La routarde qui monte au nez de certains

Certes, le jeu de mots n’est pas fameux mais il illustre l’activisme (agaçant pour certains) de cette infatigable féministe de plus de 85 ans qui taille la route depuis des décennies auprès des communautés de femmes (ou gays ou personnes défavorisées) pour les aider à réagir face au patriarcat, au mâle blanc omnipotent, au colonialiste, au sexiste. Son livre s’intitule Ma vie sur la route (sous-titre mémoires d’une icône féministe). Elle s’appelle Gloria Steinem et elle est (encore) très belle, beauté qui ne l’a pas beaucoup aidée quand elle s’engageait face à des hommes qui l’imaginaient décérébrée. Enfant, elle vivait avec ses parents de ville en ville dans un mobil home car son père avait la bougeotte, ce qui brisa la brillante et naissante carrière de journaliste de sa mère qui ne s’en remit pas vraiment. Ils se sont séparés, elle s’est fixée.
Dans Ma vie sur la route, Gloria évoque des centaines d’anecdotes, de récits, de réactions, de commentaires de personnes rencontrées, du plus bas de la société — la majorité — aux personnalités les plus importantes au sommet de l’état. Certaines son très amusantes, d’autres assez sidérante sur la place (!) consentie aux femmes par les hommes dans certaines strates ou sectes, d’autres enfin un peu longuettes quand on n’est pas américaine et que certaines choses ne nous parlent pas. Mais ce n’est pas grave. La rencontre la plus attachante est celle avec Wilma Mankiller, la charismatique cheffe de la nation Cherokee qui lui a appris, entre autres, l’importance de la culture amérindienne niée et détruite par les colons, leur façon extrêmement sophistiquée de cultiver les plantes, par exemple, le pourquoi des tumulus dans les contrées indiennes. Elle devaient écrire ensemble l’histoire de Wilma mais celle-ci est tombée gravement malade et est morte entourée de tout une petite foule d’admirateurs et de Gloria qui est restée jusqu’au bout avec elle. Poignant.
Gloria Steinem est très populaire aux Etats-Unis, elle a d’abord été journaliste au New York Magazine, puis dans le célèbre  magazine Ms. — qu’elle a co-créé en 1971. Elle est même devenue un personnage chez les Simpson, c’est dire !
Je ne la connaissais pas jusqu’à ce qu’elle passe à La grande librairie le mois dernier sur le thème du féminisme.
C’est un livre impressionniste mais aussi impressionnant, il est d’ailleurs préfacé par Christiane Taubira. Pour ceux qui jugent que les femmes activistes de 73 ans sont fragiles et rester chez elle, en voilà un beau démenti !

Ma vie sur la route de Gloria Steinem, 2015. Traduit par Karine Lalechère, 2019 chez Harper Collins. 416 p., 19 €.

Texte © dominique cozette

La liberté d'importuner ? Et celle de ne pas l'être ?

J’ai bien sûr lu l’article du Monde « laisser aux homme la liberté d’importuner les femmes« , qui n’aurait rien de polémique s’il était le fait d’une personne, un coup de gueule quoi, mais il s’agit de la prise de position d’une pluralité de femmes, d’une sorte d’injonction à ne pas adhérer au mouvement actuel de libération de la parole des femmes venu de différentes nations. Elles citent tout ce qu’on a entendu dire ces dernières semaines sur le féminisme pur et dur, « puritain », qui nous renverrait vers des censures allant des peintures de Schiele, au licenciement d’un homme parce qu’il a effleuré le genou d’une femme. Ce qui, à ma connaissance, ne s’est pas passé en France.
Il va de soi qu’une femme « évoluée », qui tient une grande place dans la société et les medias, qui ne prend pas le métro quand il est bondé, qui n’est pas soumise à un petit chefaillon vaguement lubrique, qui n’a pas peur de perdre son salaire, qui n’a personne pour la protéger, qui voit une menace quand un relou l’importune et qui, si elle n’y répond pas fortement, clairement, féministement, peut entraîner sa responsabilité lors d’un « dérapage » subséquent, il va donc de soi que ces signataires ne sont, en vérité, que peu importunées. Ça reste un jeu de séduction*  comme il est dit dans l’article : « ils n’ont eu pour seul tort que d’avoir touché un genou, tenté de voler un baiser, parlé de choses « intimes » lors d’un dîner professionnel ou d’avoir envoyé des messages à connotation sexuelle à une femme chez qui l’attirance n’était pas réciproque. »
La tribune est clairement le credo de femmes libres, indépendantes, sans complexes, ayant appris à se défendre. Il est dit aussi : « une femme peut, dans la même journée, diriger une équipe professionnelle et jouir d’être l’objet sexuel d’un homme, sans être une « salope » ni une vile complice du patriarcat ». Pourquoi n’ont-elles pas écrit : « une femme peut, dans la même journée, faire des ménages, travailler à la caisse chez Auchan, être au chômage (bon, allez : être graphiste, infirmière, exploitante agricole) et jouir d’être l’objet sexuel d’un homme, sans être une « salope » ni une vile complice du patriarcat ». Ça aurait marché aussi, le ridicule en plus, car qui dénie le droit de jouissance entre adultes consentants ? Il n’y a pas de camera dans les lieux privés ou coquins, que je sache.
Ce coup media me rappelle la tribune  qu’avaient signée les « 343 salauds pour le droit à la prostitution », qu’ils ont regrettée ensuite, après mûre réflexion.
Pour être claire, de mon point de vue, il n’y a aucun sens à « assurer aux hommes la liberté d’importuner » :  ceux qui savent le faire continueront (on a vu leurs réactions navrantes lors de l’affaire DSK), les autres resteront sobres et corrects. Il n’y a aucun sens à demander aux femmes (et aux législateurs) d’être plus cool : quand on t’emmerde (ça veut dire quand on t’importune, en poli), ça t’énerve, ce n’est pas excitant, ça peut te faire peur, ça peut aussi te faire craquer pour que cesse la pression (ce qui arrive souvent, bien sûr sans que la femme y prenne du plaisir).
Je propose donc une idée : que celles qui sont pour la liberté des hommes à les importuner portent un badge. Et qu’elles fichent la paix aux autres qui n’ont pas envie de ça.

* Etre importunée par des hommes n’est pas un jeu pour tout le monde. Je parle en connaissance de cause et confirme qu’on peut très bien être séduite et conquise par des hommes sans qu’ils n’aient besoin de nous importuner. C’est très simple, ça s’appelle le respect. Par ailleurs, je n’ai pas souvenir d’avoir cédé à un homme qui m’importunait. Mais c’est personnel.

Texte et illustration © dominique cozette

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