J'aime Coline Serreau

Je l’ai beaucoup aimée lorsque j’ai vu son formidable film écolo « solutions locales pour un désordre global » plus que d’actualité. Et je l’aime chaque été lorsque je vais écouter sa magnifique chorale, qu’elle dirige dans les petites églises de la Drôme provençale ou du Vaucluse, mélangeant poignant et humour. Et puis pour son énergie et ses multiples facettes. Cette fois, c’est pour ce livre #colineserreau, atypique et bizarroïde comme sa trajectoire.
Sur 16 pages, elle raconte #Barrett et Bernoulli, une fantastique mais hyper tragique histoire d’amour, impensable tellement c’est triste, à l’origine de la naissance d’une de ses aïeules. Puis ensuite, vient #Mathieu Monnier, encore une drôle d’histoire d’un amour plus fort que tout, qui finit bien. Un de ses aïeux. Et quelques autres histoires hashtaguées de ceux qui l’ont précédée et fait d’elle ce qu’elle est. De très beaux récits.
Ensuite, Coline nous livre des Textes à l’envers, des saynètes sous forme de pièces (elle a beaucoup fait pour le théâtre) avec, quelque part, des enjeux qui lui tiennent à cœur comme la domination masculine. Elle insère, pour mon plus grand plaisir, la fameuse, l’hénaurme,  scène de son film la Crise, (à voir ou revoir ici) en hommage à Maria Pacôme qui va quitter mari et grands enfants pour une histoire de cul. Vous vous souvenez ? « Mais bien sûr que ça m’intéresse de m’envoyer en l’air… Ça t’intéresse pas, toi ? Et quand bien même ce ne serait qu’une belle histoire de cul, j’ai pas le droit d’en avoir, des histoires de cul, moi ? Mais bon sang, comment vous croyez que vous êtes venus sur cette  terre tous les deux ? Vous croyez que je vous ai faits avec les oreilles ? Je vous ai faits avec mon cul mes petits loups ! Même qu’à l’époque c’était drôlement chouette le cul avec votre père, et puis voilà, maintenant il ne se passe plus rien entre nous, alors ça ne vous fait peut-être pas plaisir de l’entendre mais votre mère, elle a un cul, et qui fonctionne très bien, mieux que jamais même. Et puis il y a une chose que vous ne voulez pas entendre, c’est que je suis amoureuse, je suis heureuse, je nage dans le bonheur… »
La troisième partie concerne Quelques pensées, forcément très intéressante car elle possède une vaste érudition, sur Freud, sur Bach, sur le trapèze qu’elle a longuement pratiqué dans le cadre d’un cirque, sur Moïse, Rembrandt…
Tout cela forme un ouvrage non pas hétéroclite puisque tout la concerne, mais parcellaire sur cette femme engagée, musicienne, artiste, réalisatrice et pas que… Il suffit de jeter un œil sur sa biographie, à la fin, pour comprendre que si elle n’a eu que cinq minutes de temps mort dans sa vie, on se demande bien où elle a pu les caser !

#Colineserreau par Coline Serreau, 2019 chez Actes Sud. 208 pages avec plein de photos. 29 €.

Texte © dominique cozette

Notre icône punkissime

Benoît Mouchart a fait un travail de fourmi pour ce livre qui recense tout l’œuvre de Brigitte Fontaine. Comme l’a dit Valerie Le Houx de Télérama : « Punk avant l’heure, pourfendeuse du patriarcat avant #MeToo, marraine d’une scène internationale, Brigitte Fontaine reste la plus subversive des artistes français. » Brigitte Fontaine, le livre, n’est pas la bio de Brigitte mais la dissection tendre et hyper précise de tous les disques, tous les arrangements, toutes les scènes, toutes les rencontres artistiques, tous les écrits, livres, romans, poésies et théâtre, chansons pour d’autres que l’artiste prolifique a commis depuis les années 60. Il a retrouvé des archives enfouies un peu partout car Brigitte Fontaine n’a pas suivi une autoroute, préférant les chemins de traverse les plus improbables. En fait, l’auteur a réalisé avec T. Bartel un documentaire sur elle, Brigitte Fontaine, reflets et crudités, ce qui lui a permis de la rencontrer il y a déjà quelques temps et de poursuivre avec elle une relation privilégiée sous le signe du champagne, ce qui explique les très nombreux verbatims, soit d’elle-même, soit d’Areski mais aussi de Jacques Higelin (disparu il y a deux ans), -M-, Jean-Claude Vannier et nombreux intervenants musiciens anglo-saxons. Ce travail me rappelle d’ailleurs le Gainsbook où sont décortiqués tous les travaux de Serge. C’est la même démarche, commentaires de l’intéressée en plus.
Pourquoi Brigitte, ce ludion effervescent un peu foufou n’est-elle pas plus populaire dans notre pays ? Parce que justement. Sa liberté de ton, son insoumission aux règles du showbiz, ses saillies lors des séances promo qu’elle abhorre et qui donnent d’elle une image d’ingérable. Ceux qui l’aiment au contraire, l’aiment pour cela, pour son talent non conformiste, son inspiration qui vole bien plus haut que les autres, son lexique plein de trésors inusités, son sens de la perfection, la sûreté de ses choix musicaux etc… Areski, son premier musicien, son alter ego, son accompagnateur bourré de génie, son mec, n’est pas pour rien dans l’œuvre de Brigitte Fontaine. Mais sachez quand même qu’elle a mis un temps fou à percer, qu’elle a préféré bouffer de la vache enragée que de faire n’importe quoi qui ne lui ressemblait pas, qu’elle a décliné de belles offres de majors, et que si ses albums sont unanimement appréciés des revues de presse, ses clips vus des centaines de milliers de fois, et les salles où elle passe bourrées à chaque fois, la plupart des radios se refusent à passer ses disques. Pourquoi ? Elle est trop crue ? On la dit folle ? On manque d’un peu d’audace ? Va savoir…
ALORS QU’au Japon, par exemple, c’est une vedette, les disquaires ont tous en stock ses disques qui sont classés dans les bacs… Brigitte Fontaine. Elle n’en est pas revenue lorsqu’elle a vu ça.
Dans ce livre sont amplement cités des extraits de ses œuvres, c’est superbe, c’est scotchant, c’est incroyable la poésie qu’ils dégagent. Actuellement, à plus de 80 ans, souffrant de fracture de vertèbres pour lesquelles elle a passé six mois à l’hosto et dont la souffrance ne s’atténuera jamais, elle a sorti encore un album, son 25 ou 30ème ! Et ne parlons pas des nombreux concerts où elle improvise avec toutes sortes de créateurs, des nombreux ouvrages, histoires et poésies parus et des pièces de théâtre écrites et jouées par elle. Car au début, elle voulait jouer la comédie.
Brigitte, fontaine de poésie, geyser d’émotions et d’éclats de rire, déluge de punchlines assassines, aime bien ajouter des petites touches rigolotes aux histoires trop tragiques. C’est une femme qui rit beaucoup malgré son fond douloureux. Mais comme elle dit « l’humour n’est pas la politesse du désespoir. Le désespoir n’a aucune politesse. Il est très grossier et il fait chier tout le monde. » Brigitte Fontaine, punk un jour, punk toujours.
Ici, interview de Benoît Mouchard avec Brigitte à Saint Louis en l’Ile. Et un deuxième qui explique aussi son parcours.
Et pour rire, interviewée par Raphaël Mizrahi.

Brigitte Fontaine par Benoît Mouchard, 2020 aux éditions Castor. 380 pages.

Texte © dominique cozette

Un livre plein de science et de fiction

La Fracture est un épais roman, le cinquième livre de Nina Allan, dont une grosse bonne partie commence de façon classique : une jeune fille de 17 ans, Julie, disparaît. On est près de Manchester, en 1994. C’est sa soeur Serena, plus jeune de trois ans, qui nous raconte leur enfance leur entente / mésentente et qui parle beaucoup d’elle-même, ses amitiés bizarres avec un homme adulte dont la seule passion est la carpe koï aux couleurs incroyables qu’il collectionne dans son bassin. Des voyous vont les tuer et l’homme va se suicider. Serena et Julie décident qu’il est un alien. Tous les gens bizarres et inclassables sont des aliens. Serena raconte par le détail une somme d’événements qui leur sont arrivés avec, bien souvent, des descriptions techniques d’objets, d’animaux, et de comportements. Ce collectionneur de koï n’en est qu’un miscule exemple.
Les parents des filles se séparent car depuis la disparition, le père est devenu trop différent, collectant tout ce qu’il peut trouver sur les disparitions, les enquêtes, enquêtant lui-même, persuadé que leur fille est vivante. Il s’en rend malade et mourra de désespoir. La mère est une personne plutôt froide qui continue sa vie, comme si de rien n’était. Serena quant à elle, ne pourra jamais se fixer sur un projet ou un amour. Pour elle, tout peut disparaître du jour au lendemain sans sommation, sans raison. Bien que très intelligente, elle ne fera pas d’études et vivra de boulots sans intérêts. Elle aura quand même eu une histoire marquante avec un certain Johnny mais elle refusa de le suivre au Kuala Lumpur où sa carrière l’envoyait. Elle y pense souvent.
Puis un jour, Julie l’appelle au téléphone. C’est curieux, elle ne sait pas si elle doit s’en réjouir ou lui en vouloir. Julie ne lui raconte pas d’emblée ce qui lui est arrivé, pourquoi elle ne s’est pas manifestée plus tôt. Elle attend que Serena lui fasse confiance et l’assure de son affection pour lui révéler ce qu’elle a vécu. Une histoire à dormir debout sur une exoplanète où elle a tissé des liens. Elle en a rapporté un bijou dont la texture ne semble pas terrestre. On va en apprendre beaucoup sur cette période, comment on vit, ce qui est bien ou difficile… On va découvrir aussi la surprenante réaction de leur mère. Julie a mémorisé énormément d’éléments de sa vie d’ailleurs qui, au fond, se tiennent bien entre eux. On pourrait y adhérer. L’auteure parsème cette deuxième partie d’extraits de presse, de journaux intimes, de récits, de témoignages, de fiches techniques d’animaux inconnus, autant de pièces à conviction. Mais rien à faire, Serena ne mord pas. Pas complètement. Elle est comme moi, cartésienne, cherchant une explication plausible à tout ça, une preuve.
C’est sûr qu’on appréciera grandement ce roman si l’on est fan de science fiction, n’empêche qu’il est très prenant et la qualité de son écriture et de ses personnages nous procure un réel plaisir.

La Fracture de Nina Allan, 2017. 2019 aux éditions Tristram. Traduit de l’anglais par Bernard Sigaud. 410 pages.

Texte © dominique cozette

La panthère des ventes !

Je crois que la Panthère des neiges de Sylvain Tesson est le livre le plus vendu dernièrement. C’est un très beau livre, il faut dire, Tesson n’ayant pas sa pareille pour décrire un lieu, un sentiment, un être, avec un art de dentelière consommé. Son défi, cette fois, n’est pas de courir partout mais de rester à l’affût, des heures, des jours durant par un froid glacial pour tenter de voir, que dis-je, d’apercevoir cette mythique panthère qui tend hélas à disparaître, la faute à qui ? A la race humaine que fustige largement l’écrivain épris de nature, de silence, d’animaux.  « Hier, l’homme apparut, champignon à foyer multiple. Son cortex lui donna une disposition inédite : porter au plus haut degré la capacité à détruire ce qui n’était pas lui-même tout en se lamentant d’en être capable. A la douleur, s’ajoutait la lucidité. L’horreur parfaite. »
Tesson, fasciné par l’animal, ne peut s’empêcher de le rapprocher  d’une femme qu’il aima follement, amour qu’elle rompit parce qu’il refusait de rester près d’elle, de la nature et de ses animaux. Ce qui renforce sa réflexion. « Thermomètre à — 20°C. Nous autres, les hommes, étions condamnés à ne faire que passer en ces endroits. La majeure partie de la surface de la Terre n’était pas ouverte à notre race. Faiblement adaptés, spécialisés en rien, nous avions notre cortex pour arme fatale. Elle nous autorisait à tout. Nous pouvions faire plier le monde à notre intelligence et vivre dans le milieu naturel de notre choix. Notre raison palliait notre débilité. Notre malheur résidait dans la difficulté de choisir où demeurer. » Voulant toujours plus, l’homme développa cet esprit d’aventure, de recherche de toutes les satisfactions, les endroits où aller, alors que l’animal se cantonnait au milieu où il était né, son biotope, et devait s’y adapter. Evidemment, la panthère des neiges était tout le contraire de l’homme.
Il s’était donc embarqué avec un photographe animalier réputé pour sa rigueur et son sens esthétique, Vincent Munier, accompagné par Marie, sa fiancée cinéaste, et Léo, son aide de camp philosophe, tous trois rodés à l’exercice de l’affût.
Encore une petite contre nous : « L’homme était apparu il y a quelques millions d’années sur la Terre. Il avait débarqué sans invitation, une fois la table dressée, les forêts déployées et les bêtes divagantes. La révolution néolithique, comme toute révolution, avait sonné la Terreur. L’homme s’était proclamé chef du politburo du vivant, s’était propulsé au somment de l’échelle et avait imaginé une flopée de dogmes pour légitimer sa domination. Tous développaient la même cause : lui-même. « L’homme est la gueule de bois de Dieu ! » disais-je. »
En page 123 est imprimée une image prise lors de cette aventure, un faucon posé sur des rochers. Bien net, bien visible. Ce n’est que plus tard que le photographe découvrit que la panthère y posait aussi, le regard dirigé vers l’objectif et, comme dans les livres magiques, une fois qu’on l’avait repérée, on ne pouvait plus ne pas la voir.
C’est cela, la panthère des neige, invisible mais voyant tout.

la Panthère des neiges de Sylvain Tesson. 2019 aux éditions Gallimard. 170 pages. 18€.

Texte © dominique cozette

Un livre pétillant de grâce et d'humour

Oh, que je me suis régalée avec le dernier opus d’Anna Rozen, Loin des querelles du monde ! Nous sommes en présence de Germain, un écrivain célèbre, germanopratin vaguement atrabilaire, fantastique machine à cash pour son agent et éditeur. Après de nombreux succès, il  ressent l’envie d’écrire un livre différent, pas commercial, expérimental, qui ne se vendra peut-être pas. Son agent lui fait confiance car il sait que ce livre, comme tous les autres, sera un best-seller.
Mais il n’y a pas que ça. Notre  quinquagénaire en a assez de ce monde connecté, du tout-tout-de-suite, les GAFA, les livreurs de tout et autres facilitateurs de vie pour les nantis qui n’ont même plus besoin de s’inquiéter des aléas divers de l’existence (pluie, froid)  puisqu’ils sont protégés de tout et que leur téléphone contient leur vie, leurs dossiers, les réponses à leurs quêtes. Il en a assez aussi du dilettantisme de son neveu Joseph que sa sœur, son ennemie depuis qu’elle est née et lui a volé une part d’amour de ses parents, lui a fourgué, un jeune hirsute et vegan qui, comble, amène une petite amie pas très cool dans l’appartement. La sœur donc qui a déserté pour s’occuper de chèvres à laine dans les Cévennes, attirée d’abord par un plasticien magnifique, rencontré dans une galerie parisienne.
Germain décide de rompre avec ce monde inepte et sans matérialité. Foin du web, il balance ordinateur et smartphone, se remet à écrire à la plume sur des cahiers, à se contenter de son téléphone fixe et d’exiger parfois qu’on lui envoie une lettre ou une carte pour prendre rendez-vous. Sa vie sexuelle néanmoins se poursuit au fil de rencontres affriolantes organisées par un couple d’intellos qui concoctent des dîners chics et fins, mais il n’a toujours pas oublié son grand amour, sa première femme dont il renifle parfois les parfums conservés dans des fioles.
Peu à peu son univers va se racornir. Son neveu parle de retrouver son père en Inde, ses conquêtes ne reviennent pas facilement vers lui si peu joignable, son agent tombe malade, bref, le monde tourne et lui dérive sur son bout de banquise. Même son consolateur attitré, Toulouse-Lautrec, auquel il rend visite en cas de déprime, a laissé son tableau préféré, les Almées avec qui il discutait, partir vers une exposition extérieure à Orsay. Mais il écrit, coûte que coûte…
La succulence de ce livre dont l’argument est mince tient dans la façon qu’Anna décrit les caractères, drôle, narquoise, précise, inattendue, faite de tous petits détails, précieux condiments qui donnent une sacrée saveur à ses anecdotes. Les questions qu’ils se posent sont celles qui nous tourneboulent secrètement, des petits trucs qu’on n’évoque même pas tellement c’est minuscule. Minuscule comme le sel, indispensable donc pour rehausseur les sensations gustatives.
Le plus drôle, c’est ce que le roman de Germain aura pour titre : « Plus rien ne sera comme avant », comme si Anna avait eu vent de notre pandémie, des mois avant.
Une délicieuse lecture sous la très belle couverture d’une peinture de Charles Berberian.

Loin des querelles du monde par Anna Rozen, 2020 aux éditions le Dilettante. 256 pages. 17,50 €

Texte © dominique cozette

Le Diable à Westease.

Paru en 1947, le Diable à Westease est un polar de Vita Sackville-West, romancière, poétesse, historienne. Il paraît qu’elle adorait Agatha Christie et c’est peut-être pour cela qu’elle s’amusa à écrire ce polar d’une facture très classique. Un jeune homme qui vient de finir sa carrière d’aviateur en temps de guerre, cherche un coin tranquille où s’installer définitivement. Le village de Westease, avec ses accès difficilement carrossables (il roule en Jaguar), lui paraît l’endroit idéal, tranquille, sans commerces pour touristes car pas de tourisme ici et un pub où les gens sont d’un abord agréable. La campagne alentour est magnifique et, par chance, une maison est en vente. Parfait. Là, il fait des rencontres, celle d’un peintre habile qui le met mal à l’aise, d’emblée, sans raison objective et qui sera l’un des personnages importants de l’histoire. Un vieux numismate très érudit, bienveillant, ouvert mais ne bougeant pratiquement pas de son vaste bureau où sont rassemblés ses trésors, servi par une femme simple. Un pasteur accorte, aimé de tous, affublé d’une femme malade acariâtre qui passe son temps dans sa chambre, et leur fille, très belle jeune femme franche, directe, qui circule sur son cheval.
Roger, ce jeune homme, est écrivain, solitaire et mène une vie sobre. Il s’est acheté un chien et ne semble pas prêt à écrire un nouveau roman. Mais un beau matin, on lui annonce que le pasteur a été assassiné. Et de manière très originale, sans souffrance cependant. Bien sûr, il est plein de compassion pour sa fille, Mary, dont il n’est pas amoureux. Pour elle, il va s’associer de façon officieuse au commissaire de police venu de Bristol pour mener une enquête difficile. Mais que trouvent-ils ? Pratiquement rien. Les indices laissés par l’assassin ne les éclairent pas, et personne ne souhaite de mal au saint homme.
Un petit roman délicieusement suranné mais dont on a très envie de connaître la fin.

Le Diable à Westease de Vita Sackville-West, 1947. Traduit de l’Anglais par Micha Venaille. Aux Éditions Autrement, 205 p., 16 €.

© dominique cozette

Neuf parfaits étrangers

De Liane Moriarty, j’avais beaucoup aimé deux romans antérieurs, Secret du mari et Petits secrets, grands mensonges. Des romans psychologiques où tout commence toujours dans la joie et la bonne humeur avant que se fissure la cuirasse de ces belles vies et que les machinations les plus viles aillent bon train. J’ai trouvé ton dernier livre au Monoprix pendant le confinement, et c’est assez rare qu’il y ait une très bonne littérature dans ce magasin. Mais il y en a.
Les Neuf parfaits étrangers vont se connaître dans un centre de remise en forme idéal, un sublime endroit perdu au cœur de l’Australie. Y viennent pour des raisons diverses une écrivaine seule, la cinquantaine, rejetée par son éditeur pour son dernier ouvrage en même temps que plaquée par un bel escroc aux femmes seules et riches. Un très jeune couple en Lamborghini, lui simple et amoureux de sa… voiture et de sa jeune femme malgré toutes les opérations plastiques qu’elle a subies pour être encore plus belle, ce qu’il déplore. Un type baraqué, un peu rond,  pas très sympa de prime abord, que la romancière associe à un serial killer, ronchon. Une autre femme seule, mère de quatre filles, que le mari a quittée pour une jolie et charmante jeune femme avec laquelle il fait un voyage de trois semaine en Europe, avec les filles. Un très beau mâle, conscient de son attractivité, sorte de super héros qui aime faire chasse aux vilains maris  pour venger leurs victimes. Et une famille composée d’un couple d’une quarantaine d’années et de leur fille qui va fêter ses vingt ans au centre et ceux de son jumeau suicidé il y a quelques temps.
Cette cure de renouveau et de pureté est fondée sur un règlement drastique. Interdit d’emporter des boissons ou de la nourriture, les livres ne sont pas conseillés et il n’y a pas de télé. Mobiles et écrans divers sont confisqués et la cure commence par plusieurs jours de silence total. Il est évidemment impossible de communiquer avec  l’extérieur. Le régime alimentaire est très strict et commence, comme le silence, par un long jeûne. Le corps est massé, assoupli, oint, etc. On y apprend à méditer, à prendre sur soi, à sortir ses failles. Mais il y aura des « activités » beaucoup plus stressantes et inattendues.
La maîtresse des lieux est une sublime femme très grande, très belle, qui a fui la Russie et dont la passion, semble-t-il, est d’offrir une transformation totale à chacun, à l’issue de ces dix jours. Mais qui est-elle ? Une perverse ? Une folle ? Une thérapeute réellement sincère ? En tout cas, rien ne peut l’atteindre ni assouplir sa discipline.
C’est un pavé assez passionnant car Liane s’y entend pour composer des portraits de personnages dont en a envie de savoir ce qu’il leur est arrivé. Elle s’y connaît aussi en ressort psychologique et en coups de théâtre, si on peut dire. Chaque chapitre s’arrête au bord de la falaise et c’est difficile de résister à la curiosité.
Malgré tout, il y a un passage assez longuet où le récit, comme les neuf curistes, ne sait se maîtriser. En fait, ce n’est pas très grave car ce qu’il se passe est bizarre, incroyable, je pourrais même dire non crédible. Mais nous sommes dans une fiction. L’histoire poursuivra son chemin un peu mieux balisé pour que, finalement, on se dise que c’est un très bon roman.

Neuf parfaits étrangers de Liane Moriarty, 2018. Traduit par Béatrice Taupeau. 2020 aux éditions Albin Michel. 510 pages, 22,90 €.

Texte © dominique cozette

Il est des hommes qui se perdront toujours

De Rebecca Lighieri qui écrit aussi beaucoup de romans sous le nom d’Emmanuelle Bayamack-Tam. Dans celui-ci, drôle d’ambiance ! Sale ambiance, même ! S’il est des hommes qui se perdront toujours, ils sont bien là, dans cette terrible histoire de pauvreté accompagnée maltraitance enfantine. Ça se passe dans une cité marseillaise, la cité Artaud, dont on verra que le poète a marqué de son sceau de mal vie de nombreux personnage. Le père d’abord, un jean-foutre alcoolique qui passe son temps au troquet avec ses potes, pour le plus grand soulagement de ses enfants car quand il est à la maison, les torgnoles, tortures mentales, crachats, injures et humiliations pleuvent sur les pauvres petites victimes. C’est une brute mais dès la première page, on apprend qu’il a été retrouvé sauvagement assassiné près de la décharge, là où ça deale, où il deale aussi pour pouvoir s’approvisionner. Sa femme vient d’Algérie, elle ne moufte pas sauf de rares fois où, le mari parti, elle danse et chante avec ses gosses. Ses gosses : une fille magnifique et un garçon superbe qui, bien avant leur puberté, seront traînés de castings en castings pour la gloriole paternelle (il ignore que l’argent gagné par les enfants ne va pas aux parents). Un peu plus jeune, un autre gamin dont le père ne voulait absolument pas, sortira du ventre de sa mère, avorton tragiquement handicapé et moche. Il deviendra le souffre-douleur du père mais sera tellement aimé de sa mère qu’il supportera le reste.
Ces enfants qui ne peuvent rester chez eux, vont rejoindre le camp des gens du voyage, pas loin, et s’y feront accepter d’une façon particulière pour chacun d’eux. Le narrateur y rencontre, tout gamin, la fillette qui va l’aimer comme pas possible et dont il voudrait se détacher plus tard, pour goûter d’autres choses, d’autres femmes. Mais ici, on ne plaque pas sa femme, même quand on est un gadjo. La sœur sera moins attachée au camp, d’ailleurs, elle deviendra une sacrée vedette. Quant au petit, il s’est blindé, il fait ce qu’il veut de tout le monde, on le respecte.
Mais est-ce qu’on se sort d’années de violences quand on n’a connu que ça, un père qui n’a jamais considéré ses mômes comme des êtres humains, une mère qui laissait passer de peur de s’en prendre plein la troche elle aussi ? Tout peut arriver, le pire, déjà. Quant au meilleur, c’est forcément pour les autres.
Rebecca Lighieri n’est pas une auteure mièvre. La vie qu’elle déroule est une vraie chienne de l’enfer, les gens vivent comme des moins que rien même s’ils réussissent à se créer parfois de belles fêtes, les mariages ou baptêmes roms, par exemple, la sacrée sainte famille aussi, dans laquelle se réfugient nos laissés pour compte.  Si vous aimez l’eau de rose, ce livre n’est pas pour vous.

Il est des hommes qui se perdront toujours de Rebecca Lighieri. 2020 aux éditions P.O.L. 380 p. 21 €

Texte © dominique cozette

Le fils/fille d'Hemingway

En quatrième de couverture du formidable livre le Secret Hemingway de Brigitte Kernel est inscrit son début :
« Ils ont dit que j’avais tué ma mère.
Puis ils ont dit que j’avais tué mon père.
Enfin, ils ont dit que chez nous, les Hemingway, de génération en génération, tout le monde se tuait.

Ce roman est une histoire vraie, celle de Gloria, née Gregory Hemingway (1931-2001). »

Je le redis, ce livre est formidable, un vrai régal car Brigitte Kernet a le don de rendre authentique n’importe quelle scène d’une vie quelle qu’elle soit, alors une vie Hemingway ! par des détails d’action, de description, de dialogue. Je suppose qu’elle planque derrière toutes les portes pour savoir ce qui s’y passe. Et ce n’est pas rien de reconstruire une telle vie chaotique sans que ça prenne l’allure d’une bio.
Il se trouve que le troisième fils du grand Ernest, du viril Ernest, ardemment désiré … comme fille, est effectivement une fille … dans un corps d’homme. Tellement déçue, la maman, qu’elle l’habillera en fille, comme on faisait parfois, mais jusque tard. On l’appelle Gigi, on l’adore. Mais quand même. Ernest veut en faire un mâle et comme ses aînés, Gregory passera tous ses étés dans les montagnes sauvages, campant, pêchant, chassant comme un vrai trappeur. Cela ne lui convient pas trop. Il préfère la lingerie fine des maîtresses de son père. Le scandale quand on découvre sa vraie nature ! Hélas pour le jeune Gregory qui adore son père. Il ne supporte pas de lui faire de la peine. « Pour lui, longtemps, j’ai forcé l’homme en moi à sacrifier la femme ».  Toute l’histoire de ce fils est douloureuse, pris entre ses deux genres, entre ses amours. Il se marie trois fois, il a huit enfants. Sa dernière femme que son côté féminin amusait sous ses dehors virils, baraqué, poilu, finira par demander le divorce, lassée de ses scandales à répétitions.
Il a fait médecine pour deux raisons : comprendre de quoi sa mère est réellement morte, pouvoir se fournir en hormones sans rendre de comptes. Puis il a été radié à cause de ses frasques et de son alcoolisme.
Le récit n’est pas linéaire. Les saynètes sont vivantes, courtes, enlevées, entrecoupées de séquences dans la boîte gay friendly, Secret Don’t Go, tenue par une transsexuelle, sa meilleure amie qui l’aide dans ce douloureux passage d’un sexe à l’autre. Ce passage, il l’entreprendra sur le tard pour épargner sa femme et ses gosses. (Quand cette amie s’étonne que Gloria ait des enfants : « Tu as des enfants, Gloria ? Enfin je veux dire tu es mère ? » – « Je suis père », répond-elle.)
Ce qui n’empêche pas ces derniers de s’éloigner de ce drôle de père. Sa femme, même séparée, continuera à l’aimer et c’est réciproque car malgré cette délicate situation, il ne faut pas croire que Gloria rêve d’amour avec des hommes, non. Elle n’aime que le corps des femmes, elle est lesbienne, elle l’était déjà quand elle était homme.
Comme pour beaucoup de trans,  les violences verbales et les passages à tabac sont fréquents car les hommes ne les supportent pas, elle a même subi un viol épouvantable, ce fut la la seule fois où son nouveau corps fut pénétré.
Et puis, comme beaucoup d’Hemingway, elle aime l’alcool, elle en consomme plus que de raison et lors de soirées mémorables, elle s’exhibe nue dans des lieux publics (notamment au Fouquet’s) et finit par se retrouver en prison. Une prison de femmes où elle devient le souffre-douleurs d’effrayantes gorgones. Dans cet endroit peu accueillant, elle écrit une lettre, une grande lettre à son père — qui s’est tiré une balle depuis belle lurette — pour lui expliquer son cas, se soulager. Jamais Ernest n’a voulu parler de « ça », toujours il lui a reproché d’avoir tué sa mère. Gloria lui écrit qu’à sa sortie, elle ira faire la fête au Secret puis se tirera une balle, comme lui, comme son père et d’autres Hemingway. A ce moment-là,  elle meurt d’une crise cardiaque, juste avant sa sortie.
Ce livre est bourré d’anecdotes, d’états d’âmes, de douleur mais à la fois de légèreté par le style enlevé, imagé, voire pétillant de l’auteure, notamment quand Gloria parle avec son amie dans la boîte de nuit. C’est un puzzle magique qui nous fait passer d’un sentiment à l’autre mais nous attache avec chaleur et brio à ce personnage qui commença aussi mal sa vie qu’il la finit, persuadé à raison que lorsqu’on s’intéressait à lui/à elle, c’est juste parce qu’il/elle était la progéniture de l’immense, du monumental Ernest, chasseur de lions, pêcheur de baleines, buveur, hâbleur, baiseur dont les deux meilleures amies, Dietrich et Garbo, toujours fourrées chez eux à Key West, seront les modèles en élégance, en habillement, en accessoires de Gloria.
Une histoire qui prend là.

Le Secret Hemingway de Brigitte Kernel. 2020 aux éditions Flammarion. 320 pages, 19 €

PS : j’ai acheté ce livre dans une librairie du 11ème qui, sur commande, vend le livre « au guichet ». Formidable idée de beaucoup de librairies et sur Librairies.com.

Texte © dominique cozette

L'art de perdre

L’art de perdre d’Alice Zeniter fait partie des livres qu’on m’a prêtés pendant cette période sans librairies et à côté duquel je serais passée, ce qui aurait été fort dommage. Curieusement, cet excellent roman est de la même inspiration que celui dont je vous ai parlé la semaine dernière, le Pays des autres, de Laïla Slimani car ici aussi, c’est une jeune femme d’aujourd’hui qui reconstitue le parcours de ses ascendants, grands-parents, parents et parentèle collatérale venus du Maghreb. Le premier avait pour cadre le Maroc, jusqu’en 54, date de son indépendance, et pour celui-ci, c’est l’Algérie et sa guerre d’indépendance, jusqu’à nos jours.
Le grand-père, Ali, est un montagnard kabyle qui cultive ses terres dans un magnifique paysage très sauvage où personne ne passe, loin de la ville. Il renvoie sa première femme parce qu’elle est stérile puis épouse Yema,une jeune fille toute petite, alors qu’il a une stature de géant, qui lui donnera un fils. Pour commencer. Ils auront dix enfants. Mais le premier fils, Hamid, c’est le trésor d’un père musulman, c’est à lui de soutenir la famille plus tard. D’ailleurs, il sera vite de toutes les obligations administratives et plus puisque ses parents sont analphabètes. Ali ne fait pas de politique, du moins comme l’indique l’auteure, il n’a pas les éléments pour comprendre ces choses, mais il a servi dans l’armée française, aussi continue-t-il à entretenir de bonnes relations avec notre pays, au grand dam d’autres membres de la famille qui sont indépendantistes. D’où beaucoup de brouilles, des morts.
Puis vient le moment où ils sont obligés de quitter l’Algérie, en 62. La France va tellement bien s’occuper d’eux qu’ils atterrissent dans le fameux camp de Rivesaltes, un lieu immonde, sale, froid, sans aucune commodité. Hamid a sept ans, il va aller en classe. Cette très mauvaise période assez longue se terminera lorsqu’on les logera dans une HLM en Normandie, où ils ne se sentiront jamais chez eux. Yema fait ses gosses, son ménage et sort peu. Elle ne comprend pas le français. Ali est embauché à l’usine où son emploi n’évoluera jamais contrairement aux Français de souche qui eux montent en grade. Hamid va prendre ne charge toutes les tâches que les voisins ne peuvent et ne savent pas faire, étrangers non intégrés qui ne comprennent rien. Il le fait avec grâce, c’est son rôle d’aîné bien que sa sœur est capable d’en faire autant, mais on ne le lui demande pas car c’est une fille. Ils craignent tellement qu’elle se laisse entraîner à devenir comme les Françaises en pantalon qui fument et sortent. Hamid travaille bien, il ne demande qu’à sortir de ce piège qu’est leur famille fermée sur elle-même. Il fera des études qui lui ouvriront l’esprit, d’autant qu’il devient ami avec deux étudiants révolutionnaires, intellectuels de gauche.
Puis il rencontre Clarisse et tous deux vont vivre leur amour malgré leurs hésitations du début, aucun n’osant avouer cette relation « contre nature » à ses parents.
Clarisse, fille charmante, apaisante, facile à vivre, ne réussira jamais à débloquer l’intimité d’Hamid sur ce qui s’est passé aussi bien pour son père que pour lui et qui semble leur pourrir la tête. Parfois, il est question d’emmener toute la famille là-bas, revoir la maison, les monts d’oliviers, les frères et cousins restés au pays, mais à cause d’attentats ou autres événements tragiques, ils s’y refusent.
Naïma, la narratrice, la seule enfant du couple Clarisse-Hamid, éprouve beaucoup de tendresse pour sa petite grand-mère algérienne, désormais veuve, mais vu qu’aucune ne parle la langue de l’autre (Hamid s’est bien gardé de parler arabe à sa fille), Naïma ne connaîtra jamais non plus cette histoire familiale, ses malheurs, la tristesse d’avoir perdu leur paradis.
Pourtant, elle sera poussée à aller en Algérie pour un travail artistique. Là, elle est accueillie dans un groupe d’intellectuels et autres artistes qui vivent peu ou prou comme elle. Puis se rendra, avec crainte, et sans s’annoncer, dans la montagne de ses aïeux, région contrôlée dorénavant par les barbus réacs. Elle y découvrira la chaleureuse ambiance de ces gens qui vivent de façon précaire mais ne sentira pas la fibre censée vibrer quand on retrouve ses racines.
Ce livre est passionnant dans l’optique socio-ethnologique. Il est raconté de façon tellement vivante qu’on voit les scènes en les lisant. La patriarchie, l’écrasement des femmes, les événements politiques, puis l’arrachement  d’une terre qu’on révère, qu’on a bâtie, irriguée de son sang. Et la dure réalité d’une transplantation dans un pays raciste où jamais on ne trouve sa place, jusqu’à la génération présente où beaucoup ne réussissent pas à pardonner à ceux d’avant, où les histoires du passé, tenaces, impactent encore la construction de leur être.

L’art de perdre d’Alice Zeniter, 2017 aux éditions Flammarion, 510 pages. 2019 aux éditions J’ai lu.
Prix littéraire du Monde 2017, Prix des libraires de Nancy 2017, Prix Goncourt des lycéens 2017

Texte © dominique cozette

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