ont construit de très belles images de marque (c’est quoi, construire une image de marque ?) comme Obao et son univers japonisant, Pacific et sa plantureuse naïade en jaune, Gratounett et son humour décapant, Belle des Champs et sa ritournelle gotainerienne (qui a remis au goût du jour le joli verbe baguenauder), la Woolmark et ses moutons en forme de logo etc.
Jean Feldman, créatif exigeant, continue de bosser. Il dessine, mesure, découpe, maquette, essaie, colle divers matériaux.
Sa toute première expo montrait sur toile des femmes girondes bien alanguies. Et des tableaux-coffrets de plexi où dialoguaient d’amusants personnages découpés dans du carton. Aussi incongrus et naïfs que les petits bonshommes de Sempé. Il ne les a pas mis sur son site mais comme je les  aime énormément, je vous les montre.
Et puis, ça évolue. La peinture est rangée pour un temps. Le carton sert beaucoup pour d’autres originaux ou des maquettes. Le corian s’illumine aux rayons des lumières et l’inox rutile étonnamment. Les personnages en liberté se totémisent,  rivalisent de hauteur et d’éclat tandis que la foule des petites gens s’entassent dans des belles caisses américaines sous plexi. C’est impeccable, nickel mais aussi très touchant. Exactement comme leur créateur.

Fiancée 1

Fiancée 2

Kisses

My sister

We met on the web

You’re talkin’ to me » (détail)

Le site de Jean Feldman est ici.

Texte © dominique cozette

L’art, l’art, l’art, les meufs ont rien à y faire !

Tout ce qui est intéressant, tout ce qui rapporte, tout ce qui valorise, tout ce qui fait envie, tout ce qui buzze, tout ce qui est admirable, tout ce qui est intéressant, tout ce qu’on voit partout, tout ça et ce que j’oublie, c’est du ressort du mâle. Quel scoop ! Pas un boulot, un secteur ou un art dominé par les femmes
Et pourquoi ? Parce que.

Les femmes, c’est pas fait pour ça. Les femmes écrivent ? Les hommes, c’est plus couillu (certes).
Les femmes cuisinent ? Les hommes ont le sens des recettes couillues (certes).
Les femmes chantent, peignent, sculptent, jouent la comédie ? Les créations masculines, mêmes les plus délicates, sont plus couillues (certes).

Claudine Galéa* nous donne les chiffres de cette inégalité, qui la mettent hors d’elle. Et hors de moi. Edifiant :
84% des théâtres subventionnés sont dirigés par des hommes. Les hommes dirigent mieux les théâtres subventionnés, c’est bien connu.
97% des musiques que nous entendons dans nos institutions sont composées par des hommes. Ecrasant de vérité, faut croire.
89% des institutions musicales sont dirigées par …. suspens … des hommes ! Les hommes dirigent mieux les institutions musicales, faut pas oublier !
85% des textes que nous entendons ont été écrits par des hommes. Ah, c’est vrai, j’avais oublié, les femmes n’écrivent pas !
78% des spectacles que nous voyons ont été mis en scène par des hommes. Les femmes ne savent pas, c’est trop compliqué, voyons !
Encore une : Les prix littérature jeunesse les plus prestigieux sont remis à des hommes, qui ne représentent qu’un tiers des écrivants jeunesse.
Et plein d’autres exemples ahurissants comme les disparités énormes du montant des subventions selon que c’est une femme ou un homme le responsable…

Alors, moi je pense que c’est normal. On ne peut pas diriger un orchestre quand on a des seins car ça gêne. On ne peut pas mettre en scène quand on a des seins parce que les partenaires sont gênés par le désir que vous procurez. On ne peut pas donner trop de subvention à une dirigeante de théâtre car la première chose qu’elle va faire — toutes les études le montrent — c’est se ruer avenue Montaigne pour acheter des pompes hors de prix. On ne peut pas écrire de la musique « qui marche » quand on est une femme car c’est très compliqué avec nos petites mains de couvrir une octave de piano ou avec nos lèvres lipstickées de souffler dans une trompette. On ne peut pas écrire des livres bien parce que le fait d’être assise sur nos clitos nous inhibe dans la construction d’une belle histoire. Etc.

Pour vous dire comme la femme féministe que je semble être a bien intériorisé le concept d’expertise masculine, c’est que l’autre jour, à l’Apple Store où j’avais un engin à vérifier, j’ai souhaité tomber sur un mec, estimant qu’il était sûrement plus armé pour m’aider que les quelques femmes qui bossaient là. Je ne vous dis pas la baffe que je me suis donnée. J’en porte encore les stigmates !

* Article dans Libé du 10/07/12.  Son mouvement  H/F contre les discriminations femmes-hommes dans la culture avec pétition si on veut faire avancer les choses : cliquer ici.

Texte et dessin © dominique cozette

Crumb, serial fesses-booker !

Au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris se tient la somptueuse énorme rétrospective de Crumb. Robert Crumb. le dessinateur bigleux qui chevauche les filles à gros cul, à jambes costaudes et velues, qui fornique à tout bout de champ et se rit de la vie sociale que des siècles de morale judéo-chrétienne ont pondu aux Etats-Unis. Et de celle, française, à laquelle il pige que pouic. Sorte de geek pour le physique, érotomane priapique et masturbateur récurrent, infidèle — le mot est faible — et narquois, this is the man.
Certes il dessine avec art et ostentation, talent et obstination, humour et fornication. Mais ce n’est pas sa passion. Même s’il ne peut s’empêcher de manier le rotring et la plume, il a deux autres plaisirs bien plus forts : le sexe et la musique. Oh, attention, pas la pop, la vieille musique, le vieux jazz d’avant-guerre qui craque sous le saphir, les formations be-bop  old school qu’il collectionne comme un malade et auxquels il tient comme à la prunelle de ses grosses lunettes. Il en a des milliers, maniaquerie totale.
Crumb est issu d’une famille tarée, réellement. Il faut voir le film commenté par David Lynch (en streaming sur le web)  sidérant. Freaks, presque. Un père violent et tordu qui lui a déboîté la clavicule quand il avait cinq ans, que tous craignaient, une mère aujourd’hui avachie qui se droguait aux amphétamines pour lui échapper, deux soeurs dont on ne parle pas (qui ne veulent pas apparaître dans le film) et les trois frères, imbriqués les uns dans les autres par leur rapports d’amour/haine, de dépendance et de luttes narcissiques.
L’aîné, Charles, est un dingue des comics (et sexuel maniaque aussi, jeune, abstinent). Il ne vit que pour ça, tombe amoureux d’un lapin et oblige ses frères à dessiner, sous peine de rétorsion. Il prend la place du père. J’y reviens.
L’autre Maxon, est en perpétuelle frustration, blessée par Robert qui lui vole la vedette. Aujourd’hui, Maxon vit sur un tapis de fakir à vrais clous et avale lentement un très long lacet enduit de je ne sais quoi qui va mettre trois jours à ressortir par l’autre bout, ayant accompli une sorte de purification intestine. Il ne parle qu’à une personne : Robert. Il a de magnifiques yeux bleus. Il n’a jamais eu de relations sexuelles.

Robert, lui, est un renfermé. Enfin, quand il était ado. Moche, une dent en moins, creux du torse, rêvant chaque soir à une des filles de sa classe, celle qui louche ou l’autre moche, sans l’idée de passer à l’acte. Sa mère prédisait : il épousera la première venue. Gagné. Zoom sur cette première femme devenue grosse dame qui lui a fait un fils.
Heureusement, la célébrité amène son flot de fans femmes qui veulent toutes être dessinées, dessillées, dessalées par lui. Il ne dit jamais non. Jamais. Le sexe devient son activité de prédilection, même après son installation avec Aline, celle qui ressemble à ses dessins, qui le porte sur son gros cul, qui le pompe et qu’il nique goulûment. Lisez « parlez-moi d’amour » (blog ici), leur livre à deux, c’est top.
Charles, donc, l’aîné. Charles est devenu une grosse larve qui vit toujours avec sa mère, sans jamais, jamais sortir. Il se lave toutes les six semaines, n’a plus de dents, est sous tranquillisants depuis toujours. Il est entouré de murailles de livres. Ça pue le renfermé à vue d’oeil. Robert, très enjoué avec lui, ne semble pas affecté par sa déchéance, pas plus qu’avec Max d’ailleurs. Depuis, Charles s’est suicidé et le film lui est dédié.
A part cette famille calamiteuse, le film montre les  divers aspect du boulot de Crumb, ses marottes, sa façon de croquer, ses réflexions caustiques sur la société. Tout Crumb est là. Aline aussi, bouffeuse de vie, énergie personnifiée. Et leur fille qui est devenue dessinatrice. Bizarre.
Si vous avez une semaine devant vous, vous pouvez vous enfermer au MAM. Il y a tellement à lire, à détailler, à examiner qu’on ne peut, en une fois, en faire le tour. Beaucoup de BD ont leur version française sous les originaux. Bécassine est là aussi, je ne vous raconte pas ce qu’il lui faire faire, à tomber ! Et toutes ses collections perso d’albums BD de son enfance, toute usées. Touchant.

Crumb de l’underground à la Genèse. Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris jusqu’au 19 août 2012.

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