Je joue de malchance aujourd’hui, j’avais fait un long article avec tout plein de photos sur cette exposition. Problème de réseau ou autre chose : l’article a sauté, ne me laissant que quatre artistes commentés. Impossible de tout refaire. Donc, je vous le livre comme ça, comme un échantillon pour vous appâter.
Voici Pauline Fillioux. Qu’a de particulier Pauline ? Elle réalise ses tableaux au scotch marron. Ce bon vieux scotch des déménagements et rangements en cave, elle s’en sert avec un tel brio que c’en est … scotchant, non ?
Sylvain Gilory a aussi ses matières de prédilection, principalement le caoutchouc. Voici une installation de culbutos plombés qui ne demandent qu’à culbuter.
Mélanie Duchaussoy travaille magnifiquement ses monotypes. Comme elle vit près d’endroits chargés de mythologie, elle en nourrit ses personnages au regard intense et leur donne les noms bizarres de ces étranges lieux dits. Beau et inquiétant. Ou pas…
Si vous pouviez agrandir cette image en basse déf, vous y verriez des centaines d’escarpins finement découpés afin de composer les ailes des fées des contes anciens dont Cendrillon fut issue. Mais Stéphane Bouelle, qui a d’autres tours dans son stand, vous racontera l’histoire bien mieux que moi !
Mac 2000, Espace Champerret jusqu’à dimanche soir. Lien ici.
Je ne comptais pas entrer. Mais il n’y avait personne alors je n’ai fait ni une ni deux et hop ! 35 euros plus tard, j’étais dans le grand palais du grand art, le vrai. Celui de Goya, par exemple !
On ne m’a pas dit qu’il s’agissait de sa fille, Chantal. Avec Jean-Pierre.
C’est pas grave, il n’y avait que du beau monde. L’incroyable Paul et la belle Margret, deux artophiles danois. Et tous les autres !
Des beaux gars un peu mutiques et immobiles…
trois types très bavards secrets…
quelques autres assis sur un établi ou perchés sur un mur…
quelques cravateux du genre sérieux…
ou un mec un peu plus relax…
mon sosie dans une glace…
un type total look tatoo…
ou encore une femme très fatiguée
à laquelle personne n’avait pensé à proposer un matelas à dormir debout.
J’avais de l’oseille et tout mon temps pour acquérir un sublime chef d’oeuvre. Le premier que j’avisais était saisissant de réalisme. Mais un gardien me dit que non, cela faisait partie du mur du Palais, que ce n’était pas à vendre…
J’aurais du m’en douter car l’inscription « ne pas vidanger, merci » aurait été en anglais ou en chinois. Je négligeais deux autres « trucs » qui, eux, étaient réellement des oeuvres. Mais l’esprit décoratif n’y était pas…
Tiens, un petit cadeau pour le chien de ma voisine !
Un autre pour la fête des grand-mères…
et quelques joujoux, gadgets et objets qui trouveront leur place sous le sapin !
Cette admirable invention à recycler les filets de saucisson me plut bien
ainsi que cette grande boîte de pastels pour mon petit-fils !
Il commençait à se faire tard, mais calmos !
J’avais comme une petite faim et salivais devant deux créations peu hallal
Comme dit l’autre :
Il en dit d’ailleurs beaucoup plus, le tout est de savoir lire !
J’assistais à une performance :
Mais non ! Ce n’était qu’un chariot vert avec plein de jolis petits sacs Guerlain à déposer auprès des galeristes, comme si ces gens avaient besoin de ce genre de cadeaux dont leur salle de bain regorge ! Heureusement, il y avait quand même quelques jolies choses comme ces petites aquarelles sur carton de Gideon Rubin
ce travail du collectif Claire Fontaine, papier et graphite sur tombe, vous savez, comme on faisait, petit, en noircissant un papier posé sur une pièce de monnaie…
ce petit village en relief trompe l’oeil :
et surtout ces magnifiques tableaux d’une créativité artistique esbrouffante !
A offrir à mon beau-père victime de glaucome. Plus loin, quelques travaux amusants attirèrent l’attention de mon objectif, tel ce tableau réalisé avec du ruban sur lequel on brode le nom de ses gosses avant la colo…
cette chemise à six manches pour mon fils qui me dit souvent qu’il n’a pas trois bras
et cette sculpture en dés pour le Dédé.
Il me restait encore quelques messages à lire
ça, c’était juste des débuts de lettres dont le sens humoristique m’échappait. Les suivants étaient plus clairs :
Enfin, après m’être jeté un verre derrière la cravate, et comme il me restait un euro, je fis l’acquisition d’un sac à nul autre pareil
Sur le parvis, j’entendis quelqu’un déclarer : Mouais, c’est comme toujours, cette FIAC, de la merde en fourrure !
Au cas où j’aurais pensé la même chose, je m’étais munie de l’arme absolue contre ce genre de désagrément .
Ainsi s’acheva ma visite dans ce que le monde entier (mon dentier ?) considère comme la mecque plus ultra de l’art contemporain.
Une fois n’est pas coutume, mais comme j’ai vu ce film hier, lors de sa sortie nationale, j’arrive à temps et non pas après la bataille (elle est bien bonne celle-là !)
Et je dis… oumph !!! C’est délirant… Faut être zen pour affronter cette débauche de hurlements de mecs et de nanas, de cris presque ininterrompus de bébés, de castagne, d’insultes, de situations frustrantes, crispantes, de larmes, de pétages de câbles, de stress… situations ex-conjugales mal réglées avec violences verbales et gestes déplacés, mômes qu’un baby sitter non adapté ne sait pas calmer, foule, foule foule de la rue de Solférino lors de la dernière élection présidentielle, pour laquelle l’héroïne, journaliste télé, s’y trouve et doit tout gérer dans ce magma envahissant… puis fin de la fête, provos contre CRS, baston, barouf…et maison. Retour à la normalité ? Que nenni… rebataille avec bières, vodka, puis puis puis bon, les protagonistes bourrés, de plus en plus têtes à claques.
Une performance, ce film. Complètement ouf et bordélique, en plus, ah oui, tout qui traîne, la vaisselle sale, les clopes dans le nez des gosses, plus un flic dément, un barman agressif, la foule en liesse. C’est hénaurme. Mais je ne vous conseille cet ovni que si vous appréciez le non formaté, le bord-cadre, le titillant, l’exaspérant, le sans-égard-pour-le-confort-du-spectateur, le qui-déchire-grave, le putain-mais-c’est-quoi-ça.
Les acteurs sont durement mis à contribution. Le père des mômes, Vincent Macaigne, est génial, on a envie de le baffer et de le rebaffer…
Avec vos nerfs en pelote suite à cette ambiance foireuse, vous pourrez toujours vous tricoter une écharpe…
L’exposition les Papesses à Avignon, c’est du lourd. Cinq artistes « papesses » en hommage à Jeanne, la seule femme pape, morte en couches avec son bébé pour ne pas se faire choper. Il faut bien donner un titre aux expos, d’autant que celle-ci investit le Palais des Papes — pour de monumentales oeuvres — en plus de la confortable galerie Lambert.
Ces cinq monstres de la création sont Camille Claudel, Louise Bourgeois, Kiki Smith, Berlinde de Bruyckere et Jana Sterbak.
Dès l’entrée, j’ai été scotchée par le travail, répugnant pour certains, admirable pour d’autres dont moi, de Berlinde de Bruyckere, sculptrice flamande née en 1964, présente pour la seconde fois cette année à la biennale de Venise. Les pièces exposées ici sont principalement faites de chair, d’os et de sang, je veux dire de cire tellement bien travaillée qu’on dirait de vrais parties humaines ou animales. Sidérant.
La souffrance, la mort, les assemblages fusionnels, les mutilations, les inventions de monstres sont une résurgence de son éducation bien-pensante mêlée à l’ambiance morbide de la boucherie familiale. La mythologie l’a beaucoup inspirée, de légendaires cerfs aux bois fantastiques ont façonné son inspiration.
Le plus impressionnant est ce cheval monstre, gigantesque, dérangeant, vraie peau, fausse anatomie, pendu comme à un croc de boucher sous l’immense hauteur de plafond du Palais des Papes
Et entre autres nombreuses autres sculptures de Berlinde de Bruyckere, voici Caroline aux cheveux en crin de cheval, et « cousu ensemble » :
Passons à l’inénarrable Louise Bourgeois dont certaines oeuvres sont tellement connues, comme les araignées, que je ne les ai pas photographiées. Ainsi que ses installations, vastes, qui ne rendent pas bien comme on dit. Voici donc quelques dessins et peintures que j’aime beaucoup, qui traitent de la conception et de maternité. Il faut voir aussi le film où elle exprimait son féminisme : c’est très très drôle ! Sacrée nana !
Pour les mêmes raisons, j’ai fait l’impasse sur la délicate Camille Claudel. Je vous offre quand même cette oeuvre superbe et une lettre écrite de sa main où elle avoue aimer le saucisson. C’est touchant, d’autant que ses missives n’étaient jamais envoyées à son frère Paul, interdiction de leur mère, et étaient conservées dans son épais dossier médical visible ici pour ceux/celles que les documents passionnent. C’est passionnant…
Une papesse que je ne connaissais pas : Kiki Smith, grande figure de la mouvance féministe américaine à la fin du siècle dernier. Elle a réalisé dans cette expo beaucoup de couronnes, oui, des couronnes de rois, avec des étoiles, qui m’ont laissée de marbre. Mais j’ai énormément apprécié ses magnifiques tableaux, dessins sur papier népalais, bronzes et quelques sculptures.
Pour finir, voici Jana Sterbak, mais si, c’est elle qui a inventé la robe en viande, portée par Lady Gaga (je ne parle pas de Liliane Bettencourt). Elle n’arrête pas de créer de drôle de vêtements étonnants. Entre autres, une robe électrique qui irradie lorsqu’on s’en approche (imphotographiable), un petit haut avec toison virile incrustée, une chemise de nuit en organdi avec le même motif, et, idéal pour les soirées qui s’éternisent, des chaises au siège et au dossier de glace qui fondent en quelques heures en ne laissant que leur ruine… Elle fait aussi beaucoup de boules, de très belles et très grosses boules, mais les boules, bon, hein…
Pour en savoir plus, allez sur le site des Papesses. Ou direct à Avignon, c’est à 5 mn de la gare, et il y a un petit resto de tapas très miam : Tapas locas, 15 rue Galante, 7/7 de midi à 1 h. du mat’. N’y venez pas de ma part, j’y vais incognito…
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Un peu par hasard dans une galerie du sud, j’ai eu la bonne surprise de voir les tableaux récents de ce peintre exubérant, Karl Gietl. Extra ! C’est chaud bouillant, truculent, sensuel, sexuel, dégoulinant, trash… Ça fume, ça boit, ça baise, ça gerbe, ça vibre, ça suinte, ça sue, ça foisonne, ça toisonne, c’est bordélique, ça prend même des crottes de pigeons sur la tête, ça raconte la vie nocturne en majorité sans beaucoup de romantisme mais de puissantes pointes d’humour. Et d’humeurs. bref, du lourd, du costaud, du virulent, du productif , du prolifique, du jaillissant !
Karl Gietl est né en 1970 dans la province du Cap, a suivi une partie de sa scolarité à Johannesbourg, et a fait sa première expo en Afrique du Sud en 94. En 95, il fait partie d’un groupe d’artistes exposés au Chili. Remarqué et primé en 99, il est invité à la Cité Internationale des Arts à Paris où il vit quelques années. Ce qui lui permet de rayonner et d’exposer dans plusieurs pays d’Europe.
Puis il retourne au Cap en 2002, explore quelques pays voisins dont il tirera d’autres sources d’inspiration comme les prostituées, et revient en France, à Paris d’abord, puis à Sète où il installe son atelier. Il est marié et père de deux jeunes enfants.
Je vous montre ici la plupart des tableaux de l’expo, réalisés dans l’année, mais plus loin, cliquez sur son site, il y a ses autres travaux, notamment les nus — peinture et dessins —, et d’autres travaux hyper intéressants. Et de bien meilleure qualité que mes photos iphone. Un lien avec ses films aussi, générés par la musique qu’il aime. Et une interview de 2011 où il s’exprime en français. Classe ! Un autre monde est le titre de l’exposition.
Pour voir le site de Karl Gietl cliquez ici, ses vidéos sont visible sur Karl Gietl Channel. Et son interview, en français en 2011 à Sète.
Son exposition se déroule à la très étrange chapelle du quartier haut à Sète, lien ici, jusqu’au 7 juillet. C’est urgent de s’y précipiter !
Couperose, poil dans les oreilles ou dans le nez, poils sur les jambes, frisés blonds ou drus bruns, taches de naissance, taches de soleil, peau transparente avec veines apparentes, rougeurs, pores dilatés, alopécie plus ou moins discrète, grains de beauté, taches de rousseur, naevi, pendulums et autres imperfections de l’épiderme, peau blanchâtre, rosâtre, rougeâtre, beigeasse ou black, petites veines rouges dans le globe oculaire, varicosités, stigmates arthritique aux doigts, ongles épais et jaunes ou jolis et brillants, corne sous la plante des pieds, peau épaisse aux coudes, rides et ridules, bouffissures, duvet des visages ou rasage approximatif… ce sont les personnages fascinants de Ron Mueck qu’on ne se lasse pas de scruter. La changement d’échelle y est aussi pour beaucoup dans l’étrangeté, soit qu’ils soient minus soit gigantesques, dans les deux cas l’échelle est respectée, même celle du tissage des vêtements, de la taille des boutons de jeans, des lacets de chaussures, de la maille des tee-shirts.
Beaucoup de tendresse émane de ces personnes vraies comme un souvenir. L’immense couple âgé en maillot de bain sous le parasol, deux géants qui s’appuient l’un à l’autre avec confiance et intime connaissance de leur poids sur le corps de l’autre. La maman qui tient ses sacs plastique pleins de provision et son petit calé sur son ventre, la tête sortie de l’échancrure du manteau, tendue vers elle comme celle d’un oisillon duveteux en attente de becquée. Le jeune black qui soulève son tee-shirt pour montrer sa blessure. Et quelques autres, tout en finesse, en précision, en émotion. Epoustouflant, le travail minutieux, répétitif, fragile, montré dans la vidéo. Quelle belle expo !
Je vous l’accorde, mon jeu de mot ne l’est pas, frais. Pourtant, il pleuvait, ce jeudi, quand je suis allée scruter le nouvel arrivage des heureux élus sélectionnés voisinant avec deux invités de poids : Théo Mercier et Matali Crasset.
(None Futbol Club)
Et c’est que du bonheur ! J’y ai vu une voiture de police retournée comme une veste de politicard opportuniste (ça, c’est un pléonasme), des vidéos de bidons percutants, des sculptures floues, des visages en gouttes,
(Béatrice Dumiot) (Création de G. Goiffon et Ch. Beaute)
(J. Fourrès-Varnier) (Vidéo de Justine Pluvinage)
des grenouilles origami en inox, des formulaires artisés, des dessins académiques, une machinerie à écrire et puis et puis cette artiste qui est venue me parler car je m’intéressais de très près à ses oeuvres : elle s’appelle Léa Barbazanges et son site est ici et ça vaut la peine de cliquer. Le travail de Léa c’est l’expérience des matières tels que … ailes de mouches, toiles d’araignées, fils de verre, aigrettes de pissenlits (celles qui s’envolent quand on souffle dessus) et autres matériaux affolants de fragilité.
(Ailes de mouches de Léa Barbazanges, avec reflets des fenêtres)
Mais allez-y, le salon est desservi par le métro, c’est ouvert tous les jours et c’est libre. Au vu des petites classes qui se pressent avec enthousiasme autour des oeuvres, n’hésitez pas à y aller avec les enfants, pendant ce temps-là, ils ne font pas de bêtises !
Voir site ici. Catalogue doux au toucher : 10€
Vous croyez que je parle de notre mois pourri ! Que nenni, je parle du joli mai 62, merveilleusement filmé par Chris Marker et Pierre Lhomme. Aussi pourri que le nôtre, très froid mais moins de pluie. Qui sort flambant vintage sur nos écrans.
Le réalisateur s’est intéressé au Paris des accords d’Evian qui mettait fin à la guerre d’Algérie, et a filmé un panel de personnages y vivant, y travaillant, y purgeant leur peine ou leurs amours.
Bistrotiers, ouvriers, commerçants, amoureux, petites bourgeoises, on y croise tous ceux que j’ai connus ado. Les témoignages, même quand ils sont longs, sont toujours instructifs et il est surprenant de voir comme cette année-là, en plein mitan des Trente Glorieuses, est tristouille, grisâtre et pauvrette, disons-le tout net. Pas de bling-bling ni de rêves plus gros que le portefeuille — souvent plat — à tel point que les gens ne savent pas ce qu’ils feraient d’une grosse somme d’argent à part un logement et des loisirs très banals. Des petits rêves, des ambitions étriquées. C’était un temps où n’osait pas péter plus haut que son cul, si je peux me permettre.
Oui, c’était une vie simple où l’on rêvait mariage et enfants. Et santé. Les logements sont souvent insalubres, moches, sombres, sans confort, sans parler des bidonvilles. Une femme pleure de joie quand on lui annonce qu’elle est relogée (elle qui vit dans 2 pièces avec son mari et ses huit z’enfants) ! Mais ce nouvel appartement qui la comble de joie, c’est à peine si on oserait y entreposer quelques préciosités. C’était ça, le bonheur, rien, pas grand chose.
Quelques femmes timides, elles laissent parler leur homme à leur place, une femme à chats qui préfère vivre seule que de se colleter avec l’inhumanité de la société, trois jolies soeurs au discours politique rudimentaire et contradictoire. Le général qui vient saluer ses morts, une boîte où l’on twiste mais sur une musique de jazz (c’est quoi, ce travail, Michel Legrand ?), les jeunes femmes en petites robes et colliers de perles, les jeunes gens en costards et chaussures cirées.
Un charmant jeune homme noir puis un autre, algérien, non moins charmant, se confient sur leur vie pas facile et sur le racisme latent, un boursicoteur râle parce qu’on interviewe de jeunes commis et que ce n’est pas à eux de prendre la parole (« pourquoi ne pas interroger des bébés de deux mois ? » ajoute ce monsieur bien-penchant), un cafetier rieur nous vante son quartier de la la Mouffe. Un mariage comme ils étaient avant avec ses tontons bourrepifs qui entonnent le Clair de Lune à Maubeuge et la mamie hilare avec ses lunettes-nez-moustache à la Groucho…
Et beaucoup de visages fermés, soucieux, froncés : non, ils ne sont pas heureux, ces Parisiens, conclut le film avec la voix slamée d’Yves Montand.
Avec le recul, c’est vrai qu’on était premier degré à cette époque. Les gens râlaient mais n’étaient pas hargneux, la jeunesse sortait son nez mais respectait les anciens, les politiques étaient chenus, les hommes portaient cravate et veste, les femmes ne votaient pas, à quoi ça aurait servi ?, les embouteillages régnaient,les cheminées fumaient, les flics couraient ridiculement avec leur pèlerine au vent, les yéyés — le peu qu’on en voit — circulaient en Deudeuche avec les pieds sortant du toit. Il y avait encore la Roquette, prison de femmes et de bonnes soeurs, non chauffée, à la Bastoche, et les morts du métro Charonne dans les mémoires. Et les grèves.
Chris Marker, mort l’an dernier à 91 ans, avait tourné une soixantaine d’heures de rushes pour un film au départ de 7 h. Il eut plusieurs récompenses notamment le Lion d’or de Venise. Il vient d’être restauré et reformaté (2h30) pour sa re-sortie. Il a d’ailleurs été présenté à Cannes cette année. Superbe témoignage.
Cliquez ici pour voir la bande annonce et en savoir plus sur le film et sur Chris Marker.
Le joli mai de Chris Marker et Pierre Lhomme, restauré, actuellement sur les bons écrans.
Deux poids lourds de la scène artistique que je ne connaissais pas, disparus tous les deux, font l’objet de deux grosses expositions impressionnantes : Simon Hantaï et Mike Kelley. Deux artistes vraiment différents.
Mike Kelley était un artiste polymorphe dont la rétrospective donne une petite idée. Il y a de tout, c’est totalement foutraque, tout est interpellant, beaucoup de bruits, d’images animées ou pas, de dessins classiques ou pas, de corps plus ou moins disloqués, de trucs sexuels, de musique, de reconstitutions de décors léchées, d’installations à la va comme je te pousse, d’accumulations, d’humour plus ou moins grinçant… J’y suis allée deux fois, le sujet est inépuisable et épuisant.
Né à Detroit en 54 et décédé « prématurément » (on appelle ça un suicide, non ?) en 2012, il a suivi l’école d’art de Los Angeles où il s’est fait remarquer par ses performances, suivies par une oeuvre graphique très riche, des installations multimedia (retour au matos des seventies) consacrées en bonne partie à la critique de la société de consommation et à l’art.
L’expo se scinde en huit univers qui se chevauchent les uns les autres notamment par les sons très présents.
J’ai particulièrement aimé une vidéo très cruelle ou un jeune ado au visage poupin (qui rappelle un peu Brian Jones) se fait maltraiter par deux coiffeurs très spéciaux…
Et aussi les dessins de parties du corps comme les poumons qu’il déguise en personnages antinomiques (cerveaux de femme et d’homme, coiffés différemment !) ou les intestins qu’il fait surgir de partout.
Au sixième étage, une rétrospective de l’oeuvre énorme de Simon Hantaï (1922-2008), peintre hongrois réfugié en France après-guerre, qui a rejoint Montparnasse et son Gotha, puis vécut définitivement à la campagne avec sa femme et leur cinq enfants. Les dimensions de ses oeuvres nécessitaient un espace conséquent. Ce qu’on voit principalement dans cette rétrospective est découpé en une dizaine de périodes, toutes d’expérimentations, dont les plus connues sont celles des pliages.
Après des débuts figuratifs, une période Pollock, une autre sur la peinture-écriture, Hantaï s’est mis à froisser ses toiles, à les plier, pour ne peindre que sur l’espace visible. Et n’y découvrir le résultat qu’en les dépliant. Il faut voir la taille de certaines toiles (sur la vidéo surtout, celles exposées étant réduites aux murs de Beaubourg), ses magnifiques couleurs, parfois une seule, parfois une variété. Le plus impressionnant se voit donc dans une vidéo où il montre le travail que nécessite les pliages des Tabulas.
Les Tabulas sont des toiles gigantesques (plusieurs mètres), qu’il plie horizontalement et verticalement pour que les plis forment des carrés. Il passe un rouleau pour les aplatir. Ensuite, il noue chaque coin de tous les carrés (comme pour un exercice de tye-and-dye pour ceux qui connaissent). Il y en a des centaines. Cette fastidieuse phase de travail est comparable à la tâche de l’ouvrier, répétant encore et encore le même geste sur de longues périodes. Ensuite, avec une petite brosse, il remplit chaque carré de peinture, l’un après l’autre. Puis il déplie la toile. C’est énorme, le dépliage offre une superbe vision d’un work in progress. L’artiste évoque la façon dont sa mère repassait son tablier, obtenant des carrés plus ou moins brillant.
La période Tabulas est son avant-dernière période, elle dure dix ans. Sur la vidéos, il étale dans son parc plusieurs dizaine d’immenses toiles.
Toutes les autres expérimentations exposées donnent de magnifiques résultats bien que ce ne fût pas le but de l’artiste, comme celles qu’il a appelées les « Meuns », du nom d’un village très de chez lui, où les toiles sont rassemblées depuis les quatre coins noués, puis chiffonnées. Résultats d’une grande élégance.
Expositions au Centre Pompidou de Mike Kelley jusqu’au 5 août et de Simon Hantaï jusqu’au 2 septembre 2013.
Qui n’a pas porté un tee-shirt avec le petit bonhomme de Keith Haring ? Moi. Mais ça n’empêche, ce mec est une véritable icône, un artiste beaucoup plus profond et engagé que ne le laissaient penser ses petits mickeys, vite faits et très bien faits car c’est là une des principales qualités de l’artiste : rapidité et excellence. Dessinant sans arrêt depuis tout petit, il manie ce media comme peu d’autres et est un rare peintre qui exécute n’importe quoi à n’importe quelle échelle (même perché sur d’immenses échafaudages) directement, sans maquette, ni plan, ni crayonné.
Il a commencé par des dessins dans le métro, de la craie sur fond noir car à NYC, on met un fond noir aux emplacements vides d’affiches. Sous l’oeil émerveillé, attendri ou horrifié des usagers, il y allait de son message de liberté, de justice sociale, de critique du monde ou de la religion. Mais il expérimente aussi d’autres techniques tels que collage, performance, video…
Il possède une bonne formation artistique : passage à l’Ivy School of Professional Art de Pittsburgh qui forme au dessin publicitaire, d’où ses oeuvres sous forme de story-boards, mais aussi, après la School of Visual Art de New York, une formation autodidacte sur le travail de Klee, Dubuffet, Pollock, Christo.
Fin des années 70 et début 80, il se frotte à toute la folle mouvance artistique et littéraire du New-York effervescent : Warhol, Burroughs et Geysin, Basquiat. Il assume parfaitement son homosexualité.
Dès ses débuts, ses travaux sont emprunts d’une forte critique de l’environnement et du conditionnement qu’il provoque sur l’être humain, la perte de l’individualité, la violence de la répression, les méfaits de la religion jugée trop envahissante, le racisme. Il travaillera beaucoup sur la mort d’autant plus qu’il se sait condamné par le sida qui aura sa peau à l’âge de 31 ans.
Dans ce tableau contre la religion, un monstre cupide aux langues fourchues, prônant la bonne parole, prend possession de l’homme de différentes manières : matériellement, intellectuellement, sexuellement. Même s’il était profondément respectueux envers les diverses croyances, il en dénonçait les dérives.
Ses très grand formats, qui sont exposés au 104 parce qu’ils ne pouvaient pas être au MAM, montrent le travail qu’il a réalisé à Bordeaux, dans une chapelle. Il y représente les péchés capitaux sur sept gigantesques panneaux qu’il a totalement réalisés … en trois jours !
Dans cette critique visible sur de nombreuses oeuvres, on verra des croix transperçant des corps , se collant aux cheveux ou utilisées comme des sexes, des anges et des diables s’unissant, des mises en scène fustigeant le dogme et la mauvaise influence de l’Eglise colonisant nos esprit « pour notre bien ».
Le capitalisme passe mal, aussi. Le dieu argent ne correspond pas à l’éthique de Keith.
Il représente une truie monstrueuse qui vomit un flot de biens de consommation (voitures, électro-ménagers, écrans, télés, ordinateurs…). L’espèce humaine se noie dans ce courant vert (chez Keith Haring, le vert symbolise plus souvent le dollar que l’écologie bien qu’il soit extrêmement sensible à la sauvegarde de la planète) et quand il y a des rescapés, il se ruent sur les mamelles de celle qui les tue, signifiant que le cycle morbide est sans fin.
En novembre 83, l’artiste graffitiste Michael Steward est assassiné à New-York, roué de coups par la police. Pour sa mémoire, et s’insurger contre cette justice qui innocente les policiers assassins (de noirs, comme c’est le cas ici), il peint ce tableau qui symbolise également l’apartheid en Afrique du Sud (les deux croix sur le globe). L’homme noir au visage terrifié se fait étrangler et piétiner par des hommes blancs, le cou menacé par la main verte de l’argent et de la corruption. Les gens qui l’entourent se cachent les yeux pour ne rien voir alors que se profile la mort. Et tout ce peuple de couleur qui se noie dans le flot de sang.
L’un des combats de Keith Haring concerne le sida, la mort, les drogues et notamment le crack. Lorsqu’il se sait séropositif, en 88, ne sachant pas combien de temps il lui reste à vivre (à peine 3 ans) et déplorant la perte de nombreux amis, Keith redouble d’énergie pour amplifier la cause d’une sexualité protégée. Il faut savoir que le tabou était loin d’être levé à cette époque. Il faut donc se battre aussi contre le silence (silence = death). Il dessine des spermatozoïdes diaboliques, des squelettes urinant sur des plantes, des têtes de mort.
Parmi les icônes de Keith, le chien est l’un de ses préférés, parfois ami, parfois redoutable. Il a souvent peint un bonhomme avec un trou dans le ventre que traversait un chien, comme dans un anneau de cirque. Cette imagerie fait suite à son rêve récurrent après l’assassinat de John Lennon.
En 86, il a l’idée de créer sa pop shop, sa boutique de produits dérivés qu’il tient en personne, avec plein de petits ou gros objets en vente, ceux que l’on connaît et d’autres.
Il a aussi beaucoup oeuvré pour les enfants, créant d’immenses sculptures (à voir au 104) pour des hôpitaux, réalisant une grande fresque à Necker. Il a créé une fondation pour des actions soutenant l’éducation, la recherche ou les soins liés au sida, des organismes à but non lucratifs pour aider les enfants défavorisés.
Keith Haring, belle personne comme on dit, ne manque pas d’humour en nous laissant cette peinture inachevée !
Une immense expo à voir absolument ! Keith Haring. The political Line jusqu’au 18 août 2013. Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris et le 104 Paris. Lien ici