Aaaah ! Fab Caroooo !

Ok, il s’appelle, de son nom d’écrivain Fabrice Caro, soyons sérieux un peu. Fab Caro, c’est son nom de bédéiste, le nom du dessinateur hilarant qui fit un tabac avec  Zaï Zaï Zaï Zaï entre autres et qui transcrit du bon côté de la rigolade, la fine, celle qui rend moins con, ses petits travers de père, époux, mec de la bonne quarantaine, perdu dans l’infernal tracas de la mécanique du monde. Son troisième roman, Broadway, ne raconte pas grand chose de plus que ce que l’on sait du non-sens de la vie, mais énormément plus que ce que notre cerveau enregistre face à l’adversité. L’adversité, ici, c’est une injonction écrite et à lui postée à passer le test de dépistage du cancer colorectal.  Courrier que nous recevons tous passé 50 ans. Sauf que lui n’en a que 46. La honte, le désarroi, la perte de ses repères. C’est aussi une convocation par le directeur de l’école pour venir s’expliquer sur un dessin porno qu’a réalisé son fils de 14 ans. C’est encore un engrenage infernal organisé par un nouveau voisin sans intérêt à trinquer chaque trimestre au son d’un verre de whisky qu’il a par lâcheté accepté alors qu’il déteste cette boisson mais dont il se sent obligé de cultiver le culte, les marques et le vocabulaire qui l’entourent. C’est aussi la prof d’anglais, représentée en levrette sur le dessin, qu’il harcèle mollement en se ridiculisant violemment. Et le couple d’amis (sa femme est amie avec la femme de l’autre) qui projettent de passer l’été ensemble à faire du paddle à Biarritz et qu’il n’a pas eu de courage de décliner immédiatement, prévoyant d’avance la pâtée qu’il va se prendre en slip de bains sur cette improbable planche.
« Du paddle à Biarritz. Si je devais établir une liste de mes vacances idéales, le paddle à Biarritz avec un couple d’amis n’apparaîtrait pas sur la feuille, ni au dos, ni dans le cahier tout entier. Le soir où il avait lancé cette idée, tout le monde était emballé, c’était l’idée du siècle, du paddle à Biarritz, youhou, champagne. Moi-même j’arborais un sourire franc pour ne pas détonner dans l’effervescence ambiante, un sourire de photo de mariage, sans même savoir ce que signifiait le mot paddle, quoique pressentant qu’il avait de bonnes raisons de ne pas faire partie de mon vocabulaire. En rentrant, j’avais tapé paddle sur Google images, et mes appréhensions s’étaient vues confirmées : on me proposait d’aller ramer debout sur une planche en caleçon de bain avec des gens, et je me suis aussitôt vu, le dos courbé sur un paddle qui n’avançait pas, voire reculait, transpirant et rougeaud, le visage grimaçant de douleur et d’effort, tentant de rattraper à vingt mètres devant moi Denis et ses pectoraux fermes et tendus sous le vent océanique. »
J’oublie sa fille de 18 ans qui se meurt dans un chagrin d’amour et oblige son père à brûler des cierges en priant pour d’horribles choses à sa rivale. Ce qu’il fait aussi de peur de mal jour son rôle de père. Et puis ce mail idiot concernant le fameux cancer colorectal qu’il envoie par erreur à son boss.
Le héros est veule, lâche, désemparé, faible, un homme quoi, mais l’auteur est plein de dérision pour le dérisoire de la vie. Il nous conte de façon extrêmement comique ce qui se passe dans le cerveau de cet homme, ce qu’il imagine pour échapper à tout ça ou simplement pour réenchanter sa vie,  des choses très folles, très Broadway, tout en nous abreuvant de mini-souvenirs d’enfance ou d’adolescence pas du tout à son avantage. Episodes de vie de loser comme on en connaît tous mais dont le talent nous manque pour les rendre dignes d’être racontés. Le talent, Fabrice Caro le brasse à la pelle, chaque paragraphe est un petit chef-d’œuvre à déguster tendrement, oui, tendrement car on s’apitoie pour ce pauvre vieux gamin qui ne connaît pas son propre mode d’emploi. Evidemment, on rirait moins si c’était notre mari !
Chouette chronique sur un mec dont la vie n’est qu’un malaise général, de quelque côté qu’il se tourne. C’est vraiment drôle, parfois pathétique par effet de miroir, avec une écriture très fluide malgré l’absence générale de dialogues ou à cause de ça, peut-être.
A lire masqué.e dans les transports en commun pour cacher le sourire niais qui s’affichera automatiquement sur votre tronche de cake séduit par cette affaire.

Broadway par Fabrice Caro aux éditions Gallimard. 200 pages, 18 €

Texte © dominique cozette

Balade dans l'East Village avec Chantal Thomas

Ce n’est pas celle qui fabrique les soutifs, cette Chantal Thomas, elle est essayiste et romancière, entre autres talents d’écriture, que je n’avais jamais lue. On m’a offert l’opus intitulé East Village Blues, une petite merveille de retour sur soi quand elle est tombée amoureuse de New-York dans les années 70, lors d’une simple escale après une sorte de demi-tour du monde qu’elle avait l’habitude de faire avec sa grande amie Sandra, sans plan, sans rien de prévu. Toutes les deux, elles partaient n’importe où au gré des rencontres et des envies, frôlant parfois le dangereux mais elles s’en tiraient toujours très bien, enrichissant leur stock d’aventures et de souvenirs au fil du temps. A cette époque heureuse, on pouvait voyager n’importe où sans problèmes. Or, New-York devint subitement l’endroit où Chantal devait vivre, pas ailleurs et de toute urgence. Le plus difficile  fut d’annoncer cette rupture de vie voyageuse à Sandra. Sandra qui, pas rancunière, donna à son amie un vague numéro de téléphone d’une amie d’un ami etc…
Quand Chantal arriva dans la grosse pomme, elle appela et tomba sur Cynthia, le numéro. Elle vivait dans un minuscule endroit mais accepta de le partager. Et de là commence son exploration dans cette partie de la ville, les inénarrables fêtes dans d’improbables lieux d’habitation, les collusions avec tous ceux qui bâtirent la réputation arty de New-York, la bande à Warhol mais aussi les références nombreuses à la beat generation, un parcours échevelé qui constitua une partie de sa jeunesse. Elle nous parle de tout ceci depuis un nouveau séjour en 2017 où elle va tenter de retrouver ses lieux de prédilections, avec un enthousiasme qui nous ferait partir là-bas dès que possible !
Indispensable pour les amoureux de la Grosse Pomme. Livre agrémenté de photos d’Allen S. Weiss.

East village blues par Chantal Thomas 2017. Chez Points. 164 pages.

Texte © dominique cozette

Lola Lafon et Patty Hearst

Le livre de Lola Lafon s’intitule Mercy Mary Patti. Oubliez Mercy et Mari, deux très courtes références à des femmes elles aussi enlevées, et concentrons-nous sur Patti, alias Patricia Hearst, petite-fille d’un magnat de la presse, enlevée en 1974 par un groupe de révolutionnaires. L’affaire fit d’autant plus de bruit aux Etats-Unis, que Patti, qui égrenait ses vidéos dans l’actualité, se disait totalement libre de sa pensée et de son sort, car très vite, épousant la cause de ses geôliers, elle en fit  la propagande et obligea son richissime parent de, non pas envoyer de rançon, mais de nourrir les centaines ou milliers de pauvres qui peuplaient la Californie. Evidemment, les pouvoirs publics comme l’intelligentsia décrétèrent de conserve que la pauvre petite — elle avait 19 ans — était victime d’un lavage de cerveau. Malgré les dénégation de la jeune fille qui bientôt se débarrassa de ses signes extérieurs de richesse pour porter le treillis et manier la kalach. Elle participa à un hold-up armé qui entraîna une vaste chasse à l’homme contre elle et ses ravisseurs. Ceux-ci furent tués (brûlés vifs) mais pas elle. On l’emprisonna afin qu’elle fût jugée. Or ses parents, pas rancuniers malgré les injures qu’elle leur envoya, payèrent nombre d’avocats pour sa défense. Et l’un d’eux délégua à Gene Neveva, prof d’université US en résidence dans les Landes, la tâche de scruter et analyser tous les documents en leur possession pour plaider sa cause.
Le livre commence à ce moment-là. Gene, femme forte et sans vergogne, engagea la jeune Violaine pour défricher le binz, elles avaient peu de temps. Violaine, mal à l’aise, oie blanche mal dégrossie (par ailleurs anorexique), n’était pas souvent d’accord sur l’analyse des vidéos ou des témoignages de Patti mais d’un autre côté, cela ouvrait aussi d’autres perspectives. Voilà pour ces deux femmes, leurs façons de vivre et leurs questionnement.
Puis arrive une troisième personne, apparemment bien plus tard, qui évoque la Violaine d’aujourd’hui, cinquante ans, seule, et la suite de l’affaire.
C’est un livre passionnant mais…
Mais la forme est malaisée. Le pronom d’abord utilisé est le « vous », ce vous s’adresse à Gene Neveva, dans cette quête de documents à décharge. On ne sait pas qui parle et cette distanciation est assez difficile à intégrer. Et quand la troisième personne apparaît, c’est sous le pronom : »je ». Encore une fois, qui s’exprime ?
Il s’agit bien sûr de l’auteure, Lola Lafon, mais quelles complications pour un récit vraiment foisonnant, bourré de questions, de partis pris ou non, de considérations sur la liberté, et surtout très riche sur les détails définissant les deux personnalités. Ça n’empêche pas de trouver ce récit attachant, comme on peut le faire pour des gens qu’on ne comprend pas tout passant de superbes moments en leur compagnie.
Ce n’est pas un gros livre, les chapitre sont courts, la prose est plaisante, il se laisse lire avec plaisir.

Mercy Mary Patti de Lola Lafon, 2017, aux Editions Babel. 240 pages, 7,80 €.

Texte © dominique cozette

De beaux lendemains

Vous allez me dire : encore un écrivain américain et un livre pas très récent dont on a tiré un film.  Je vous répondrai oui. De beaux lendemains de Russel Banks est un très très bon roman qui se situe dans une petite bourgade du nord de l’état de New-York, paysage souvent enneigé lors des saisons fraîches. Ici, tout le monde se connaît, tout le monde se fréquente, mais aussi certains ont leur petit ou grand secret. Un jour comme un autre, Dolorès, au volant de son car scolaire, fait son ramassage d’enfants de tous niveaux, une bonne variété d’enfants, les renfrognés, les chahuteurs, les sages. Le père des jumeaux suit le car comme chaque matin pour répondre aux signes de ses enfants à l’arrière du car. Il ne fait pas trop attention, pensant à ses séances de baise très discrètes avec la femme de son ami lorsque le car fait une embardée, dévale dans le décor et s’abîme dans un plan d’eau. Plusieurs enfants meurent, une ado de 14 ans est gravement blessée et ne pourra plus marcher, la conductrice est sauve. C’est la consternation, évidemment. Le traumatisme.
L’accident et son dénouement vont  être exposés par quatre intervenants qui ont chacun leur propre histoire. D’abord (et à la fin) la conductrice, une femme appréciée dont le mari est en fauteuil roulant, qui se sent forcément coupable bien qu’elle roulât à une vitesse normale. Puis Billy, le père des jumeaux qui suivait le car, veuf et qui ne se remet pas de la mort de sa femme après un cancer, alors qui se défoule en couchant avec cette voisine, et qui boit aussi pour oublier. Il boira d’autant plus que ses jumeaux sont morts dans l’accident. Puis un grand avocat qui tente de grouper plusieurs victimes afin de porter plainte contre un responsable, car pour lui, l’accident n’existe pas, tout cela est forcément dû à une défaillance :  barrières de sécurité pas assez solides, plan d’eau qui aurait dû être asséché, freins du car etc…. Enfin, mais précédant la deuxième intervention de la conductrice, la jeune fille de 14 ans, paralysée du bas du corps, dont on apprend que son père ne cessait d’abuser d’elle. Pour l’avocat, cette jeune fille est son atout majeur, elle ne manquera pas d’émouvoir les juges ou les jurés. Sauf que son témoignage sera réellement inattendu.
Passionnant car très dense, très riches en anecdotes et très fouillé sur les causes possibles d’un accident quel qu’il soit. Et toujours intéressant de voir comment vivent les gens dans ces petits bleds proches de la nature.

De beaux lendemains de Russel Banks (The sweet hereafter 1991). Aux éditions Babel, traduction de Christine Le Bœuf. 336 pages.

Texte © dominique cozette

 

Une saison ardente

Je pioche Une saison ardente de Richard Ford dans une pile de vieux livres et m’enthousiasme pour cette histoire simple racontée par un garçon de 17 ans. Peu à peu, je me souviens en avoir vu le très bon film ce qui me conforte dans ma progression. Oh, ce n’est pas un gros roman ! Le père, un brave type à l’américaine, est brutalement viré de son emploi précaire au golf sur un prétexte bidon. Puis, au lieu de se remettre en chasse d’un job, il traîne, n’a plus goût à rien. Nous sommes dans le Montana dans les années 60, un énorme incendie progresse dans les montagnes un peu plus loin. La mère, une femme charmante, ne semble pas affectée par la situation, elle-même travaille. Pour elle tout va s’arranger. Le garçon, être solitaire et paisible, se pose des questions. Quand soudain, le père décide d’aller au feu au grand dam de son épouse qui trouve cela hyper dangereux, certains en sont morts. Le garçon se retrouve seul avec sa mère qui lui pose souvent des questions existentielles sur la vie, l’amour, l’avenir. Lui répond toujours dans le sens du poil. Puis apparaît un monsieur, riche mais discret, plus âgé, pas très séduisant. Il boîte. Alors le fils se met à observer les rapports que cet homme entretient avec sa mère. Il va lui offrir un travail plus adapté et va aider le garçon à se présenter dans une bonne université. En fait, sa mère succombe et même semble très amoureuse, sans se cacher de son fils et même en cherchant son approbation. Puis le père revient du feu…
Ce qui est bizarre dans le récit, ce sont les dialogues. Rien n’est attendu, les questions comme les réponses sont surprenantes sous couvert de banalités familiales. La mère, le père et le monsieur ne cessent d’essayer de savoir ce que pense le jeune homme sur ceci ou cela, des choses auxquelles un jeune ne saurait répondre, et semblent se contenter de ses réponses souvent complaisantes. Et si elles ne le sont pas, c’est tant pis pour lui, car « c’est comme ça ». C’est extrêmement plaisant d’assister à ce petit mélodrame familial comme vu d’un trou de souris. Le dénouement en est plutôt surprenant.
Film et casting au top. Voir bande annonce ici.

Une saison ardente de Richard Ford, 1990. Wildlife, traduit par Marie-Odile Fortier-Masek. Editions de l’Olivier, 220 pages. 95 francs ! Ou en poche à Points, 9,10 €.

texte © dominique cozette.

Du Mars Club à la prison.

Le Mars Club de Rachel Kushner a reçu le prix Medicis étranger. Ça m’a incitée à le lire et je ne le regrette pas, malgré la noirceur du sujet. En fait, non, j’adore les romans glauques. Celui-ci se passe entre le San Francisco des années 80, mais le SF côté triste, les bars louches, les trafics de toutes sortes, les mauvais coups. Le Mars Club est un bar à strip-tease plutôt nase où bossait notre héroïne, Romy (sa mère avait adoré un film avec Romy Schneider), ce n’était pas réellement un bar à putes quoique. Les travailleuses avaient pour missions de faire cracher le max de fric aux glandus qui les regardaient danser sur l’estrade et pouvaient les toucher. Manque de chance, un de ces types s’est entichée d’elle et ne pouvait plus se passer de la voir. Il a fini par la suivre, l’appeler au téléphone, la harceler constamment. Elle a déménagé sans laisser d’adresse mais un jour, elle l’a vu sur son perron. Hors d’elle, elle l’a frappé, il en est mort. Un brave homme handicapé tué par une strip-teaseuse aux moeurs légères, que croyez vous qu’il arriva ? Mal défendue, elle fut condamnée à deux perpètes. Ce qui veut dire, aux Etats-Unis, aucune sortie possible. Je finis ma phrase du début : ça se passe entre SF et les prisons de femmes où l’on croise de drôles de phénomènes, écrasées par leur destin de pauvres filles, de personnes trans-genre très mal vus dans cet univers, des dominantes épouvantables, des tarées aussi. Romy prend des cours de littérature avec un homme qui s’intéresse aux personnes incarcérées, plus tard elle essaierai de le convaincre d’adopter son fils, d’abord gardé par sa mère de Romy qui meut dans un accident. Mais il lui apprendra le pire : elle a été déchue de ses droits parentaux et ne pourra jamais plus savoir ce qu’il devient.
La trame n’est pas le plus important du roman. Le plus intéressant, c’est la matière que Rachel Kushner injecte dans l’histoire, des tas de choses qu’on ignore, une somme d’infos considérable sur la vie de ces femmes, des considérations, des anecdotes, des analyses psy, des souvenirs, des chapitres dédiés aux drôles de vies de ses personnages secondaires. Ça fourmille d’idées, de digressions, de faits divers, c’est extrêmement vivant et sans pathos car même si l’on y côtoie des condamnées dans le couloir de la mort, elles semblent avoir la pêche et possèdent une belle rage de survivre. Un talent féroce !

 

Le Mars Club de Rachel Kushner, (The Mars Room), 2018 chez Stock, traduit par Sylvie Schneiter. Le Livre de Poche, 480 pages, 8,70 €.

Texte © dominique cozette

Pauline Dubuisson au microscope

Qui n’a pas vu la Vérité de Clouzot avec la magnifique BB se débattant contre les juges et la société ? Mais Pauline Dubuisson n’avait pas grand chose à voir avec Dominique, l’héroïne du film, superficielle, fêtarde, cynique. Philippe Jaenada, pour écrire La Petite femelle, a écumé tout ce qu’il pouvait trouver sur le sujet.  C’est un pavé. Un réjouissant pavé.Il a tout revu, relu, interrogé des survivants, retrouvé la vie de gens qui l’avait côtoyée. Il a pratiquement autopsié la sphère dans laquelle s’est débattue cette jeune femme. Beaucoup de livres ont relaté sa vie mais à travers le prisme de la « justice » injustement représentée par trois hommes hargneux, réacs et misogynes (dont Me Floriot qui se venge sur elle d’avoir été trop coulant avec une meurtrière précédente) et les journalistes qui suivent aveuglément ces phallocrates qui négligent d’évoquer la moindre piste pouvant alimenter quelque circonstance atténuante.
Pauline Dubuisson n’a pas de soeur (exit Marie-José Nat) et ne passe pas ses soirées à bringuer avec les mecs de St Germain des Prés. Elle a été élevée à la dure par un père qui trouvait ses trois fils mollassons. Il lui a appris surtout de ne jamais montrer ses sentiments ce qui aura une énorme incidence lors du procès où on la traite d’insensible. Elle est très intelligente et travaille si bien qu’elle s’ennuie à l’école. Son adolescence se passe pendant la guerre de 40 et son père, qui ne parle pas allemand, l’envoie chez l’occupant. Comme elle est précoce et belle, elle tombe sous le charme de l’un d’eux. Donc elle couche très jeune et, scandale, avec l’ennemi. Elle sera tondue à la libération et tellement humiliée qu’elle s’installera loin de chez elle, à Lyon. (Elle est de Malo dans le Nord).
Elle s’inscrit en médecine à Lille et c’est là qu’elle rencontre Félix, un très beau et très gentil puceau. Forcément, il en pince plus que de raison pour cette créature qui a très mauvaise réputation mais avec qui il s’envoie en l’air avec passion. Il veut même l’épouser.
Quant à sa mort, c’est comme dans le film : elle voulait se suicider devant lui car il ne voulait plus d’elle (il s’était fiancé à une jolie oie blanche et le mariage devait suivre) mais il a voulu l’en empêcher et a pris la balle. Et deux autres. C’est sa version à elle. Jeanada rejoue la scène avec sa femme dans le tout petit espace de la chambrette et conclue qu’il est impossible qu’elle ait voulu le tuer.
Même si on connaît l’histoire, Jaenada recrée le suspense avec ceux qui s’acharnent sur Pauline, qui ne lâchent rien, qui veulent sa tête (la peine de mort existe encore). L’écrivain a réussi à nous dire TOUT ce qu’il y a à savoir sur elle et c’est impressionnant le nombre de témoignages qu’une enquête peut déterrer. Des petites choses sans importances, des gens à peine croisés, des objets achetés, donnés, jetés, tout est retrouvé et décrypté.
Mais le plus beau, dans cet énorme récit, c’est le flot de digressions qu’aime faire l’auteur, soit pour placer un trait d’esprit, soit pour citer un exemple personnel se rapportant à l’histoire, soit pour creuser le portrait d’un personnage qui lui tient à cœur, notamment les prisonnières amies avec Pauline dont il va narrer longuement les exploits les ayant envoyées en prison. C’est plaisant. Parfois, il arrive à entremêler plusieurs parenthèses, jusqu’à trois, comme des poupées russes se renfermant les unes dans les autres. Il nous montre aussi comment le film de Clouzot (très à charge) a détruit la vie d’après de Pauline d’une manière irréparable. Dans ses fameuses digressions, on apprend que Hugues Auffray devait jouer le rôle de Sami Frey mais qu’il a lâché après trois jour de tournage, écœuré par la violence de Clouzot.
C’est un livre absolument remarquable, une belle histoire des mœurs de cette époque où les femmes libres — celles qui refusaient de se marier pour s’occuper d’un bonhomme — étaient livrées à la vindicte populaire.

La Petite femelle de Philippe Jaenada, 2015. Aux éditions Points, 738 pages, (avec photos à la fin), 9,10 €.
NB : L’édition de poche possède un post-scriptum dévoilant quelques précisions importantes reçues à l’issue de la première édition.

Texte © dominique cozette

 

 

Mais qu'est-ce que raconte ce livre ?

Le plus difficile n’est pas d’écrire un livre.
Le plus difficile est de trouver un éditeur. Mais ce n’est pas encore le plus difficile. Quoique.
Le plus difficile, c’est que le livre soit enfin publié.
Le livre publié, on se dit youpiiiii, génial, quel kif et on danse la carmagnole avec une bouteille de prosecco dans chaque main, faisant ruisseler le nectar italien dans des verres à moutarde où restent quelques traces de colle avec ses voisins de palier en pensant que bientôt, ce sera du Krug Grande Cuvée servi dans des flûtes en cristal lors d’un prix fêté par le tout-people dans une célèbre brasserie germanopratine qui abrita les amours de Juliette et de Miles.
Là, on se fourvoie dans les grandes largeurs. Avant tout cela, des obstacles insensés autant qu’inattendus se seront dressés sur la route de notre succès : Rachat d’édition, grèves d’imprimeurs, faiblesse du service de presse, mauvaise timing, faillite…  ou même mépris total pour la personne en question.
Beaucoup de ces avatars se sont produits tout au long de ma vie artistico-professionnelle au gré des domaines qui s’ouvraient à moi telles de prometteuses fleurs non cultivées industriellement par de pauvres esclaves kénians, au fil d’incroyables opportunités qui, accortes filles de joie, exhibaient sans retenue leurs beaux avantages et leurs superbes arrièretages, me faisant baver de concupiscence. Mais lorsqu’il s’agissait de concrétiser, balpeau. Ces salopes me montraient leurs fesses qui s’avéraient encore plus plates que la platitude de la terre imaginée par Trump puis, avant que de disparaître dans un éclat de rire démoniaque, m’adressaient une grimace cauchemardesque dévoilant une (dé)rangée de dents dont n’aurait même pas rêvé Oedipe pour couper son encombrant cordon ombilical.
Et lorsque sonne l’heure des bilans, ding dingue dong, on réalise qu’en fait, le plus difficile du plus difficile, c’est de posséder une chose rarissime et précieusissime : la chance. Le pot, la baraka, le cul bordé de nouilles, la veine de cocu, enfin tout ce que vous voulez. Sans cet ingrédient qu’a négligé de vous doter la petite fée penchée sur votre berceau décue de la pauvre image que vous lui renvoyiez (une petite loque hurleuse et violacée) vous n’y arriverez pas. Tout le reste, c’est de la littérature. Si je puis dire !
Voici donc, ici contée, la farandole des multiples ratages que je me suis tapés, super loseuse que je suis ! Spécialiste du chou blanc. Collectionneuse de fiascos. Diva de la déroute. Chopeuse de déboires. Professionnelle du râteau. Cueilleuse de gamelles. Perverse du revers. Cuiseuse de défaite. Preneuse de vestes. Rateuse de coche. Diplômée ès projets qui foirent, qui loupent, qui pètent, qui se ramassent, qui finissent en eau de boudin, qui font long feu, qui blackboulent. Oui, c’est  tout moi. Jobarde racoleuse de déveine, aguicheuse de scoumoune. Engluée dans le mébol, la guigne, la malédiction. Bac plus dix de la vicissitude. Du manque de pot, de chou, de veine, de cul, de bol. Qui pète dans la poisse, qui porte le mauvais œil. Appelez-moi Waterloo, Trafalgar et Bérésina réunis. WTB.

Pourtant, tout commence bien, à Salut les Copains, un beau jour de printemps, sous l’œil velouté de Daniel dans la cabine un peu pourrie d’où jailliront d’invraisemblables et immarcescibles carrières sur lesquelles personne n’aurait misé un kopek, d’autant que les Russes n’étaient pas, dans ce temps là, les bienvenus sur le perron de l’Elysée.

La fois où j’ai failli tuer la reine des yéyés par Dominique Cozette. 2020 aux éditions Chum. 294 pages. 19,50 €.

A commander chez votre libraire préféré.
Note aux flemmards : plutôt que d’engraisser Amazon, le site www.chumeditions.com se fera un plaisir de vous l’envoyer dans les plus brefs délais.

Texte © dominique cozette

Woody parle…

Ce pavé de plus de 500 pages, Soit dit en passant, écrit par Woody Allen avec tout l’humour qu’on lui connaît ne nous apprend en fait pas grand chose sur lui-même tant il s’est distillé façon puzzle dans ses films et ses interviews. Il trouve que sa vie offre peut d’intérêt, que ses films ne sont pas des chefs-d’œuvre et qu’il a eu beaucoup de chance pour en arriver là !
Le sujetsensible, l’agression sur leur fille adoptive Dylan, est largement évoqué avec les noms et références de tous ceux qui ont plaidé en sa faveur et contre Mia Farrow. Une affaire complexe pour laquelle il n’a jamais été condamné malgré deux enquêtes de police et bilans psychiatriques. Il cite le plaidoyer de Moses, un des enfants, qui dépeint sa mère adoptive sous un jour effrayant, ce qu’elle semble avoir été, maltraitant les enfants, en rendant certains qui ne lui convenaient plus après essai, laissant mourir seule une de ses filles atteinte du sida. Et privant la présumée victime de tout contact même épistolaire, avec son père. Quand celle-ci parle de son agression lors de l’affaire #metoo, elle a trente ans, n’a jamais revu son père depuis l’âge de 7 ans. Woody ne pense pas qu’elle ment mais qu’elle a subi toutes ses années un lavage de cerveau qui l’a rendue sûre de son fait. Woody comprend que Mia ait été furieuse de sa relation avec sa fille adoptive Soon-Yi (adoptée à sept ans avec l’ancien mari de Mia) mais avoue que Mia et elle n’étaient plus qu’un couple de façade, ils n’ont jamais vécu ensemble, il n’a jamais dormi chez elle et Soon-Yi et lui ne s’aimaient pas. Mia disait d’elle qu’elle était débile et Soon-Yi trouvait qu’il était aux ordres de Mia comme un chien. Leur intérêt est venu plus tard et se sont déclarés quand elle avait 22 ans.
Aujourd’hui, Allen est tricard aux Etats-Unis, et bien que jugé innocent, il n’est plus vu que comme pédophile. Malgré cela, il coule des jours paisibles avec sa femme Soon-Yi et leurs deux filles adoptives, il écrit, il tourne, ils voyagent, ils partagent de bons moments avec de fidèles amis et il se passionne autant pour son métier.
Il faut aimer l’homme pour apprécier ce livre car, même s’il est très drôle, il est farci de noms de comédiens, réalisateurs, chefs op, critiques, gens de télé etc… qui ne nous évoquent rien. Il ne nous apprend rien sur le métier d’auteur et réalisateur sauf qu’il faut laisser faire les comédiens puisqu’il les choisit tous bons, et ne pas oublier de retirer l’obturateur de la caméra avant de tourner.
Il nous raconte tout depuis son enfance où son père traficotait pas mal, son goût pour le sport, sa passion pour le foot et le base-ball, raisons pour lesquelles il fait très peu de prises et tourne vite pour être rentré à l’heure afin de ne pas manquer les matches. Il démonte son image d’intello, il ne l’est pas, et s’il s’est mis à lire et à s’intéresser à l’art, c’est pour pécho. Aidé en cela par sa première femme. Les femmes, son autre passion. Il les aime à la folie malgré leurs défauts, mais lui s’en attribue beaucoup plus. Il nous parle beaucoup de Diane Keaton qui est devenu au fil du temps sa meilleure conseillère (car il refuse de tester ses films comme ça se fait beaucoup, et de retourner des séquences ou une autre fin), ses aventures avec ses deux sœurs, d’autres anecdotes. Malgré l’aversion qu’il éprouve pour Mia Farrow, il admire énormément la comédienne qu’elle est. Vers la fin, il s’attarde sur son tournage parisien Minuit à Paris et consacre une bonne page sur le talent de Marion Cotillard, un grand paragraphe sur la « magnétique » Léa Seydoux et quelques potins sur Carla Bruni qu’il a bien appréciée aussi.
Après Un Jour de pluie, il a du mal a recruter des artistes car ils craignent de se faire mal voir en tournant avec lui. Alors, il fait une tournée en Europe comme clarinettiste, conscient de la médiocrité de son jeu mais comme il a du succès, il est heureux.
Distrayant comme un de ses films, ce livre ne m’a pas convaincue du fait qu’il n’est pas profondément blessé par l’affaire et qu’il fait comme si ça ne l’intéressait pas plus que les critiques de films qu’il ne lit jamais. Mais qui suis-je pour dire ça ?

Soit dit en passant par Woody Allen. A propos of nothing. Traduit par Marc Amfreville et Antoine Cazé. 2020. Aux éditions Stock. 540 pages, 24,50 €

PS/NB :
– La couverture trouvée partout sur Internet est noire avec la mention de « autobiographie » en gros sous le titre. Or, le livre de j’ai acheté en librairie est bleu Stock et sans la mention susdite.
– Sur la forme : le livre ne possède aucun chapitre, il court du début à la fin d’un jet alerte et continu avec parfois, une ligne sautée. Alors si vous dites à votre entourage : « je finis mon chapitre et j’arrive », vous allez au devant de quelques malentendus.
– J’ai édité malgré moi cet article non terminé en croyant appuyer sur brouillon. Erreur réparée.

Texte © dominique cozette

Cataclysmes ou l'homme cet hyperprédateur

Le livre, un monument d’enseignements sur nous, la terre, les animaux, le vivant, le climat… s’appelle Cataclysmes ou une  histoire environnementale de l’humanité et son auteur, Laurent Testot. Ce n’est certes pas la première fois qu’on nous raconte la genèse de notre race mais elle est vue cette fois sous l’angle de notre responsabilité dans la transformation de la terre qui nous a, par réaction, transformés.
Ce livre est l’un des plus passionnants que j’aie lus sur l’homme et son environnement. Il me plombe à la fois et me console. Me plombe car j’y apprends que l’homme, depuis la nuit des temps, a toujours dévasté la nature  l’a soumise à ses besoins, d’abord, puis à ses envies et à ses désirs et que, ce faisant, il l’a totalement transformée, en a rayé beaucoup de ses qualités, en a éradiqué un nombre incalculable de ses créatures et, lorsqu’il a pris conscience de la maltraitante qu’il infligeait à la terre, aux animaux, aux plantes et à lui-même, n’a pas du tout eu envie de faire machine arrière. Et ça me console de penser que c’est inhérent à la nature humaine et que ce n’est pas le fait de nos générations proches qui, d’un seul coup, n’auraient plus rien respecté.
Par exemple, les Aborigènes, qu’on imagine toujours être de bons sauvages respectueux, ont exterminé il y a 50 000 ans les grands herbivores qui entretenaient la forêt. Plus de forêt, plus de couvert, la savane puis l’aridité et les feux gigantesques. Le propre de l’humain étant d’engendrer continuellement le changement (tiens, ça me rappelle les campagnes électorales !), d’inventer toujours, il ne peut qu’agir sur et contre tout. Il explore et extermine ceux qu’il trouve sans intérêt, sans utilité  en le tuant ou en lui infligeant des maladies pour lesquelles ils ne sont pas immunisés. Puis il voit des animaux bizarres, il les tue pour les manger, plus ils sont gros, plus il les veut, jusqu’à leur extinction.
Jadis, les Amérique étaient peuplées d’énormes bestioles, plusieurs races de mastodontes, des fauves, et tant d’autres. C’est fini. Pareil pour les peuplades.
Il ne faut pas croire qu’il ressemblait aux singes (bien que, malencontreusement selon moi, l’auteur l’appelle ainsi). A certaines époques ou dans certaines contrées, ils mesuraient plus d’un mètre quatre-vingt-cinq quand tout allait bien. Ils rapetissaient quand il faisait très froid ou qu’il y avait des disettes. Certaines peuplades, les Bishnoïs  en Inde pour ne pas les citer, au contraire des autres, défendaient une agriculture raisonnable, connaissaient la valeur des arbres et se laissaient tuer quand les prédateurs venaient pour exploiter leurs forêts, replantant inlassablement pour lutter contre l’érosion. Ailleurs, certaines terres étaient tellement fertiles (la terra negra du Brésil) qu’elle fut pillée.
On découvre comment la bande de terre, en reliant les deux Amérique, a entraîné la période glaciaire et comment s’est adaptée notre race. On apprend par ailleurs que dans une région glacée, un peuple vivait nu et se baignait pour pêcher dans de l’eau à 3 degrés simplement enduit de graisse de phoque mais que tous sont morts car on les a vêtus et les hardes, porteuses de bestioles et de microbes auxquels ils n’étaient pas familiers, les ont tués. Ailleurs aussi, il y a 13 000 ans, nos ancêtres ont altéré la génétique du blé pour en récolter plus : les premiers OGM…
Je raconte mal mais c’est écrit de façon attrayante, un travail énorme rappelant les théories en cours, les légendes populaires, les résultats des recherches mondiales. On a l’impression que tout ce qu’il est important de connaître est dans ces 500 pages.
Ce livre est dense, sans aucun remplissage, tout est à surligneur tellement tout est important et même si l’on connaît la fin, même si l’on sait que nos pouvoirs sont encore plus pointus pour contrôler l’infiniment grand comme l’infiniment petit, que sur certains points on ne pourra plus faire machine arrière, ça reste troublant. Comme par exemple d’apprendre qu’à force d’avoir tripoté le gêne des vaches, on est capable d’en créer une dont le pis serait exactement à la taille de la trayeuse idéale !
Ce livre publié il y a deux ans, écrit que l’homme a réussi à vaincre des tas de calamités, dont les pandémies ! Les pandémies ! Eh bien non, rien n’est moins sûr. L’éruption spectaculaire du volcan Tambora en Indonésie projeta dans l’atmosphère des aérosols corrosifs qui modifièrent le climat planétaire pendant trois ans et rien n’aurait pu le laisser prévoir. Comme quoi, il reste encore beaucoup de surprises dans ce bas-monde.
Le fait est que l’homme a créé des millions de substances chimiques que l’ont retrouve dans tous les organismes terrestres, même les plus lointains, même les plus sauvages, qui constituent de dangereux perturbateurs endocriniens. Les hommes se féminisent, se transforment doucement et alors que c’est connu et avéré, on continue. Il y a certes, de bons humains qui tentent d’alerter, de remédier à l’accélération de la surproduction / surconsommation mais ils ne sont pas assez forts pour lutter contre les lobbies, l’attraction du pouvoir et de la richesse matérielle. Alors ? Alors on en est là. Qu’est-ce qu’on fait, après la grande leçon du Covid ? On relance la bagnole et on soutient les industries les plus polluantes… Arghhhhh
A LIRE ABSOLUMENT !

Cataclysmes ou une  histoire environnementale de l’humanité de Laurent Testot. 2018, à la petite Bibliothèque Payot. 522 pages, 11 €

Texte © dominique cozette

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