Les Fessebouqueries #601

Il y a quand même des problèmes qui fâchent dans l’actu de cette semaine. Je ne dis pas que tout va mal, la preuve, tout va bien, notre compteur Linky s’occupe de nous chauffer (les glandes), il n’y a pas de pénurie aux pompes (dans le Q), les smicards vont pouvoir se payer grave du bon temps, et puis notre gouvernement penche vers l’honnêteté en nous affirmant que les Kohler, Dupont-Moretti et autres mis en examen ou du moins présumés innocents des viols qu’ils ont commis sont des gens probes, propres, de bons éléments macaroniques (mon correcteur est un petit rigolo) à qui on peut faire confiance, donc de quoi se plaint-on ? Ah bah voilà, y a une bonne femme très chiante qui a volé le prix Nobel à plein de types vachement bien, la bonne femme qui fait rien que d’écrire sur la cause des femmes (la cause des femmes !!! mais quelle cause ? Qu’elles causent et arrêtent avec ça) et la cause des salauds de pauvres qui n’auraient pas les mêmes chances que les salauds de riches. Franchement, on marche sur la tête de nœud, là.  A la niche, les meufs, merde quoi ! Qu’elles nous laissent trinquer tranquille entre potes décontractés du gland ! Donc tchin tchin, dearest friends de mes deux !

– GI : Si vous avez des problèmes d’insomnie, au lieu de compter les moutons, essayez de trouver le nombre de mis en examen de la Macronie…
– OK : Lundi matin : —  T’as fait quoi ce weekend ? —  J’ai fait le plein.
– GD : Avec les larmes de la fachosphère sur le prix Nobel d’Annie Ernaux aujourd’hui, on pourrait refroidir tout le parc nucléaire français pour des années.
– GL : Ernaux, ça vous cloue le Houellebecq.
– NA : Nobel : on peut dire que Michel Houellebecq l’a dans la dernière lettre de son nom.
– CC : C’est super pour Annie Ernaux mais aux states Joyce Carol Oates commence à s’impatienter donc cette année en signe de bouderie elle n’écrira que sept livres en trois mois
– RT : Je comprends toujours pas pourquoi LREM s’est rebaptisé « Renaissance » et pas « Présomption d’innocence »
– MPG : Elisabeth Borne : « Je tiens à rassurer les Français, s’il y a un risque de coupures d’eau ou d’électricité cet hiver, il n’y a pas de risque de coupures de dividendes pour les actionnaires. »
– JLL : Il n’y a pas que dans la nature qu’il y a des espèces en voie de disparition, j’ai remarqué qu’il y en a aussi dans beaucoup de portefeuilles.
– PR : Je me ferais bien une prise illégale d’intérêts vite faite, avec un peu de trafic d’influence. Mais personne ne me le propose. La vie est trop injuste. C’est toujours les mêmes qui profitent des bons plans.
– MA : Dupond-Moretti trouve qu’il est légitime à son poste parce qu’il garde la confiance de Macron et Borne. Ça fait deux Français sur 67 millions. En monarchie, ça irait mais en démocratie ça fait court…
– MPG : Bruno Le Maire annonce la nationalisation du groupe Damart « pour répondre aux enjeux climatiques et énergétiques actuels. »
– RT : Je vois les macronistes mettre des cols roulés, du coup j’en déduis que les tribunaux ne seront pas chauffés cet hiver.
– MPG : Remaniement ministériel : Gilles Le Gendre est nommé secrétaire d’Etat à l’électroménager.
– MPG : Agnès Pannier-Runacher : « Avec le chèque étendoir de dix euros, chaque Français pourra faire sécher son linge de manière écologique. »
– EB : Les Émirats Arabes Unis organiseront la 111e édition du Tour de France, en 2024. Pour la première fois depuis sa création, le Tour de France se déroulera intégralement dans un pays étranger.
– CH : Je pense toujours que la lettre de motivation c’est le truc le plus humiliant de notre société moderne : on doit jouer aux saltimbanques pour caricaturer l’idée qu’on va adorer le boulot pour faire plaisir au patron alors qu’on veut juste réussir a payer nos factures.
– GE : Aurore Berger « Je ne pense pas que l’augmentation du SMIC rende service aux salariés ». Je propose que Aurore Berger touche le SMIC pour lui rendre service.
– MGC : L’Arabie saoudite désignée pour accueillir les Jeux asiatiques d’hiver en 2029. Marseille désignée pour accueillir les Journées Mondiales de la Courtoisie au volant.
– NA : Éric Dupond-Moretti : je réponds quoi aux journalistes qui me questionneront sur mon renvoi devant la Cour de justice de la République ? McKinsey : Gardez le silence et portez un col roulé.
– OM : « Dupond-Moretti et Kohler maintenus : Véran appelle à ne pas « confondre mise en examen et condamnation ». Je crois qu’il est en train de confondre « nous prendre pour des cons » et « nous prendre pour des cons ».
– NA : Comme Dupont-Moretii et Kohler, je fais le choix de la sobriété éthique.
– PA : A cause du prix du gaz, le tarif des crémations risque d’augmenter de 40% en 2023. Faites vous incinérer dès maintenant !
– NA : J’ai rempli dix jerricanes d’essence et j’en ai profité pour vider le rayon PQ du supermarché parce que si tout le monde fait comme moi, on va en chier.
– CC : Dans Le Parisien, au procès pour emploi fictif de Jean-Chistophe Lagarde, l’audition de Belle-Maman est terrible : la voix bredouillante, elle a justifié ses 39 000€ d’indemnités « en parlant de son étude des sommaires des journaux en allant au bar-tabac ».
– MPG : Suite à ses signes ésotériques à l’assemblée nationale, Sandrine Rousseau sera brûlée pour « crime de sorcellerie » en place de Grève samedi 8 octobre 2022.
– NA : Mon compteur Linky a changé ma serrure et refuse de me laisser entrer parce que mon ballon d’eau chaude est resté allumé toute la nuit.
– DC : Les publicités lumineuses interdites entre 1 heure et 6 heures partout en France (le Monde). Fin du gag.
– DE : Les éléphants du PS y vont tous de leur tweet pour refuser de marcher le 16 octobre prochain. Je les comprends et je trouve ça plutôt logique, ça pourrait laisser penser qu’ils sont de gauche ! T’imagines !!!?
– DC : Pour Macron, tout est bon pour garder ses mis en examen : « Alexis Kohler ne démissionnera pas, c’est un mec bien, il se lave bien les mains après être allé aux toilettes ».
– DA : C’est marran,t les groupes WhatsApp de flics racistes ça fait vachement moins de bruit que les groupes WhatsApp de meufs qui se préviennent des mecs violents.
– MPG : Christophe Béchu : « Rien n’est plus fatigant que de remettre perpétuellement à plus tard un travail pas commencé. »
– DC : —  Mais comment as-tu trouvé le temps d’écrire ce gros bouquin ? — Bêtement, en allant faire de l’essence.
– CD : Conseil aux hommes frileux : maquez-vous avec une fraîchement ménopausée. Vous bénéficierez de ses bouffées de chaleur à chaque câlin.
– ME : Punaise, je viens de m’apercevoir que la température chez moi est remontée à 21°C. J’allume tout de suite la clim pour redescendre à 19° comme me l’a demandé Macron notre guide.

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RAPPEL : Je collecte au long de la semaine les posts FB et les twitts d’actu qui m’ont fait rire. Les initiales sont celles des auteurs, ou les premières lettres de leur pseudo. Illustration ou montage d’après photo web © dominique cozette. On peut liker, on peut partager, on peut s’abonner, on peut commenter, on peut faire un tour sur mon site, mon blog, mon Insta. Merci d’avance.

L'herne Ernaux

Ça sonne pas mal, ce titre de bouquin. Ce n’est pas un bouquin, c’est une publication (voir ici tous les auteurs et personnalités qui y ont été consacrés depuis 1960) qu’à vrai dire je ne connaissais pas. Or, comme je m’intéresse de près à l’œuvre d’Annie Ernaux, je me suis fait offrir ce gros beau pavé pour mon anniv. Et c’est vraiment formidable car c’est un « cahier » très varié bourré d’informations, d’articles, de critiques, d’extraits etc… sur cette autrice. De nombreux artistes, écrivains philosophes, journalistes et j’en passe, y ont écrit des textes qu’il est très plaisant de découvrir. Certains sous forme de thématique par rapport à un ouvrage précis (Les Années, l’Evénement, Mémoire de fille...), d’autres sous forme d’analyse de son œuvre marquée principalement par son complexe de classe, d’une part, et son féminisme.
Il y a aussi, bien sûr, des textes d’Ernaux elle-même issus de conférences, d’articles envoyés à des journaux, le Monde, Libé, quand elle ne pouvait plus tenir sa langue et contenir sa colère. Et des souvenirs inédits sur ses études, ses déplacements, ses élèves lorsqu’elle était prof…
Le plus intéressant, à mes yeux, sont les extraits de son journal (intime) dont on suppose qu’il sera passionnant à découvrir mais seulement après sa disparition, selon son souhait. Pour autant, je souhaite qu’elle reste parmi nous encore longtemps et continue à décortiquer son vécu personnel qui, de l’avis général, est devenu universel.
Je ne saurais en dire plus mais ceux qui aiment Ernaux ne manqueront pas ce rendez-vous important, à dévorer frénétiquement ou à déguster par petites touches selon ses disponibilités.

L’herne Ernaux, 2022, aux Cahiers de l’Herne. Grand format. 320 pages, 33 €.

Texte © dominique cozette

La femme gelée

La Femme gelée d’Annie Ernaux, le titre m’a longtemps rebutée, je pensais à frigide, mais comme je suis plongée aussi dans les cahiers de l’Herne, je comprends que j’ai fait fausse route. Gelée s’entend comme figée. Figée dans son rôle de femme défini dès la naissance et quoi qu’il se passe dans sa vie. Annie Ernaux a compris que la condition féminine nous entraînait dans le piège terrible de la femme « dedans » la maison, car dehors est le terrain de l’homme. C’est comme un arrêt sur image (frozen picture) qui coupe net tous les élans qu’elle avait depuis sa petite enfance, la curiosité, l’audace, l’indépendance.
Et ce livre, son troisième est d’un style ahurissant, très dense et loin de son écriture plate habituelle. Elle déroule comme en accéléré le film de sa vie et y retrouve pratiquement gravés tous les portraits de femmes qui l’entouraient, non pas des fées du ménage ou des foutues femmes au foyer compétentes et maniaques mais des  personnages hauts en couleur, au verbe asséné, peu soucieux de leur apparence, des femmes pas coquettes et se fichant de tenir la maison comme on l’entend dans le milieu bourgeois. Elle n’a pas eu le « bon » modèle, celui qui l’aurait façonnée, préparée à la vie future, les mômes à torcher, d’où son ahurissement lorsqu’elle s’est retrouvée dans ce pétrin.
Qu’on en juge : dans le modeste café tenu par ses parents, c’est son père qui épluche les patates et fait la vaisselle tandis que sa mère fait beaucoup d’autres choses, notamment la compta. mais elle lit aussi, beaucoup, elle ne peut pas s’en passer et elle va pousser sa fille à s’enrichir l’esprit pour pouvoir sortir de leur condition. Le père leur demande pourquoi elles perdent leur temps ainsi, lui ne lit jamais. Donc pas de schéma classique chez elle. Et puis ses copines sont parfois des garçons manqués comme elle, pas toujours mais quand on joue dehors toute la journée, on se fiche de tout ça.
A l’adolescence, elle comprend qu’il faut plaire aux garçons, elle-même conçoit beaucoup de désir pour ces personnages tellement différents et suscitera la première rencontre pour le premier flirt. Ensuite, vite, perdre sa virginité mais pour autant, travailler d’arrache-pied pour réussir. Elle deviendra étudiante, commencera à réaliser que le monde des hommes est plus libre que celui des femmes et rencontrera celui qui deviendra son mari. C’est rigolo, au départ, on fait tout ensemble, la chambre louée, on s’en fout puisqu’on bosse, qu’on va à la bibliothèque, au resto U et au cinoche.
Lorsque l’enfant paraît, pas spécialement désiré (interrogation sur un avortement), ça passe encore, le papa compatit, « aide » un peu, s’occupe du Bicou etc. Mais lorsqu’il a enfin trouvé son emploi de cadre et même si elle tente de dégager du temps pour son capes, il devient le mari qui régente : la maison, la bouffe, l’enfant qui dort quand il rentre, bref le vieux schéma se met en place sans moyen de l’éviter.
Ce n’est pas l’histoire qu’elle raconte, terriblement classique qui m’a emballée, c’est sa façon de faire ressurgir tous les souvenirs de l’époque des baby boomers, de l’espoir d’une vie meilleure, plus égalitaire, et d’y faire revivre de façon extrêmement dynamique avec des centaines de petits détails notre histoire, des centaines de petites images ou chansons qui nous reviennent en mémoire. Et c’est aussi le glissement progressif qu’elle décrit superbement, qui guette chaque femme dont le destin se lie à celui d’un homme, pas méchant bien sûr, mais lui aussi élevé dans une forme de virilité qui lui interdit de compatir un peu plus aux tracas de sa femme qui aimerait tout comme lui avoir du temps pour le tennis, le cinéma, les copines. Mais non. Il faut briquer, faire cuire et emmener le Bicou au parc avec les autres landaus.
Passionnant !

La Femme gelée par Annie Ernaux, 1981. Editions Folio poche, 184 pages. Pas cher.

Texte © dominique cozette

L'avortement vu par un homme

 

Qui a peur d’Annie Ernaux est le titre intrigant de ce court texte de Jerôme Deneubourg. Oui, pourquoi Annie Ernaux ? Parce qu’elle a fait le récit d’un avortement qu’elle avait subi en 1963, c’était parfaitement interdit alors, mais elle en a dit qu’elle était fière de l’avoir fait, ce qui pouvait induire qu’elle faisait peur, comme souvent les militantes.
Le narrateur, qui est aussi l’auteur, a rencontré une Argentine venue poursuivre sa recherche à Paris pour une thèse. Ils passent un peu de bon temps ensemble à Paris, elle ne propose pas de prendre de précautions car elle n’est pas dans une période fertile. Puis elle repart dans son pays, pas de pathos amoureux mais une amitié à cultiver. Seulement un jour, elle l’appelle pour lui dire une chose d’importance, sur Skype uniquement, pour qu’il n’y ait pas de traces. Elle lui apprend qu’elle est enceinte, que c’est une catastrophe car en Argentine, un avortement peut coûter au mieux huit ans de prison, au pire la mort. Car aucun médecin n’est autorisé à le pratiquer. Il reste la clandestinité, il faut de l’argent, trouver la filière, surtout faire en sorte que personne de l’entourage ne le sache. Même les parents, ultra cathos, ne le supporteraient pas : c’est une déchéance, un péché mortel.
Alors l’homme rassemble la forte somme et se rend le plus vite possible en Argentine. A partir de là, il livre un récit qui fait peur : la femme tétanisée par la décision à prendre, puis l’opération en elle-même dans un endroit pas très net où on lui ordonne, en cas de problèmes post-opératoires, de ne pas consulter de médecin, de ne se fier qu’aux anti-douleurs que le type, bizarre, lui fournit. Ou d’envoyer un mail à cet endroit.
Et là, ça ne se passe pas bien. La femme est sujette à de violentes douleurs. Elle envoie un mail mais pas de réponse en vue. Elle se bourre d’anti-douleurs, saigne, son ventre gonfle. Son ami, très mal à l’aise, l’aide comme il peut. Comme elle lui a demandé le secret absolu, il se cache pour consulter quelques relations médicales en France, essayer de savoir si quelqu’un peut aider à Buenos Aires…
Cette histoire est terriblement inquiétante, les « opérants » sont des marlous qui profitent de la détresse des femmes, et le narrateur se sent complètement largué par tout ce qui arrive, tout en ayant soin de la rassurer pour ne pas l’inquiéter davantage.
Un mois plus tard, il trouve naturel d’envoyer le récit à Annie Ernaux. Qui lui répond et l’encourage à publier l’histoire.
C’est une histoire vraie, touchante, sans fioritures, rapportée d’une belle écriture classique, un peu à la Ernaux, qui montre, ce n’est pas courant, comment un homme peut réagir à une épreuve qui concerne les femmes dans leur plus profonde intimité.

Qui a peur d’Annie Ernaux de Jerôme Deneubourg, 2019 aux éditions Lunatique. 120 pages, 12 €.

Texte ©dominique cozette

Se perdre, oui, pour se perdre…

Se perdre est un livre d’Annie Ernaux emprunté à ma petite bibliothèque de l’été. En fait ce n’est pas réellement un livre, c’est la transcription mot pour mot du journal qu’elle a tenu lors de son histoire avec S., le diplomate russe, en 1988. Elle en avait tiré Passion simple, sous la forme romancée habituelle. Puis quelques années plus tard, retrouvant ce journal, elle décide de le publier tel quel, sans ajout ni retrait. Je dois dire que c’est calamiteux, c’est ça qui est intéressant. Imaginez un peu : elle a 48 ans, elle est mince, grande, sérieuse, reconnue voire célèbre, intello. Lui est très grand, blond, russe, marié à une petite femme grassouillette, il porte des slips et des tricots de peau russes hideux, il garde toujours ses chaussettes pour faire l’amour, il est quasi inculte, il boit comme un trou, fume comme un pompier et se damne pour tout ce qui est bling bling. Il a une grosse voiture, un costard St Laurent, une cravate Guy Laroche. Il est beaucoup plus jeune qu’elle, il travaille à l’ambassade …

Ils se rencontrent lors d’un voyage littéraire à St Pertersbourg car il accompagne un cheptel d’écrivains. Le dernier soir, ils font l’amour. Puis, comme il est basé à Paris, ils se revoient. Elle habite à 40 km, à Cergy, et quand il vient la retrouver, l’ayant prévenue par téléphone, il reste en général quatre heures et ils ne font que l’amour. Boire et grignoter. Il est plein de désir, elle-même en meurt tellement elle n’attend que ça, et lui ne demande qu’à se perfectionner dans l’art de la baise. Sodomie, fellations, positions, longues caresses bucco-génitales, Annie ne nous passe rien. C’est d’une indécence totale, non pas ce qu’ils font, mais le fait qu’elle ne vit que pour ces moments intimes et jouissifs qui la rendent d’autant plus malheureuse après qu’elle ne se sent pas aimée. Elle guette tous les signes qui pourraient lui faire croire qu’il a une réelle affection pour lui mais rien. Elle passe ces deux ans à pleurer à chaudes larmes tellement elle est malheureuse. Elle suppose même vers la fin — il vient moins souvent — qu’il a une autre maîtresse en plus de sa femme à qui il fait souvent l’amour.  Mais on n’en saura rien. Elle devient indifférente à tout le reste, plus rien ne la touche, son moteur est à l’arrêt, l’écriture est impossible, à part ce journal qui la remet en situation.
Ce journal est donc une litanie de gémissements tragiques, de ressassement dramatique vaguement perlés de petits pics de joie lorsque la relation lui laisse encore une trace de complicité. C’est cru, je ne parle pas des séances car elle ne décrit pas dans le détail ce qui s’y passe, mais de la misère dans laquelle elle semble se complaire comme si elle était réellement maso (c’est moi qui pense ça), on a l’impression qu’elle érige sa douleur VS son désir violent et permanent en totem massif et écrasant. Durant toute cette affaire, elle ne prend plaisir à rien (à rien d’autre que les rapports), ne fait rien, met plus de six mois à rédiger un pauvre article, ne sort pas avec des ami.e.s (en a t-elle seulement ?), même ses fils (qui sont adultes) l’embarrassent quand ils passent, l’empêchant de se concentrer sur ce mal d’amour qui la ronge. J’oublie de le dire : dans ces années-là, il n’y a pas d’internet ou de mobiles et comme la femme de S. est sa secrétaire à l’ambassade (où Annie se rend car elle est souvent conviée à des soirées culturelles), elle ne peut pas téléphoner. Elle est donc réduite, comme n’importe quelle midinette soumise, à attendre qu’il la contacte. Le plus dur c’est qu’il ne lui dit pas vraiment quand il sera rappelé à Moscou, et toujours elle craint qu’il ne la préviendra même pas lorsqu’ils déménageront.
Cette femme, par ailleurs brillante, se laisse voir sous un jour pathétique, extrêmement dévalorisant, c’est une loque névrosée, sa soumission odieuse, flagrante, ne mènera à rien. Elle le sait puisqu’elle l’a déjà vécu  avec les autres (elle en fait référence et compare ses douleurs). La fin est d’ailleurs encore plus pénible que le début puisque, comme S. vient de moins en moins, elle raconte ses rêves dans son journal.
Mais c’est intéressant.

Se perdre d’Annie Ernaux, 2001 aux éditions Gallimard. 296 pages. 110 fr. 16,77 € . Et chez Folio.

Texte © dominique cozette

le père Ernaux

Je n’avais pas lu « la Place » quand il est sorti en 82 et je m’attendais à m’ennuyer avec plaisir, comme souvent avec ses récits qui dégagent très peu de ce quelque chose qui ressemblerait à de la joie de vivre, mais je me trompais. La place, c’est celle que son père laisse après sa disparition.Et c’est bien plus tard qu’Annie Ernaux ressent le besoin d’évoquer ce cher disparu taiseux et absolument pas démonstratif. Mutique, même. Un bonhomme, quoi. Le sens du devoir fait, le sens de l’honneur, le sens de sa classe, inférieure, dont on ne sort jamais, mêlé à un peu de honte d’être ainsi et de fierté à rester dans la droiture. Comme on le sait, il tient un café-épicerie à Yvetot en Normandie, un bled, dans une maison modeste où ils vivent tous les trois. Une seule chambre, un seau pour les besoins à vider au petit coin dans la courette, une cuisine contiguë au café, aucun luxe, rien de culturel (qui est un luxe pour eux), rien de superflu, pas de bibelot ou de décoration. Une existence ric-rac.
L’intérêt pour moi de ce récit très court, hormis le fait qu’il est écrit sec et bien centré sur le sujet, c’est qu’il me ramène aux années où j’étais petite, même si je suis plus jeune qu’Annie Ernaux, sachez-le, avec tout ce qu’on a oublié ou dont on croit être les seuls à se remémorer. Tout y passe par minuscules touches, ce qu’on mange, ce qu’on dit, ce qu’on pense, ce qu’on porte… Annie Ernaux sait évoquer avec sa rigueur légendaire le fameux problème de classe dont elle est issue et dont, finalement, elle sera toujours marquée. L’éducation n’efface ni ce complexe, ni la façon de se présenter ou dont on est perçu. Les lacunes du vécu sont trop immenses pour être comblées par la lecture ou les études… En même temps, en étudiant, en passant des diplômes, Annie Ernaux devient une autre, s’éloigne irrémédiablement de la façon d’être de son père. Ils n’ont plus rien en commun, plus rien à se dire. Ce livre, dit-elle chez Pivot en 1985 (à voir ici, elle est vraiment belle et touchante), c’est une réhabilitation de la modeste culture de ses parents. Très très émouvant.

La Place par Annie Ernaux. 1982. Editions Folio. 114 pages., pas cher.

Texte © dominique cozette

Trous de mémoire de fille d'Annie E.

Annie Ernaux se raconte encore. Cette fois elle fait ressurgir la fille de 18 ans, son âge en 1958, sa première séparation d’avec ses parents, petits épiciers d’Yvetot (Normandie) pour faire la mono dans une colo où, finalement, elle fera surtout des frasques. Le livre s’appelle mémoire de fille mais il semblerait qu’elle fait pas mal de confusions dans ses souvenirs. Elle a retrouvé des lettres de cette époque, elle cherche des tas d’indices mais elle raconte des choses que les filles d’alors ne pouvaient pas connaître comme les serviettes périodiques jetables (apparues en France en 63) et les vacances de février (en 72). C’est pas que je sois pointilleuse mais ça m’a frappée comme d’autres détails qui sont plus de l’ordre de son ressenti et que je ne peux vérifier, par exemple quand elle dit porter un jean en 1958, certes, ça existait mais la façon dont elle décrit sa garde-robe restreinte, portant une jupe en tweed épais avec un manteau 3/4 en plein mois d’août pour se rendre en train à la colo exclue qu’elle ait pu se mettre à la mode rock’n roll, elle qui était si sage, avec des parents si pauvres et si peu de tentations dans son village.
Pourquoi je dis ça ? Parce que la mémoire est mouvante. La sienne en particulier. Même si elle essaie d’être au plus près de ce qu’elle a été à 18 ans. Parce qu’elle essaie de récupérer sa mentalité d’alors. Mais il y a des hiatus. Ce que j’ai entendu sur ce livre par elle-même (France Inter, la Grande Librairie) est l’histoire d’une sorte d’oie blanche non pas franchement violée, mais poussée à coucher avec quelqu’un ayant autorité sur elle. Donc, victime. C’est ce qu’ont développé les interviewers et à quoi elle a répondu : un chef moniteur, la perte de la virginité puis après, longtemps après la honte.
J’ai lu le livre et ce n’est pas cela qu’elle raconte. Je pense que dans l’intervalle où elle a relu les épreuves et la promo, sa mémoire a encore joué, à oins qu’elle ait été influencée par les premiers avis, ce sont des choses qui arrivent.
Certes, elle a été embarquée le premier soir lors d’une boum par celui qu’elle trouvait beau et qui l’a d’une certaine façon possédée mais sans pénétration car il n’a pas voulu la déflorer. Et elle ? Elle était très heureuse, très fière de la nouvelle liberté de son corps, d’avoir connu un corps d’homme et elle n’a eu de cesse d’en rêver et d’en vouloir plus. Mais comme ce type a préféré sortir avec une autre fille qui couchait, elle s’est donnée à droite à gauche, se perdant dans les bras des uns et des autres au vu et au su de tous, elle buvait aussi. La vie de patachon, quoi Bref, elle a cherché encore désespérément à se faire dépuceler, elle le sera presque (sang) par lui. Enfin !
Certes, il y aura la honte. Non pas cette honte, ou la rancœur d’avoir été manipulée, mais celle de n’avoir pas su où s’arrête la morale, les bonnes mœurs des filles « bien ». Elle s’est comportée comme une garce, les autres l’ont vue comme une garce et l’année suivante, elle a été déclarée « indésirable » lorsqu’elle a voulu retourner à la colo dans l’espoir (fou) de revoir le mono.
Donc un livre pas inintéressant, pas non plus passionnant, un livre de filles si on peut dire car on a chacune au fond de nous, des histoires dont nous ne sommes pas fières parce que nous sommes des filles et que la société ne nous accorde pas le droit de nous conduire comme les garçons avec notre corps.
Il se trouve que je lis actuellement le récit d’Elena Ferrante qui se passe aussi à la fin des 50’s, avec pour héroïnes deux jeunes Napolitaines de 15/16 ans (et plus, dans la suite que j’ai entamée) où la perte de la virginité est autrement dramatique. Dans ces deux tomes épais, le moindre détail est ciselé, tout est décrit avec minutie, ce qui rend l’histoire extrêmement dense et construite.
Annie Ernaux est une écrivaine importante, c’est sûr. Mais je la trouve morne, avec tendance à ressasser, à tout vouloir justifier comme si, finalement, ce n’était pas tout à fait sa faute s’il lui arrivait de drôles de trucs. D’ailleurs elle le dit dans le livre : si elle n’écrit pas cette histoire, elle l’aura vécue pour rien. Car pour elle, apparemment, sa vie est le tissu de son art, elle vit les choses pour pouvoir les raconter, peut-être pas celles de ses 18 ans, et encore, mais certainement beaucoup d’autres. Elle se regarde vivre, elle s’écrit, elle s’analyse.
Ceci n’est pas une critique négative, du moment que ses livres ont de la tenue, qu’ils donnent à réfléchir, bien qu’ils soient assez minces.

Mémoire de fille d’Annie Ernaux chez Gallimard, 2016. 151 pages. 15 €.

Texte © dominique cozette

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