L'ahurissante histoire des algues vertes

Attention : intérêt grandiose pour ce document qui vient de sortir : tout comprendre de la machine à broyer (les petits) que sont nos dirigeants.
Inès Léraud, l’autrice de Algues vertes l’histoire Interdite, un docu-BD ( dessiné par Pierre van Hove) s’est formée à la Femis et à l’école Louis Lumière et réalise depuis 2008 de nombreux documentaires axés sur les enjeux écologiques. Pour ce problème des algues vertes, elle quitte Paris pour s’installer trois ans en Bretagne et commence son reportage par un journal diffusé sur France Culture de 2016 à 2018. Une première parution a eu lieu dans la Revue Dessinée.
Cette BD est beaucoup plus complète et, pour expliciter comment on en est arrivé là (déni total des différents gouvernements), elle fait remonter l’histoire à l’après-guerre, au plan Marshall qui n’a pas eu que du bon. Notamment, le remembrement, c’est à dire la destructions des petites parcelles agricoles, des haies.., pour aboutir à de grandes surfaces industrialisées, rentables. Elle montre comment on a supprimé le travail des paysans pour les envoyer contre leur gré dans des usine. Puis comment (je résume) on en arrive à ces énormes fabriques à viande de porcs (et poulets) qu’on engraisse, sans se soucier du lisier que ces pratiques produisent. Jusqu’à ce que les algues vertes commencent à tuer. Un récoltant, d’abord, puis un cheval, des joggers, des sangliers, des chiens. Le déni d’état est toujours là. Les défenseurs de l’environnement se heurtent aux lobbies, aux grosses firmes très nombreuses, aux préfets qui s’arrangent pour que rien ne sorte, aux activités touristiques etc…
On verra dans ce livre précis, très référencé et précieux, comment tous ces responsables se tiennent le bras (et le portefeuille) pour anéantir la révolte, ou au moins, la reconnaissance de ce tueur en série qu’est l’hydrogène sulfuré. Des plages entières sont interdites, des baies sont transformées en déserts sans aucune faune ou flore, et des scientifiques marrons, des politiciens véreux, des patrons d’industrie iniques continuent à empêcher la vérité (connue de tous) de sortir. C’est écœurant. Quand on lit ça, on comprend l’imbrication de tous les pouvoirs entre eux, ministres de l’agriculture en tête, et le maintien des subventions pour continuer l’aberrante croissance de cette industrie enrichissante pour ce petit monde, destructrice pour l’environnement, ultra-dangereuse pour les vivants. Et encore, il n’y est même pas question de condition animale.
Une seule et maigre victoire : la mort d’un homme (les pouvoirs ont « convaincu » la veuve de façon abjecte de ne pas demander d’autopsie) qui été enfin reconnue comme accident de travail, après exhumation et neuf ans de lutte.
Quand on referme le livre, on voit comment les puissants (des préfets mouillés jusqu’au cou) sont armés pour écraser toute forme de rébellion, et ce, on suppose, dans tous les secteurs d’activité. Un bulldozer qui ne cesse de grandir contre une armée de fourmis que sont les assos de défense, les scientifiques honnêtes, les populations flouées et menacées et tous ceux qui, conscients de la menace, tentent de faire jaillir la vérité afin que ces pratiques cessent.
Un document exceptionnel !

Algues vertes l’histoire Interdite, de Inès Léraud et Pierre van Hove, 2019 aux éditions Revue Dessinée/Delcourt. 160 pages, 20 €.

Texte © dominique cozette

Comment vivre en héros ?

Comment vivre en héros est le titre du livre de Fabrice Humbert que j’ai acheté parce que j’ai cru que son livre l’Origine de la violence avait été adapté au cinéma. Certes, il l’a été, mais par Chouraqui, je ne l’ai pas vu. En fait, je l’ai confondu avec un film formidable, a history of violence de David Cronenberg avec Viggo Mortensen. Bon, ce n’est pas grave tout ça. J’ai donc lu ce livre sur un malentendu et il n’est pas du tout inintéressant. Au contraire, il devient de plus en plus attachant au fil du livre qui nous conte la vie détaillée de Tristan Rivière. Son père, d’origine modeste, est très attaché aux valeurs de la sa caste : probité, courage etc… Hélas, à l’adolescence, Tristant se conduit comme un lâche vis-à-vis de son entraîneur de boxe, et sa petite amie, une jeune fille de rêve, le quitte à cause de ça. Il en est mortifié. Plus tard, jeune homme, il se montrera courageux auprès d’une jeune fille agressée dans le métro par trois voyous. Elle tombe aussitôt amoureuse de cet homme qui devient son héros, malgré leur différence de classe. Elle, c’est la belle bourgeoisie du 16ème promise à un brillant avenir, lui est devenu un petit prof respecté (par un autre acte courageux) dans une cité peu reluisante. Il n’a aucune autre ambition. Ne veut même pas déménager à Paris pour faire plaisir à sa femme qui déteste cette petite bourgade moche, sans aucun poissonnier et a honte de leur petit appartement minable. Le beau-père est plus indulgent et pousse Tristan à de plus grands projets, notamment la politique. Il va réussir à être maire de la cité. Mais pour imposer sa vision d’une ville idéale, devra-t-il abandonner ses valeurs et se compromettre ? Quant à ses enfants, il ne comprend pas que, élevés avec le plus grand soin, ils soient devenus ce qu’ils sont à l’adolescence…
J’avais beaucoup aimé deux autres livres dont j’ai écrit un petit article dans ce blog : Eden Utopie et surtout la Fortune de Sila. J’avais oublié car j’ai une mauvaise mémoire et c’est pour cela que je fais des résumés…

Comment vivre en héros de Fabrice Humbert, 2017. Editions folio, 424 pages. 8,40 €.

texte © dominique cozette

Le Sauvage, quel sauvage !

Guillermo Arriaga est un créateur surdoué. Il a écrit plusieurs livres mais surtout de grands scénarios  comme 21 grammes, Babel, Amours chiennes (tous trois mis en scène brillamment par A.G. Inarritu) et quelques autres. Cette année, il nous offre une vaste fresque impressionnante, passionnante, métaphysique, conte initiatique si on veut. Le livre, un pavé, s’appelle le Sauvage. Mais qui est le sauvage ? Le narrateur, Juan Guillermo qui se fait la peau dure pour venger son frère assassiné ? Un grand loup mâle dominant traqué par un chasseur inuit parce qu’il veut être lui ? Les deux.
Le narrateur, Juan Guillermo a tué son jumeau dans le ventre de sa mère, il s’en remettrait mieux si les membres de sa famille et ses animaux ne mouraient les uns après les autres. D’abord son grand frère, un chic type hyper cultivé qui se fait un blé de ouf en élevant des chinchillas mais aussi en dealant, mais qui refuse de verser des pots de vin au chef de la police… police qui marche avec un groupuscule d’ultra-cathos réacs, les « bons garçons » : ceux-ci punissent ceux qui ne pensent pas comme il faut et ça arrange bien le flic  ripou en chef. Donc le grand frère sera assassiné de façon cruelle pendant que leurs parents se payent un super voyage en Europe. Ils ne s’en remettront pas et en mourront.
Juan Guillermo reste seul dans la maison, avec le vieux labrador et ses deux perruches qu’il laisse en liberté. Il vit plus ou moins avec une étudiante très libre, infidèle, plus mature, dont il tombe fou amoureux. En même temps, il décide de sauver de l’euthanasie un chien d’une force inouïe qui s’avère être un loup. La guerre entre ces deux sauvages va être épique, destructrice mais payante. Il n’a que 17 ans quand il met en place le plan pour venger son frère, une machine impitoyable, alimentée par les conseils d’un dresseur de fauves et d’un avocat retors.
Dans l’autre récit, l’Inuit va aller jusqu’au bout de ses forces pour « avoir » cet animal fabuleux, conseillé épisodiquement par son grand-père mort qui fait des apparitions. On va rencontrer d’autres personnages étonnants, les parents du chasseur qui vont se retrouver, un ingénieur père de trois enfants qui va brutalement en adopter trois autres…
Et puis, en intercalaires, des légendes sur les rites de diverses sociétés, des bribes de philosophie ou de religion, des allusions à Faulkner…
C’est tellement touffu mais tellement simple aussi qu’on se laisse porter par ce récit monté comme ses scénarios, cut et alternés. Formidable !

Le Sauvage de Guillermo Arriaga,2016. 2019 avec la traduction d’Alexandra Carrasco pour les éditions Fayard. 686 pages.

Texte © dominique cozette

Les trois fugues d'Arthur

Arthur H. je l’aime énormément. Sa voix grave et sensuelle, ses textes originaux, ses musiques jazzy, sa vie en marge, sa filiation magique. Arthur écrit superbement bien. Il vient de sortir Fugues, c’est un récit composé de trois parties. L’une, qui ouvre et ferme le livre, se passe dans la chère roulotte où il adore vivre, en pleine nature, loin de tout, déchiffrant courageusement — il n’a pas fait d’études musicales — l’Art de la Fugue de Bach. Bach vient lui rendre visite un soir, dans ce petit havre sans électricité où il possède un clavier basique, et tous deux s’entretiennent amicalement dans un sabir franco-anglo-allemand pour tenter de se comprendre. En fait, Bach réclame une histoire à Arthur comme support de sa création. Alors Arthur lui raconte deux fugues.
La première est passionnante : c’est la fugue de sa mère, Nicole Courtois, le jour de dix-huit ans. S’ennuyant ferme au collège, avec ses copains et son amoureux, ils ont projeté de se barrer pour aller vivre à Tahiti ! Tahiti ! Le petit ami, l’amant même, de Nicole, Roger, poète introverti ultra-sensible, est le frère aîné de Jacques Higelin qui fait partie de l’équipée. Partis d’Argenteuil, ils parviennent en Corse, ils n’ont pas de fric, ne savent rien faire, une vraie galère… L’histoire est racontée comme si Arthur y était. Magique… Ça durera quelques mois. On ne saura pas quand Nicole préfèrera Jacques alors que rien ne le laisse entendre.
La deuxième concerne la fugue que fit Arthur à l’âge de 15 ans, rompant avec l’école et la vie tracée. En vacances pour la première fois avec son père, et aussi sa belle-mère et son petit frère Ken, il est piégé comme Jacques par une omelette aux champignons hallucinogènes : ils vont faire le trip ensemble. Sinon, ce sont des fêtes permanentes chez Coluche. Mais à l’aéroport de Pointe à Pitre, il n’embarquera pas pour rentrer en métropole. Il travaillera sur un bateau aux Antilles et se sentira très heureux d’avoir coupé le cordon…
Quelques photos agrémentent ce récit, c’est pas qu’il en avait besoin mais Arthur semble fier de montrer la beauté de sa mère. Quant à son père, il en parle avec amour bien sûr, mais son indifférence aux problèmes des enfants est impressionnante. Sacré Jacques !
On aimerait des suites… (Voir interview LGL ici)

Fugues d’Arthur H dans la collection Traits et portraits aux éditions Mercure de France. 2019. 190 pages, 19 €.

Texte © dominique cozette

le père Ernaux

Je n’avais pas lu « la Place » quand il est sorti en 82 et je m’attendais à m’ennuyer avec plaisir, comme souvent avec ses récits qui dégagent très peu de ce quelque chose qui ressemblerait à de la joie de vivre, mais je me trompais. La place, c’est celle que son père laisse après sa disparition.Et c’est bien plus tard qu’Annie Ernaux ressent le besoin d’évoquer ce cher disparu taiseux et absolument pas démonstratif. Mutique, même. Un bonhomme, quoi. Le sens du devoir fait, le sens de l’honneur, le sens de sa classe, inférieure, dont on ne sort jamais, mêlé à un peu de honte d’être ainsi et de fierté à rester dans la droiture. Comme on le sait, il tient un café-épicerie à Yvetot en Normandie, un bled, dans une maison modeste où ils vivent tous les trois. Une seule chambre, un seau pour les besoins à vider au petit coin dans la courette, une cuisine contiguë au café, aucun luxe, rien de culturel (qui est un luxe pour eux), rien de superflu, pas de bibelot ou de décoration. Une existence ric-rac.
L’intérêt pour moi de ce récit très court, hormis le fait qu’il est écrit sec et bien centré sur le sujet, c’est qu’il me ramène aux années où j’étais petite, même si je suis plus jeune qu’Annie Ernaux, sachez-le, avec tout ce qu’on a oublié ou dont on croit être les seuls à se remémorer. Tout y passe par minuscules touches, ce qu’on mange, ce qu’on dit, ce qu’on pense, ce qu’on porte… Annie Ernaux sait évoquer avec sa rigueur légendaire le fameux problème de classe dont elle est issue et dont, finalement, elle sera toujours marquée. L’éducation n’efface ni ce complexe, ni la façon de se présenter ou dont on est perçu. Les lacunes du vécu sont trop immenses pour être comblées par la lecture ou les études… En même temps, en étudiant, en passant des diplômes, Annie Ernaux devient une autre, s’éloigne irrémédiablement de la façon d’être de son père. Ils n’ont plus rien en commun, plus rien à se dire. Ce livre, dit-elle chez Pivot en 1985 (à voir ici, elle est vraiment belle et touchante), c’est une réhabilitation de la modeste culture de ses parents. Très très émouvant.

La Place par Annie Ernaux. 1982. Editions Folio. 114 pages., pas cher.

Texte © dominique cozette

Féroces infirmes

Féroces infirmes est le quatrième roman d’Alexis Jenni qui reçut le prix Goncourt pour son premier, l’Art français de la guerre. La guerre encore, donc, racontée du dedans par le père qui partit la faire sans enthousiasme en 1960, qui a 75 ans aujourd’hui, un corps brisé dans un fauteuil roulant que pousse le fils parce que les maisons de retraite virent le père pour sa haine et son racisme. Ce père qui n’a rien digéré de ce qu’il a fait et subi là-bas, avec les autres, comme les autres, une guerre qu’ils ont perdue, dont on ne revient pas vainqueur mais le cerveau amputé d’un morceau d’humanité.
Ici, deux narrateurs qui utilisent le je, ce qui trouble pas mal la lecture, mais en tête de chapitre, on est informé de qui parle. Le père parle de ses années de jeunesse, avant le grand départ, ses sorties avec ses deux inséparables potes puis son amour naissant qui l’émerveille. On est en 58, 60, à Lyon. Il travaille comme maquettiste dans un cabinet d’architecte, celui qui imaginera le grand ensemble dans lequel il vivra tout au long de sa vie. Avec ce fils, plus tard, chargé de lui prodiguer des soins. Et, pire, face à une famille d’adorables voisins, hélas pour lui, arabes. Car il est devenu raciste, très. A la guerre, il a tué de ses mains quelqu’un. Ça le marque, il ne tuera plus personne, plus de Français du moins, car les Arabes, ça ne compte pas. Une longue partie du livre raconte sa guerre en Algérie, dans le maquis toujours, où l’on n’a jamais un instant de repos car ils arrivent de partout, silencieusement, pour tuer. Puis il vit un moment à Alger, beaux passages de l’ambiance de cette ville en plein binz, la mer qui luit au loin, quelques amitiés. Lorsqu’il revient en France, c’est sur le bateau, archi-bondé, qu’il va rencontrer une femme formidable. Qu’il perd dans la foule à l’arrivée. La retrouvera-t-il ?
Désemparé de ne plus avoir de devoir, d’activité physique, débordant de force et d’énergie, il s’enrôle dans un mouvement fasciste.
Le fils, quant à lui, est beaucoup moins affirmé. Il mène une vie sans intérêt, s’entend très bien avec ses voisins arabes, essaie de faire sortir de son père cette lave en éruption pour tenter de le calmer. Il été plaqué par une femme rassurante, comme a été sa mère pour son père jadis, et souhaite que son père meure assez vite. Il est fatigué, il en a marre, ça ne sert à rien de vivre comme ça, comme son père dépendant qui ne lui parle pas.
Très belle écriture, très belles descriptions des époques, des lieux, Lyon, Alger, le bled, et des sensations amoureuses.

Féroces infirmes d’Alexis Jenni. Editions Gallimard, 2019. 320 pages, 21 €.

Texte © dominique cozette

Prix d'excellence !

Le prix Nobel ! Distinction monumentale que doit recevoir le chimiste allemand Otto Hahn, ce jour de décembre 1946. Il est invité dans le Grand Hôtel de Stockholm avec sa femme. Cest l’histoire que va nous livrer Le prix de Cyril Gely, un roman plein de suspense.
C’est dans cette ville que s’est réfugiée Lise Meitner en 1938 car elle était juive et ne pouvait continuer à exercer à Berlin. Elle a travaillé comme physicienne pendant 30 ans avec Otto et lorsqu’elle est partie, ils étaient tout près de trouver enfin le secret de la fission nucléaire mais c’est grâce à elle qu’Otto a pu conclure cette gigantesque recherche. Grâce à elle qu’il a pu envoyer les conclusions de leur découverte à la revue Nature. Mais… il n’a nulle part mentionné le nom de son ex-collaboratrice sans laquelle il n’aurait rien pu faire.
Donc ce jour majeur, où il devrait être le plus heureux des savants, il est mal à l’aise. Il pense que Lise va venir. Oui, elle va venir car elle ne pense qu’à ça : il a gommé tout son travail et ce n’est pas en Suède qu’elle peut repartir. Elle est peu aidée et surtout, elle a dû apprendre la langue.
Le tête à tête a lieu, quelques heures avant la remise du prix par le roi Gustav. Bien préparée à cette joute, elle réussit à le déstabiliser totalement. La partie de ping-pong entre eux deux est acharnée car il n’est pas tout noir. Et puis lui aussi a un joker…
Superbe match, je ne sais pas si tout est réel, en tout cas l’histoire est vraie, les personnages ont existé et ont inventé la fission nucléaire. Pas banal. Passionnant.

Le prix par Cyril Gely. Editions Albin Michel, 2019. 220 pages, 17 €

Texte © dominique cozette

Une Jeune Fille passionnante !

J’avais déjà lu et apprécié les deux tomes suivants de sa vie intime, celui où Godard lui fait la cour et où elle finit par craquer, apprécier le sexe avec lui et l’épouser « une année studieuse »  (article ici) et sa suite en mai 68 « un an après » (article ici) où le couple se délite. « Jeune fille » se situe juste l’année de ses 18 ans, elle est en première dans une école religieuse, c’est une oie blanche. Une amie (celle qui joua Jeanne d’Arc) la présente alors à Robert Bresson qui cherche l’héroïne de son prochain film « au hasard Balthazar ». Il la trouve parfaite, fait mine de faire des essais avec d’autres mais est tout de suite conquis par la jeune fille et son innocence non feinte. Son grand-père, François Mauriac, en l’absence de son père décédé, lui donne son aval car une expérience comme celle-ci ne se refuse pas. Et puis ce n’est pas Vadim le sulfureux, c’est un homme de talent et catholique : il est sûr que sa petite fille sera en bonnes mains. Il ne se trompe pas car Bresson les pose  (ses mains) sur les joues, les bras, les épaules d’Anne qui l’affole totalement. Ils doivent tourner tout l’été en Normandie : il la veut tout le temps très de lui, même quand elle ne joue pas. Il a pris deux chambres dans une maison d’hôtes où ils seront ensemble, juste la salle de bains entre eux…Il ne prend pas ses repas avec l’équipe mais avec elle. Bref, il la garde prisonnière. C’est le surnom que l’équipe lui donne.
Ce qui n’est pas pour lui déplaire, elle le trouve charmant, cultivé, attentionné. Elle aime que quelqu’un soit entièrement dévoué à sa personne. Mais lorsqu’il essaie de poser ses lèvres sur les siennes, elle refuse. Elle a une relation très équivoque avec cet homme amateur de chair fraîche mais ne sachant rien de la vie sexuelle, elle s’étonne des pulsions masculines en même temps qu’elle enfouit son visage dans le cou du réalisateur quand ça ne va pas. Etrange.
Alors, sur le conseil d’une amie de 25 ans, elle prend un amant, un technicien du film qui lui faisait la cour. Il est charmant, il la dépucèle puis l’ignore ensuite. Elle est déconfite mais au moins très fière d’être devenue une femme. Et semble penser que son visage a changé et que tout le monde va le savoir. Mais non. Rien ne change. Un week-end où Bresson la libère, elle revoit enfin sa mère à Paris qui revient de ses vacances à Ré, toute papillonnante et bronzée. Elle non plus ne remarque rien, alors Anne lui annonce, très fièrement, qu’elle n’est plus vierge. Quelle n’est pas sa déconvenue face à la réaction de dégoût de sa mère ! Décidément, personne ne la comprend. Et puis Robert (Bresson) lui manque tellement qu’elle se jette à son cou en revenant de Paris.
Un livre vraiment charmant et frais, décrivant bien les obsessions d’un homme mature face à une innocente adolescente. En même temps que la volonté irrésistible de la jeune fille pour faire carrière dans le cinéma qu’elle trouve passionnant, tout le reste lui semblant dorénavant très morne et décevant.
Une belle écriture fluide, simple, et sans chichis comme Anne Wiazemski devait l’être.

Jeune fille par Anne Wiazemski aux éditions Gallimard 2007, 218 pages. Existe en Folio.

Texte © dominique cozette

Drôle d'autiste Asperger, très drôle !

Autiste Asperger, c’est ainsi qu’il se présente, Olivier Liron, dans le prologue de Einstein, le sexe et moi : « je suis autiste Asperger. Ce n’est une maladie, je vous rassure. C’est une différence. Je préfère réaliser des activités seul plutôt qu’avec d’autres personnes. J’aime faire les choses de la même manière. Je prépare toujours les croque-monsieur avec le même Leerdammer. […] Pour m’endormir, je fais parfois le produit de 247 896 fois 91 » toute une liste de manies assez particulières… Très instructif.
Ce livre est très drôle car Olivier a beaucoup d’humour. et l’histoire peut paraître très simpliste : il nous raconte comment il a participé  à Questions pour un super champion, réservé aux gagnants de Questions pour un champion. Mais il fait beaucoup de diversions sur sa vie personnelle. Il nous apprend comment sa mère lui a transmis le goût de la réussite. « J’ai eu un parcours d’élève modèle. Baccalauréat à 17 ans, classe préparatoire littéraire à 18 ans, entrée à l’Ecole normale supérieure à 20 ans. Agrégé à 23 ans. Enseignant à la Sorbonne à 24 ans. Julien Lepers à 25 ans. Dépucelage à 26 ans. Dépression à 27 ans. »
Entre sa rage à vaincre les candidats en lice et la façon qu’il a de voir/savoir les réponses, il livre des pans de son enfance où il fut un enfant martyrisé par ses pairs, souvent battu, harcelé, accroché au grillage par les oreilles (!), non, ça n’a pas été facile car personne ne se portait à son secours. Il nous raconte aussi des anecdotes amusants sur Julien Lepers et sur le jeu. Et nous parle avec humour de ses douloureux échecs par rapport au sexe où il en a pris plein la g… Mais il est venu à la télé pour gagner et il en veut.  Un livre instructif et très divertissant.

NB : Il est beau garçon, découvré-je, en regardant une interview récente. C’est ici.

Einstein, le sexe et moi par Olivier Liron, 2018 chez Alma, Editeur. 198 pages. 18 €

Texte © dominique cozette

La routarde qui monte au nez de certains

Certes, le jeu de mots n’est pas fameux mais il illustre l’activisme (agaçant pour certains) de cette infatigable féministe de plus de 85 ans qui taille la route depuis des décennies auprès des communautés de femmes (ou gays ou personnes défavorisées) pour les aider à réagir face au patriarcat, au mâle blanc omnipotent, au colonialiste, au sexiste. Son livre s’intitule Ma vie sur la route (sous-titre mémoires d’une icône féministe). Elle s’appelle Gloria Steinem et elle est (encore) très belle, beauté qui ne l’a pas beaucoup aidée quand elle s’engageait face à des hommes qui l’imaginaient décérébrée. Enfant, elle vivait avec ses parents de ville en ville dans un mobil home car son père avait la bougeotte, ce qui brisa la brillante et naissante carrière de journaliste de sa mère qui ne s’en remit pas vraiment. Ils se sont séparés, elle s’est fixée.
Dans Ma vie sur la route, Gloria évoque des centaines d’anecdotes, de récits, de réactions, de commentaires de personnes rencontrées, du plus bas de la société — la majorité — aux personnalités les plus importantes au sommet de l’état. Certaines son très amusantes, d’autres assez sidérante sur la place (!) consentie aux femmes par les hommes dans certaines strates ou sectes, d’autres enfin un peu longuettes quand on n’est pas américaine et que certaines choses ne nous parlent pas. Mais ce n’est pas grave. La rencontre la plus attachante est celle avec Wilma Mankiller, la charismatique cheffe de la nation Cherokee qui lui a appris, entre autres, l’importance de la culture amérindienne niée et détruite par les colons, leur façon extrêmement sophistiquée de cultiver les plantes, par exemple, le pourquoi des tumulus dans les contrées indiennes. Elle devaient écrire ensemble l’histoire de Wilma mais celle-ci est tombée gravement malade et est morte entourée de tout une petite foule d’admirateurs et de Gloria qui est restée jusqu’au bout avec elle. Poignant.
Gloria Steinem est très populaire aux Etats-Unis, elle a d’abord été journaliste au New York Magazine, puis dans le célèbre  magazine Ms. — qu’elle a co-créé en 1971. Elle est même devenue un personnage chez les Simpson, c’est dire !
Je ne la connaissais pas jusqu’à ce qu’elle passe à La grande librairie le mois dernier sur le thème du féminisme.
C’est un livre impressionniste mais aussi impressionnant, il est d’ailleurs préfacé par Christiane Taubira. Pour ceux qui jugent que les femmes activistes de 73 ans sont fragiles et rester chez elle, en voilà un beau démenti !

Ma vie sur la route de Gloria Steinem, 2015. Traduit par Karine Lalechère, 2019 chez Harper Collins. 416 p., 19 €.

Texte © dominique cozette

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