Annie Ernaux se raconte encore. Cette fois elle fait ressurgir la fille de 18 ans, son âge en 1958, sa première séparation d’avec ses parents, petits épiciers d’Yvetot (Normandie) pour faire la mono dans une colo où, finalement, elle fera surtout des frasques. Le livre s’appelle mémoire de fille mais il semblerait qu’elle fait pas mal de confusions dans ses souvenirs. Elle a retrouvé des lettres de cette époque, elle cherche des tas d’indices mais elle raconte des choses que les filles d’alors ne pouvaient pas connaître comme les serviettes périodiques jetables (apparues en France en 63) et les vacances de février (en 72). C’est pas que je sois pointilleuse mais ça m’a frappée comme d’autres détails qui sont plus de l’ordre de son ressenti et que je ne peux vérifier, par exemple quand elle dit porter un jean en 1958, certes, ça existait mais la façon dont elle décrit sa garde-robe restreinte, portant une jupe en tweed épais avec un manteau 3/4 en plein mois d’août pour se rendre en train à la colo exclue qu’elle ait pu se mettre à la mode rock’n roll, elle qui était si sage, avec des parents si pauvres et si peu de tentations dans son village.
Pourquoi je dis ça ? Parce que la mémoire est mouvante. La sienne en particulier. Même si elle essaie d’être au plus près de ce qu’elle a été à 18 ans. Parce qu’elle essaie de récupérer sa mentalité d’alors. Mais il y a des hiatus. Ce que j’ai entendu sur ce livre par elle-même (France Inter, la Grande Librairie) est l’histoire d’une sorte d’oie blanche non pas franchement violée, mais poussée à coucher avec quelqu’un ayant autorité sur elle. Donc, victime. C’est ce qu’ont développé les interviewers et à quoi elle a répondu : un chef moniteur, la perte de la virginité puis après, longtemps après la honte.
J’ai lu le livre et ce n’est pas cela qu’elle raconte. Je pense que dans l’intervalle où elle a relu les épreuves et la promo, sa mémoire a encore joué, à oins qu’elle ait été influencée par les premiers avis, ce sont des choses qui arrivent.
Certes, elle a été embarquée le premier soir lors d’une boum par celui qu’elle trouvait beau et qui l’a d’une certaine façon possédée mais sans pénétration car il n’a pas voulu la déflorer. Et elle ? Elle était très heureuse, très fière de la nouvelle liberté de son corps, d’avoir connu un corps d’homme et elle n’a eu de cesse d’en rêver et d’en vouloir plus. Mais comme ce type a préféré sortir avec une autre fille qui couchait, elle s’est donnée à droite à gauche, se perdant dans les bras des uns et des autres au vu et au su de tous, elle buvait aussi. La vie de patachon, quoi Bref, elle a cherché encore désespérément à se faire dépuceler, elle le sera presque (sang) par lui. Enfin !
Certes, il y aura la honte. Non pas cette honte, ou la rancœur d’avoir été manipulée, mais celle de n’avoir pas su où s’arrête la morale, les bonnes mœurs des filles « bien ». Elle s’est comportée comme une garce, les autres l’ont vue comme une garce et l’année suivante, elle a été déclarée « indésirable » lorsqu’elle a voulu retourner à la colo dans l’espoir (fou) de revoir le mono.
Donc un livre pas inintéressant, pas non plus passionnant, un livre de filles si on peut dire car on a chacune au fond de nous, des histoires dont nous ne sommes pas fières parce que nous sommes des filles et que la société ne nous accorde pas le droit de nous conduire comme les garçons avec notre corps.
Il se trouve que je lis actuellement le récit d’Elena Ferrante qui se passe aussi à la fin des 50’s, avec pour héroïnes deux jeunes Napolitaines de 15/16 ans (et plus, dans la suite que j’ai entamée) où la perte de la virginité est autrement dramatique. Dans ces deux tomes épais, le moindre détail est ciselé, tout est décrit avec minutie, ce qui rend l’histoire extrêmement dense et construite.
Annie Ernaux est une écrivaine importante, c’est sûr. Mais je la trouve morne, avec tendance à ressasser, à tout vouloir justifier comme si, finalement, ce n’était pas tout à fait sa faute s’il lui arrivait de drôles de trucs. D’ailleurs elle le dit dans le livre : si elle n’écrit pas cette histoire, elle l’aura vécue pour rien. Car pour elle, apparemment, sa vie est le tissu de son art, elle vit les choses pour pouvoir les raconter, peut-être pas celles de ses 18 ans, et encore, mais certainement beaucoup d’autres. Elle se regarde vivre, elle s’écrit, elle s’analyse.
Ceci n’est pas une critique négative, du moment que ses livres ont de la tenue, qu’ils donnent à réfléchir, bien qu’ils soient assez minces.
Mémoire de fille d’Annie Ernaux chez Gallimard, 2016. 151 pages. 15 €.
Texte © dominique cozette