Le ver est dans l’escalier

Concierge d'Henrillette

Samedi, je vais voir Henrillette, ma copine du Mans venue de Côte d’Ivoire. Elle habite un étroit meublé derrière la place Kichy, comme elle dit, au septième étage sans ascenseur, de toute façon il sent la pisse et ne bouge plus de là où il est, entre le rédécé et le 1er.
Sept étage à gravir avec le risque d’y trouver ce que l’humanité a de plus craspec, c’est pas marrant, personne ne rit, tout le monde en chie, surtout les gens de la Côte d’Ivoire qui n’étaient pas habitués à des habitats en hauteur. Je dis ça, je dis rien. Mais je me comprends.

J’entame mon ascension et ça commence : je vois un ver. Un gros ver dans l’escalier, menaçant comme un élu du PS qui serait passé à droite. Et aussi vilain. Pouah. Impossible de l’enjamber, un ver ça ne s’enjambe pas et je sais de quoi je parle.

Je redescends fissa et affolée, et me poste devant la loge à la concierge (ici, on ne dit pas la loge de). Soudain me saute aux yeux l’écriteau, péniblement calligraphié, jauni et moucheté de chiure « la concierge est dans le fruit ».! Si la concierge est dans le fruit, comment lui dire alors que le ver est dans l’escalier ?
Un enfant antédiluvien s’interpose : Madame, moi je sais ce qu’il faut faire : il faut battre le ver pendant qu’il est chaud.
Nullement motivée, je tente d’appeler Henrillette du Mans sur son iphone portable sans fil (c’est comme ça qu’elle appelle son antique Tam-tam, ça fait « plus mieux ») mais pas de réponse, ce qui est normal car pour la contacter, il est préférable d’utiliser le téléphone arabe. Encore faut-il posséder le numéro.
Je me dis tant pis, suis avalée toute crue par la bouche du métro qui rote quelques individus chelou dans ce quartier cramé et je file chez Serge Lama ou Arno Klarsfeld, je les confonds toujours, car j’éprouve l’irrépressible besoin de prendre un ascenseur, quel qu’il soit. Mais propre et en état de marche.

Texte et dessin © dominique cozette

Avant, dans les années 10

Avant, dans les années 10 — c’est mon ancêtre qui m’a raconté — on se reproduisait en faisant des petits dans son ventre. Puis on les nourrissait avec le lait de son  sein (j’arrive pas à l’imaginer). Les hommes et les femmes avaient des rapports sexuels quand ils voulaient, mais avec l’espoir que la fécondation réussisse (!!!). Sinon, c’était pour se faire plaisir (!!!). Je ne vois pas bien. Plaisir ! Rien que ce mot, ça sent le moisi. Le ventre ? C’était une partie du corps. Quoi, le corps ?
Ecoutez, arrêtez de poser des questions, sinon, je n’y arriverai jamais. C’est vrai, c’est très difficile de penser qu’autour de nous — « nous »  s’appelait le cerveau—  il y avait le corps, un truc un peu grossier, qu’il fallait remplir tous les jours avec des trucs bizarres, chauds, froids, liquides, solides, colorés, odorants, mous etc… mais qu’il fallait aussi vider dans des endroits secrets. Il fallait le faire remuer, on s’en servait pour aller (quand on rencontrait un autre corps, on demandait si ça allait), il perdait des substances liquides, après il s’usait, c’était un merdier, comment ils ont pu vivre de cette façon aussi … primitive.
Avant, il y avait des endroits pour les corps, des maisons, qu’on remplissait de choses manufacturées par des gueux. Des trucs qui ne servaient à rien : des tablo, des biblo, de la déco, des gadgets… C’est bizarre de penser qu’ils s’encombraient ainsi. Et aussi, qu’ils rêvaient de posséder ces choses qui faisaient tellement envie à leurs amis, qu’on exposait dans des vitrines (voir ce mot dans le glossaire). Ah oui, parce qu’ils avaient aussi des amis en vrai, des corps en chair et en os qui venaient les voir (!!!), voir quoi ?, et parler.
Avant, on s’habillait. On couvrait son corps de substances de toutes sortes qu’il fallait changer non seulement tous les jours, mais encore toutes les saisons. Il fallait en acheter tout le temps pour avoir une bonne image (je n’ai pas bien compris le concept). Il y avait des saisons, régulièrement. Les corps partaient en vacances, ça veut dire qu’ils allaient tous ensemble dans les mêmes endroits pour … se reposer. Mais, disait mon ancêtre, il ne fallait surtout pas se reposer pour pouvoir se fabriquer des « souvenirs ». Une sorte d’historique qui se devait d’être conforme mais différent, plus criard en quelque sorte.
Et puis il y avait les distractions. Il ne fallait pas qu’on s’ennuie (???).  L’ennui c’est une sorte de vacuité, si j’ai bien compris. Donc on remplissait le vide avec des trucs qui gavaient, qui bougeaient, qui faisaient du bruit, qui enivraient…
Je ne sais pas si c’était mieux avant. Cette existence purement cérébrale à laquelle nous avons abouti représente un idéal au-delà duquel l’évolution n’est plus envisageable. A moins d’un imprévu, d’une surprise. Nous ne sommes pas à l’abri d’une mutation. Qui a dit « poil au morpion » ? Vraiment, on peut s’interroger sur le progrès de l’espèce humaine…

Texte et dessin très approximatif et assez vilain, j’en conviens © dominique cozette. Enfin, non, pas de copyright pour le dessin, qui voudrait piquer un truc pareil ???

Ma nuit avec la star

Ma lentille !

C’est une star énorme. Quand je dis énorme, je ne parle pas de son physique ! Comme la plupart des hommes formatés par leur époque qui est celle d’aujourd’hui, je préfère les minces, les maigres, les longues tiges mais avec quelques rondeurs, même artificielles, bien placées, car c’est elles qui ont de la valeur de nos jours donc qui font bander les hommes comme moi, superficiels, un peu nases et d’une virilité assez douteuse. Cette dernière  étant dûe à la pétrochimie qui déverse sur la planète des tonnes d’oestrogènes et augure d’une mutation  qui donnera des seins aux mecs dans quelques décennies. Veinards ! Ils pourront enfin tripoter des nichons à longueur de journée sans être obligés d’acheter des fleurs ou d’inviter chez Lipp.
Donc star énorme quant à sa célébrité planétaire. Vous la connaissez tous mais pas question de livrer son nom. Non, non, je suis une tombe. Bref, à l’issue d’un shooting, elle m’a branché sans vergogne, me demandant de la raccompagner dans son domicile parisien, dans sa voiture avec chauffeur. J’exécutai de bonne grâce, étant venu dans cet espoir. Elle me fit monter puis, dans son intimité très kitsch, me prépara quelques babioles dans son « galet », c’est ainsi qu’elle appelle son bloc-cuisine au milieu de son loft. Mais avant, elle me demanda de faire le clap de début puis le clap de fin. J’ai besoin de ça pour me mettre dans l’ambiance, s’excusa t-elle. Je suis tellement trop actrice !
Nous bûmes en picorant des petites choses sucrées-salées de toutes les couleurs. Puis elle m’invita à faire un autre clap de début. Elle ajouta : vous ferez le clap de fin lorsque je serai nue.
Ce corps que j’avais vu sous toutes les coutures — c’est le cas de le dire — emballa vite mes sens mais j’eus la politesse de me contenir durant ce show très privé. Ce fut très gracieux, elle était très pro. Elle m’entraîna dans sa chambre ronde et sur son lit rond.
Avant même que je la touche, elle clapa et dit, d’une voix affirmée : moteur.
Je vous jure que ça fait bizarre. Je m’attendis à voir une équipe technique sortir des murs pour filmer nos ébats, cela me fis débander, légèrement, mais visiblement. Gentiment, elle dit : On la refait. Clap. Moteur ! Ça tourne. Ajouta t-elle. Cela ne contribua pas à me remettre en forme. Popaul se recroquevilla un peu plus. Alors, elle cria : Maquilleuse ! Et avant que je ne réalise, elle me prit en bouche et s’activa habilement à me rendre présentable. Elle me lâche et me redit : On la refait.
Clap, moteur, ça tourne. Silence sur le plateau !!! Hurla t-elle.
Je ne suis pas de bois — d’habitude, on dit ça pour le contraire —  je veux juste signifier que le bois dont on fait les flûtes s’étant à nouveau ramolli, elle rappela la maquilleuse pour arranger tout ça. Je lui suggérai, pour la nouvelle prise, d’être un peu plus sobre si elle voulait que la scène soit réussie.
Clap, moteur, ça tourne. Je me mis sur elle, banalement, et, au moment où je la pénétrai, elle cria :  Coupez ! On l’a !
Aïe. Ça fait mal. Très mal. Couper une érection, franchement, on ne me l’avait jamais fait. Pourtant, on m’en a fait !  La semaine d’avant, c’est la splendide brune qui me fit chercher sa lentille tombée sous le lit puis, au bout de cinq minutes, me montra les photos qu’elle avait prises de mes fesses pour sa « collec ». Elle ne baisait pas avec les inconnus.
Pour en revenir à notre histoire, je fus vertement  éjectée de son corps. Elle sauta du lit, me dit bravo, les essais sont concluants, on vous contactera, merci.
Je me rhabillai, la mine (pour être poli)  déconfite. Elle était déjà au téléphone lorsque je pénétrai dans le salon. Elle me regarda partir d’un air neutre.
Je fus mitraillé par un trio de paparazzi pré-retraités en sortant de l’immeuble. L’un d’eux ricana en mimant une paire de ciseaux. Je fis semblant de ne pas comprendre mais je vais vous dire, messieurs : arrêtez de fantasmer devant les actrices internationales, elles sont toutes timbrées.

Texte et dessin © dominique cozette

Les malheurs d’une sirène

– OK, t’es poisson, je lui dis. Mais il y a poisson et poisson … T’es quoi ? raie, espadon, brochet, esturgeon, requin-marteau ???
– Alors ?
– Alors, il me regarde en faisant : Ouh la la ! Ça doit pas être simple avec toi, hein ? Je préfère qu’on  arrête tout de suite.
– Alors ?
– Il s’est cassé ! Et tu sais quoi ? Avec mon hameçon dans la gueule ! En même temps, c’était un Wide Gap sans ardillon… Mais tout d’même !
–  Alors ?
– Quoi alors ? Alors rien ! t’es conne ou quoi  ? Je finis par ferrer un mec en trois semaine ! Trois semaines !!! Et je tombe sur ça. Même pas un gramme d’humour, t’as noté ?
– Alors ?
– Je me suis réconciliée avec mon petit canard qui vibre. Mais ce qui me gêne, c’est que j’ai l’impression de coucher avec Emmanuelle Béart !
– Et alors ?
– Rien. Ça pourrait être pire.

Texte et dessin © dominiquecozette

il aura la femme…

Ce con !  Il était là, à faire le kéké avec son Audi. On lui avait appris que s’il avait l’argent, s’il avait le pouvoir, s’il avait une Audi, il aurait la femme. Ah, pour ça, la femme, il l’a eue ! Elle ne s’est pas fait prier. Ça a commencé tout à fait conventionnellement, genre : c’est à vous, cette belle bouche à pipe ? A quoi, elle rétorqua : oui, j’aurais pas besoin de l’ouvrir bien grande avec toi, p’tite bite ! Et toc.
Deuxième round assez con : c’était le dîner le soir même avec l’intermédiaire qui devait l’introduire auprès du ministre, pour développer son marché en Extrême Orient. Entre autre. Et là, blam, qui s’assoit face à lui ? Elle, la femme de l’intermédiaire. Il se mis à bander dur et elle à lécher ses lèvres. La table était trop vaste pour qu’ils se fissent du pied. Ils le prirent un peu plus tard dans les luxueuses toilettes du Lieu (le nom du bazar), debout vite fait. Non seulement, elle était petite, mais encore elle était pressée. Je parle de sa queue. Elle apprécia. Elle n’aimait pas les porcs qui placent leur puissance là. Plus vite c’est fait, mieux c’est. Ils firent donc affaires (de cul) tous les deux, elle continua à l’appeler p’tite bite malgré ses atermoiements.
Ils partirent à Shangaï avec monsieur le Ministre et son intermédiaire aux frais du contribuable que je suis. C’était une vraie salope. Je veux dire une saleté. Qui ne pense qu’à elle et au fric de ces messieurs. Ça s’attire toujours, ces gens-là. Bref, elle lui en fit baver des ronds de châteaux, vomir des pépettes, paumer sa confiance, perdre sa mâle assurance. Elle l’essora avant de le quitter non sans avoir fait savoir dans le tout Paris-London-Zurich et Saint-Tropez, ses endroits, qu’il ne valait pas un pet au lit. Elle bousilla même son Audi pour lui apprendre à vivre. Elle l’oublia instantanément dans les bras d’un boxeur célèbre qui la remit dans le droit chemin, celui de l’humilité face à l’homme.
Quant à notre audiphile, la personne qui lui avait promis qu’il aurait la femme fut retrouvée nue et saucissonnée dans un parking de la porte Champerret, le visage broyé. C’est une sale histoire, non ? Mais c’était vraiment une sale pub !

Texte et dessin © dominiquecozette

Mon chauffeur de métro

   j’ai un tuyau faramineux à vous filer si vous voyagez en métro. Le meilleur conducteur, c’est lui. Il s’appelle Denis Lavigne — déjà ce nom qui fleure bon le nectar — il écoute les Fabulous Trobadors et il me file So Foot à la fin de son service. Surtout, il est confortable : jamais un coup de patin qui t’envoie valdinguer contre la mémère effarouchée, et toujours il t’informe d’une voix posée sur le pourquoi du comment t’es en rade dans le tunnel. C’est sobre, ce n’est pas l’autre, le Tony Truand qui raconte ses conneries, je dis pas que c’est mal mais ça  lasse.
Donc, je ne voyage plus qu’avec lui, ou, quand ce n’est pas possible, qu’il est en vacances, avec Sylvette l’Antillaise à la voix chantante. Sinon, je reste à quai. J’en ai soupé des conducteurs qui font durer le signal de fermeture des portes à te casser la tête, qui cliquent vingt fois sur le micro avant de passer une annonce — ou sans en passer, les cons — hurlent dans le micro comme si on était au Stade de France ou chuchotent comme s’ils disaient une horreur. Et qui klaxonnent quand ils croisent un collègue, soit toutes les deux minutes, qui te laissent moisir  sans rien dire quand tout s’éteint (remarquez, quand je roupille, c’est pas moi que ça gêne), qui pilent, qui ne disent rien quand c’est le terminus etc etc… C’est vrai que ça restreint mes déplacement tout ça, mais vous savez quoi ? J’habite dans le métro, alors tant qu’à faire, autant choisir son tôlier, non ?

Texte et dessin © dominiquecozette

Touti rikiki maousse costo, la suite

Loukati lo souk !

Mais quelle peste, cette nana ! Toujours en train de gueuler. Et puis Grocradopoulo qui se laissait faire… Dix ans que ça durait ! Il faisait tout, le linge, les courses, l’aspi, le bricolage et le cunni du samedi soir. Jusqu’à ce qu’un jour, ce gros gentil rencontre un jeune et beau bonobo au rayon placoplâtre de Castorama ! Comme tous les bonobos, le jeune et beau bonobo n’était qu’amour et sexe. Il lui présenta sa croupe, qu’il avait rose et satinée. Grocradopoulo hésita un moment, un cours moment, juste pour réviser quel slip il avait mis le matin, ah ouf, un boxer. Et se mit à l’oeuvre. Avec coeur et douceur. De toute façon, dans ces magasins, y avait jamais de vendeur…
– Tu es mon premier gorille, s’amusa Bonobo. Et je t’avouerai que… c’était très bon ! Et pour toi ?
Grocradopoulo rougit sous son pelage et avoua :
– Tu es mon premier mec. Et tu vois, on m’avait toujours dit du bien des bonobos. Je confirme !
– Tu fais quoi, maintenant ?
– J’avais mon cours de langues-zoo, puis capilliculteur mais si tu veux, on peut aller manger une banane ensemble …
– T’es vraiment primitif, toi ! Mais j’aime ça. Allez, viens dans ma tribu, quand tu verras mes soeurs et mes frères, tu vas halluciner. Hé, ta grognasse, elle fait vraiment pas le poids. Mais quelle idée de t’emmerder la vie avec cette chimpy !
C’est ainsi qu’il quitta sa mégère, lui envoyant juste un SMS pour lui rappeler d’éteindre le four où rissolaient quelques ignames.
Fini Omo, les taches, les emmerdes. Chez les bonobos, on vivait à poil, les uns sur les autres, sens dessus dessous. Et l’un dans l’autre, il se sentit très heureux !

Le film Omo Micro, touti rikiki maousse costo, c’est ici.
Conception du film : Dominique Cozette et Elisabeth Bonamy. Voix de Martine Boéri et de François Jérosme. Le tournage avait eu lieu à Rome, à Cinecitta. La guenon, Peggy je crois, était « l’enfant » de deux hommes gay, ses deux mummies, qui l’avaient sauvée de je ne sais plus quoi. Ils avaient aussi une superbe orang-outang rouquine, Cristina, qu’on se repassait de bras en bras. La petite guenon, elle, était trop craintive pour les câlins. Le gros gorille était un animatronic avec un lilliputien indien dans la pelure. Mais on n’avait pas le droit de le dire aux journalistes car Lever trouvait que ça la foutait mal d’utiliser ainsi des petits hommes. Foutaises car il était très content du job. Il tournait plein de trucs dans des mini-décors sur des plateaux voisins et il avait même une mini-moto. Il allait se marier avec une toute petite dame et, nous, on s’amusait à les imaginer dans le grand duplex qu’ils pourraient tirer d’un 30 mètres carrés…

Pépé mon moko…

Voici mon grand-père. Un chouette mec. Un mec qui a fait 14-18 (il a été trépané à vif mais n’en a gardé aucune séquelle hormis sa cicatrice « en trou de balle » comme il aimait à le dire). Il a fait aussi 39-45, puis 68 puis 69. Après, il en a eu marre des chiffres, il est passé aux lettres, a fait facteur, a sonné, sonné (le facteur sonne toujours deux fois) mais n’a jamais pris Kim Basinger sur la table en formica de la cuisine. Pauline Carton a bien proposé de se sacrifier mais il a fait la sourde oreille. Mon grand-père, Ernest il s’appelait, fumait une sorte de cigare roulé sous les  aisselles qui puait un peu le cigare roulé sous les bras, et mettait régulièrement dans le chasseur français (une revue) une petite annonce pour rencontrer une « femme jolie mais belle, capable d’aimer un homme sans foi, sans coeur et sensuel ». Evidemment, il ne recevait de réponses que de détraqués, hommes ou femmes pressant leurs furoncles de haine dans des missives anonymes. Avait-il si envie/besoin d’une femme, lui qui se complaisait dans la contemplation infinie des carpes et des libellules ? Oui, c’est ainsi qu’il appelait les jolies femmes du boulevard Arago qu’il voyait passer chaque été, et repasser et encore repasser, plus lourdes des ans, plus grisonnantes et trébuchantes. Vieillir n’est pas bon pour les femmes, disait-il, et c’était là son principal défaut. Il avait le culte de la jeunesse et d’ailleurs, ma grand-mère, quand elle a eu trente ans, a été priée d’aller voir ailleurs s’il y était. Et comme il n’y était pas, aux USA où elle vola, elle s’éclata comme une dingue avec Gatsby et toute la clique, bref, elle a trouvé le bonheur, a coupé ses cheveux, a porté un costard et fricoté avec Marlène D. Je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout ça, parce que j’ai mon expo de demain à finir, c’est pas vrai ! Il est déjà  trois heures ! Je suis une horrible procrastineuse, mais demain, vous verrez si vous venez, tout sera prêt et nickel. En principe…

Texte et photo © dominiquecozette

Le chat

Mon mec et moi, on ne s’entend pas. Depuis le début. Ce n’est pas une histoire de désamour — bien sûr, il y aurait à épiloguer —  juste un problème de communication. Mon mari articule mal et parle bas : je l’entends mais ne comprends rien. Moi-même articule peu et manque de conviction : il ne m’écoute pas. Il y a deux mois, j’en ai eu marre de prêcher dans le désert et lui ai annoncé que je le quittais. Que je prendrais mes biens un peu plus tard. Et qu’il n’y voie rien de personnel.
Son mutisme m’a manqué terriblement, étant remaquée avec un jacasseur. Mais le mal était fait. Au bout d’un mois, téléphone. C’était lui. Il voulait savoir si je ne voyais pas d’inconvénient à ce qu’il passe à la maison prendre ses affaires.
– Tes affaires ?
– Oui, mes affaires, mes livres, mon mixer-batteur, enfin mes trucs, quoi !
– Mais… je ne suis plus à la maison. Et justement, je comptais t’appeler pour en faire autant !
– TU N’ES PLUS À LA MAISON ????
– Depuis un mois. Bah et toi ?
– Pareil.
et en choeur : Merde ! Doherty !
Nous sommes arrivés ensemble devant la maison, nous empressant d’ouvrir au plus vite la putain de porte (j’écris comme un amerlock, maintenant) et criant : Doherty ! Doherty ! Comme d’hab, il ne s’est pas précipité vers nous mais nous l’avons découvert dans la cuisine, momifié, avec plusieurs boîtes de Ronron autour de lui dont une entre les pattes. Toutes avaient été griffées et mordues, et leurs étiquettes dévorées. Pauvre Doherty ! Quelle fin atroce !
Nous sommes tombés en pleurs dans les bras l’un de l’autre. Avons enterré Doherty dans le jardin de la maison abandonnée. Avons mis un peu d’ordre, vidé la poubelle qui puait, changé les draps et les serviettes, téléphoné à nos nouveaux compagnons pour leur signifier que c’était la fin de l’histoire.
Puis nous avons entamé une croisade (lettres diverses, ouvertes ou non, dépôt de statuts d’association, groupe sur facebook…) pour inciter les professionnels de l’alimentation animale à repenser le packaging de tous leurs produits afin que nos bêtes puissent les ouvrir en cas d’urgence. Enfin, nous avons décidé de communiquer entre nous via Internet et nos écrans. Doherty ne sera pas mort pour rien.

Texte et dessin © dominiquecozette

T’es rien, terrien !

Y en a qui naissent, y en a qui crèvent, y en a qui baisent, d’autres qui se font baiser, y en a qui peignent, d’autres qui coiffent, et y en a qui rafistolent, qui raccommodent, qui rabibochent.
Y en a qui vivent, d’autres qui survivent, y en a qui nagent d’autres qui surnagent, y en a qui volent, d’autres qui survolent, y en a qui pioncent, y en a qui bouffent, d’autres qui gerbent ou qui nettoient, y en a qui râlent, y en a qui pleurent, y en a qui morflent, y en a qui chantent, d’autres qui déchantent, et  y en a qui piétinent, y en a qui poireautent, d’autres qui carottent.
Y en a qui saignent, y en a qui suent, y en a qui pissent, d’autres qui compissent ou qui conchient. y en a qui critiquent, d’autres qui tiquent
Y en a qui kiffent, y en a qui niquent, y en a qui chattent, y en a qui sniffent, y en a qui braquent, y en a qui qui glandent, y en a qui enculent, d’autres qui basculent.
Y en a qui lisent, qui philosophent, qui enjolivent, qui poétisent. Y en a qui emmerdent, y en a qui harcèlent, y en a qui violentent, y en a qui lapident. y en a qui qui jugent, y en a qui  tranchent, y en a qui condamnent et d’autres quidam qui se damnent. Et ceux qui se confessent et qui s’affaissent ?
Et y en a qui se maquillent, qui se parfument, qui se laquent, qui fuguent, qui fument, qui allument, qui disparaissent, qui changent de sexe, et y en a qui s’inquiètent, et d’autres  qui s’en foutent.
Y en a comme ça pour tous les goûts, jusqu’à plus soif.
Et puis y a moi qui ai si soif
qui remets ça puis qui fous le camp en titubant
car ça me saoûle rien que de savoir que des milliards de types bizarres font tout comme moi.

Texte et dessin © dominiquecozette

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