Se mettre au yoga avec Emmanuel Carrère

Yoga d’Emmanuel Carrère se voulait un petit ouvrage léger et plaisant sur cette discipline et la pratique appuyée de la méditation. Pour ce faire, Carrère s’est engagé dans une retraite de plusieurs jours au trou de cul de la France, une campagne sans âme dans un bâtiment sans charme. Pas de portable, d’écran et autres liens avec l’extérieur. Interdit de se regarder, de se parler, de même se considérer. Rugueux. Un repas très frugal par jour, une promenade et au lit. Méditer seul dans sa cellule ou avec une centaine d’autres personnes, sexes séparés, sur un tapis qui circonscrit ton espace réduit. L’auteur, très pratiquant de la chose, avoue quand même une petite tricherie : écrire ce fameux livre, donc s’éloigner de la méditation pure. Mais rien pour prendre des notes, tout dans la tête. Or, au bout de trois jours, on vient le chercher. Il envisage le pire : mort d’un de ses proches, car il faut une cause très grave pour interrompre cette retraite. Très grave, en fait puisqu’il s’agit de l’attentat de Charlie et que la compagne de Bernard Maris, assassiné, a demandé à ce que ce soit lui qui prononce l’éloge funèbre de son ami.
Il ne retournera pas à sa retraite mais en vivra une autre, gravissime : interné à l’hôpital Ste Anne pour dépression profonde et mortifère. On le déclare bipolaire profond avec phases dépressives super aigües. Sa vie est brisée, son amour cassé, il souffre le martyre et n’a plus goût à rien. Il subit plusieurs électrochocs, prend des médocs et fait des cures de sommeil. Un très sombre passage qu’il n’écrit pas au jour le jour, il n’est capable de rien. Pour se remettre, il sera bénévole pour aider de jeunes migrants à se reconstruire dans l’île de Leros. Oh, ce n’est pas la belle petite île grecque avec maisons blanches et volets bleus mais un lieu au sombre passé, moche et sans attrait. La femme qui anime cette asso le loge chez elle, dans une chambre à petit lit et sans fenêtre et ferme sa maison à clé lorsqu’elle sort. Néanmoins, ils établissent un dialogue intéressant chaque soir, entre musique de Mozart et mauvais alcool. Comme lui, elle est cabossée et paumée. Ils s’occupent bien des ados croates ou afghans qui ont vécu des expérience très douloureuses, et ça pourrait durer comme ça. Sauf que la femme, du jour au lendemain, part au bout du monde…
Beaucoup de tranches de vie émaillent ce récit qui se lit fiévreusement, des amours intenses et uniquement physiques, des amitiés interrompues, des disparitions définitives, des pertes, des malheurs, des anecdotes assez drôles, des coïncidences. Un patchwork, on dit collage aujourd’hui,  de la vie de l’auteur, dans le désordre avec retours sur des histoires déjà dites, mais rien sur ses dix ans d’amour et la rupture par respect pour la femme qui n’a pas demandé à être dans un livre. Et surtout, beaucoup, beaucoup sur le yoga, ses différentes formes, les façons de méditer, un peu d’historique par là-dessus mais croyez-en une non-adepte, ce n’est pas du tout ennuyeux, bien au contraire. On apprend beaucoup sur les narines, pas exemple et ça, c’est drôle.
Le livre se construit avec des allers et retours sur le passé, il n’est pas écrit comme une chronologie avec causes et conséquences ou suivi  psychologique mais les chapitres sont nettement différenciés et chaque paragraphe porte un titre. C’est extrêmement plaisant d’entrer dans la vie fracassée de ce pauvre Emmanuel, conscient que c’est lui le seul responsable de la casse de son existence. Peu à peu, on le verra sortir la tête du trou et il sera de nouveau disponible pour une vie plus heureuse.

Yoga d’Emmanuel Carrère, 2020 chez P.O.L. 398 pages, 22 €

Texte © dominique cozette

Il est avantageux d'avoir … à lire

 

Il est avantageux d’avoir où aller est le dernier opus d’Emmanuel Carrère. L’intéressant de ce gros pavé hormis le fait qu’il empêche la serviette de bain de s’envoler — mais on n’est pas encore en été — c’est qu’il nous raconte toutes sortes de choses qu’il a parsemées dans différents medias et même une conférence, et qu’il y a à boire et à manger dans cette trentaine de textes.
Sur la quatrième de couv, pour attirer le chaland, on nous trompe avec des chroniques « un peu » porno, là, fait pas exagérer ! Y a même pas un bout de langue. Mais bon. Ce sont juste des rencontres charmantes. Sinon, on rencontre plusieurs fois Limonov qui en est à sa sixième ou septième vie, après avoir été un truand, un révolutionnaire, un écrivain, un taulard, un hors la loi…. On s’amuse des projets très peu aboutis de films d’un scénariste professionnel, des ratages de tournages, on compatis lors d’un vent qu’il se prend avec la Deneuve par manque de préparation de son interview, on retrouve ou on découvre le visionnaire Philip K. Dick. Quand on a aimé le cultissime « l’homme au dé », on se réjouit de la rencontre avec son auteur qui se planque des médias. On assiste à sa rupture avec un ami écrivain qui a penché un peu à droite…. Et puis, on se marre aussi avec lui au Forum de Davos où on picole sec avec feu de Margerie. On ne s’ennuie jamais avec Emmanuel Carrère ! Sinon, on passe à la chronique suivante, c’est simple ! comme dit une petite tête à claques dans une pub auto.

Il est avantageux d’avoir où aller d’Emmanuel Carrère aux éditions P.O.L. 2016. 546 pages. 22,90 €.

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