Jolis jolis monstres

Jolis jolis monstres sont les plus jolies du monde car il s’agit de merveilleuses drag-queens dont Julien Dufresne-Lamy nous conte l’histoire dans une explosion d’images, de couleurs, de paillettes, de musiques, de rires et de souffrances. Les drag-queens sont plus que des femmes, des êtres immenses, des licornes, des chimères. Ce sont d’abord des hommes, souvent homos, qui veulent exploser leur nature. Et pour cela, ils sacrifient tout. Pour exister sur une scène, pour être la meilleure, il faut bosser comme une dingue, déjà pour pouvoir acheter tout le bazar, les robes, les sequins, les plumes, les pompes, les lotions, le maquillage, les perruques de l’enfer en vrais cheveux… une petite fortune. Il faut travailler son look, ses attitudes, sa démarche, sa souplesse, ses regards, il faut apprendre à chanter, à danser, à écrire des textes percutants, à planquer son sexe, à arracher tout ce qui fait l’homme, à entraîner sa voix. Bref, il faut faire tomber les spectateurs, les scotcher, les ébahir. Leur clouer le cœur
Le premier héros du roman, James, est devenu Lady Prudence, reine de la nuit des années 80 où elle côtoie tout le gratin du monde interlope new-yorkais, les trav, les trans, les queers mais aussi les futures bombes comme Madonna, RuPaul (le drag-queen mondialement connu), Andy Warhol, Bowie…
Ce livre est un voyage fascinant dans les bas-fonds scintillants ou super glauques en compagnie de ces reines attachantes, généreuses, qui créent des « maisons » pour accueillir les orphelins, les petits, les moinillons affamés. Elles se tiennent les coudes, se donnent des conseils, se prêtent des fringues et nous, on apprend tout sur la façon de se grimer, les heures que ça prend de sculpter un visage. Impressionnant. On les accompagne dans leur ascension qui commence très très bas dans des endroits louches et peut les conduire au nirvana de la gloire, leur objectif.
Très vite, on fait connaissance avec  le deuxème héros de l’histoire, Victor, hétéro marié, qui plaque sa famille chérie pour faire vivre sa drag. Une génération les sépare : James a 50 ans et Victor 27 lorsqu’ils se rencontrent. James a mis un terme à sa carrière depuis vingt ans mais va la revivre en livrant tous ses souvenir au jeune homme, la clinquance des années 80 puis le maudit sida qui est venu dézinguer des dizaines et des dizaines de ses amies, les dangers de certaines rencontres où il a failli y laisser sa peau pour cause d’intolérance et de haine. Car en plus d’être homo et drag, il est noir.
Victor est blanc et ordinaire. Il va se former auprès de son impitoyables pygmalion, bosser comme une chienne pour arriver au plus haut mais l’époque n’est plus la même. Les drag-queens sont sorties de la honte, elles paradent lors des gay prides et participent à des émissions de télé-réalité qui connaissent un succès incroyables dont la plus célèbre est animée par RuPaul, revenu sur le devant de la scène. Elles se font aussi tuer par des fous comme cela s’est passé à Orlando dans une boîte gay. Néanmoins, Victor continue de monter, continue à penser chaque jour à sa femme et à sa fille qu’il a abandonnées et à sa mère chérie morte d’avoir perdu sa petite fille, et dont il a repris une partie du nom.
C’est un livre époustouflant, pourtant je n’étais pas sûre de prendre autant de plaisir à le lire quand mon petit libraire me l’a conseillé. On dirait que l’auteur, qui est français et écrit aussi des livres d’enfants, a vécu une partie de sa vie dans ces endroits de New-York parmi toute la faune qu’il dépeint si bien avec son style percutant, musical, d’une force inouïe, vraiment. J’ai été impressionnée. Enorme émotion sur la fin qui m’a fait chavirer. Superbe.
Bonus : une vingtaine de pages avec les photos des drag-queens de l’époque qui posent parfois avec les artistes précités, à la fin du livre.

Jolis jolis monstres de Julien Dufresne-Lamy, 2019, aux éditions Harper Collins Poche. 330 pages, 7,90 €.

Texte ©dominique cozette

Mon père, elle va s'appeler Alice.

Mon père, ma mère, mes tremblements de terre est le nouveau roman de Julien Dufresne-Lamy, auteur de 32 ans, que je ne connaissais pas, que m’a conseillé un de mes libraires et c’était un super bon conseil. Parce que ce livre est tout simplement top. Déjà par son histoire mais beaucoup par son écriture. C’est un ado du genre peu expansif qui subit un séisme force 10 lorsque sous la tente de camping plantée sur l’île d’Oléron où il passe les vacances avec ses parent, son père leur annonce qu’il va intégrer le genre qu’il aurait toujours dû avoir : le féminin. On appelle ça la réassignation sexuelle. Le père et le fils sont deux clones, ils se ressemblent énormément, aiment les mêmes films, jeux, sports et sciences. Ils ne cessent de se piéger sur les composants des produits de consommation, les E495 etc.
La mère tombe de haut également, un moment, elle s’enfuit avec son fils chez sa sœur dont l’exercice préféré est le dénigrement du père. Et puis au fur et à mesure que le père, enfin libéré de son secret et sur le point de se faire opérer définitivement, mère et fils sont sujets à des propos pourris venant de partout. C’est tellement violent que le garçon doit quitter l’école et bosser chez lui, sa mère perd son travail qui était de garder des petits tandis que le père s’adoucit grâce aux hormones et étudie son nouveau look. Il mesure quand même 1,84 mètre et il chausse du 44.
Mais peu importe, les choses suivent leur cours : il travaille à sa voix avec une orthophoniste pour qu’enfin, au téléphone, on lui réponde madame, il achète des bijoux de pacotille qu’il ne porte jamais et tchatte sur Internet avec des personnes qui sont passées par là. Le fils, un curieux des sciences, connaît tout ce par quoi son père doit passer et ce qu’il doit subir, du lourd, pour devenir femme.
Le roman commence dans la salle d’attente de la clinique où le père se fait opérer. Des heures. Le gamin y rencontre un autre jeune qui est lui aussi transgenre, c’était une fille, qui va lui donner des conseils utiles. Même si l’ado a tenu le journal de cette transformation durant de longs mois, avec tous les détails techniques, cliniques, pharmaceutiques qui se sont produits. C’est très  détaillé.
Ce livre est émouvant, poignant même car on a peine à imaginer comment faire son deuil d’un homme qui n’est pas mort mais qui a juste disparu, à imaginer comment sa femme, qui continue à l’aimer, envisage leur relation. Le fils, toujours cartésien, demande si elle devient lesbienne, si son père sera toujours considérée (oui il faut la mettre au féminin, cette nouvelle personne) comme hétéro. Des questions sans réponse mais l’amour, même s’il a des aspects bizarre, est toujours là.
Très joli roman, pas du tout gnan-gnan qu’on se rassure, plutôt assez « à l’os » même, qui nous fait nous interroger sur les a priori de notre culture.
Et nous frustre car on aimerait bien la suite. Ce qui est le preuve que le livre est bon.

Mon père, ma mère, mes tremblements de terre de Julien Dufresne-Lamy, 2020 aux éditions Belfond. 254 pages, 17 €

Texte © dominique cozette

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