Qui n’a pas porté un tee-shirt avec le petit bonhomme de Keith Haring ? Moi. Mais ça n’empêche, ce mec est une véritable icône, un artiste beaucoup plus profond et engagé que ne le laissaient penser ses petits mickeys, vite faits et très bien faits car c’est là une des principales qualités de l’artiste : rapidité et excellence. Dessinant sans arrêt depuis tout petit, il manie ce media comme peu d’autres et est un rare peintre qui exécute n’importe quoi à n’importe quelle échelle (même perché sur d’immenses échafaudages) directement, sans maquette, ni plan, ni crayonné.
Il a commencé par des dessins dans le métro, de la craie sur fond noir car à NYC, on met un fond noir aux emplacements vides d’affiches. Sous l’oeil émerveillé, attendri ou horrifié des usagers, il y allait de son message de liberté, de justice sociale, de critique du monde ou de la religion. Mais il expérimente aussi d’autres techniques tels que collage, performance, video…
Il possède une bonne formation artistique : passage à l’Ivy School of Professional Art de Pittsburgh qui forme au dessin publicitaire, d’où ses oeuvres sous forme de story-boards, mais aussi, après la School of Visual Art de New York, une formation autodidacte sur le travail de Klee, Dubuffet, Pollock, Christo.
Fin des années 70 et début 80, il se frotte à toute la folle mouvance artistique et littéraire du New-York effervescent : Warhol, Burroughs et Geysin, Basquiat. Il assume parfaitement son homosexualité.
Dès ses débuts, ses travaux sont emprunts d’une forte critique de l’environnement et du conditionnement qu’il provoque sur l’être humain, la perte de l’individualité, la violence de la répression, les méfaits de la religion jugée trop envahissante, le racisme. Il travaillera beaucoup sur la mort d’autant plus qu’il se sait condamné par le sida qui aura sa peau à l’âge de 31 ans.
Dans ce tableau contre la religion, un monstre cupide aux langues fourchues, prônant la bonne parole, prend possession de l’homme de différentes manières : matériellement, intellectuellement, sexuellement. Même s’il était profondément respectueux envers les diverses croyances, il en dénonçait les dérives.
Ses très grand formats, qui sont exposés au 104 parce qu’ils ne pouvaient pas être au MAM, montrent le travail qu’il a réalisé à Bordeaux, dans une chapelle. Il y représente les péchés capitaux sur sept gigantesques panneaux qu’il a totalement réalisés … en trois jours !
Dans cette critique visible sur de nombreuses oeuvres, on verra des croix transperçant des corps , se collant aux cheveux ou utilisées comme des sexes, des anges et des diables s’unissant, des mises en scène fustigeant le dogme et la mauvaise influence de l’Eglise colonisant nos esprit « pour notre bien ».
Le capitalisme passe mal, aussi. Le dieu argent ne correspond pas à l’éthique de Keith.
Il représente une truie monstrueuse qui vomit un flot de biens de consommation (voitures, électro-ménagers, écrans, télés, ordinateurs…). L’espèce humaine se noie dans ce courant vert (chez Keith Haring, le vert symbolise plus souvent le dollar que l’écologie bien qu’il soit extrêmement sensible à la sauvegarde de la planète) et quand il y a des rescapés, il se ruent sur les mamelles de celle qui les tue, signifiant que le cycle morbide est sans fin.
En novembre 83, l’artiste graffitiste Michael Steward est assassiné à New-York, roué de coups par la police. Pour sa mémoire, et s’insurger contre cette justice qui innocente les policiers assassins (de noirs, comme c’est le cas ici), il peint ce tableau qui symbolise également l’apartheid en Afrique du Sud (les deux croix sur le globe). L’homme noir au visage terrifié se fait étrangler et piétiner par des hommes blancs, le cou menacé par la main verte de l’argent et de la corruption. Les gens qui l’entourent se cachent les yeux pour ne rien voir alors que se profile la mort. Et tout ce peuple de couleur qui se noie dans le flot de sang.
L’un des combats de Keith Haring concerne le sida, la mort, les drogues et notamment le crack. Lorsqu’il se sait séropositif, en 88, ne sachant pas combien de temps il lui reste à vivre (à peine 3 ans) et déplorant la perte de nombreux amis, Keith redouble d’énergie pour amplifier la cause d’une sexualité protégée. Il faut savoir que le tabou était loin d’être levé à cette époque. Il faut donc se battre aussi contre le silence (silence = death). Il dessine des spermatozoïdes diaboliques, des squelettes urinant sur des plantes, des têtes de mort.
Parmi les icônes de Keith, le chien est l’un de ses préférés, parfois ami, parfois redoutable. Il a souvent peint un bonhomme avec un trou dans le ventre que traversait un chien, comme dans un anneau de cirque. Cette imagerie fait suite à son rêve récurrent après l’assassinat de John Lennon.
En 86, il a l’idée de créer sa pop shop, sa boutique de produits dérivés qu’il tient en personne, avec plein de petits ou gros objets en vente, ceux que l’on connaît et d’autres.
Il a aussi beaucoup oeuvré pour les enfants, créant d’immenses sculptures (à voir au 104) pour des hôpitaux, réalisant une grande fresque à Necker. Il a créé une fondation pour des actions soutenant l’éducation, la recherche ou les soins liés au sida, des organismes à but non lucratifs pour aider les enfants défavorisés.
Keith Haring, belle personne comme on dit, ne manque pas d’humour en nous laissant cette peinture inachevée !
Une immense expo à voir absolument !
Keith Haring. The political Line jusqu’au 18 août 2013. Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris et le 104 Paris. Lien ici
Texte © dominique cozette