Mon père, elle va s'appeler Alice.

Mon père, ma mère, mes tremblements de terre est le nouveau roman de Julien Dufresne-Lamy, auteur de 32 ans, que je ne connaissais pas, que m’a conseillé un de mes libraires et c’était un super bon conseil. Parce que ce livre est tout simplement top. Déjà par son histoire mais beaucoup par son écriture. C’est un ado du genre peu expansif qui subit un séisme force 10 lorsque sous la tente de camping plantée sur l’île d’Oléron où il passe les vacances avec ses parent, son père leur annonce qu’il va intégrer le genre qu’il aurait toujours dû avoir : le féminin. On appelle ça la réassignation sexuelle. Le père et le fils sont deux clones, ils se ressemblent énormément, aiment les mêmes films, jeux, sports et sciences. Ils ne cessent de se piéger sur les composants des produits de consommation, les E495 etc.
La mère tombe de haut également, un moment, elle s’enfuit avec son fils chez sa sœur dont l’exercice préféré est le dénigrement du père. Et puis au fur et à mesure que le père, enfin libéré de son secret et sur le point de se faire opérer définitivement, mère et fils sont sujets à des propos pourris venant de partout. C’est tellement violent que le garçon doit quitter l’école et bosser chez lui, sa mère perd son travail qui était de garder des petits tandis que le père s’adoucit grâce aux hormones et étudie son nouveau look. Il mesure quand même 1,84 mètre et il chausse du 44.
Mais peu importe, les choses suivent leur cours : il travaille à sa voix avec une orthophoniste pour qu’enfin, au téléphone, on lui réponde madame, il achète des bijoux de pacotille qu’il ne porte jamais et tchatte sur Internet avec des personnes qui sont passées par là. Le fils, un curieux des sciences, connaît tout ce par quoi son père doit passer et ce qu’il doit subir, du lourd, pour devenir femme.
Le roman commence dans la salle d’attente de la clinique où le père se fait opérer. Des heures. Le gamin y rencontre un autre jeune qui est lui aussi transgenre, c’était une fille, qui va lui donner des conseils utiles. Même si l’ado a tenu le journal de cette transformation durant de longs mois, avec tous les détails techniques, cliniques, pharmaceutiques qui se sont produits. C’est très  détaillé.
Ce livre est émouvant, poignant même car on a peine à imaginer comment faire son deuil d’un homme qui n’est pas mort mais qui a juste disparu, à imaginer comment sa femme, qui continue à l’aimer, envisage leur relation. Le fils, toujours cartésien, demande si elle devient lesbienne, si son père sera toujours considérée (oui il faut la mettre au féminin, cette nouvelle personne) comme hétéro. Des questions sans réponse mais l’amour, même s’il a des aspects bizarre, est toujours là.
Très joli roman, pas du tout gnan-gnan qu’on se rassure, plutôt assez « à l’os » même, qui nous fait nous interroger sur les a priori de notre culture.
Et nous frustre car on aimerait bien la suite. Ce qui est le preuve que le livre est bon.

Mon père, ma mère, mes tremblements de terre de Julien Dufresne-Lamy, 2020 aux éditions Belfond. 254 pages, 17 €

Texte © dominique cozette

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