Deux poids lourds de la scène artistique que je ne connaissais pas, disparus tous les deux, font l’objet de deux grosses expositions impressionnantes : Simon Hantaï et Mike Kelley. Deux artistes vraiment différents.
Mike Kelley était un artiste polymorphe dont la rétrospective donne une petite idée. Il y a de tout, c’est totalement foutraque, tout est interpellant, beaucoup de bruits, d’images animées ou pas, de dessins classiques ou pas, de corps plus ou moins disloqués, de trucs sexuels, de musique, de reconstitutions de décors léchées, d’installations à la va comme je te pousse, d’accumulations, d’humour plus ou moins grinçant… J’y suis allée deux fois, le sujet est inépuisable et épuisant.
Né à Detroit en 54 et décédé « prématurément » (on appelle ça un suicide, non ?) en 2012, il a suivi l’école d’art de Los Angeles où il s’est fait remarquer par ses performances, suivies par une oeuvre graphique très riche, des installations multimedia (retour au matos des seventies) consacrées en bonne partie à la critique de la société de consommation et à l’art.
L’expo se scinde en huit univers qui se chevauchent les uns les autres notamment par les sons très présents.
J’ai particulièrement aimé une vidéo très cruelle ou un jeune ado au visage poupin (qui rappelle un peu Brian Jones) se fait maltraiter par deux coiffeurs très spéciaux…
Et aussi les dessins de parties du corps comme les poumons qu’il déguise en personnages antinomiques (cerveaux de femme et d’homme, coiffés différemment !) ou les intestins qu’il fait surgir de partout.
Au sixième étage, une rétrospective de l’oeuvre énorme de Simon Hantaï (1922-2008), peintre hongrois réfugié en France après-guerre, qui a rejoint Montparnasse et son Gotha, puis vécut définitivement à la campagne avec sa femme et leur cinq enfants. Les dimensions de ses oeuvres nécessitaient un espace conséquent. Ce qu’on voit principalement dans cette rétrospective est découpé en une dizaine de périodes, toutes d’expérimentations, dont les plus connues sont celles des pliages.
Après des débuts figuratifs, une période Pollock, une autre sur la peinture-écriture, Hantaï s’est mis à froisser ses toiles, à les plier, pour ne peindre que sur l’espace visible. Et n’y découvrir le résultat qu’en les dépliant. Il faut voir la taille de certaines toiles (sur la vidéo surtout, celles exposées étant réduites aux murs de Beaubourg), ses magnifiques couleurs, parfois une seule, parfois une variété. Le plus impressionnant se voit donc dans une vidéo où il montre le travail que nécessite les pliages des Tabulas.
Les Tabulas sont des toiles gigantesques (plusieurs mètres), qu’il plie horizontalement et verticalement pour que les plis forment des carrés. Il passe un rouleau pour les aplatir. Ensuite, il noue chaque coin de tous les carrés (comme pour un exercice de tye-and-dye pour ceux qui connaissent). Il y en a des centaines. Cette fastidieuse phase de travail est comparable à la tâche de l’ouvrier, répétant encore et encore le même geste sur de longues périodes. Ensuite, avec une petite brosse, il remplit chaque carré de peinture, l’un après l’autre. Puis il déplie la toile. C’est énorme, le dépliage offre une superbe vision d’un work in progress. L’artiste évoque la façon dont sa mère repassait son tablier, obtenant des carrés plus ou moins brillant.
La période Tabulas est son avant-dernière période, elle dure dix ans. Sur la vidéos, il étale dans son parc plusieurs dizaine d’immenses toiles.
Toutes les autres expérimentations exposées donnent de magnifiques résultats bien que ce ne fût pas le but de l’artiste, comme celles qu’il a appelées les « Meuns », du nom d’un village très de chez lui, où les toiles sont rassemblées depuis les quatre coins noués, puis chiffonnées. Résultats d’une grande élégance.
Expositions au Centre Pompidou de Mike Kelley jusqu’au 5 août et de Simon Hantaï jusqu’au 2 septembre 2013.
texte © dominiquecozette