Attention les misos, la misandrie déboule !

« L’absurdité se porte bien. Un fonctionnaire zélé a menacé de censure un essai jugé « misandre ». Et pourquoi pas interdire Houellebecq pour sa misogynie tant qu’on y est. » (L’Obs).
Ce mince ouvrage est devenu best-seller grâce à la connerie masculine d’un élu qui estime qu’il entache le principe de l’égalité-homme femme. Quelle égalité, au fait ? L’égalité de salaire, l’égalité d’éducation, l’égalité de circuler dans la rue le soir, l’égalité de se vêtir comme on veut, l’égalité de faire le métier qu’on souhaite, l’égalité d’être un objet sexuel, l’égalité que ses idées soient prises au sérieux, l’égalité d’être élue aux plus hautes fonctions, l’égalité de pouvoir l’ouvrir sans être menacée, l’égalité de se faire harceler ou violer ou tuer par un proche, l’égalité de participer aux affaires de l’état, de la finance, de l’économie, de décider, de partager le pouvoir, et j’en passe. Ce n’est pas l’autrice du texte qui parle ainsi. C’est ce qu’elle sous-entend.
« Moi les hommes, je les déteste ». Un titre génial qui a semé la zizanie dans les glandes de certains et a mené Pauline Harmange vers la reconnaissance et le succès. Elle a 25 ans, elle est mariée avec un amour de mec. Mais elle dérange. Qui ? C’est drôle parce que le portrait de ceux qui ne supportent pas les féministes de son acabit est celui d’un pauvre boomer blanc cisgenre qui l’ouvre actuellement de façon imbécile sur les plateaux cons-plaisants. Je parle de Brückner. Coïncidence de date. On pourrait citer aussi celui qui commence par Z, pas Zorro, non.
Cette jeune femme veut permettre aux autres, dans un élan de sororité, de s’allier contre la misogynie ambiante et ancestrale qui nous intime, à nous les meufs, de rester douces, discrètes, obéissantes, aux petits soins sinon bang ! les hommes ne nous aimeront plus. Et alors ? Mais rends-toi compte, Ginette, tu resteras seule toute ta vie ! Et alors ? Mais c’est pas sain, et puis c’est mal vu (j’allais écrire : c’est mâle vu), même par les autres femmes, il faut vivre avec un homme. Sinon. Sinon, quoi ?
Le monde est ainsi fait, et si les hommes se mettent en colère, notamment contre les femmes, c’est parce qu’ils y ont été encouragés petits (sinon tu n’es pas un homme, mon fils). Mais les femmes, non. Pas le droit. Elles ont leur défenseur, celui qui les protège alors camembert, besoin de rien d’autre. La confiance en elle ? Mais pourquoi faire ? (C’est vrai qu’elle font tout le reste, les choses sans valeur, t’ois quoi, oui, la charge mentale, encore une invention récente des féministes !).
Ce petit opus nous montre que la misandrie (ah oui, j’avais oublié, c’est le mot principal de l’ouvrage) n’est pas le revers de la misogynie car contrairement à cette dernière, la misandrie ne tue pas, ne harcèle pas, ne fait aucun mal (sauf aux pauvres petits Brückner et consorts), mais juste montre toutes les raisons pour lesquelles les femmes sont en droit de ne pas se prosterner devant le testostéroné.
Ah oui, un autre truc rigolo qu’elle conseille aux femmes qui manquent de confiance en elles-mêmes, c’est de s’équiper de l’autoconfiance de l’homme médiocre. Elle a raison. L’homme médiocre (et dieu sait que j’en ai côtoyé dans ma vie) ne doute pas un instant de lui, il se croit tout permis, se la pète même, tandis que la femme se demande toujours si elle est taillée pour le job. Donc, chères amies les femmes, se demander toujours : comment ferait un homme médiocre ?
NB : Bien sûr, tous les hommes ne sont pas détestables ni toutes les femmes des victimes. Ha ha ha…

Moi les hommes, je les déteste par Pauline Harmange, 2020 aux éditions du Seuil (qui ont pris le relai de Coline Pierré et Martin Page débordés par les commandes). 90 pages, 12 €

Texte © dominique cozette

Betty la Cherokee

Betty est le nom de l’héroïne et narratrice dans le roman éponyme, écrit par Tiffany McDaniel (qui mit plus de quinze ans à trouver un éditeur). Comme quoi, bon. Aujourd’hui, c’est un succès international et vous le verrez en piles chez votre libraire. Car c’est une histoire aussi attachante qu’originale. Betty, nous allons d’abord suivre ses parents avant de la connaître. Lui, c’est un indien cherokee, autant dire un mulâtre en butte au racisme et au mépris de classe. Sa mère est blanche. Ils ont tiré un coup, elle s’est retrouvée enceinte et comme elle détestait ses parents, elle s’enfuit avec cet homme bon et droit après avoir corrigé le père pour lui apprendre à frapper sa fille. Ils deviennent des itinérants, précaires, adeptes de petits boulots et à chaque état traversé, font un nouvel enfant. L’aîné s’en tire bien, mais deux autres petits ne vivent pas longtemps. Viennent ensuite trois sœurs qui s’entendent  et qui s’aiment, puis des petits frères, mignons. Entre temps, la famille s’est établie dans une grande vieille maison vétuste qu’on dit maudite. Pour nourrir (mal) sa famille, le père fait ce que ses ancêtres lui ont appris : tout. Des médecines à base de plantes, des boissons alcoolisées, des meubles, des sculptures. Mais surtout, des légendes qu’il invente ou transmet, on ne sait pas. Tout lui inspire de belles histoires qui enjolivent leur vie assez rude, qui consolent de bien des tracas, qui donnent force à ses petits, surtout à sa « petite indienne », Betty, qui lui ressemble tellement. Il veut lui rendre ce qu’on a pris à leur culture : la puissance féminine. Car chez eux, jadis, ce sont les femmes qui dominaient tout. C’était une société matriarcale.
Donc, de bien avant sa naissance jusqu’à ses 19 ans, Betty raconte leur vie, raconte ses complexes liés à sa couleur de peau, alors que ses sœurs sont plus blanches, le harcèlement dont tous les enfants de sa classe font preuve à son égard, même les enseignants qui n’ont aucune pitié. Elle raconte aussi comment la nature lui donne du plaisir. Mais tout n’est pas rose. La vie de la famille est semée de drames, il y aura des violences innommables, des morts dont celui de son petit frère par sa faute.
Et pourtant ce livre est d’une grande tendresse et d’une grande poésie. Le mérite en revient à cet homme, ce père aimant et tellement à l’écoute de tous, un homme qui gomme le mal de toute chose, qui sait toujours ce qu’il faut faire pour atténuer le moindre problème, comme les grands drames. Il nous parle du secret des plantes, des oiseaux, des insectes, des étoiles : la seule chose qu’il a su compter dans sa vie c’est le nombre exact d’étoiles à la naissance de chacun de ses enfants.
Parfois, j’avoue que j’ai lu un peu en diagonale quand les herbes et les arbres prenaient leur temps pour exister dans le livre, j’avais juste envie de savoir ce qui allait arriver à nos personnages. Peut-être ne suis-je pas toujours assez fleur bleue ! Mais une fois le livre fini, sur un dénouement aussi profond qu’inattendu , on a peine à se séparer de la petite Betty à laquelle on ne peut s’empêcher de s’attacher.
A noter que Betty est le nom de la mère de l’autrice qui était elle-même fille d’une mère blanche et d’un père cherokee.

Betty de Tiffany McDaniel, 2020, aux éditions Gallmeister. Traduit par François Happe. 720 pages, 20,40 €

Texte © dominique cozette.

Réenchanter l'usine ?

Joseph Ponthus, intellectuel de prime abord, doit bouffer. Il vit en Bretagne avec une éducatrice. Ne trouvant pas de job à la hauteur de son expérience, il se rabat sur Pôle-emploi pour le caser. Une usine de poisson, pour commencer, où, avec ses collègues, il trie les arrivages de sardines, emballe, colle des étiquettes sur les boîtes en polystyrène, dans le froid, bien sûr, de la glace pour conserver, une température idoine, triple paire de chaussettes plus un sac de plastique dans les bottes fournies par l’usine, mais une mycose parfois, quand même. Des horaires de l’horreur, en pleine nuit souvent, des pauses courtes pour fumer et avaler le café. Peu de conversations mais des chansons écoutées dans la tête, Trenet, Brel, Piaf, Barbara et d’autres, plus actuels, plus popu, cloclo, Souchon, Cabrel, Doré…
Son livre s’appelle « A la ligne » sous-titré « Feuillets d’usine« , il est écrit en vers libres, c’est plus agréable à lire et donne un côté plus gai et plus musical à la prose.
Puis, d’autres tâches, d’autres bêtes, bulots, langoustines… décartonner des crevettes surgelées pour qu’elles partent à la cuisson et à l’approche des fêtes, des pinces de crabes, de homards et un jour, surprise, il doit égoutter du tofu. C’est con, répétitif et, comme tout le reste, épuisant pour le corps. Mais il prend tout du bon côté, Ponthus, il est de bonne composition. Il en profite pour nous enrichir la tête avec des citations envoyées à bon escient dans son texte poético-iodé, on sent le type qui a fait des études littéraires, hypokhâgnes et tout le tremblement.
Il nous raconte comment il arrive chez lui, parfois tellement épuisé qu’il en pleure, mais il faut sortir le jeune chien. Sa femme vient de se lever, ou est encore endormie ou est partie bosser, il n’a aucun horaire fixe puisqu’il est intérimaire, appelé parfois deux heures avant l’embauche. Il brode sur le terme débauche qui signifie deux choses bien différentes, il râle parfois parce que son binôme travaille mal, que ça fout en l’air le rythme de la chaîne, donc le rendement qui est calculé à la pièce ou au poids, ça dépend, et que ça retarde l’heure de la débauche. Mais il se souvient qu’il a été aussi incompétent au début.
Puis un jour, on l’envoie aux abattoirs (je crains le pire, je ne supporte pas la maltraitance animale et ai peur d’en prendre plein la gueule et les cauchemards, mais dans le livre non, c’est juste ébauché, il n’ira pas tuer les bêtes). Première tâche, nettoyer l’endroit de la découpe, on patauge dans le sang, ça pue le sang et la mort, c’est pas terrible… Il fera plusieurs postes dont l’accompagnement des carcasses de boeufs (vaches) sur les rails de tri. Son squelette et ses muscles en prennent pour leur grade, surtout quand un commercial veut telle carcasse pour son client et qu’il faut la faire revenir sur le rail…
C’est un livre formidable car positif, parfois drôle, toujours fraternel, pas de revendication, pas de plaintes à part des petits coups de gueules tenus secrets sur son carnet, une sorte de poésie qui compense l’horribilité d’un des boulots les plus ingrats, les moins payés, les plus précieux car terriblement nécessaires à la survie de ceux qui les exercent.

« A la ligne » sous-titré « Feuillets d’usine » de Joseph Ponthus, 2019. Grand Prix RTL et Lire. Chez Folio. 276 pages, 7,50 €

Texte © dominique cozette

Un mariage américain sur fond noir

Un mariage américain de Tayari Jones, est un roman passionnant sur les ressorts d’un couple vivant un drame absolu. On se trouve dans un état du sud des Etats-Unis, les jeunes mariés sont noirs ainsi que la plupart de leurs relations. C’est un mariage heureux bien que les époux viennent de deux horizons différents. Elle, Celestial,  est issus de la bonne petite bourgeoisie et lui, Roy, d’une classe inférieure où ses parents ont dû faire bien des sacrifices pour l’envoyer à l’université. Mais si la famille plus aisée est déçue par ce choix, elle ne le montre pas et traitera toujours le mari avec bienveillance. C’est un ami de Celestial qui les a présentés l’un à l’autre, un très vieil ami avec lequel elle s’entend comme avec un frère. Le couple est promis à un bel avenir, il gagne bien sa vie, il est devenu l’homme d’une seule femme après une jeunesse de drague, et elle-même se lance dans une carrière artistique pleine d’espoir, remettant la fabrique de bébés à plus plus tard.
Mais un jour, patatras, on vient l’arrêter car il est accusé de viol par une voisine, blanche, chez qui il avait fait un peu de bricolage. Il est innocent puisqu’il était avec sa femme à ce moment-là. Mais la justice n’en tient pas compte et l’envoie en tôle pour 12 ans. Sa vie s’arrête là. Il se trouve dans une cellule avec un homme qui se révèlera être … (pas de spoil) et le protègera. En bonne épouse amoureuse, Celestia lui rend visite régulièrement  mais au bout de très longs mois, leur relation va changer. Comment peut-il en être autrement quand l’une rencontre le succès et l’autre stagne entre quatre murs sales ? Ils finissent pas rompre. Néanmoins, elle n’intente pas d’action en divorce, il la considèrera toujours comme sa femme. Elle, entre temps, pour supporter cette lourde charge, s’appuie sur leur ami mais peuvent-ils longtemps rester insensibles l’un à l’autre.
Et coup de tonnerre : on le libère au bout de cinq ans, la justice reconnaissant que le procès a été mal mené. Sans aucune excuse ni indemnité. Ils ne s’y attendent pas, le situation devient très compliquée.
Ce qui est bien dans ce roman, c’est d’avoir choisi le point de vue de chacun. A chaque chapitre, le narrateur est différent, c’est soit le mari, soit la femme ou l’amant. Tout y est confessé, chacun y dévoilant des sentiments ou des secrets inconnus ou pas des deux autres. C’est relaté avec une extrême finesse malgré la complexité des situations. Le suspense n’en est que plus efficace. C’est à chaque fois inattendu. Même le dénouement. J’ai consulté le web pour m’assurer d’une chose : l’autrice, dont ce n’est pas le premier livre, est noire. Elle est bien placée donc pour parler du problème, la place des Noirs dans l’Amérique moyenne, la peur qui les habite face aux jugements arbitraires et aux violences racistes, les efforts qu’ils doivent fournir pour espérer accéder au même niveau social que les Blancs…

Un mariage américain de Tayari Jones, 2019 (titre original ? ) traduit par Karine Lalechère, éditions Pocket. 406 pages. Pas cher.

Texte © dominique cozette

Encore un Hannelore Cayre à kiffer !

Hannelore Cayre, c’est elle l’autrice de la Daronne (lire article ici) qui passe actuellement sur les écrans mais que je n’irai pas voir, non que je n’aime pas cette chère Isabelle H, mais surtout parce que ce qui me régale avec Hannelore, c’est son écriture. Ce qui disparaît à l’image. Celui-ci s’intitule Richesse oblige, je ne trouve pas que ce soit très incitatif, c’est juste mon avis. Mais ne nous y trompons pas, c’est une cuvée tout ce qu’il y a de florissant et de cocasse. Déjà, les héroïnes ! La narratrice est une nana cabossée, brisée par un accident de jeunesse très con, et qui porte un exosquelette pour tenir debout. Originaire d’une miette d’île bretonne où les patrnymes sont d’origine certifiée, elle s’appelle bizarrement Blanche de Rigny et ne sait pas trop pourquoi, sa mère étant morte à sa naissance et son père, pêcheur taciturne, ne gâche pas sa salive. Son amie, Clothilde, porteuse d’une maladie rare, est immense et tordue, elle aussi… Les couples improbables font les meilleurs tandems. La narratrice a aussi une fille, attrapée lors d’une beuverie, élevée à la va comme je te pousse qui ne semble pas en souffrir.
C’est à l’occasion de la mort de son père mutique que la narratrice, sur le bateau de la mer d’Iroise, entend parler un trio de citadins au sujet d’une de Rigny décédée dans de louches circonstances. Attisée par le mystère, elle va entreprendre une enquête approfondie sur le pourquoi du comment de la chose qu’elle est. Comme elle travaille dans le secteur justice, elle se procure des fichiers, mais sait aussi comment retrouver des traces de vie. Cela nous embarque au 19ème siècle, lorsque les riches avaient le droit de payer un pauvre pour les remplacer lorsqu’ils étaient conscrits. Officiel. Alors, il fallait aller à la pêche au courageux peigne-cul, en assez bonne santé, qui parfois ne parlait que patois. Et ce qu’elle découvre est passionnant.
Comme dans tous ses romans, Hannelore a le goût de nous apprendre des tas de choses souvent édifiantes, souvent incongrues. Pour finir, elle nous entraîne dans la ville mythique de l’Inde où une société parfaite fut créée dans les années 70 : Auroville, habitée principalement par des Européens, du moins dans l’idée (j’ai un couple d’amis qui s’y est installé définitivement, je saurai si la description est fidèle). La fin du livre est énorme et réjouissante !

Richesse oblige de Hannelore Cayre, 2020 aux éditions Métaillié, 224 pages, 18 €.

NB : Pardon pour cette mise en page mais mon blog bloque sur quelques fonctions…

Texte © dominique cozette

La trajectoire des confettis

La trajectoire des confetti est un gros pavé, premier livre de Marie-Eve Thuot, déjà récompensé au Québec. Comme j’ai une grosse flemme, je me permets, pour une fois, de copier coller une partie d’un blog signé Alexandre (pas de nom, chroniqueur) de Bibliosurf ou Un dernier livre avant la fin du monde (pas bien compris l’intitulé du blog en question) :

« Comment résumer autrement ce roman-somme qui, sur plus de six cents pages, nous présente une galerie de portraits fascinants, comme au musée, avec l’ambition d’embrasser l’évolution des rapports humains et amoureux de ce 21ème siècle. Car La trajectoire des confettis renferme une véritable sociologie du couple, et explore les mille et unes façons d’aimer et d’être aimé aujourd’hui. Plus que cela, même, les mille et unes façons d’être dans ce monde, de vivre dans ces temps troublés, devant la catastrophe écologique qui arrive, devant les révolutions qui enflamment les quatre coins de la planète. Ce n’est pas qu’un livre sur l’amour, c’est un livre sur l’Humain, dans toute sa complexité, sa grandeur, sa faiblesse, sa part d’ombre. C’est un livre sur le hasard, ce qu’il provoque et ceux qui le subissent. C’est un livre si fort, si tendre, si beau qu’on pourrait verser une larme en le refermant, la dernière page – effrayante – engloutie.
Il ne sert à rien de tenter un résumé classique de ce roman, il ne nous apprendrait peu et ne saurait englober toute l’immensité du texte. Il y a dans ce roman des dizaines de personnages, et l’un des tours de force est qu’ils sont tous parfaitement incarnés. Il n’y a ni caricature, ni facilités. Une profusion de personnages comme autant de configurations possibles des ordres et désordres amoureux. Les personnages sont si vivants qu’on se prend d’affection pour eux. »  Signé Alexandre, donc.

Je vous donnerai quand même un conseil si vous entamez cette lecture hautement distrayante et qui se passe au Québec : notez sur une fiche la composition familiale des personnages car c’est sur trois génération, sans compter quelques antécédents plus lointains, qui n’en finissent pas de s’emmêler. A moins que votre mémoire soit extraordinaire contrairement à la mienne qui tombe en charpie.

La trajectoire des confetti de Marie-Eve Thuot, 2019, éditions du Sous-sol. 620 pages, 22,90 €

Le coût de la vie

De Deborah Levy que je ne connaissais pas, Le coût de la vie est sur les tables des bonnes libraires avec un deuxième opus intitulé Ce que je ne veux pas savoir (le premier tome en fait), que je lirai prochainement tant celui-ci est intéressant. En cela qu’il fait réfléchir, bourré de réflexions originales de l’auteur ou d’autres intellectuel.le.s comme Duras, Godard, de Beauvoir… ou inspirées de poètes américain.e.s.
C’est une autobiographie qui fait suite au divorce de l’autrice, qu’elle évoquera principalement pour ses conséquences, l’autre vie qu’elle doit s’inventer. D’abord, quitter la belle maison pour s’installer avec ses deux grandes filles dans un appartement très inconfortable présentant toutes sortes d’inconvénients : pannes de chauffage et d’eau chaude, bâtiment en friche, jamais terminé, manque de confort général. Une bonne âme lui loue à moindre coût une cabane de son jardin où elle entrepose un encombrant bazar comme congélateur et ustensiles de jardin. Mais l’écrivaine y fait son nid, entre deux courses au centre ville sur son vélo électrique.
Ce que nous fait passer le texte, c’est le peu de liberté qu’ont les femmes en général, le fait que tout ce qu’elles font pour le foyer est jugé comme normal par le mari — certains maris ne regardent plus jamais leur épouse — les enfants et le patron qui demande en plus une tenue vestimentaire appropriée. Tout est ici très subtil, analysé avec délicatesse et parfois humour, mais d’une grande clarté sur le rôle de la femme dans la société. Il y a les premiers rôles, que les mâles leur croient dévolus, et qui tombent de haut lorsqu’ils n’ont qu’un rôle secondaire. La féminité est toute la question. On ne fait que ce que la société attend de vous.
Le récit est court, il participe par saynètes, moments impressionnistes et analyses. Ce n’est pas un texte linéaire, on peut le mettre sur sa table et en feuilleter quelques passages, je pense qu’on en tirera plus qu’en le lisant d’une traite. Quelques passages :
« A en croire la version classique de l’histoire, le héros et le rêveur, c’est le père. Il se détache des exigences pitoyables de ses femmes et de ses enfants pour s’élancer dans le monde et faire ce qu’il a à faire. On s’attend à ce qu’il soit lui-même. Quand il revient au foyer que nos mères nous ont créé, soit il réintègre le bercail, soit il devient un inconnu qui aura finalement plus besoin de nous que nous de lui. […]  Quand notre père fait ce qu’il à faire dans le monde, nous comprenons que c’est son dû. Si notre mère fait ce qu’elle a à faire dans le monde, nous avons l’impression qu’elle nous abandonne. C’est miraculeux qu’elle survive à nos messages contradictoires, trempés dans l’encre la plus empoisonnée de la société. Ça suffit à la rendre folle ».
Elle évoque souvent Beauvoir qui a choisi de ne pas avoir d’enfant et aussi de ne rien sacrifier à l’amour d’un homme, elle qui a refusé de vivre avec Algren, son grand amour américain, car ce n’était pas son but, le prix à payer pour s’installer chez lui en était trop élevé.  « Vivre sans amour est une perte de temps. je vivais dans la République de l’Ecriture et des Enfants. Je n’étais pas Simone de Beauvoir, après tout. Non, j’étais descendue du train à un arrêt différent (mariage) et avais changé de quai (enfants). Elle était ma muse, mais je n’étais certainement pas la sienne ».
Ailleurs : « J’étais seule et j’étais libre. Libre de payer des charges considérables pour un appartement qui offrait peu d’avantages .[…] Libre de subvenir aux besoins de ma famille en écrivant sur un ordinateur à l’agonie. » Et, sur la féminité d’entreprise « où les femmes, avec patrons de sexe masculin se retrouvaient encore à devoir s’habiller d’une façon qui convienne à la salle de réunion autant qu’à la chambre à coucher. Comment peut-on se donner en permanence érotiquement et commercialement pour son patron ? Ce type de féminité ne tient pas bien la route. L’usure finit par se voir ».
En guise de conclusion : « Quand une femme doit trouver une nouvelle façon de vivre et s’émancipe du récit sociétal qui a effacé son nom, on s’attend à ce qu’elle se déteste par-dessus tout, que la souffrance la rende folle, qu’elle pleure de remords. Ce sont les bijoux qui lui sont réservés sur la couronne du patriarcat, qui ne demande qu’à être portée. Cela provoque beaucoup de larmes, mais mieux vaut marcher dans l’obscurité noire et bleutée que choisir ces bijoux de pacotille. » Loin d’être misandre, Deborrah Levy nous donne une version nuancée du féminisme.
J’achète très vite le premier tome de la trilogie. Le troisième étant à paraître.

Le coût de la vie (The cost of living 2018), traduit par Céline Leroy. 2020 aux éditions du sous-sol. 160 pages, 16,50 €.

Texte © dominique cozette

Lola nous fait chavirer

J’aime beaucoup Lola Lafon, elle a une gueule, elle a du style, elle m’épate. Chavirer est son dernier roman. Chavirer raconte la dérive de gamines rêvant de gloire, de paillettes et de réussite, tombant dans les griffes french-manucurées d’une rabatteuse chic et tellement gentille. Cléo va donc tomber dans le piège de Cathy lui vantant les mérites de la fondation Galatée auprès des jeunes très doués voulant faire carrière, et quelle carrière. Internationale, siouplaît. Pour Cléo, petite banlieusarde de classe moyenne basse, c’est la danse, la danse et rien que ça. Cathy n’a pas de peine à lui allumer les étoiles dans les yeux en l’emmenant dans les beaux endroits de Paris, lui montrant les belles choses, lui offrant de grands parfums et l’invitant dans de sublimes restaurants en compagnie d’une partie du jury. Des hommes, bien sûr, bien mis, polis, insistant sur le fait qu’elle doit gagner en maturité, tellement important ça, qu’il ne faut pas être « frigide ». Quand on a treize ans, des rêves bigger than life et aucune expérience, quand le monsieur lui demande gentiment si elle veut bien, la petite Cléo acquiesce : son avenir est en jeu, sa mère compte sur elle pour réussir, tout le reste, eh bien… Même si bizarrement, mais comment peut-on faire le lien à cet âge, le corps collectionne des souffrances, symptômes inexplicables pour le docteur.
Donc un réseau de pédophilie dont les acteurs, rusés, font de leurs proies des prédatrices. Devenir « assistante » de Cathy, c’est être douée pour repérer dans son collège d’autres jeunes filles dévorées par la réussite. Ainsi, de victime on devient coupable, ainsi plus tard, on n’osera jamais en parler, c’est tellement honteux d’avoir participé à ce marchandage. Car ça paye, des gros billets pour épater les copines, pour s’acheter des rêves, pour commencer à frimer.
Ce roman est formidable mais.
Je m’étais attachée à une critique qui me promettait de voir Cloé jusqu’à la petite cinquantaine, or on quitte Cloé pour aller en voir une autre, puis d’autres, à d’autres époques, une habilleuse de danseuses de revue, malproprement virée, un régisseur de shows, une jeune femme qui se prostitue dans des peep-shows… Le récit s’éparpille et même si cela est vraiment intéressant, je me sens frustrée de ne pas voir ma fillette grandir. Même si je retrouve son histoire en pièces détachées, surtout si elle change de prénom. Cela n’enlève rien à l’intérêt de ce livre extrêmement riche de détails sur la danse notamment, les années 80 aussi, au style très travaillé. Les allers et retours d’époques et de personnages à d’autres époques et personnages  complexifie la compréhension mais on finit par retomber sur ses … pointes. La fin nous amènera à nos années post me-too où les victimes, pas toutes, finiront par parler et où l’on apprend que tout ce petit monde de Galatée n’est en fait qu’un réseau de people désireux de se faire une petite comme on se fait une petite ligne.

Chavirer de Lola Lafon, 2020 aux éditions Actes Sud. 350 pages, 20,50 €

Texte © dominique cozette

Ce qu'il faut de nuit

Je ne saisis pas trop l’intitulé du livre, Ce qu’il faut de nuit *, c’est un code poétique peut-être mais ce roman de Laurent Petitmangin est limpide : Un père qui vient de perdre sa femme après trois ans de cancer et visites incalculables dans l’hôpital de Metz où elle s’éteint, doit élever seul ses deux fils, Fus et Gillou. Ils s’aiment tendrement, vont tous ensemble au foot, les enfants pour jouer, le père pour encourager, ils sont sages et matures, le grand s’occupe très bien du petit et de la maison quand le père doit s’absenter pour son travail (dépôts SNCF), surveillés avec bienveillance par le Jackie, le voisin qui adore Fus.
Mais les années passent et Fus devient bizarre, il ne parle plus beaucoup, sort avec ses copains, des types à la coupe militaire, abandonne le foot pour d’autres actions parfois très sociales, d’ailleurs. Gillou, qui est très bon élève, est admis pour faire une bonne prépa à Paris. Il rentre tous les week-ends où les frères se retrouvent avec le père. Un jour, en rentrant de la gare, Gillou et son père trouve Fus allongé sur le canapé, pissant le sang, amoché de partout. Hosto. Il ne veut pas dire qui lui a fait ça ni pourquoi. Et puis, le drame se produit et la deuxième partie du roman devient alors tragique et terriblement éprouvante.
Le père qui est le narrateur se débat depuis les débuts de la dérive de Fus vers l’extrême-droite. Il pense avoir élevé ses fils dans le respect de ses valeurs, il est militant PS, et avoir suivi leur évolution en allant aux réunions parents et autres preuves d’intérêt. Il ne comprend pas. Quand il en parle à Gillou, celui-ci lui dit de ne pas s’inquiéter, que c’est toujours un bon garçon, qu’il a un bon fond. Mais peu à peu, contre son gré, il lâchera, son fils sera devenu un étranger avec lequel plus d’échange n’est possible, plus de rémission. Ou de façon très ténue.
Roman très émouvant sur un père empêtré dans l’immense tourment que posent les dérives d’un enfant, sa peine à ne plus pouvoir communiquer simplement, son impuissance face au mur dressé par celui qu’on a tellement aimé et en qui on a placé une si grande confiance et de beaux espoirs. Un style très attachant, fluide et simple, truffé d’expressions ou de tournures populaires, sans excès.

Ce qu’il faut de nuit de Laurent Petitmangin, 2020 à la Manufacture de livres. 190 pages, 16,90 €.

* En cherchant, j’ai vu qu’il s’agissait d’un très joli poème de Jules Supervielle.

Texte © dominique cozette

Se mettre au yoga avec Emmanuel Carrère

Yoga d’Emmanuel Carrère se voulait un petit ouvrage léger et plaisant sur cette discipline et la pratique appuyée de la méditation. Pour ce faire, Carrère s’est engagé dans une retraite de plusieurs jours au trou de cul de la France, une campagne sans âme dans un bâtiment sans charme. Pas de portable, d’écran et autres liens avec l’extérieur. Interdit de se regarder, de se parler, de même se considérer. Rugueux. Un repas très frugal par jour, une promenade et au lit. Méditer seul dans sa cellule ou avec une centaine d’autres personnes, sexes séparés, sur un tapis qui circonscrit ton espace réduit. L’auteur, très pratiquant de la chose, avoue quand même une petite tricherie : écrire ce fameux livre, donc s’éloigner de la méditation pure. Mais rien pour prendre des notes, tout dans la tête. Or, au bout de trois jours, on vient le chercher. Il envisage le pire : mort d’un de ses proches, car il faut une cause très grave pour interrompre cette retraite. Très grave, en fait puisqu’il s’agit de l’attentat de Charlie et que la compagne de Bernard Maris, assassiné, a demandé à ce que ce soit lui qui prononce l’éloge funèbre de son ami.
Il ne retournera pas à sa retraite mais en vivra une autre, gravissime : interné à l’hôpital Ste Anne pour dépression profonde et mortifère. On le déclare bipolaire profond avec phases dépressives super aigües. Sa vie est brisée, son amour cassé, il souffre le martyre et n’a plus goût à rien. Il subit plusieurs électrochocs, prend des médocs et fait des cures de sommeil. Un très sombre passage qu’il n’écrit pas au jour le jour, il n’est capable de rien. Pour se remettre, il sera bénévole pour aider de jeunes migrants à se reconstruire dans l’île de Leros. Oh, ce n’est pas la belle petite île grecque avec maisons blanches et volets bleus mais un lieu au sombre passé, moche et sans attrait. La femme qui anime cette asso le loge chez elle, dans une chambre à petit lit et sans fenêtre et ferme sa maison à clé lorsqu’elle sort. Néanmoins, ils établissent un dialogue intéressant chaque soir, entre musique de Mozart et mauvais alcool. Comme lui, elle est cabossée et paumée. Ils s’occupent bien des ados croates ou afghans qui ont vécu des expérience très douloureuses, et ça pourrait durer comme ça. Sauf que la femme, du jour au lendemain, part au bout du monde…
Beaucoup de tranches de vie émaillent ce récit qui se lit fiévreusement, des amours intenses et uniquement physiques, des amitiés interrompues, des disparitions définitives, des pertes, des malheurs, des anecdotes assez drôles, des coïncidences. Un patchwork, on dit collage aujourd’hui,  de la vie de l’auteur, dans le désordre avec retours sur des histoires déjà dites, mais rien sur ses dix ans d’amour et la rupture par respect pour la femme qui n’a pas demandé à être dans un livre. Et surtout, beaucoup, beaucoup sur le yoga, ses différentes formes, les façons de méditer, un peu d’historique par là-dessus mais croyez-en une non-adepte, ce n’est pas du tout ennuyeux, bien au contraire. On apprend beaucoup sur les narines, pas exemple et ça, c’est drôle.
Le livre se construit avec des allers et retours sur le passé, il n’est pas écrit comme une chronologie avec causes et conséquences ou suivi  psychologique mais les chapitres sont nettement différenciés et chaque paragraphe porte un titre. C’est extrêmement plaisant d’entrer dans la vie fracassée de ce pauvre Emmanuel, conscient que c’est lui le seul responsable de la casse de son existence. Peu à peu, on le verra sortir la tête du trou et il sera de nouveau disponible pour une vie plus heureuse.

Yoga d’Emmanuel Carrère, 2020 chez P.O.L. 398 pages, 22 €

Texte © dominique cozette

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